Tribunal administratif N° 34496 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 mai 2014 Audience publique du 7 mai 2014 Requête en institution d’une mesure de sauvegarde introduite par Monsieur et Madame et consort, Findel, par rapport à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers
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ORDONNANCE
Vu la requête inscrite sous le numéro 34496 du rôle et déposée le 7 mai 2014 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur , né le à Sarajevo (Bosnie-Herzégovine), de nationalité bosnienne, et de son épouse, Madame , née le à Bijelo Polje (Monténégro), de nationalité monténégrine, déclarant agir tant en leur nom personnel qu’en celui de leur enfant commun mineur , né le 2013 à Luxembourg, actuellement retenus au Centre de rétention sis à L-1751 Findel, 10, Beim Haff, tendant à voir instituer une mesure de sauvegarde par rapport à une décision de rejet de leur demande de sursis à éloignement prise par le ministre de l’Immigration et de l’Asile en date du 28 avril 2014, un recours en annulation dirigé contre ladite décision ministérielle, inscrit sous le numéro 34495 du rôle, introduit le 7 mai 2014, étant pendant devant le tribunal administratif ;
Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Maître Louis TINTI et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline GUILLOU-
JACQUES entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour, à 14.30 heures.
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Le 28 avril 2014, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par le « ministre », rejeta la demande de sursis à l’éloignement introduite pour compte des époux et et de leur enfant commun mineur en raison de l’état de santé de Monsieur . L’arrêté ministériel en question est motivé comme suit :
« (…) J’ai l’honneur de me référer à votre courrier du 10 avril 2014 dans lequel vous sollicitez un sursis à l’éloignement pour le compte de vos mandants en raison de l’état de santé de Monsieur .
Il y a lieu de rappeler que vos mandants ont été définitivement déboutés de leurs demandes de protection internationale par arrêt de la Cour administrative du 21 janvier 2013 et qu'ils sont dans l'obligation de quitter le territoire. De même des sursis à l'éloignement ont été refusés à vos mandants par décisions ministérielles des 28 février 2013 et 28 novembre 2013 en raison de l'état de santé de Madame .
La présente pour vous informer que le médecin délégué du Service Médical de l'Immigration de la Direction de la Santé a été saisi en date du 10 avril 2014 en raison de l'état de santé de Monsieur et suivant son avis du 24 avril 2014, reçu par nos services en date du 28 avril 2014 un sursis à l'éloignement conformément aux articles 130 et 132 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration est refusé à vos mandants en raison de l'état de santé de Monsieur .
En effet, il ressort du prédit avis, dont vous trouvez une copie en annexe, que « Vu le certificat médical du Dr P. G., psychiatre, établi en date du 4 avril 2014 ; Considérant que la prise en charge de Monsieur peut être réalisée dans le pays d'origine, à savoir la Bosnie-Herzégovine (…) l'état de santé de Monsieur ne nécessite pas une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, par conséquent Monsieur ne remplit pas les conditions médicales pour bénéficier d'un sursis à l'éloignement ».
La présente décision est susceptible d'un recours en annulation devant le Tribunal administratif. Ce recours doit être introduit par requête signée d'un avocat à la Cour dans un délai de trois mois à partir de la notification de la présente. Le recours n'est pas suspensif. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 mai 2014, inscrite sous le numéro 34495 du rôle, les consorts ont introduit un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 28 avril 2014. Par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 34496 du rôle, ils ont encore introduit une demande tendant à voir ordonner une mesure de sauvegarde consistant à voir autoriser provisoirement leur séjour sur le territoire luxembourgeois, respectivement à voir garantir qu’ils ne seront pas éloignés du territoire luxembourgeois jusqu'au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite de leur recours au fond.
Les demandeurs font soutenir que leur éloignement du territoire luxembourgeois vers la Bosnie-Herzégovine ou le Monténégro risquerait de leur causer un préjudice grave et définitif et que les moyens invoqués à l’appui de leur recours au fond seraient sérieux.
Au titre de l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif, ils font exposer que leur retour forcé en Bosnie-Herzégovine, tel qu’il serait actuellement projeté pour avoir lieu le 8 mai 2014, impliquerait que Monsieur serait privé de soins médicaux adéquats. Ils font préciser que le « traitement actuellement en cours d’évaluation n’est pas définitivement arrêté alors que susceptible de devoir prochainement être adapté en fonction de ses effets qui à ce stade du protocole ne sont pas encore définis », d’une part, et que la reprise du traitement, nécessairement interrompu en cas d’éloignement, ne serait pas possible en Bosnie-Herzégovine, d’autre part.
