Tribunal administratif N° 36447 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 juin 2015 Audience publique du 2 juillet 2015 Requête en sursis à exécution introduite par la société XXX S.A., Luxembourg, contre le règlement 15/191/ILR du 20 mars 2015 de l’Institut Luxembourgeois de Régulation en matière d’acte règlementaire
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ORDONNANCE
Vu la requête, inscrite sous le numéro 36447 du rôle et déposée le 17 juin 2015 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc THEWES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, assisté de Maître Alexandre VERHEYDEN et de Maître Laurent de MUYTER, avocats inscrits à l’Ordre français des avocats du Barreau de Bruxelles, au nom de la société anonyme XXX S.A., établie et ayant son siège social à L-
XXX Luxembourg, représentée par son conseil d'administration actuellement en fonctions, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B 176835, tendant à voir ordonner le sursis à exécution du règlement 15/191/ILR du 20 mars 2015 portant fixation du plafond tarifaire pour les prestations de la terminaison d’appel vocal sur les réseaux mobiles individuels (Marché 7/2007) et portant modification du règlement 14/172/ILR sur la définition des marchés pertinents de la terminaison d'appel vocal sur réseaux mobiles individuels (Marché 7/2007), l'identification des opérateurs puissants sur ces marchés et les obligations imposées à ce titre pris par l’Institut Luxembourgeois de Régulation (« ILR »), un recours en annulation ayant été par ailleurs introduit contre ledit acte règlementaire, par requête déposée le 17 juin 2015, inscrite sous le numéro 36446 du rôle;
Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Patrick MULLER, en remplacement de l’huissier de justice Frank SCHAAL, demeurant à Luxembourg, du 19 juin 2015, portant signification de ladite requête en sursis à exécution à l’ILR, établissement public indépendant, établi et ayant son siège social à L-1536 Luxembourg, 17, rue du Fossé, représenté par sa direction actuellement en fonctions;
Vu la note de plaidoiries versée par Maître Christian POINT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, pour compte de l’ILR;
Vu les articles 11 et 18 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives;
Vu les pièces versées en cause et notamment l’acte attaqué;
Maître Marc THEWES, assisté de Maîtres Alexandre VERHEYDEN, Laurent de MUYTER et Thibault CHEVRIER, pour la demanderesse, et Maître Christian POINT, assisté de Maître Marianne RAU, pour l’ILR, entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 26 juin 2015.
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Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 17 juin 2015, inscrite sous le numéro 36446 du rôle, la société anonyme XXX S.A., ci-après dénommée la «société XXX » a introduit un recours en annulation contre le règlement 15/191/ILR portant fixation du plafond tarifaire pour les prestations de la terminaison d’appel vocal sur les réseaux mobiles individuels (Marché 7/2007) et portant modification du règlement 14/172/ILR sur la définition des marchés pertinents de la terminaison d'appel vocal sur réseaux mobiles individuels (Marché 7/2007), l'identification des opérateurs puissants sur ces marchés et les obligations imposées à ce titre pris, le 20 mars 2015, par l’Institut Luxembourgeois de Régulation (« ILR »), et par requête déposée le même jour, inscrite sous le numéro 36447 du rôle, la société XXX sollicite le sursis à exécution de cet acte règlementaire jusqu'à ce qu'une décision soit intervenue au fond.
A l’appui de sa requête, la société XXX soutient que l’exécution du règlement 15/191/ILR serait de nature à lui causer un préjudice grave et définitif et que son recours au fond présenterait de sérieuses chances de succès.
Au titre de l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif, elle fait valoir que l’exécution du règlement 15/191/ILR l’obligerait à vendre ses services de terminaison à perte et ce alors qu’elle serait un opérateur nouvel entrant sur le marché en situation financière et commerciale fragile.
Elle précise que son chiffre d'affaires cumulé, depuis sa création jusque fin 2014, aurait été limité et qu’elle aurait accumulé des pertes très substantielles. En outre, elle déclare supporter des coûts importants (investissements d'équipements réseau, de location de site, de personnel, etc.) du fait de son entrée sur un marché mature caractérisé par d’importantes barrières à l'entrée.
Elle estime encore que la nouvelle régulation lui serait particulièrement défavorable et qu’elle affecterait profondément son business plan.
