Tribunal administratif N° 35882 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 février 2015 Audience publique du 24 février 2015 Requête en institution d’une mesure provisoire introduite par Monsieur XXX, L-XXX, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers
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ORDONNANCE
Vu la requête inscrite sous le numéro 35882 du rôle et déposée le 19 février 2015 au greffe du tribunal administratif par Maître Mike ERNIQUIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur XXX, né le XXX à XXX (Serbie), de nationalité serbe, demeurant à L-XXX, tendant à voir instituer un sursis à exécution sinon une mesure de sauvegarde par rapport à une décision prise par le ministre de l’Immigration et de l’Asile en date du 19 novembre 2014 portant refus de délivrance d’une autorisation de séjour et ordre de quitter le territoire luxembourgeois, un recours en réformation sinon en annulation dirigé contre ladite décision ministérielle, inscrit sous le numéro 35881 du rôle, introduit le 19 février 2015, étant pendant devant le tribunal administratif ;
Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Maître Mathieu GIBELLO, en remplacement de Maître Mike ERNIQUIN, et Madame la déléguée du gouvernement Jacqueline GUILLOU-JACQUES entendues en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.
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Par décision du 19 novembre 2014, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par le « ministre », rejeta la demande en obtention d’une autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié dans le chef de Monsieur XXX.
La décision ministérielle s’appuie en droit sur l’article 34 (2) point 5, 39 (1) et 100 (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 relative à la libre circulation des personnes et l'immigration, ci-après dénommée la « loi du 29 août 2008 ».
Par requête déposée le 19 février 2015, inscrite sous le numéro 35881, Monsieur XXX a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre de la susdite décision ministérielle de refus de délivrance d’une autorisation de séjour du 19 novembre 2014 et par requête séparée, déposée le même jour et inscrite sous le numéro 35882 du rôle, il a encore fait introduire un recours tendant à voir instituer un sursis à exécution de l’ordre de quitter le territoire, sinon une mesure de sauvegarde à l’encontre de la décision en question jusqu’à l’intervention d’une décision au fond, ladite mesure de sauvegarde consistant en substance à se voir autoriser à continuer à séjourner provisoirement sur le territoire luxembourgeois jusqu’à l’intervention d’une décision au fond.
Le demandeur expose résider à Luxembourg depuis l’année 2002 et être venu au Luxembourg pour y travailler. Il précise avoir bénéficié de plusieurs autorisations de travail et de séjour et disposer actuellement « d'un projet de contrat de travail daté du 25 juin 2013 (…), qui atteste qu'un nouvel employeur souhaite l'embaucher, mais dont la signature par les parties n'est possible qu'après délivrance d'une autorisation de séjour ».
Il ajoute avoir formulé, en date du 28 février 2013, une demande en obtention d'une autorisation de séjour dans le cadre de la mesure unique en vigueur du 2 janvier au 28 février 2013 et que la décision ministérielle de refus y afférente a été annulée par jugement du tribunal administratif, la décision critiquée au fond étant la nouvelle décision prise par le ministre suite au renvoi du dossier par le juge administratif.
Il estime que cette nouvelle décision serait également non justifiée, au motif qu’il remplirait toutes les conditions requises en vue de la délivrance d'une autorisation de séjour.
Ainsi, il résiderait depuis plus de 10 ans au Luxembourg, occupant actuellement un studio meublé à L-XXX, satisferait aux conditions d'honnêteté et d'honorabilité requises et serait bien intégré dans la société luxembourgeoise. Il admet être actuellement sans emploi, toute en mettant en exergue une promesse d’embauche.
Selon le demandeur, dans ces conditions, il serait « injuste et dramatique pour lui de le reconduire vers son pays natal ».
Au titre de l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif, il avance le risque d'être reconduit à tout moment vers son pays d'origine par la contrainte et de la sorte devoir quitter le Luxembourg.
Le délégué du gouvernement estime que les conditions légales pour l’institution d’une mesure provisoire ne seraient pas remplies en cause. Quant à la motivation de la décision ministérielle litigieuse au fond, le délégué entend préciser que le refus ministériel serait fondé sur le double motif du non-respect de l’article 39 de la loi du 29 août 2008 en ce que le demandeur n’aurait pas introduit sa demande avant de venir, respectivement revenir, au Luxembourg, étant relevé qu’il se dégagerait d’un rapport de police, produit en cause, que le demandeur serait retourné en Serbie en 2013, d’une part, et du non-respect de l’article 34 (2) point 5 en ce que le demandeur ne justifierait point avoir des ressources personnelles suffisantes, d’autre part.
En vertu de l’article 11 (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, un sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.
Une mesure de sauvegarde, prévue à l’article 12 de la loi précitée du 21 juin 1999, requiert, sous peine de vider de sa substance l’article 11 de la même loi, les mêmes conditions tenant au sérieux des moyens et au risque d’un préjudice grave et définitif.
