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21/07/2015 | LUXEMBOURG | N°36605

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 juillet 2015, 36605


Tribunal administratif N° 36605 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 juillet 2015 Audience publique du 21 juillet 2015 Requête en institution d’une mesure de sauvegarde introduite par les époux … et … et consorts, … par rapport à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 36605 du rôle et déposée le 15 juillet 2015 au greffe du tribunal administratif par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au ta

bleau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de Madame …, née le …,...

Tribunal administratif N° 36605 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 juillet 2015 Audience publique du 21 juillet 2015 Requête en institution d’une mesure de sauvegarde introduite par les époux … et … et consorts, … par rapport à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 36605 du rôle et déposée le 15 juillet 2015 au greffe du tribunal administratif par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de Madame …, née le …, et de leurs enfants …, tous de nationalité kosovare et demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à voir instituer une mesure de sauvegarde par rapport à une décision de rejet de leur demande en obtention d’un sursis à l’éloignement pour raisons médicales prise par le ministre de l’Immigration et de l’Asile en date du 1er juillet 2015, un recours en annulation dirigé contre ladite décision ministérielle, inscrit sous le numéro 36604 du rôle, introduit le 15 juillet 2015, étant pendant devant le tribunal administratif ;

Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Maître Marcel MARIGIO, en remplacement de Maître Nicky STOFFEL, et Madame le délégué du gouvernement Linda MANIEWSKI entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.

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Le 1er juillet 2015, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par le « ministre », rejeta une itérative demande en obtention d’un sursis à l’éloignement pour raisons médicales introduite pour compte des époux … et …, ainsi que de leurs trois enfants communs.

L’arrêté ministériel en question est motivé comme suit :

« (…) J’ai l’honneur de me référer à votre courrier daté au 10 juin 2015 et envoyé par télécopie du 15 juin 2015 dans lequel vous sollicitez un sursis à l'éloignement pour le compte de vos mandants en raison de l'état de santé de l'enfant ….

Il y a lieu de rappeler que par décision ministérielle du 5 mars 2015 la prolongation du sursis à l'éloignement initialement accordé à vos mandants en raison de l'état de santé de l'enfant … a été refusée. Vos mandants sont donc dans l'obligation de quitter le territoire luxembourgeois.

La présente pour vous informer que le médecin délégué de la Direction de la Santé a été saisi en date du 18 juin 2015 de l'état de santé de l'enfant … et suivant son avis du 30 juin 2015, reçu le 1er juillet 2015, un sursis à l'éloignement est refusé à vos mandants conformément aux articles 130 et 132 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration en raison de l'état de santé de l'enfant ….

En effet, il ressort du prédit [avis] dont vous trouvez une copie en annexe, que «(…)Vu la note patient et l'ordonnance médicale du Dr … neurologie pédiatrique, établis en date du 08.06.2015 et du 30.12.2014; Vu le courrier de l'Université de Liège, établi en date du 27.01.2015 ; Vu le résultat de la base de données MedC0I BMA-6385 du 12.02.2015 ; Vu l'avis du médecin délégué du 03.03.2015 et le 26.06.2015; Vu l'examen du dossier médical réalisé le 03.03.2015 par le médecin délégué; Le patient souffre d'un retard mental, microcéphalie non-évolutive et de cyphose dorsale; Pas de nouvel élément par rapport à l'avis du 3 mars 2015; Considérant que la prise en charge de … … peut être réalisée dans le pays d'origine (…) l'état de santé de … … ne nécessite pas une prise en charge médicale dispensée au Luxembourg dont le défaut entraînerait pour elle/lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, par conséquent … … ne remplit pas les conditions médicales pour bénéficier d'un sursis à l'éloignement ».

La présente décision est susceptible d'un recours en annulation devant le Tribunal administratif. Ce recours doit être introduit par requête signée d'un avocat à la Cour dans un délai de trois mois à partir de la notification de la présente. Le recours n'est pas suspensif.

