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12/09/2014 | LUXEMBOURG | N°34908

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 septembre 2014, 34908


Tribunal administratif Numéro 34908 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 juillet 2014 Chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 12 septembre 2014 Recours formé par Monsieur …, … contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 34908 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 juillet 2014 par Maître Louis Tin

ti, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de ...

Tribunal administratif Numéro 34908 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 juillet 2014 Chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 12 septembre 2014 Recours formé par Monsieur …, … contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 34908 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 juillet 2014 par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Albanie), de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant 1) à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 9 juillet 2014 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation subsidiairement à l’annulation de la décision du même jour portant refus de lui accorder le statut de la protection subsidiaire et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 août 2014 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 18 août 2014 par Maître Louis Tinti au nom de Monsieur … ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Louis Tinti et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 septembre 2014.

Le 4 mars 2014, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées dans un rapport de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, du même jour.

Monsieur … fut entendu en date des 12 mars et 20 mai 2014 par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Il ressort des rapports d’audition du demandeur qu’il a quitté son pays d’origine en raison de l’assassinat de son cousin et d’une tentative d’attentat sur sa personne dans son local professionnel. Il explique ignorer la raison sous-jacente à la tentative d’assassinat dont il aurait fait l’objet étant donné que ce serait la première fois qu’il aurait été confronté à des problèmes avec une quelconque personne. Par ailleurs, il lie l’assassinat de son cousin à la proximité relationnelle que ce dernier entretenait avec son propre cousin qui aurait fait l’objet d’un règlement de compte dans le cadre d’une « dette de sang ». Il se plaint encore de menaces téléphoniques dont il aurait été victime après la tentative d’assassinat alors qu’il serait resté cloîtré à domicile.

Par décision du 9 juillet 2014, envoyée par pli recommandé en date du 10 juillet 2014, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé « le ministre », informa Monsieur … qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se fondant sur les dispositions de l’article 20 (1) a) et c) de la loi du 5 mai 2006 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

La décision est motivée par la considération que Monsieur … proviendrait d’un pays d’origine sûr dans lequel il n’existerait pas, généralement et de façon constante, de persécution au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut de réfugié, ci-après désignée par « la Convention de Genève », constat qui n’aurait pas été contredit par un examen individuel de sa demande de protection internationale. Enfin, elle retient en substance que les faits invoqués à l’appui de la demande de protection internationale relèveraient du droit commun albanais et ne répondraient à aucun des critères prévus par la Convention de Genève. Elle indique encore qu’en tout état de cause, il ne serait pas démontré que l’Etat albanais ou d’autres organisations étatiques présentes sur le territoire ne pourraient ou ne voudraient pas lui accorder une protection adéquate.

Elle retient en outre que le demandeur aurait pu opter pour l’alternative de fuite interne au sein de son pays d’origine. Elle est enfin motivée par la circonstance qu’il n’existerait en l’espèce pas de motif sérieux de conclure à l’existence d’un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 17 juillet 2014, Monsieur … a fait introduire un recours tendant 1) à l’annulation de la décision précitée du ministre du 9 juillet 2014 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation sinon à l’annulation de la décision du même ministre portant refus de lui accorder le statut de la protection subsidiaire et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision.

1) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision déférée du ministre de statuer sur la demande de protection internationale du demandeur dans le cadre d’une procédure accélérée. Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de ce volet du recours, s’agissant de la décision de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée sur le fondement des articles 20 a) et c), le demandeur estime, d’une part, que l’Albanie ne serait pas un pays d’origine sûr eu égard au non respect des droits et des libertés fondamentales et à l’absence d’un système judiciaire indépendant et, d’autre part, que les faits seraient pertinents en l’espèce et de nature à justifier le bien-

fondé d’une demande de protection internationale.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce volet du recours pour manquer de fondement.

Ni le ministre ni le délégué du gouvernement n’ayant mis en cause la crédibilité du récit du demandeur, il y a lieu de retenir que les faits invoqués sont avérés.

Aux termes de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 :

« Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants:

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale;

[…] c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi ; […] ».

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 20 (1) a) et c) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de la prédite demande en obtention d’une protection internationale ou encore si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 précité de la loi modifiée du 5 mai 2006.

Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sont énumérées à l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative, de sorte qu’une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.

Il appartient au tribunal, statuant en tant que juge de l’annulation dans le cadre et les limites de la procédure accélérée prévue à l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 de vérifier, sur base des moyens invoqués, si c’est à bon droit que le ministre a fait application du prédit article afin de décider de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée.

Quant à la décision du ministre se basant notamment sur l’article 20 (1) c) de la loi du 5 mai 2006 disposant que le demandeur provient d’un pays sûr au sens de l’article 21 de ladite loi, il échet de rappeler qu’un pays est à considérer comme un pays d’origine sûr au sens de cet article dans les conditions suivantes : « (1) Un pays peut être désigné comme pays d’origine sûr pour les besoins de l’examen de la demande de protection internationale.