Au fond, les demandeurs soutiennent que les conditions requises pour justifier un sursis à éloignement seraient données en l’espèce, en raison de l’état de santé de Monsieur qui empêcherait son éloignement du territoire luxembourgeois et son rapatriement. Ils précisent que l’intéressé souffrirait « de problèmes qui affectent gravement sa santé mentale » et que « récemment (…) fût mise à jour la pathologie dont question, à savoir « épisode psychotique aigu » nécessitant un suivi médical afin d’éviter une nouvelle crise, qui ne saurait pas être assuré en Bosnie-Herzégovine, dont le système médical serait déficient et difficilement accessible.
Ainsi, ils reprochent en substance au ministre de ne pas avoir correctement apprécié leur situation particulière et ainsi d’avoir fait une mauvaise application de la loi.
Le délégué du gouvernement estime que les conditions légales pour justifier l’institution d’une mesure provisoire ne seraient pas remplies en cause.
En vertu de l’article 11 (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, un sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.
Une mesure de sauvegarde, prévue à l’article 12 de la loi précitée du 21 juin 1999, requiert, sous peine de vider de sa substance l’article 11 de la même loi, les mêmes conditions tenant au sérieux des moyens et au risque d’un préjudice grave et définitif.
L'exigence tirée du caractère sérieux des moyens invoqués appelle le juge administratif à examiner et à apprécier, au vu des pièces du dossier et compte tenu du stade de l'instruction, les chances de succès du recours au fond.
L’article 130 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par la « loi du 29 août 2008 » dispose que « sous réserve qu’il ne constitue pas une menace pour l’ordre public ou la sécurité publique, l’étranger ne peut être éloigné du territoire s’il établit au moyen de certificats médicaux que son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, et s’il rapporte la preuve qu’il ne peut effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le pays vers lequel il est susceptible d’être éloigné ».
Or, s’il se dégage de la jurisprudence en la matière que cet article ouvre la possibilité de faire bénéficier un étranger d’un sursis à l’éloignement, à condition de ne pas présenter une menace pour l’ordre ou la sécurité publics et d’établir, en premier lieu, que son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité et, ensuite, qu’il ne peut pas effectivement bénéficier d’un traitement approprié et suffisamment accessible dans le pays vers lequel il est susceptible d’être éloigné, il s’en dégage aussi que la maladie susceptible d’être prise en compte doit être « celle qui, sans traitement ou soins médicaux, entraîne des conséquences d’une exceptionnelle gravité pour la personne concernée, notamment celle qui peut causer la mort de la personne, réduire son espérance de vie ou entraîner un handicap grave » (v. not.
trib. adm. 11 juillet 2012, n° 29407 du rôle).
A la lumière de cette jurisprudence et au regard de ce qu’un moyen d’annulation tiré en substance de la violation ou de la mauvaise application de l’article 130 de la loi du 29 août 2008 table essentiellement sur une question d’appréciation par rapport à laquelle le juge du provisoire doit faire usage de ses pouvoirs avec grande parcimonie, le soussigné doit constater, sur base d’un examen nécessairement sommaire, qu’il ne se dégage pas à suffisance de droit des éléments d’appréciation soumis en cause que l’état de santé de Monsieur ait été tel que son éloignement soit manifestement contre-indiqué pour emporter pour l’intéressé des conséquences d’une exceptionnelle gravité, au sens dégagé par la jurisprudence – étant précisé que les demandeurs se limitent à faire état et de documenter un « épisode psychotique aigu » ayant entraîné une hospitalisation de Monsieur pendant trois semaines et le fait d’un traitement médicamenteux depuis la fin de son hospitalisation, soit depuis le 4 avril 2014 ; que les pièces produites par les demandeurs ne donnent pas d’autres renseignements quant aux causes ou la nature de ce trouble et que le constat d’un épisode psychotique aigu ne paraît pas être de nature à pouvoir être assimilé à un diagnostic d’une pathologie chronique – et que l’intéressé ne puisse manifestement pas poursuivre son traitement dans son pays d’origine, respectivement que le ministre ait commis une erreur manifeste d’appréciation y relative.
Il s’ensuit que le recours au fond, au stade actuel de son instruction et sur base d’une analyse nécessairement sommaire, n’apparaît comme ayant des chances suffisamment sérieuses d’aboutir à l’annulation de la décision litigieuse au fond.
Les demandeurs sont partant à débouter de leur demande en institution d’une mesure de sauvegarde sans qu’il y ait lieu d’examiner davantage la question du risque d’un préjudice grave et définitif dans leur chef, les conditions afférentes devant être cumulativement remplies, de sorte que la défaillance de l’une de ces conditions entraîne à elle seule l’échec de la demande.
Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique ;
reçoit la requête en institution d’une mesure de sauvegarde en la forme ;
au fond, la déclare non justifiée et en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 7 mai 2014, à 17.00 heures, par M.
CAMPILL, président du tribunal administratif, en présence de M. WEBER, greffier.
s. WEBER s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 7 mai 2014 Le Greffier du Tribunal administratif 5