Le préjudice déjà échu et définitif serait considérable et les estimations établies pour l'avenir (deuxième semestre 2015 et année 2016) établiraient qu’elle ne sera pas en mesure de couvrir la totalité des coûts engendrés par la prestation de fourniture de services.
Ainsi, le règlement litigieux risquerait de provoquer sa sortie du marché, de même qu’il mettrait en danger les investissements dans le déploiement de l'infrastructure 4G sur la base de ses fréquences 2,6 GHz.
A l’appui du recours au fond, la demanderesse, après avoir exposé les cadres réglementaires européen et national estimés applicables en l’espèce, soulève les moyens d’annulation suivants:
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excès de pouvoir du fait du refus de considérer la demande de la société XXX de se voir appliquer des tarifs différenciés comme une demande d'appliquer les articles 9 et 10 de la recommandation de la Commission du 7 mai 2009 (2009/396/CE) sur le traitement réglementaire des tarifs de terminaison d’appels fixe et mobile dans l’UE, ci-après dénommée la « recommandation MTR ») et -
violation des articles 33, 28 et 27 de la loi du 27 février 2011 sur les réseaux et les services de communications électroniques, ensemble le principe de proportionnalité et le principe de non-discrimination, en raison de l’application des tarifs symétriques à la société XXX, respectivement du principe de convention-loi et excès de pouvoir tenant à l’obligation pour la société XXX de modifier ses dispositions contractuelles avec son opérateur hôte.
L’ILR estime que la société XXX resterait en défaut d’établir l’existence d’un préjudice grave et définitif et que les moyens soulevés à l’appui de son recours au fond ne seraient pas suffisamment sérieux pour justifier le prononcé d’une mesure provisoire.
En vertu de l’article 11 (2), auquel il est renvoyé par l’article 18, de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.
Un préjudice est grave lorsqu'il dépasse par sa nature ou son importance les gênes et les sacrifices courants qu'impose la vie en société et doit dès lors être considéré comme une violation intolérable de l'égalité des citoyens devant les charges publiques.
Il est définitif lorsque le succès de la demande présentée au fond ne permet pas ou ne permet que difficilement un rétablissement de la situation antérieure à la prise de l'acte illégal, la seule réparation par équivalent du dommage qui se manifeste postérieurement à son annulation ou sa réformation ne pouvant être considérée à cet égard comme empêchant la réalisation d'un préjudice définitif. - Pour l'appréciation du caractère définitif du dommage, il n'y a pas lieu de prendre en considération le dommage subi pendant l'application de l'acte illégal et avant son annulation ou sa réformation. Admettre le contraire reviendrait à remettre en question le principe du caractère immédiatement exécutoire des actes administratifs, car avant l'intervention du juge administratif, tout acte administratif illégal cause en principe un préjudice qui, en règle générale, peut être réparé ex post par l'allocation de dommages et intérêts. Ce n'est que si l'illégalité présumée cause un dommage irréversible dans le sens qu'une réparation en nature, pour l'avenir, ne sera pas possible, que le préjudice revêt le caractère définitif tel que prévu par l'article 11 de la loi précitée du 21 juin 1999.
Un préjudice de nature essentiellement pécuniaire n’est pas, en soi, grave et difficilement réparable. En effet, pareil préjudice est, en principe, réparable puisqu’il peut être entièrement compensé par l’allocation de dommages et intérêts.
Il incombe partant au demandeur d’établir l’existence d’une circonstance particulière rendant le préjudice pécuniaire grave ou difficilement réparable.
En l’espèce, s’il se dégage des éléments d’appréciation soumis en cause que l’exécution des règlements 15/190/ILR et 15/191/ILR implique un risque certain d’un manque à gagner dans le chef de la société XXX, il n’en reste pas moins qu’il ne s’en dégage pas que son existence s’en trouverait concrètement menacée. Cette conclusion s’impose d’autant plus qu’il n’est guère plausible que les sociétés-mères de la société XXX, après avoir réalisé d’importants investissements, ne continueront pas à l’appuyer jusqu’au prononcé de la décision au fond. Leurs investissements caractérisent en effet un intérêt évident à voir garantir la pérennité de la société XXX.
