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06/08/2014 | LUXEMBOURG | N°34735

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 août 2014, 34735


Tribunal administratif Numéro 34735 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 juin 2014 chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 6 août 2014 Recours formé par Monsieur … et consorts, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 34735 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 juin 2014 par Maître Nicky Stoff

el, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de ...

Tribunal administratif Numéro 34735 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 juin 2014 chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 6 août 2014 Recours formé par Monsieur … et consorts, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 34735 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 juin 2014 par Maître Nicky Stoffel, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Serbie), et de Madame …, née le …, agissant en leurs noms propres et aux noms et pour le compte de leur enfants mineurs … tous de nationalité kosovare, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant 1) à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 11 juin 2014 de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la décision du même jour portant refus de lui accorder le statut de la protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 juillet 2014 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Marcel Marigo, en remplacement de Maître Nicky Stoffel, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de vacation du 6 août 2014.

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Le 13 février 2014, Monsieur … et Madame …, accompagnés de leurs enfants mineurs, ci-après désignés par « les consorts … », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-

après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».

Les déclarations de Monsieur … et de Madame …-… sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées dans un rapport de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, du même jour.

Le 26 février 2014, Monsieur … et Madame …-… furent entendus séparément par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur leur trajet, sur d’éventuelles autres demandes de protection internationale antérieures, sur la présence de membres de famille dans d’autres pays européens, ainsi que sur l’éventuelle obtention d’un visa ou d’une autorisation de séjour.

Le 16 avril 2014, Monsieur … et Madame …-… furent en outre entendus séparément par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur leurs identités et sur les motifs se trouvant à la base de leur demande de protection internationale.

Par décision du 11 juin 2014, envoyée par pli recommandé du 12 juin 2014, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé « le ministre », informa les consorts … qu’il avait statué sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 20 (1) a) de la loi du 5 mai 2006 et que leur demande avait été refusée comme non fondée, tout en leur ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

La décision du ministre est motivée par la considération que les raisons ayant amené les consorts … à quitter le Kosovo seraient sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’ils remplissent les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale et ne répondraient à aucun des critères de fond de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut de réfugié, ci-après désignée par « la Convention de Genève » ou de la loi du 5 mai 2006. Leur demande de protection internationale reposerait uniquement sur des motifs d’ordre privé et accessoirement d’ordre médical. Il ne serait, d’ailleurs, pas établi que les autorités kosovares ne pourraient ou ne voudraient pas leur accorder une protection contre les auteurs du racket visant Monsieur …. Le ministre retint encore que la peur ressentie par Madame …-… sur le chemin pour emmener sa fille chez le médecin constituerait un sentiment général d’insécurité. Concernant la peur éprouvée par Monsieur … pour son père, le ministre rappela que des faits non personnels ne seraient susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève que si le demandeur d’asile établissait l’existence dans son chef d’un risque réel d’être victime d’actes similaires en raison de circonstances particulières. L’impossibilité d’une fuite interne ne serait pas non plus établie dans le chef des consorts …. Enfin, le ministre a retenu que les faits avancés ne permettraient pas de conclure à l’existence d’un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 19 juin 2014, les consorts … ont fait introduire un recours tendant 1) à l’annulation de la décision précitée du ministre du 11 juin 2014 de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la décision du même ministre du 11 juin 2014 portant refus de leur accorder le statut de la protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision.

A l’appui de leurs recours et en fait, les demandeurs, déclarant appartenir à l’ethnie goranaise, exposent que Monsieur … aurait travaillé au noir comme chauffeur de camion et qu’il aurait été racketté par cinq « Shiptars » inconnus à hauteur de 200.- euros par mois afin qu’il puisse garder son travail. En raison de sa peur pour sa famille, le demandeur n’aurait pas déposé de plainte auprès de la police. Monsieur … serait également inquiet pour son père qui se ferait voler du bétail par des habitants du village voisin. Les demandeurs font encore état de problèmes de santé de leur fille. Ils précisent que certaines opérations dont leur fille aurait besoin ne seraient pas pratiquées au Kosovo, de sorte que les médecins les enverraient à Belgrade où ils seraient cependant obligés de payer eux-mêmes les prestations médicales. La demanderesse ajoute encore que sa fille et elle-même seraient en danger sur le chemin vers leur médecin. Les demandeurs soutiennent enfin qu’ils ne se seraient pas adressés à la police au motif que les policiers ne les croiraient pas du fait qu’ils appartiendraient à une minorité.

1) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision déférée du ministre de statuer sur la demande de protection internationale des demandeurs dans le cadre d’une procédure accélérée. Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de ce volet de leur recours, les demandeurs font valoir que les conditions d’application de l’article 20 (1) a) de la loi du 5 mai 2006 ne seraient pas remplies en l’espèce. Les faits soulevés par eux seraient pertinents au regard de l’examen visant à déterminer s’ils remplissent les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale. Le ministre n’aurait pas correctement évalué leur situation. Ils expliquent qu’ils auraient été obligés de quitter leur pays d’origine en raison de leur situation pénible causée par le racket dont le demandeur aurait été victime. Ils auraient ainsi été exposés à une persécution morale et psychologique.