(…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 15 juillet 2015, inscrite sous le numéro 36604 du rôle, les consorts … ont introduit un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 1er juillet 2015. Par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 36605 du rôle, ils ont encore introduit une demande tendant à voir ordonner une mesure de sauvegarde consistant à voir autoriser provisoirement leur séjour sur le territoire luxembourgeois, respectivement à voir garantir qu’ils ne seront pas éloignés du territoire luxembourgeois jusqu'au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite de leur recours au fond.

Les demandeurs font soutenir que leur éloignement du territoire luxembourgeois vers le Kosovo risquerait de leur causer un préjudice grave et définitif et que les moyens invoqués à l’appui de leur recours au fond seraient sérieux.

Au titre de l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif, ils font exposer qu’en cas de retour au Kosovo, l’enfant … … ne bénéficierait plus d'une prise en charge médicale, alors qu'il serait gravement malade. Ils exposent qu’il souffrirait d'un retard mental, d’une microcéphalie non-évolutive et d’une cyphose dorsale et qu’il aurait besoin de soins constants. Ils estiment encore que son retour dans son pays d'origine risquerait d'aggraver son mauvais état de santé, étant donné qu’il serait privé des soins et traitements adéquats, qui n’existeraient pas au Kosovo.

Au fond, les demandeurs concluent en premier lieu à l’annulation de la décision attaquée au motif que l’avis du médecin délégué ne serait ni suffisamment motivé ni justifié et que ce manque de motivation affecterait par la suite la décision ministérielle, le ministre n’ayant pas les connaissances suffisantes pour affirmer que l’enfant … ne nécessiterait pas une prise en charge dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Dans cet ordre d’idées, ils soutiennent encore que le médecin délégué ne pourrait pas tirer des conséquences juridiques de ses avis médicaux et qu’en l’espèce, il aurait outrepassé les limites des pouvoirs lui reconnus par la loi et empiété sur les prérogatives du ministre.

Ils soutiennent encore que la décision serait le fruit d’une mauvaise analyse de la gravité de l'état de santé de l’enfant …, insistant sur ce que … bénéficierait d’une inscription dans l’éducation différenciée à Luxembourg et qu’un système d’aide équivalent n’existerait pas au Kosovo.

Enfin, ils demandent aux juges du fond d’ordonner une mesure d'instruction au sujet de l’état de santé exact de … … et quant à la possibilité d'accéder à des soins de santé au Kosovo.

Le délégué du gouvernement estime que les conditions légales pour justifier l’institution d’une mesure provisoire ne seraient pas remplies en cause. Il précise que l’état de santé de l’enfant … serait stable et qu’il n’aurait pas besoin d’un traitement médical, respectivement qu’un traitement médical pour améliorer son état physique et psychique n’existerait pas, d’une part, et que le fait de ne plus pouvoir bénéficier de l’éducation différenciée telle qu’elle est organisée au Luxembourg ne serait pas pertinent dans le cadre spécifique des articles 130 et suivants de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par la « loi du 29 août 2008 », d’autre part.

En vertu de l’article 11 (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, un sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.

Une mesure de sauvegarde, prévue à l’article 12 de la loi précitée du 21 juin 1999, requiert, sous peine de vider de sa substance l’article 11 de la même loi, les mêmes conditions tenant au sérieux des moyens et au risque d’un préjudice grave et définitif.

L'exigence tirée du caractère sérieux des moyens invoqués appelle le juge administratif à examiner et à apprécier, au vu des pièces du dossier et compte tenu du stade de l'instruction, les chances de succès du recours au fond.

L’article 130 de la loi du 29 août 2008 dispose que « sous réserve qu’il ne constitue pas une menace pour l’ordre public ou la sécurité publique, l’étranger ne peut être éloigné du territoire s’il établit au moyen de certificats médicaux que son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, et s’il rapporte la preuve qu’il ne peut effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le pays vers lequel il est susceptible d’être éloigné ».

L’article 131 (3) de la loi du 29 août 2008 précise encore que « les décisions visées aux paragraphes (1) et (2) qui précèdent, sont prises par le ministre, sur avis motivé du médecin délégué visé à l’article 28, selon les modalités à déterminer par règlement grand-

ducal. Le médecin délégué procède aux examens qu’il juge utiles. L’avis du médecin délégué porte sur la nécessité d’une prise en charge médicale, les conséquences d’une exceptionnelle gravité et la possibilité de bénéficier d’un traitement approprié dans le pays vers lequel l’étranger est susceptible d’être éloigné ».