L’affaire au fond ayant été introduite le 19 février 2014 et compte tenu des délais légaux d’instruction fixés par la loi précitée du 21 juin 1999, l’affaire ne saurait être considérée comme pouvant être plaidée à brève échéance.
En ce qui concerne ensuite la condition tenant à l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif, il convient de rappeler que le risque du préjudice s’apprécie in concreto et qu’il appartient au demandeur d’apporter des éléments à cette fin.
Un préjudice est grave lorsqu'il dépasse par sa nature ou son importance les gênes et les sacrifices courants qu'impose la vie en société et doit dès lors être considéré comme une violation intolérable de l'égalité des citoyens devant les charges publiques.
Il est définitif lorsque le succès de la demande présentée au fond ne permet pas ou ne permet que difficilement un rétablissement de la situation antérieure à la prise de l'acte illégal, la seule réparation par équivalent du dommage qui se manifeste postérieurement à son annulation ou sa réformation ne pouvant être considérée à cet égard comme empêchant la réalisation d'un préjudice définitif. - Pour l'appréciation du caractère définitif du dommage, il n'y a pas lieu de prendre en considération le dommage subi pendant l'application de l'acte illégal et avant son annulation ou sa réformation. Admettre le contraire reviendrait à remettre en question le principe du caractère immédiatement exécutoire des actes administratifs, car avant l'intervention du juge administratif, tout acte administratif illégal cause en principe un préjudice qui, en règle générale, peut être réparé ex post par l'allocation de dommages-
intérêts. Ce n'est que si l'illégalité présumée cause un dommage irréversible dans le sens qu'une réparation en nature, pour l'avenir, ne sera pas possible, que le préjudice revêt le caractère définitif tel que prévu par l'article 11 de la loi précitée du 21 juin 1999.
En l’espèce, le seul argument mis en balance par le demandeur est la perte de la situation qu’il déclare avoir au Luxembourg.
Or, force est de constater que le demandeur ne dispose actuellement ni d’un emploi stable, qu’un éloignement lui ferait perdre, ni ne documente-il l’existence d’une situation familiale ou personnelle particulière risquant d’être affectée. Le fait d’occuper un studio meublé, apparemment loué par une connaissance du demandeur, et les différentes attestations testimoniales émanant apparemment de différentes connaissances du demandeur sont en tout cas insuffisantes pour établir un enracinement personnel particulier et stable de l’intéressé dans la société luxembourgeoise.
Ainsi, un retour dans son pays d'origine, en attendant que la juridiction du fond se prononce sur le mérite de son recours contre le refus de lui accorder une autorisation de séjour, n'est pas de nature à lui causer un préjudice grave et définitif.
Il convient d’ajouter qu’en cas de succès du recours au fond dirigé contre le refus de délivrance d’une autorisation de séjour, la décision litigieuse disparaîtra rétroactivement de l’ordonnancement juridique et les parties se trouveront replacées dans la situation antérieure et une nouvelle décision devrait être prise en lieu et place de celle qui aura été annulée et si un droit de séjour dans le chef du demandeur se devait se dégager des circonstances de l’espèce, ses droits seraient saufs et il pourrait revenir au Luxembourg.
Il s’ensuit que l’exposé d’un risque de préjudice grave et difficilement réparable n’est, en l’espèce pas suffisamment étoffé.
A titre superfétatoire, la seconde condition légalement requise pour justifier l’institution de la mesure provisoire sollicitée, à savoir le caractère sérieux des moyens invoqués au fond, appelant le juge des référés à examiner et à apprécier, au vu des pièces du dossier et compte tenu du stade de l'instruction, les chances de succès du recours au fond, n’apparaît pas non plus comme étant remplie en cause.
En effet, s’il est vrai que le libellé de la décision ministérielle est pour le moins peu étoffée en fait, le délégué du gouvernement a apporté des compléments de motivation qui posent l’apparence d’une décision légalement justifiée. En effet, un examen nécessairement sommaire ne permet pas de dégager une mauvaise application des articles 34 ou 39 de la loi du 29 août 2008, de même que l’appréciation ministérielle ne semble pas non plus empreinte d’une erreur manifeste d’appréciation. En tout cas, au stade actuel de l’instruction de l’affaire au fond, les considérations, à leur tour vagues et non-circonstanciées, telles qu’elles sont avancées par le demandeur ne permettent pas de dénoter des chances de sérieux suffisamment sérieuses dans l’affaire au fond.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’aucune des deux conditions, pour le surplus cumulatives, tenant au risque d'un préjudice grave et définitif, d’une part, et au sérieux des moyens, d’autre part, ne sont remplies, de sorte qu’il y a lieu de rejeter la demande.
Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique ;
reçoit la requête en institution d'une mesure provisoire en la forme ;
au fond, la déclare non justifiée et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 24 février 2015, par M. CAMPILL, président du tribunal administratif, en présence de M. WEBER, greffier.
WEBER CAMPILL 5