Concernant la situation générale au Kosovo, les demandeurs citent des extraits d’un rapport d’Amnesty International de 2013 et d’un article de presse publié sur internet.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait à juste titre statué sur la demande de protection internationale des demandeurs dans le cadre d’une procédure accélérée, de sorte que le recours en annulation serait à rejeter pour ne pas être fondé.

En l’espèce, la décision ministérielle déférée est fondée sur le point a) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 aux termes desquels : « Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; (…) ».

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 20 (1) a) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de ladite demande en obtention d’une protection internationale.

Il appartient dès lors au tribunal, statuant comme juge de l’annulation dans le cadre et les limites de la procédure accélérée prévue à l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 de vérifier, sur base des moyens invoqués, si c’est à bon droit que le ministre a fait application du prédit article afin de décider de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée.

Force est à cet égard au tribunal de constater qu’à l’appui de leur demande de protection internationale, les demandeurs n’ont fait état en substance que de problèmes d’ordre privé, respectivement d’ordre médical, à savoir, premièrement, le racket auquel aurait été exposé le demandeur, qui, à défaut d’autres éléments, est à qualifier d’infraction de droit commun, punissable d’après la loi de leur pays d’origine, deuxièmement le vol de bétail auquel aurait été confronté le père du demandeur, qui est à qualifier de fait non personnel dans le chef des demandeurs, et qui n’est partant pas susceptible de fonder une crainte de persécution, à défaut par les demandeurs d’avoir établi l’existence dans leur chef d’un risque réel de subir des actes similaires en raison de leur situation particulière, troisièmement, le prétendu danger auquel auraient été exposées la demanderesse et leur fille sur le chemin vers leur médecin, qui à défaut de tout élément concret, est à qualifier de simple sentiment général d’insécurité n’atteignant pas le seuil de gravité pour être considéré comme un acte de persécution, et quatrièmement, les problèmes de santé de leur fille. Ainsi aucun des problèmes évoqués par les demandeurs à la base de leur demande de protection internationale n’a trait à leur race, leur religion, leur nationalité, leurs opinions politiques ou leur appartenance à un certain groupe social et ne sont donc pas susceptibles de tomber sous le champ d’application de la Convention de Genève.

Si des infractions de droit commun, des problèmes de santé et un sentiment général d’insécurité non motivés par un des critères énumérés à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, tels qu’invoqués en l’espèce par les demandeurs, ne sont pas à considérer comme persécutions au sens dudit article, il n’en demeure pas moins qu’ils peuvent être susceptibles de constituer des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 et ainsi justifier le bénéfice d’une protection subsidiaire, sous condition toutefois qu’ils atteignent un niveau de gravité suffisant pour pouvoir être qualifiées d’atteintes graves et que les demandeurs soient confrontés à l’impossibilité de se prévaloir d’une protection effective de la part des autorités de leur pays d’origine contre lesdites atteintes.

Or, concernant les infractions de droit commun, ainsi que le sentiment général d’insécurité invoqués par les demandeurs, il ressort de leurs propres déclarations qu’ils ne se sont pas adressés aux autorités kosovares et plus particulièrement à la police pour déposer plainte contre les malfaiteurs. A défaut par les demandeurs d’avoir sollicité l’assistance des autorités kosovares, un défaut de volonté ou une impossibilité desdites autorités de les protéger contre les infractions en cause ne sont pas établis en l’espèce.

Cette conclusion n’est pas énervée par la simple affirmation des demandeurs que les policiers ne leur croiraient pas comme ils appartiendraient à la minorité goranaise, dans la mesure où il s’agit d’une pure allégation et où les demandeurs n’ont même pas essayé de chercher la protection des autorités de leur pays d’origine.

Quant aux problèmes de santé de la fille des demandeurs, il échet de rappeler que l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 se réfère à des traitements ou sanctions « infligées », tandis que l’article 28 de la même loi énumère les acteurs des persécutions et des atteintes graves, de sorte à nécessiter une intervention, respectivement une responsabilité humaine et à exclure de son champ d’application l’éventualité d’« atteintes graves » lorsqu’aucun acteur ne peut en être tenu responsable. Dès lors, une maladie en tant que telle n’est pas susceptible de justifier l’octroi d’une protection subsidiaire. A cet égard, il convient encore de relever que le fait que les demandeurs doivent payer certaines interventions médicales ne permet pas d’invalider cette conclusion, d’autant plus que les demandeurs ont indiqué eux-mêmes ne pas disposer d’une assurance-maladie parce que le demandeur travaillerait au noir.

