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12/09/2014 | LUXEMBOURG | N°34886

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 septembre 2014, 34886


Tribunal administratif Numéro 34886 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 juillet 2014 Chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 12 septembre 2014 Recours formé par Monsieur … et consorts, … contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 34886 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 juillet 2014 par Maît

re Marc Lentz, avocat à la Cour, assisté de Maître Sam Ries avocat, tous deux inscrits a...

Tribunal administratif Numéro 34886 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 juillet 2014 Chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 12 septembre 2014 Recours formé par Monsieur … et consorts, … contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 34886 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 juillet 2014 par Maître Marc Lentz, avocat à la Cour, assisté de Maître Sam Ries avocat, tous deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Bosnie-Herzégovine), ainsi qu’au nom de sa concubine Madame …, née le … à …, accompagnés de leur enfant mineur …, né le … à …, tous de nationalité bosnienne, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant 1) à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 25 juin 2014 de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la décision du même jour portant refus de leur accorder le statut de la protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 août 2014 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Sonia Marques, en remplacement de Maître Marc Lentz, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 septembre 2014 ;

Le 29 avril 2014, Monsieur … et son épouse Madame … introduisirent en leur nom propre et au nom de leur enfant mineur …, ci-après désignés par « les consorts … », auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».

Les déclarations des consorts … sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées dans un rapport de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, du même jour.

Monsieur … et Madame … furent entendus séparément en date des 2 et 26 mai 2014 par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur leur situation et sur les motifs se trouvant à la base de leur demande de protection internationale.

Il ressort des rapports d’audition des demandeurs qu’ils auraient quitté leur pays d’origine en raison des séquelles de la guerre qui s’est déroulée dans les années ’90 et de leur situation économique précaire. Ils affirment ne rien posséder en Bosnie malgré le fait qu’ils auraient été tous les deux professionnellement actifs. Ils expliquent que la demanderesse aurait été licenciée suite à sa grossesse et qu’avec la naissance de leur enfant, ils seraient encore plus démunis. Ils font également état de ce que le demandeur aurait été victime de menaces et de deux agressions à la sortie de la mosquée et que la police aurait rédigé un rapport sans qu’il n’y ait pourtant eu de suite qui y ait été réservée.

Par décision du 25 juin 2014, envoyée par envoi recommandé en date du 27 juin 2014, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé « le ministre », informa les consorts … qu’il avait statué sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se fondant sur les dispositions de l’article 20 (1) a), b) et c) de la loi du 5 mai 2006 et que leur demande avait été refusée comme non fondée, tout en leur ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

La décision est motivée par la considération que les consorts … proviendraient d’un pays d’origine sûr dans lequel il n’existerait pas, généralement et de façon constante, de persécution au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut de réfugié, ci-après désignée par « la Convention de Genève », constat qui n’aurait pas été contredit par un examen individuel de leur demande de protection internationale. Elle relève que des raisons économiques auraient motivé leur demande de protection internationale. Enfin, elle retient en substance que les menaces et agressions que Monsieur … affirme avoir subies seraient des délits qui relèveraient du droit commun et ne répondraient à aucun des critères prévus par la Convention de Genève. En tout état de cause, elle indique encore qu’il ne serait pas démontré que l’Etat bosniaque ou d’autres organisations étatiques présentes sur le territoire ne pourraient ou ne voudraient pas leur accorder une protection. Elle est également motivée par la circonstance qu’il n’existerait en l’espèce pas de motif sérieux de conclure à l’existence d’un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 en cas de retour dans leur pays d’origine.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 15 juillet 2014, les consorts … ont fait introduire un recours tendant 1) à l’annulation de la décision précitée du ministre du 25 juin 2014 de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation sinon à l’annulation de la décision du même ministre du 25 juin 2014 portant refus de leur accorder le statut de la protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision.

1) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision déférée du ministre de statuer sur la demande de protection internationale des demandeurs dans le cadre d’une procédure accélérée. Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de ce volet de la requête introductive d’instance, s’agissant de la décision de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée sur le fondement des articles 20 a), b) et c), les demandeurs estiment, d’une part, que la Bosnie ne serait pas un pays d’origine sûr eu égard à la violation de leurs droits et des libertés fondamentales, notamment, la liberté de culte et, d’autre part, que les faits seraient pertinents en l’espèce et de nature à justifier le bien-fondé d’une demande de protection internationale.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce volet du recours pour manquer de fondement.

Ni le ministre ni le délégué du gouvernement n’ayant mis en cause la crédibilité du récit des demandeurs, il y a lieu de retenir que les faits invoqués sont avérés.

Aux termes de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 :

« Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants:

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale;

b) il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;

c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi ; […] ».

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 20 (1) a), b) et c) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de la prédite demande en obtention d’une protection internationale, soit s’il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ou encore si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 précité de la loi modifiée du 5 mai 2006.

Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sont énumérées à l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative, de sorte qu’une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.