Cet état des choses est d’ailleurs expressément admis par la demanderesse en ce que ses mandataires ont soutenu à l’audience des plaidoiries que le risque de préjudice grave et définitif se situerait moins au niveau d’un risque de faillite au cours de la phase d’instruction et de jugement de l’affaire au fond, qu’au niveau de ce que le manque à gagner prévisible troublerait sa compétitivité et freinerait, voire empêcherait de la sorte son entrée et son expansion sur le marché luxembourgeois de détail de la téléphonie mobile.
Or, sous ce dernier regard, d’une part, il se dégage des principes ci-avant retracés, que des pertes financières passagères, de même qu’un retard d’implantation d’une entreprise sur le marché ne sont pas constitutifs d’un risque de préjudice grave et définitif, en ce qu’ils sont réparables par l’allocation de dommages et intérêts à la suite d’un éventuel jugement d’annulation et, d’autre part, il n’est pas établi à suffisance de droit que l’exécution des deux règlements ILR susvisés compromette de manière irrémédiable l’implantation de la société XXX sur le marché luxembourgeois de détail de la téléphonie mobile.
Il s’ensuit que la condition d’un risque d'un préjudice grave et définitif n'est pas remplie en l'espèce.
Au-delà, sur base d’un examen nécessairement sommaire des moyens et arguments développés de part et d’autre, étant rappelé que sous peine d’empiéter sur les compétences du juge du fond, le juge des référés ne saurait prendre position de manière péremptoire par rapport aux moyens invoqués au fond, le soussigné arrive à la conclusion provisoire qu’au stade actuel de l’instruction de l’affaire au fond, les moyens invoqués par la partie demanderesse, s’ils n’apparaissent pas dénués de fondement, se trouvent confrontés à des explications et thèses non moins plausibles de la part de la partie défenderesse, de sorte à appeler un examen approfondi dépassant manifestement la compétence au provisoire du soussigné, lequel ne peut que constater que les moyens invoqués à l’appui du recours au fond ne paraissent pas comme suffisamment sérieux pour justifier une mesure provisoire.
L’examen approfondi est plus particulièrement requis au niveau de la question centrale de savoir si le refus d’application des articles 9 et 10 de la recommandation MTR à la société XXX est légalement justifié et ne procède pas d’une erreur manifeste d’appréciation, notamment au niveau de l’application faite par l’ILR de la notion d'orientation des tarifs en fonction des coûts pour justifier la décision de l’application d’une tarification symétrique à l’égard de la société XXX. Aux yeux du soussigné, il paraît se poser, entre autres, la question de savoir si la société XXX, de par la composition de son actionnariat, auquel participe notamment, à raison de 50% du capital social, un opérateur historique, peut effectivement être considérée comme un nouveau venu sur le marché de la téléphonie mobile. Si la société XXX entend mettre, non sans raison, en balance sa constitution récente, en avril 2013, en tant que nouvelle entité juridique et son entrée sur le marché le 23 janvier 2014, il reste à savoir si l’analyse doit être essentiellement juridique ou s’il convient de préconiser une approche plus économique. L’analyse de ces questions dépasse cependant manifestement le pouvoir et la mission du juge du provisoire.
Paraît encore mériter un examen approfondi la problématique de savoir si les redevances de terminaison redues par la société XXX, c’est-à-dire les charges fixées contractuellement pour lui permettre de bénéficier des services de full MVNO sur le réseau de son opérateur hôte, constituent, toujours dans une optique économique plutôt que juridique, un véritable obstacle sur le marché de détail entravant son entrée sur le marché et justifiant la récupération de ce coût par des tarifs différenciés.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’aucune des deux conditions, pour le surplus cumulatives, tenant au risque d'un préjudice grave et définitif, d’une part, et au sérieux des moyens, d’autre part, ne sont remplies, de sorte qu’il y a lieu de rejeter la demande en sursis à exécution.
Au vu de l’issue du litige, la demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un import de 5.000.- €, formulée par la société XXX, laisse d’être fondée.
Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique;
reçoit la requête en sursis à exécution en la forme;
au fond, la déclare non justifiée et en déboute;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure;
condamne la partie demanderesse aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 2 juillet 2015 par M. CAMPILL, président du tribunal administratif, en présence de M. WEBER, greffier.
WEBER CAMPILL 5