Le reproche d’une motivation insuffisante de l’avis médical du médecin délégué et d’un défaut de justification de ses conclusions n’est pas convainquant, l’avis du médecin délégué du 30 juin 2015 étant prima facie motivé et le fruit d’un examen, réalisé par un spécialiste en la matière, du dossier médical de l’intéressé et des informations disponibles sur la situation existante des possibilités de soin au Kosovo.

Même à admettre que les juges du fond retiendront que le médecin délégué s’est prononcé sur les conséquences de son avis, il ne semble pas qu’il ait pour autant failli à sa mission légale en se prononçant sur la nécessité d’une prise en charge médicale de … …, les conséquences d’une exceptionnelle gravité et la possibilité de bénéficier d’un traitement approprié au Kosovo, comme le requiert l'article 131, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008. Au-delà, son avis ne liant pas le ministre, il n’appert pas que la procédure doive être considérée comme étant viciée par le fait que le médecin s’est prononcé sur les conséquences à tirer de son avis.

Les demandeurs mettent encore en discussion l’appréciation faite par le ministre et, de ce fait, la question de la violation ou de la mauvaise application de l’article 130 de la loi du 29 août 2008.

Il se dégage de la jurisprudence en la matière que les articles 130 et 131 (2), le second n’étant qu’une précision au niveau d’une situation perdurant au-delà de deux ans, ouvrent la possibilité de faire bénéficier un étranger d’un sursis à l’éloignement, voire d’une autorisation de séjour, à condition de ne pas présenter une menace pour l’ordre ou la sécurité publics et d’établir, en premier lieu, que son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité et, ensuite, qu’il ne peut pas effectivement bénéficier d’un traitement approprié et suffisamment accessible dans le pays vers lequel il est susceptible d’être éloigné. Il s’en dégage aussi que la maladie susceptible d’être prise en compte doit être « celle qui, sans traitement ou soins médicaux, entraîne des conséquences d’une exceptionnelle gravité pour la personne concernée, notamment celle qui peut causer la mort de la personne, réduire son espérance de vie ou entraîner un handicap grave » (v. not. trib. adm. 11 juillet 2012, n° 29407 du rôle).

A la lumière de cette jurisprudence et au regard de ce que des questions d’appréciation appellent le juge du provisoire de faire usage de ses pouvoirs avec grande parcimonie, le soussigné doit constater, sur base d’un examen nécessairement sommaire, qu’il ne se dégage pas à suffisance de droit des éléments d’appréciation soumis en cause que l’état de santé de … … ait été tel que son éloignement soit manifestement contre-indiqué pour emporter pour l’intéressé des conséquences d’une exceptionnelle gravité, au sens dégagé par la jurisprudence, respectivement que le ministre ait commis une erreur manifeste d’appréciation y relative. Dans ce contexte, il ne semble guère que l’inexistence dans le pays d’origine de l’intéressé d’un système d’éducation différenciée comme celui existant au Luxembourg puisse à elle-seule emporter une mauvaise application des dispositions légales applicables.

Il s’ensuit que le recours au fond, au stade actuel de son instruction et sur base d’une analyse nécessairement sommaire, n’apparaît pas comme ayant des chances suffisamment sérieuses d’aboutir à l’annulation de la décision litigieuse au fond.

Les demandeurs sont partant à débouter de leur demande en institution d’une mesure de sauvegarde sans qu’il y ait lieu d’examiner davantage la question du risque d’un préjudice grave et définitif dans leur chef, les conditions afférentes devant être cumulativement remplies, de sorte que la défaillance de l’une de ces conditions entraîne à elle seule l’échec de la demande.

Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique ;

reçoit la requête en institution d'une mesure provisoire en la forme ;

au fond, la déclare non justifiée et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 21 juillet 2015, par M. CAMPILL, président du tribunal administratif, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

s. SCHMIT CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 21/7/2015 Le Greffier en chef du Tribunal administratif 5


Synthèse
Numéro d'arrêt : 36605
Date de la décision : 21/07/2015

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2015-07-21;36605 ?

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