Concernant le sentiment général d’insécurité mentionné essentiellement par la demanderesse, le tribunal est amené à retenir, au vu de ses indications lors de son entretien, et à défaut d’autres éléments, notamment de tout élément concret, que le prétendu danger auquel la demanderesse et sa fille seraient exposées sur le chemin vers leur médecin n’est pas suffisamment grave pour pouvoir s’analyser en des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants au sens de l’article 37 b) de la loi du 5 mai 2006.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le ministre a valablement pu retenir en application de l’article 20 (1) a) de la loi du 5 mai 2006 que les demandeurs n’ont soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’ils remplissent les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale. C’est partant à bon droit que le ministre a pu statuer en l’espèce sur la demande de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée.

Dès lors, le recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter pour ne pas être fondé.

2. Quant au recours tendant à la réformation de la décision de refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, une demande en réformation a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de ce volet du recours, les demandeurs reprochent au ministre d’avoir fait une interprétation erronée des faits à la base de leur demande de protection internationale. Ils donnent à considérer qu’ils auraient fait état d’actes de persécution qui seraient d’ordre mental et psychologique, de sorte que leur demande de protection internationale serait fondée. Ils ajoutent encore qu’ils craindraient avec raison de subir des persécutions en cas de retour dans leur pays d’origine.

Le délégué du gouvernement fait valoir que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte que leur recours serait à rejeter pour ne pas être fondé.

Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 d) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».

L’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006 dispose : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) » Finalement, aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 : « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 29 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) » Il se dégage des articles précités de la loi du 5 mai 2006 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par les demandeurs à l’appui de leur demande en obtention d’une protection internationale amène le tribunal à conclure qu’ils ne remplissent pas les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié.

En effet, force est au tribunal de constater, à l’instar de son examen effectué dans le cadre de l’analyse de la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande dans le cadre d’une procédure accélérée, que les demandeurs font en substance état de problèmes d’ordre privé et médical, de problèmes non personnels, ainsi que d’un sentiment général d’insécurité, qui ne sauraient cependant, à défaut d’autres éléments, pas être qualifiés d’actes de persécutions au sens de la Convention de Genève et de la loi du 5 mai 2006.

Il suit des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande en reconnaissance du statut de réfugié des demandeurs.

Quant au volet de la décision litigieuse portant refus d’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire, il échet de rappeler qu’aux termes de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 37, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 28 et 29 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2 f), précité définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 établit une présomption simple que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas.

L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

Le tribunal constate qu’à l’appui de leur demande de protection subsidiaire, les demandeurs invoquent en substance les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de leur demande de reconnaissance du statut de réfugié, à savoir des problèmes d’ordre privé et médical, des problèmes non personnels, ainsi qu’un sentiment général d’insécurité. Le tribunal, ayant retenu, dans le cadre de l’analyse de la demande relative à la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, que les demandeurs n’ont pas démontré à suffisance que ces problèmes seraient à qualifier d’atteintes graves, ne saurait, à défaut d’autres éléments, se départir de cette conclusion dans le cadre de l’analyse du présent volet de sa demande.

En effet, le tribunal n’aperçoit aucun élément susceptible d’établir qu’il existerait dans le chef des demandeurs un risque réel de subir des atteintes graves, telles que la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants en cas de retour dans leur pays d’origine. Par ailleurs, il ne ressort ni du dossier, ni des arguments des demandeurs que la situation qui prévaut actuellement au Kosovo correspondrait à un contexte de violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006.

Il s’ensuit qu’en l’absence d’autres éléments, c’est à juste titre que le ministre a retenu que les demandeurs n’ont pas fait état de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’ils courraient le risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 et qu’il leur a partant refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 2 f) de ladite loi.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a, au terme de l’analyse de la situation des demandeurs, déclaré la demande de protection internationale comme non justifiée.

Le recours en réformation est partant à rejeter comme étant non fondé.

3. Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée du 11 juin 2014 a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.

En l’espèce, les demandeurs sollicitent l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire comme conséquence de la réformation de la décision portant refus de la protection internationale dans leur chef, et ce en raison du caractère indissociable de la décision de refus de protection internationale et de la décision portant ordre de quitter le territoire.

Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 r) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire». Il s’ensuit que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de la protection internationale.

Le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que les demandeurs ne remplissent pas les conditions pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, de sorte que le tribunal ne saurait en l’état actuel du dossier mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire.

Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 11 juin 2014 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 11 juin 2014 portant refus d’une protection internationale aux demandeurs ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 11 juin 2014 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Andrée Gindt, juge, Olivier Poos, juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 6 août 2014 à 17:00 heures par le premier vice-président, en présence du greffier en chef Arny Schmit.

s. Arny Schmit s. Carlo Schockweiler 11


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 34735
Date de la décision : 06/08/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2014-08-06;34735 ?

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