(2) Un pays qui est désigné comme pays d’origine sûr conformément aux paragraphes (3) et (4) du présent article peut uniquement, après examen individuel de la demande de protection internationale, être considéré comme étant un pays d’origine sûr pour un demandeur, s’il possède la nationalité de ce pays ou s’il avait précédemment sa résidence habituelle dans ce pays, mais que le demandeur n’a soumis aucune raison valable permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.

(3) Une demande de protection internationale est rejetée, sans préjudice du paragraphe (2) qui précède, lorsqu’un pays est désigné comme pays d’origine sûr soit par l’Union européenne, soit par règlement grand-ducal.

(4) Un règlement grand-ducal pourra désigner un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève. Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme pays d’origine sûr :

a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;

b) le respect du principe du non-refoulement prévu par la Convention de Genève ;

c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. » En l’espèce, il est constant en cause que par règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 fixant la liste de pays d’origine sûrs au sens de la loi du 5 mai 2006 l’Albanie a été retenue comme constituant un pays d’origine sûr, tandis qu’il se dégage des éléments du dossier que le demandeur a la nationalité albanaise et qu’il a vécu en Albanie avant de venir au Luxembourg.

Comme l’énumération d’un pays d’origine sûr dans la liste du prédit règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 ne constitue qu’une présomption que ce pays est à considérer comme un pays d’origine sûr et qu’aux termes de l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006, un examen de la situation individuelle du demandeur de protection internationale est indispensable pour pouvoir considérer que concrètement pour le demandeur de protection internationale considéré individuellement, le pays de provenance est à considérer comme pays d’origine sûr, il appartient au tribunal, statuant comme juge de l’annulation dans le cadre et les limites de la procédure accélérée prévue à l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006, de vérifier, dans le cadre des moyens invoqués, si le demandeur lui soumet, conformément à l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006, des raisons valables permettant de penser qu’il ne s’agit pas, dans son chef, d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.

Or, l’analyse de la situation personnelle décrite par le demandeur lors de son audition par l’agent compétent du ministère des Affaires étrangères ne permet pas d’en dégager des éléments suffisants pour conclure à l’illégalité de la décision ministérielle.

En effet, il ressort du récit du demandeur que suite à la tentative d’assassinat dont il a fait l’objet, les autorités policières se sont rendues sur le lieu de l’incident et ont procédé à leur enquête. Il affirme également que les autorités policières auraient été en contact régulier avec lui. Il s’y ajoute que le demandeur a quitté son pays d’origine en mars 2014 sans plus attendre le résultat de l’enquête policière sur l’incident sus-visé, de sorte que dans ce contexte, il ne saurait être reproché aux autorités policières de ne pas avoir accordé une protection au demandeur, sans qu’à l’évidence cette protection n’emporte l’obligation pour un Etat de mettre un policier à disposition de chaque individu. Il y a ainsi lieu de conclure que le demandeur n’a pas fourni d’éléments dans le cadre de son rapport d’audition de nature à renverser le constat du règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 précité, selon lequel l’Albanie est à considérer comme pays d’origine sûr dans son chef. Cette conclusion n’est pas énervée par les développements apportés par le demandeur dans le cadre de sa requête introductive d’instance et de son mémoire en réplique dans la mesure où ils se limitent à affirmer péremptoirement que les autorités policières sont dans « l’impossibilité […] de retrouver les auteurs de la tentative d’assassinat », dès lors que le tribunal statuant dans le cadre du recours en annulation est amené à vérifier la légalité de la décision au regard des éléments mis à la disposition du ministre au moment de la prise de la décision, lesquels ressortent principalement des propos tenus par le demandeur dans le cadre de son audition analysés plus en avant par le tribunal.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre, après analyse de sa situation concrète, a conclu que le demandeur est originaire d’un pays d’origine sûr, de sorte à statuer sur sa demande de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée prévue par l’article 20 de la loi du 5 mai 2006, les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative, de sorte que la seule condition de l’article 20 c) de la loi du 5 mai 2006 valablement remplie a pu à suffisance justifier la décision ministérielle.

Ainsi, le recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter pour ne pas être fondé.

2. Quant au recours tendant à la réformation de la décision de refus d’une protection subsidiaire Dans la mesure où l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, le tribunal est compétent pour statuer sur le recours en réformation dirigé contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

En ce qui concerne la demande en obtention du statut de réfugié, le demandeur entend faire acter qu’il renonce à se voir reconnaître le droit à l’asile politique. Il échet dès lors de donner acte au demandeur de la limitation de son recours en réformation.

Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef du demandeur d’un statut de protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 37, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 28 et 29 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2 f), précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 établit une présomption simple que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas.

