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23/07/2014 | LUXEMBOURG | N°34888

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 23 juillet 2014, 34888


Tribunal administratif Numéro 34888 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 juillet 2014 chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 23 juillet 2014 Recours formé par Monsieur ….., Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 34888 du rôle et déposée le 15 juillet 2014 au greffe du tribunal administratif par Maître Fr

änk Rollinger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg...

Tribunal administratif Numéro 34888 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 juillet 2014 chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 23 juillet 2014 Recours formé par Monsieur ….., Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 34888 du rôle et déposée le 15 juillet 2014 au greffe du tribunal administratif par Maître Fränk Rollinger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ….., né le …. à ….

(Bosnie-Herzégovine), de nationalité bosnienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 10 juillet 2014 ayant ordonné la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée supplémentaire d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 juillet 2014 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Brice Cloos, en remplacement de Maître Fränk Rollinger, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de vacation du 23 juillet 2014.

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Le 13 juin 2014, Monsieur ….. fit l’objet d’un procès-verbal de la part de la police grand-ducale, circonscription régionale de Grevenmacher, qui, le même jour, l’avait intercepté à Osweiler, alors qu’il faisait des travaux de toiture.

Le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, dénommé ci-après « le ministre », prit un arrêté de refus de séjour à l’encontre de Monsieur ….. avec ordre de quitter le territoire sans délai et interdiction de territoire de 3 ans, sur base des motifs et considérations suivants :

« Vu les articles 100 et 109 à 115 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu le procès-verbal no 2014/19940/141/ME du 13 juin 2014 établi par la Police grand-ducale ;

Attendu que l’intéressé s’est maintenu sur le territoire au-delà de la durée de trois mois à compter de son entrée sur le territoire ;

Attendu que l’intéressé n’est ni en possession d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois ni d’une autorisation de travail ;

Que par conséquent il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé ; […] » Toujours le 13 juin 2014, le ministre prit un arrêté à l’encontre de Monsieur ….., notifié à ce dernier le même jour, en vue de son placement au Centre de rétention. Cette décision est motivée comme suit :

« Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu ma décision de retour du 13 juin 2014 ;

Attendu qu’au vu de la situation particulière de l’intéressé, il n’existe pas de mesure suffisante, mais moins coercitive qu’une mesure de placement alors que les conditions d’une assignation à domicile conformément à l’article 125 (1) ne sont pas remplies ;

Attendu qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ; […] » Par arrêté du 10 juillet 2014, notifié le lendemain, le ministre décida de proroger pour une durée d’un mois à partir de la notification de l’arrêté en question la mesure de placement en rétention de Monsieur ….., avec la motivation suivante :

« Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu ma décision de retour du 13 juin 2014 comportant une interdiction d’entrée sur le territoire de trois ans ;

Attendu que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;

Attendu qu’au vu de la situation particulière de l’intéressé, il n’existe pas de mesure suffisante, mais moins coercitive qu’une mesure de placement alors que les conditions d’une assignation à domicile conformément à l’article 125 (1) ne sont pas remplies ;

Attendu qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé ;

Considérant que l’intéressé est signalé au système EURODAC comme ayant déposé une demande d’asile en France en date du 24 octobre 2013 ;

- qu’une demande de reprise en charge en vertu de l’article 24§1 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 sera adressée aux autorités compétentes dans les meilleurs délais ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les meilleurs délais ;

Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] » Par requête déposée le 15 juillet 2014 au greffe du tribunal administratif, Monsieur ….. a fait introduire un recours tendant à la réformation de la prédite décision du 10 juillet 2014 portant prorogation de la mesure de rétention.

Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, qui est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur explique qu’au moment du contrôle d’identité par la police grand-ducale, il aurait été en possession de son passeport, de son permis de conduire, ainsi que d’une carte bancaire. Par deux courriers datés des 26 juin et 4 juillet 2014 son mandataire aurait encore transmis au ministre des documents relatifs à sa situation familiale et sa procédure de demande de protection internationale en France.

En droit, le demandeur fait plaider qu’il appartiendrait aux autorités compétentes, afin de justifier une mesure de placement, de faire toutes les démarches nécessaires en vue d’assurer que la mesure d’éloignement puisse être exécutée sans retard. Malgré le fait que l’ensemble des pièces permettant de prouver son séjour légal en France auraient été mises à disposition du ministère, une seconde mesure de placement aurait été prise à son encontre qui ne serait dès lors pas justifiée.