Il appartient au tribunal, statuant en tant que juge de l’annulation dans le cadre et les limites de la procédure accélérée prévue à l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 de vérifier, sur base des moyens invoqués, si c’est à bon droit que le ministre a fait application du prédit article afin de décider de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée.

Quant à la décision du ministre se basant notamment sur l’article 20 (1) c) de la loi du 5 mai 2006 disposant que le demandeur provient d’un pays sûr au sens de l’article 21 de ladite loi, il échet de rappeler qu’un pays est à considérer comme un pays d’origine sûr au sens de cet article dans les conditions suivantes : « (1) Un pays peut être désigné comme pays d’origine sûr pour les besoins de l’examen de la demande de protection internationale.

(2) Un pays qui est désigné comme pays d’origine sûr conformément aux paragraphes (3) et (4) du présent article peut uniquement, après examen individuel de la demande de protection internationale, être considéré comme étant un pays d’origine sûr pour un demandeur, s’il possède la nationalité de ce pays ou s’il avait précédemment sa résidence habituelle dans ce pays, mais que le demandeur n’a soumis aucune raison valable permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.

(3) Une demande de protection internationale est rejetée, sans préjudice du paragraphe (2) qui précède, lorsqu’un pays est désigné comme pays d’origine sûr soit par l’Union européenne, soit par règlement grand-ducal.

(4) Un règlement grand-ducal pourra désigner un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève. Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme pays d’origine sûr :

a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;

b) le respect du principe du non-refoulement prévu par la Convention de Genève ;

c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. » En l’espèce, il est constant en cause que par règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 fixant la liste de pays d’origine sûrs au sens de la loi du 5 mai 2006 la Bosnie-Herzégovine a été retenue comme constituant un pays d’origine sûr, tandis qu’il se dégage des éléments du dossier que les demandeurs ont la nationalité bosniaque et qu’ils ont vécu en Bosnie-Herzégovine avant de venir au Luxembourg.

Comme l’énumération d’un pays d’origine sûr dans la liste du prédit règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 ne constitue qu’une présomption que ce pays est à considérer comme un pays d’origine sûr et qu’aux termes de l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006, un examen de la situation individuelle du demandeur de protection internationale est indispensable pour pouvoir considérer que concrètement pour le demandeur de protection internationale considéré individuellement, le pays de provenance est à considérer comme pays d’origine sûr, il appartient au tribunal, statuant comme juge de l’annulation dans le cadre et les limites de la procédure accélérée prévue à l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006, de vérifier, dans le cadre des moyens invoqués, si le demandeur lui soumet, conformément à l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006, des raisons valables permettant de penser qu’il ne s’agit pas, dans son chef, d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.

Or, ni l’analyse de la situation personnelle décrite par les demandeurs lors de leurs auditions respectives à l’agent compétent du ministère des Affaires étrangères ni les moyens et arguments invoqués dans le cadre du recours sous analyse ne permettent d’en dégager des éléments suffisants pour conclure à l’illégalité de la décision ministérielle.

En effet, il ressort du récit du demandeur que s’il a fait l’objet d’une agression à la sortie de la mosquée, d’une part, cet incident est éloigné dans le temps dès lors que le demandeur affirme qu’il « ne s’en souvien[t] pas. C’était il y a longtemps » et, d’autre part, que la police est venue sur les lieux pour rédiger un rapport, par ailleurs, demeuré sans suite. Force est au tribunal de constater que ces seuls faits ne sont pas de nature à renverser la présomption de pays sûr prévalant sur base du règlement précité.

Quant aux menaces dont le demandeur rapporte avoir fait l’objet à la sortie de la mosquée, il y a lieu de relever qu’il ressort de ses propres propos qu’il n’aurait plus averti la police après l’agression sus-visée.

Si le dépôt d’une plainte n’est certes pas une condition légale, un demandeur ne saurait cependant, in abstracto, conclure à l’absence de protection, s’il n’a pas lui-même tenté formellement d’obtenir une telle protection : or, une telle demande de protection adressée aux autorités policières et judiciaires prend, en présence d’un acte d’agression ou de menaces, communément la forme d’une plainte.

Les demandeurs n’ayant ainsi pas fourni d’éléments de nature à renverser le constat du règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 précité, selon lequel la Bosnie-Herzégovine est à considérer comme pays d’origine sûr, c’est à bon droit que le ministre, après analyse de leur situation concrète, a conclu qu’ils sont originaires d’un pays d’origine sûr, et qu’il a à bon droit pu statuer sur leur demande de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée prévue par l’article 20 de la loi du 5 mai 2006, les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative, de sorte que la seule condition de l’article 20 c) de la loi du 5 mai 2006 valablement remplie a pu à suffisance justifier la décision ministérielle.