L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

Le demandeur estime en substance qu’étant dépourvu de protection étatique face à la tentative d’assassinat dont il a été victime et aux menaces téléphoniques dont il fait l’objet, il serait obligé de vivre cloîtré, situation qui serait caractéristique d’un traitement inhumain voire dégradant. Il fait valoir que cette conclusion ne saurait être renversée par la circonstance qu’il aurait pu opter pour l’alternative de la fuite interne qui serait irréaliste dans son pays d’origine eu égard à l’exiguïté du territoire.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce volet du recours pour ne pas être fondé.

Force est de constater qu’au-delà de l’allégation non autrement étayée que le demandeur aurait subi un traitement inhumain ou dégradant en raison de sa séquestration volontaire et des menaces téléphoniques reçues, le demandeur reste néanmoins en défaut de rapporter que la situation qu’il a vécue atteint le niveau de gravité voire l’intensité des souffrances mentales ou physiques prescrite par l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et libertés fondamentales, ci-après « CEDH ». En effet, bien qu’une tentative d’assassinat soit un acte hautement répréhensible, le demandeur qui affirme n’avoir jamais eu de problèmes avec une quelconque personne s’est délibérément cloîtré à domicile, de sorte qu’il ne saurait être soutenu que cette situation emporte un traitement inhumain et dégradant lequel nécessite un acte infligé à une personne contre son gré ce dont il ne saurait être question en l’espèce dès lors que cette situation a été volontairement choisie par le demandeur. Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que le tribunal a constaté plus en avant que le demandeur s’est enfui de son pays d’origine sans attendre les résultats de l’enquête policière qui avaient débuté selon la procédure idoine, dès la commission de la tentative d’attentat. Quant aux menaces téléphoniques, le tribunal constate que le demandeur affirme que celles-ci ont été circonscrites durant les mois de juillet, août et septembre 2013 et qu’elles se sont arrêtées dès que le demandeur a éteint son téléphone portable sans ne plus reprendre par la suite sous une quelconque autre forme. Force est au tribunal de conclure qu’il ressort du rapport d’audition du demandeur qu’il ne démontre pas risquer en cas de retour en Albanie la peine de mort ou la torture au sens des points a) et b) de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006. Il n’a pas non plus fait état d’une situation dans laquelle il risquerait des menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne en tant que civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international, l’Albanie ne se trouvant pas spécifiquement en l’état d’un tel conflit à l’heure actuelle, de sorte que le demandeur n’est pas non plus fondé à invoquer l’article 37 c) de la loi du 5 mai 2006.

Il s’ensuit que le demandeur n’a pas établi encourir un risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande en obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.

3) Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire L’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoyant un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.

Le demandeur sollicite l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire comme conséquence de la réformation de la décision de refus de lui accorder une protection internationale.

Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 r) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire». Il s’ensuit que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de faire droit à la demande en obtention d’une protection internationale.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale du demandeur, il a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

En ordre subsidiaire, le demandeur fait exposer que l’ordre de quitter le territoire encourrait l’annulation au motif qu’il violerait de manière autonome l’article 129 de la loi du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ainsi que l’article 3 CEDH. Il cite à l’appui de son moyen la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme aux termes de laquelle l’éloignement serait proscrit dès lors qu’il existerait un risque de subir un traitement inhumain et dégradant résultant de facteurs objectifs indépendants des autorités ou du droit interne de l’Etat d’origine même sans intention discriminatoire.

Il convient de rappeler que si l’article 3 CEDH, auquel renvoie l’article 129 précité, proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.

En effet, si une mesure d’éloignement - tel qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé au demandeur pour quitter le Luxembourg - relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à l’article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose problème de conformité à la CEDH, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la CEDH d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.

Cependant, dans ce type d’affaires, la Cour européenne des droits de l’Homme soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La Cour européenne des droits de l’Homme recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.

Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.

Le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que le demandeur n’a pas fait état d’une crainte justifiée d’atteintes graves telles que définies à l'article 37 de la loi du 5 mai 2006, ni même loi, de sorte que compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement remettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire.

Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 CEDH,1 le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi du demandeur dans son pays d’origine soit dans ces circonstances incompatible avec l’article 3 CEDH.

Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en annulation dirigé contre la décision ministérielle du 9 juillet 2014 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

1 CedH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2004, § 59.

donne acte à Monsieur … qu’il entend limiter son recours au volet de la décision ministérielle du 9 juillet 2014 portant refus d’une protection subsidiaire ;

dans cette mesure, reçoit en la forme le recours en réformation dirigé contre la décision ministérielle du 9 juillet 2014 portant refus d’une protection subsidiaire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 9 juillet 2014 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Claude Fellens, vice-président, Françoise Eberhard, vice-président, Anne Gosset, premier juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 12 septembre 2014 par Claude Fellens, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 12 septembre 2014 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 34908
Date de la décision : 12/09/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2014-09-12;34908 ?

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