Tribunal administratif N° 33723 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 décembre 2013 Audience publique du 16 janvier 2014 Requête en institution d’un sursis à exécution introduite par la société anonyme S.A., , contre deux décisions du Premier ministre, ministre d’Etat, en présence de la société à responsabilité limitée et de l’établissement public Luxembourg, en matière de marchés publics
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ORDONNANCE
Vu la requête inscrite sous le numéro 33723 du rôle et déposée le 10 décembre 2013 au greffe du tribunal administratif par Maître Nathalie PRUM-CARRÉ, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme S.A., établie et ayant son siège social à L- , inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B , représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, tendant à l’institution d’un sursis à exécution à l’encontre de deux décisions prises par le Premier ministre, ministre d’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, la première portant adjudication au groupement d’entreprises du marché public « Supply, Deployment and Operation of a digital radio communications network » et rejet de l’offre de l’association momentanée « », et la seconde écartant l’offre présentée par la société S.A. dans le cadre de l’appel d’offres y afférent, un recours au fond ayant été par ailleurs introduit contre lesdites décisions par requête introduite le 10 décembre 2013, inscrite sous le numéro 33722 du rôle ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Geoffrey GALLÉ demeurant à Luxembourg, du 10 décembre 2013, portant signification de ladite requête en sursis à exécution à l’Etat du Grand-
Duché de Luxembourg, ainsi qu’à l’établissement de droit public ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Pierre BIEL, en remplacement de l’huissier de justice Geoffrey GALLÉ, du 12 décembre 2013, portant signification de ladite requête en sursis à exécution à la société à responsabilité limitée S.à r.l., établie et ayant son siège social à L- ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Geoffrey GALLÉ, préqualifié, du 27 décembre 2013, portant signification de ladite requête en sursis à exécution à la société par actions simplifiée de droit français SAS, établie et ayant son siège social à F- ;
Vu la note de plaidoiries déposée par Maître Nathalie PRUM-CARRÉ pour compte de la partie demanderesse ;
Vu l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;
Maître Nathalie PRUM-CARRÉ, assistée de Maître Alexandre FIÉVÉE, pour la partie demanderesse, et Maître Christian POINT, assisté de Maître Gilles DAUPHIN, pour l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, Maître Marc THEWES, pour l’établissement de droit public , et Maître Paulo LOPES DA SILVA, pour la société S.à r.l., entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 14 janvier 2014.
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Dans le cadre de la procédure négociée avec publication d’avis pour l’attribution du marché public « Supply, Deployment and Operation of a digital radio communications network », lancée par le Premier Ministre, ministre d’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, ci-après dénommée le « ministre d’Etat », en vue de la mise en place d’un réseau de radiocommunication numérique dédié pour les services de secours et de sécurité, le ministre d’Etat, par arrêté du 20 novembre 2013, décida d’attribuer le marché en question au groupement d’entreprises et de ne pas retenir l’offre du « Consortium ». Il est précisé à l’arrêté ministériel en question que « la signature du contrat relatif au prédit marché public entre le pouvoir adjudicateur et le groupement d’entreprises / ne pourra intervenir qu’après l’adoption de la loi de financement par le Parlement ».
Par lettre du 22 novembre 2013, la société S.A., ci-après dénommée la « société », en tant que représentante du « Consortium », association momentanée constituée entre la société anonyme S.A. et la société par actions simplifiée de droit français SAS, ci-après dénommée l’« association », fut informée de cette décision ministérielle dans les termes qui suivent :
« (…) Par la présente, nous nous référons à votre offre définitive et sommes au regret de vous informer que le prédit marché ne vous a pas été attribué au motif que votre offre n'est pas retenue comme l'offre économiquement la plus avantageuse en application des critères énoncés au cahier des charges.
En application de ces mêmes critères, le prédit marché sera attribué au groupement d'entreprises / , qui a présenté l'offre économiquement la plus avantageuse.