Ainsi, le recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter pour ne pas être fondé, 2. Quant au recours tendant à la réformation de la décision de refus d’une protection internationale Dans la mesure où l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, le tribunal est compétent pour statuer sur le recours en réformation dirigé contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

En ce qui concerne la demande en obtention du statut de réfugié, les demandeurs soutiennent en substance qu’ils souffriraient encore à l’heure actuelle des séquelles des années de guerre qui ont eu lieu au courant des années ’90. Ils font encore état de l’impossibilité de mener une vie normale dans leur pays d’origine en raison des « inondations et des émeutes récentes ». Ils se plaignent enfin de l’absence de liberté de culte dans un contexte sécuritaire sûr.

En droit, ils estiment en substance que les agissements auxquels ils ont été confrontés pris dans leur ensemble devraient être considérés comme une persécution au sens de la Convention de Genève.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et conclut partant au rejet du recours.

Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 d) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…)».

Par ailleurs, aux termes de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) » Finalement, aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 : « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 29 de la même loi : «(1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. » (3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière.» Il se dégage des articles précités de la loi du 5 mai 2006 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

Force est au tribunal de constater qu’il ressort des propos tenus par les demandeurs que les raisons prédominantes qui les ont amenés à quitter la Bosnie-Herzégovine trouvent leur origine dans la situation économique précaire à laquelle ils étaient confrontés suite au licenciement de la demanderesse et leur ayant laissé pour toutes ressources un montant mensuel de 225 euros, situation qui se serait aggravée avec la venue de leur enfant commun. Il s’ensuit qu’ils n’ont pas démontré avoir fait personnellement l’objet d’actes ayant été motivés par un des critères de l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, à savoir des actes ayant été commis en raison de la race, de la religion, de la nationalité, des opinions politiques ou de l’appartenance à un certain groupe social.

Ce n’est qu’en filigrane et à titre subsidiaire que le demandeur fait état d’une agression et de menaces subies à la sortie de la mosquée, incidents qui ont manifestement renforcé les demandeurs dans leur décision de quitter leur pays d’origine, mais qui n’en ont pas constitué la cause principale. Si lesdits incidents peuvent a priori être considérés comme ayant été motivés par la religion du demandeur et ainsi tomber sous le coup du prescrit de l’article 2 d) précité, il n’en reste pas moins qu’ils n’ont pas atteint le seuil de gravité posé à l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006 exigeant la commission d’actes suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme ou une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable. En effet, une agression remontant à un moment indéterminé dans le temps mais suffisamment éloigné pour avoir été oublié par le demandeur et de simples menaces verbales à la sortie de la mosquée ne sauraient être considérées comme des incidents présentant un caractère de gravité caractérisé ni par leur intensité ni par leur fréquence.

Partant il y a lieu de retenir que les demandeurs ne remplissent pas les conditions prévues pour l’octroi du statut de refugié, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a déclaré leur demande non fondée.

Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef des demandeurs d’un statut de protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 37, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 28 et 29 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2 f), précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 établit une présomption simple que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas.

L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

Les demandeurs ne prennent pas spécifiquement position sur ce volet de la décision déférée si ce n’est pour affirmer péremptoirement que les autorités policières et judiciaires en Bosnie-Herzégovine ne sembleraient pas disposées à leur fournir une protection adéquate et qu’un retour en Bosnie-Herzégovine risquerait de mettre leur vie en péril « suite aux destructions massives suite aux inondations au mois de mai 2014 […] et aux émeutes politiques et sociales qui dominent le quotidien en Bosnie, notamment à Sarajevo » Ainsi, force est de constater qu’au-delà de l’allégation non autrement étayée qu’une protection contre les actes et traitements dégradants ne serait pas garantie en Bosnie-

Herzégovine à l’heure actuelle, il ressort des rapports d’audition respectifs des demandeurs qu’ils ne démontrent pas risquer en cas de retour en Bosnie-Herzégovine la peine de mort ou la torture au sens des points a) et b) de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006. Ils n’ont pas non plus fait état d’une situation dans laquelle ils risqueraient des menaces graves et individuelles contre leur vie ou leur personne en tant que civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international, la Bosnie-

Herzégovine ne se trouvant pas spécifiquement en l’état d’un tel conflit à l’heure actuelle, de sorte que les demandeurs ne sont pas non plus fondés à invoquer l’article 37 c) de la loi du 5 mai 2006.

Il s’ensuit que les demandeurs n’ont pas établi encourir un risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande en obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.

3) Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire L’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoyant un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.

Les demandeurs sollicitent l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire comme conséquence de la réformation de la décision de refus de leur accorder une protection internationale.

Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 r) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire». Il s’ensuit que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de faire droit à la demande de protection internationale.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale des demandeurs, il a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

A défaut d’autres moyens, le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en annulation dirigé contre la décision ministérielle du 25 juin 2014 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation dirigé contre la décision ministérielle du 25 juin 2014 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 25 juin 2014 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

Claude Fellens, vice-président ;

Françoise Eberhard, vice-président ;

Anne Gosset, premier juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 12 septembre 2014 par Claude Fellens, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 12 septembre 2014 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 34886
Date de la décision : 12/09/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2014-09-12;34886 ?

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