Le délégué du gouvernement explique être d’accord avec le souhait exprimé par le demandeur de vouloir retourner auprès de sa famille en France et que ce serait justement à cette fin qu’une demande de reprise en charge aurait été adressée aux autorités françaises. Le simple refoulement étant strictement interdit, toute réadmission vers la France passerait nécessairement par une demande basée sur le règlement n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-

après désigné par « le règlement Dublin III ».

Il estime ensuite que toutes les démarches y relatives auraient été prises dans des délais acceptables, alors qu’immédiatement après l’appréhension du demandeur la prise d’empruntes aurait été demandée à la police grand-ducale et un rappel y relatif aurait été adressé à celle-ci. Dès l’obtention des données du système Eurodac, les autorités françaises auraient été saisies d’une demande de reprise en charge.

Quant aux conditions d’une décision de prorogation d’un placement en rétention, l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 dispose que : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée (…). Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. […] ».

En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. » L’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois. Cette mesure peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Une décision de prorogation est partant soumise à la réunion de quatre conditions cumulatives, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être mené à bien.

Or, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite en premier lieu que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un accord de reprise de l’intéressé. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite. En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais, et de documenter ces démarches afin d’écourter au maximum la privation de liberté que constitue la rétention administrative.

Il est vrai, tel que cela a été relevé par le délégué du gouvernement, que la seule circonstance que le demandeur a fourni au ministre dès son placement initial en rétention l’information, pièces à l’appui, qu’il est demandeur d’asile en France, est insuffisante pour reprocher un défaut de diligences au ministre, puisque celui-ci est obligé d’effectuer les examens requis afin de déterminer vers quel pays, en application du règlement Dublin III, le demandeur est susceptible d’être éloigné, puisque l’existence d’une demande d’asile en France n’exclut pas l’existence d’une procédure éventuelle dans un autre pays européen.

S’agissant de l’appréciation des diligences entreprises en l’espèce, critiquées en l’occurrence par le demandeur, il est certes encore exact que le 16 juin 2014, soit le premier jour ouvrable après le placement du demandeur en rétention, le ministre a chargé les services de police judiciaire d’enquêter sur le demandeur et d’effectuer des recherches dans le système européen des empruntes digitales Eurodac et que le lendemain de la prise des empruntes digitales, soit le 10 juillet 2014, une demande de reprise en charge sur le fondement du règlement Dublin III a été adressée aux autorités françaises, de sorte qu’en l’état actuel du dossier des démarches concrètes sont en cours.

Néanmoins, le tribunal constate encore qu’entre la date à laquelle le ministre a chargé la police judiciaire de la prise d’empruntes digitales et d’une enquête sur le demandeur dans le système Eurodac et la date à laquelle les empruntes ont été prises se sont écoulées presque quatre semaines, sans que la partie étatique, qui est responsable de veiller à ce que la privation de liberté du demandeur soit écourtée au maximum, n’ait fourni, malgré une demande afférente du tribunal à l’audience des plaidoiries, une quelconque explication justifiant ce délai d’inaction, étant relevé que ce délai est d’autant plus incompréhensible que la prise d’empruntes digitales du demandeur, ainsi que la recherche dans le système Eurodac sont effectuées par les autorités luxembourgeoises elles-mêmes, de sorte qu’elles ne sont pas à cet égard tributaires d’un tiers, et que, dès le départ, le ministre disposait d’indices concrets sur l’existence d’une demande d’asile en France. Le tribunal est amené à retenir que ce délai est à considérer comme étant excessivement long.

Au vu des éléments précités, le tribunal est amené à conclure que, malgré le fait qu’une demande de reprise en charge du demandeur a finalement été adressée aux autorités françaises le 10 juillet 2014 et que le ministre reste actuellement en l’attente d’une réponse de leur part, le ministre a omis d’entreprendre toutes les démarches avec la diligence requise pour répondre aux exigences de l’article 120 paragraphe 3 précité de la loi du 29 août 2008 et d’écourter au maximum la privation de liberté du demandeur.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il y a lieu de réformer la décision déférée et d’ordonner la libération immédiate du demandeur.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, par réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 10 juillet 2014, ordonne la libération immédiate de Monsieur ….. du Centre de rétention ;

renvoie le dossier pour exécution au ministre de l’Immigration et de l’Asile ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par :

Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge, Olivier Poos, juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 23 juillet 2014, à 17 heures, par le vice-

président, en présence du greffier Monique Thill.

s. Monique Thill s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23 juillet 2014 Le greffier du tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 34888
Date de la décision : 23/07/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2014-07-23;34888 ?

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