Votre offre a été classée deuxième.
Une copie de la décision d'adjudication est jointe en annexe.
De façon synthétique et non exhaustive, les deux offres soumises présentaient toutes les deux un niveau de qualité élevé et votre offre était légèrement plus favorable que celle du groupement d'entreprises / : votre offre a obtenu un coefficient de «performance » de 88,5% et celle du candidat retenu a obtenu un coefficient de performance de 86,8%.
Le coefficient « prix » de votre offre était cependant très substantiellement plus défavorable, d'un ordre de grandeur de plus de 100%, que celui du candidat retenu.
Ce qui fait que le ratio prix/performance de votre offre était très nettement désavantageux du fait d'un prix qui était de votre côté substantiellement plus élevé.
La conclusion du contrat avec le candidat retenu n'interviendra qu'après l'adoption de la loi de financement par le Parlement et en tout état de cause pas avant l'expiration d'un délai de 15 jours à compter du lendemain de la date d'envoi de la présente. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 10 décembre 2013, inscrite sous le numéro 33722 du rôle, la société a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation tant de la décision d’attribution du marché, que de la décision de rejet de « son » offre. - Par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 33723 du rôle, elle sollicite le sursis à exécution des deux décisions critiquées dans le cadre du recours au fond.
La demanderesse estime que les conditions légales requises pour l’institution de la mesure provisoire sollicitée sont remplies en l’espèce au motif que l'exécution de la décision d’adjudication, par signature du contrat entre l’Etat et l’adjudicataire, risquerait de lui causer un préjudice grave et définitif en ce qu’elle se verrait définitivement et irrémédiablement écartée d’un marché important, d’une part, et que les moyens à l'appui de son recours au fond seraient sérieux, d’autre part.
A l’appui de ce recours au fond, la demanderesse fait en premier lieu soutenir que l’absence de loi de financement, tant au jour de l’ouverture de la procédure de marché qu’au jour de la décision d’adjudication, vicierait la procédure de mise en adjudication. En effet, en vertu des articles 99 et 104 de la Constitution, toute réalisation au profit de l’Etat d’un grand projet d’infrastructure ou d’un bâtiment considérable, de même que tout engagement financier important de l’Etat devraient être autorisés par le pouvoir législatif soit par le biais d’une loi spéciale, soit dans le cadre du vote annuel du budget et que tel n’aurait pas été le cas.
En second lieu, elle invoque le non-respect de la procédure en cas d’offre anormalement basse, tel que prévu par l’article 243 du règlement grand-ducal modifié du 3 août 2009 portant exécution de la loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics et portant modification du seuil prévu à l'article 106, point 10°, de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988, ci-après dénommé le « règlement grand-ducal du 3 août 2009 ».
En troisième lieu, elle met en avant que la différence de prix entre les deux offres / et serait telle que l’on pourrait s’interroger sur le fait de savoir si une comparaison objective des prix a eu lieu, respectivement sur la régularité de l’offre présentée par / .
En quatrième lieu, la demanderesse soulève l’illégalité des critères d’attribution au motif que ceux énumérés dans le cahier des charges seraient incertains.
Ainsi, la section 1 du « Tender Specification » prévoirait des critères économiques différents de ceux visés à la section 4, étant précisé qu’il serait tantôt question du chiffre du prix final, tantôt de critères économiques d'attribution et que dans le courrier ministériel précité du 22 novembre 2013 apparaîtrait une notion encore différente, à savoir celle du «coefficient prix ». Il s’en dégagerait une parfaite incertitude quant aux critères économiques d'attribution qui ont été appliqués.
Il en serait de même au niveau des critères techniques d'attribution, avec des indications de la section 1 du « Tender Specification » (ratio performance) différant de ceux de la section 4 (niveaux de satisfaction), tandis que le pouvoir adjudicateur évoquerait encore la notion de « coefficient de performance ».
En cinquième lieu, elle soulève l’illégalité de la méthode d’évaluation qui ne se dégagerait pas avec la clarté requise du « Tender Specification ». En effet, il serait question d’un ratio prix-performance « ratio prix/performance = chiffre du prix final / ratio de performance » dans la section 1, tandis que la section 4 prévoirait un critère différent, en l’occurrence « critères d'attribution définitifs = critères économiques d'attribution / niveaux de satisfactions », le pouvoir adjudicateur lui indiquant dans son courrier d’information précité que la méthode d’évaluation, qui aurait été utilisée, était celle du « ratio prix-
performance », telle que visée à la section 1.
Enfin, elle soutient que les exigences de pondération des offres n’auraient pas été respectées. Si l'article 11 de la loi modifiée du 25 juin 2009 sur les marchés publics et l'article 241 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 que le pouvoir adjudicateur doit préciser « la pondération relative qu'il confère à chacun des critères choisis » et que lorsque une pondération n'est pas possible, il devrait être prévu un « ordre décroissant d'importance des critères », il conviendrait de constater qu’en l’espèce, le « Tender Specification », énoncerait des critères d'attribution techniques et économiques, sans cependant indication de la moindre pondération entre ces deux catégories de critères, ni précision d’un classement en ordre décroissant d'importance.
En vertu de l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après dénommée la « loi du 21 juin 1999 », un sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.
La compétence du président du tribunal est restreinte à des mesures essentiellement provisoires et ne saurait en aucun cas porter préjudice au principal. Il doit s’abstenir de préjuger les éléments soumis à l’appréciation ultérieure du tribunal statuant au fond, ce qui implique qu’il doit s’abstenir de prendre position de manière péremptoire, non seulement par rapport aux moyens invoqués au fond, mais même concernant les questions de recevabilité du recours au fond, comme celle relative à l’existence d’un intérêt à agir, étant donné que ces questions pourraient être appréciées différemment par le tribunal statuant au fond. Il doit donc se borner à apprécier si les chances de voir déclarer recevable le recours au fond paraissent sérieuses, au vu des éléments produits devant lui. Il ne saurait se prononcer définitivement sur des questions de recevabilité que pour autant que celles-ci touchent exclusivement à la demande en sursis à exécution.
En l’espèce, un seul des moyens d’irrecevabilité soulevés par la partie défenderesse et appuyé par les deux parties tierces intéressées, et , vise, de manière spécifique, la mesure de sursis à exécution.
Il s’agit du moyen d’irrecevabilité du recours en référé pour non-respect du délai imparti par l’article 6 de la loi du 10 novembre 2010 instituant les recours en matière de marchés publics.
L’article 6 de la loi du 10 novembre 2010 dispose que « le président du tribunal administratif peut être saisi endéans les délais prévus à l’article 5 conformément à l’article 11 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.
Le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice est obligé de surseoir à la conclusion du contrat jusqu’à la notification de l’ordonnance en référé et jusqu’à l’expiration du délai prévu à l’article 5 ».
L’article 5 auquel il est ainsi renvoyé est libellé comme suit :
« La conclusion du contrat qui suit la décision d’attribution d’un marché relevant du champ d’application des livres II et III de la loi sur les marchés publics ou du champ d’application de la loi sur les marchés publics de la défense et de la sécurité ne peut avoir lieu avant l’expiration d’un délai d’au moins dix jours à compter du lendemain du jour où la décision d’attribution du marché a été envoyée aux soumissionnaires et candidats concernés si un télécopieur ou un moyen électronique est utilisé ou, si d’autres moyens de communication sont utilisés, avant l’expiration d’un délai d’au moins quinze jours à compter du lendemain du jour où la décision d’attribution du marché est envoyée aux soumissionnaires et candidats concernés.
Les soumissionnaires sont réputés concernés s’ils n’ont pas encore été définitivement exclus. Une exclusion est définitive si elle a été notifiée aux soumissionnaires concernés et a été jugée licite par une instance de recours indépendante ou ne peut plus faire l’objet d’un recours.
Les candidats sont réputés concernés si le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice n’a pas communiqué les informations relatives au rejet de leur candidature avant que la décision d’attribution du marché soit notifiée aux soumissionnaires concernés ».
Indépendamment de toute considération quant à la teneur de l’information fournie par le pouvoir adjudicateur à la demanderesse par rapport à ses possibilités de recours en tant que soumissionnaire évincé, dont le délai d’agir, en ce que l’information afférente appert en l’occurrence erronée sinon pour le moins être de nature à induire en erreur, les articles 5 et 6 de la loi du 10 novembre 2010 sont intimement liés et ils doivent être entendus comme instituant, par dérogation au principe du caractère directement exécutoire des actes administratifs individuels, un délai de suspension entre la communication de la décision d’adjudication aux opérateurs économiques concernés et la conclusion du contrat entre le pouvoir adjudicateur et l’adjudicataire pour permettre aux soumissionnaires écartés d’agir en justice moyennant un recours en annulation contre la décision d’attribution ou celle écartant un candidat ou une offre, recours dont l’utilité et l’effectivité, au jour où le juge administratif statuera, sont garanties par la possibilité de compléter pareil recours au fond par une demande en institution d’un sursis à exécution. Si l’article 6 de la loi du 10 novembre 2010 énonce expressément la possibilité d’agir devant le juge des référés pendant le délai de carence minimum prévu par l’article 5 de la loi du 10 novembre 2010, il n’est pas à entrevoir comme étant dérogatoire au droit commun posé par l’article 11 de la loi du 21 juin 1999. Les auteurs du projet de loi allant devenir la loi du 10 novembre 2010 ont d’ailleurs précisé que cette disposition ne fait que décrire la possibilité de recours devant le président du tribunal administratif durant la période de standstill (cf. commentaire relatif à l’article 6 du projet de loi, doc. parl. numéro 6119, page 14). Ainsi, après l’expiration du délai de carence, le droit commun garde tout son office et un recours en référé reste recevable dans les conditions de l’article 11 de la loi du 21 juin 1999 aussi longtemps que le contrat n’aura pas été conclu.
Admettre le contraire, c’est-à-dire admettre une lecture impliquant une restriction du droit d’agir devant le juge du référé une fois passé le délai de suspension, irait d’ailleurs directement à l’encontre de la volonté des auteurs des directives 89/665/CE, 92/13/CE et 2007/66/CE de voir instaurer des voies de recours efficaces. Quant à l’objection formulée par le mandataire du pouvoir adjudicateur, tiré de ce que pareille vision des choses se heurterait au souci, notamment des auteurs des directives, de voir garantir également la sécurité juridique, il convient de remarquer que ce n’est guère la possibilité d’un recours en référé qui se révèle être source d’insécurité, mais c’est plutôt le fait de ne pas conclure le marché après écoulement du délai de standstill qui risque de la générer.
Il s’ensuit que le moyen d’irrecevabilité n’est pas fondé et doit être écarté.
Les trois contradicteurs de la demanderesse se rejoignent encore autour d’un second moyen d’irrecevabilité tiré du fait que le recours émane de la seule société , alors qu’elle n’a pas participé personnellement à la procédure de soumission litigieuse, mais ensemble avec son partenaire de droit français SAS au sein de l’association et que dès lors que l’action concernerait un intérêt commun, la présence de son partenaire serait requise.
Cette exception d’irrecevabilité ne vise cependant pas spécifiquement la mesure de sursis à exécution, mais le recours introduit au fond contre les décisions que la société entend voir réformer ou annuler.
Ce moyen touche partant le fond du droit ; il relève plus précisément du caractère sérieux des moyens invoqués à l’appui du recours au fond et il est à examiner sous ce rapport.
Ceci dit, il semble, au stade actuel de l’instruction du litige, et sur base d’une analyse nécessairement sommaire, que ce moyen ne devrait pas être favorablement accueilli par les juges du fond.
Cette conclusion s’impose au regard de la tendance essentiellement large des juridictions administratives au niveau de la reconnaissance d’une qualité et d’un intérêt à agir dans le chef d’un demandeur, de laquelle il semble permis de dégager que les juges du fond seront plutôt enclins à reconnaître à la société qu’elle justifie la lésion d’un intérêt personnel distinct de l’intérêt général.
En effet, la partie demanderesse, qui agit individuellement et pour son propre compte et non pas au nom de l’association , ni en nom et pour compte de son partenaire SAS, semble personnellement et directement affectée tant par la décision de rejet de son offre, encore qu’elle fût soumise ensemble avec un partenaire, que par la décision d’attribution du marché à un autre soumissionnaire. La demanderesse paraît de même pouvoir tirer une satisfaction certaine et personnelle de l’annulation de l’une ou de l’autre de ces décisions, encore que son recours au fond, de même que son recours en référé peuvent se révéler profitables pour son partenaire, dont l’absence au procès ne veut pas nécessairement dire qu’elle ne soit plus intéressée au marché.
Concernant les moyens soulevés au fond, la demanderesse n’est pas convaincante en ce qu’elle entend exciper comme vice de procédure l’absence d’une loi de financement au jour de l’ouverture de la procédure de marché et au jour de la décision d’adjudication.
Si en vertu des dispositions constitutionnelles pointées, la réalisation d’un grand projet d’infrastructure étatique et l’engagement financier y afférent requièrent une autorisation du pouvoir législatif, il n’appert pas que cette autorisation doive nécessairement précéder l’ouverture, voire la clôture d’une procédure de soumission publique. En effet, cette façon de procéder, qui permet au pouvoir exécutif de voir chiffrer précisément l’engagement financier engendré par un projet gouvernemental, ne semble pas contrevenir aux exigences constitutionnelles, auquel il paraît être satisfait si l’autorisation parlementaire existe avant la phase d’exécution du marché, phase concrète de réalisation du projet et de l’engagement financier.
En outre, il appert que ladite façon de procéder a été portée à la connaissance de tous les participants à la procédure de soumission (cf. point 1.2 INVITATION TO SUBMIT A TENDER du « Tender Specification »: « In accordance with Luxembourg budgetary rules, award of the contract is subject to an autorisation to enter into the financial commitments resulting from the contract with the successful candidate to be given by the parliament to the gouvernment through a law. Following award of the tender (« attribution du marché »), the Gouvernement commits to submit a bill to Parliament in order to obtain legislative autorisation to engage into financial commitments. Execution of the contract is subject to the bill becoming law and can only occur once the law enters into force. »), qui tous avaient la possibilité d’agir par la voie d’un référé précontractuel pour voir corriger notamment toute irrégularité procédurale dont ils s’estimaient lésés, ce que personne ne jugeait requis.
N’est à son tour pas convaincant le second moyen au fond, tiré du non-respect de la procédure en cas d’offre anormalement basse, étant donné que la procédure prévue par l’article 243 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 vise essentiellement à protéger les droits d’un soumissionnaire ayant présenté l’offre apparaissant présenter une anomalie au niveau de son prix, lequel risque de se voir écarter de ce chef, mais il n’appert pas en quoi le fait de faire ou ne pas faire la procédure en question soit préjudiciable au niveau des droits de la demanderesse.
Le troisième moyen, qui -aux termes de la requête introductive de l’instance au fond-
consiste essentiellement à effleurer la question de savoir si une comparaison objective des prix a été réalisée par le pouvoir adjudicateur et si l’offre présentée par / est régulière, n’est pas non plus suffisamment sérieux pour justifier la mesure provisoire sollicitée, faute de la production par la demanderesse d’indices suffisants à l’appui de l’existence d’une prétendue illégalité, étant donné que le seul fait d’un prix sensiblement inférieur à celui proposé par elle n’est à lui seul pas de nature à sous-tendre utilement le reproche d’une procédure viciée.
Il est vrai qu’à travers sa note de plaidoiries, la demanderesse entend développer ce moyen.
Il est cependant vrai aussi que l’argumentaire afférent ne se trouve, en tout cas pour l’heure, pas libellé dans l’affaire au fond, étant rappelé que le magistrat appelé à prendre une mesure provisoire ne peut avoir égard, au niveau de l’analyse du sérieux des moyens présentés qu’aux seuls moyens présentés par la partie demanderesse en question dans l’instance au fond au jour où le juge du provisoire est appelé à statuer (TA prés. 18 août 2004, numéro 18510 du rôle, Pas. adm. 2012, V° Procédure contentieuse, n° 455).
A titre superflu, le soussigné, après un examen sommaire de ces arguments additionnels avancés à l’appui de l’existence d’un prix anormalement bas dans le chef de l’offre des deux parties tierces intéressées, estime encore qu’ils ne paraissent à leur tour guère suffisants pour être considérés comme véhiculant des éléments objectifs que les juges du fond sont susceptibles de retenir pour considérer l’offre retenue comme étant affectée d’un prix anormal, respectivement comme établissant une erreur au niveau de l’appréciation faite par le pouvoir adjudicateur. En effet, la partie demanderesse, à partir d’un indice concret, la différence sensible de prix, semble se limiter à de simples extrapolations, essentiellement hypothétiques, de son offre pour conclure à l’existence d’incongruités ou d’irrégularités au niveau de l’offre de ses concurrents, d’une part, et, avancer et appuyer l’adéquation de son propre prix aux volumes financiers ressortant d’une étude préparatoire (étude Arthur D.
LITTLE en vue du déploiement d’un réseau TETRA public au Grand-Duché de Luxembourg en date du 20 décembre 2011) établie pour compte du pouvoir adjudicateur, alors qu’il appert des indications du pouvoir adjudicateur que l’étude en question n’a pas été considérée et ne saurait être considérée comme le devis estimatif à proprement parler du marché en question et que le rapport relatif à l’évaluation des candidatures produit en cause précise explicitement que le contrôle des prix n’a été fait que sur base des prix estimatifs unitaires inclus dans l’étude de Arthur D. LITTLE et non pas au regard des prix totaux ou des volumes financiers de ladite étude, au motif qu’ils ne seraient pas en rapport avec l’objet du marché dont il est question en cause (« Du fait que l’étendue des fournitures et services estimés dans l’étude de Arthur D. LITTLE se différencie sur nombre de points de l’étendue de la présente soumission, les volumes financiers ne sont pas comparables » cf. rapport relatif à l’évaluation des candidatures, Appréciation des autres prix offerts au regard du critère de l’offre anormalement basse, page 6), d’autre part. Au-delà, il est évident que pour être toisées, les questions d’appréciation qui se posent requièrent une analyse plus poussée et une discussion au fond, à laquelle le juge du provisoire ne saurait utilement s’adonner sous peine d’empiéter sur les pouvoirs du juge du fond.
Etant donné que la demanderesse a fait déclarer au cours de l’audience des plaidoiries ne pas maintenir son sixième moyen de réformation ou d’annulation ayant trait à un manquement du pouvoir adjudicateur d’avoir fixé une pondération entre les critères d’attribution choisis, il reste donc à examiner les mérites apparents des quatrième et cinquième moyens soulevés au fond tirés du libellé imprécis ou contradictoire du « Tender Specification » au niveau des critères d’attribution techniques et économiques, respectivement l’application de critères non prévus par le cahier des charges, ainsi que d’une incertitude au niveau de la nature de la méthode d’évaluation employée.
Il convient de préciser que selon le dernier état des conclusions orales présentées par le mandataire de la société au cours de l’audience des plaidoiries, les deux susdits moyens ne viseraient pas le libellé des critères au sein du « Tender Specification », mais plutôt le fait que dans la lettre de motivation apparaîtraient des critères nouveaux non initialement prévus.
Le pouvoir adjudicateur et les parties intéressées estiment que la société serait forclose à invoquer des reproches dirigés à l’encontre des stipulations du cahier des charges faute d’en avoir fait état au moins sept jours avant l'ouverture de la soumission, tel que requis par l'article 21 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 en ce qu’il dispose que « le soumissionnaire qui constaterait dans le dossier de soumission des ambiguïtés, erreurs ou omissions, est tenu, sous peine d'irrecevabilité, de les signaler par lettre recommandée au pouvoir adjudicateur au moins 7 jours avant l'ouverture de la soumission, à moins que le cahier spécial des charges ne stipule un délai plus long ».
Ce moyen de défense semble cependant ne pas présenter suffisamment de chances de succès pour tenir en échec la demande de la société , étant donné qu’il n’appert pas avec une probabilité suffisante que l’article 21 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 soit appelé à trouver application dans le présent cas de figure.
En effet, les critiques de la société relativement à la légalité des critères d’attribution appliqués ne semble pas avoir trait à un constat d’une « ambiguïté, erreur ou omission » au sens du susdit article 21, au niveau du cahier des charges, qu’il lui aurait incombé de dénoncer en temps utile avant l’ouverture de la soumission, mais s’apparentent a priori à un moyen de légalité qu’elle peut valablement exciper, même pour la première fois, après l’ouverture de la soumission.
Ceci dit, les deux moyens en question, considérés individuellement voire dans leur ensemble, n’apparaissent pas, au stade actuel de l’instruction de l’affaire au fond, comme étant suffisamment patents pour permettre au soussigné de retenir qu’il y ait de fortes chances que l’un deux sera entériné par les juges du fond En effet, étant donné que le pouvoir adjudicateur a fait exposer que s’il y avait des différences de terminologie au niveau du cahier des charges, les termes employés étaient entendus comme étant synonymes et que la terminologie employée dans la lettre de motivation du 22 novembre 2013 ne s’entendrait que comme étant la traduction en français des termes anglais du « Tender Specification », sans qu’il n’y ait eu de sa part la moindre volonté d’introduire de nouveaux critères, version qui sonne pour le moins plausible et susceptible d’être entérinée par les juges du fond, le moyen semble se limiter à un simple problème de traduction, sans véhiculer un reproche quant à une irrégularité viscérale affectant la façon de procéder du pouvoir adjudicateur ou un manquement aux principes généraux gouvernant la matière qui l’appellent à traiter les opérateurs économiques de manière non discriminatoire.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’au stade actuel de l’instruction de l’affaire au fond et sur base d’une analyse nécessairement sommaire, l'exigence tirée du caractère sérieux des moyens invoqués à l’appui du recours au fond n’est pas remplie en cause et que la partie demanderesse doit être déboutée de sa demande en sursis à exécution sans qu’il y ait lieu d’examiner davantage la question du risque d’un préjudice grave et définitif dans son chef, les conditions afférentes devant être cumulativement remplies, de sorte que la défaillance de l’une de ces conditions entraîne à elle seule l’échec de la demande.
Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, siégeant en matière de référé et en audience publique, statuant par défaut à l'égard de la société par actions simplifiée de droit français SAS et contradictoirement à l'égard des autres parties ;
reçoit la requête en sursis à exécution en la forme ;
au fond, la déclare non justifiée et en déboute ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 16 janvier 2014 par M. CAMPILL, président du tribunal administratif, en présence de M. WEBER, greffier.
s. WEBER s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 16 janvier 2014 Le Greffier du Tribunal administratif 10