Tribunal administratif N° 31602 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 octobre 2012 Audience publique du 13 novembre 2012 Requête en sursis à exécution introduite par Madame …, …, et consorts, contre une décision du bourgmestre de la commune de Bissen, en présence de la société à responsabilité limitée …, …, en matière de permis de construire
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ORDONNANCE
Vu la requête, inscrite sous le numéro 31602 du rôle et déposée le 29 octobre 2012 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Luc GONNER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Diekirch, au nom de :
1.
Madame …, et consorts tendant à voir ordonner le sursis à exécution d’une décision du bourgmestre de la commune de Bissen du « 1er avril 2012 » autorisant la société à responsabilité limitée …, établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro… , de construire un immeuble résidentiel à L-7762 Bissen, …, cette autorisation étant attaquée au fond par une requête en annulation sinon en réformation introduite le 29 octobre 2012 et portant le numéro 31601 du rôle ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Frank SCHAAL, demeurant à Luxembourg, du 29 octobre 2012, portant signification de ladite requête en sursis à exécution à l’administration communale de Bissen, représentée par son collège des bourgmestre et échevins, sinon par son bourgmestre actuellement en fonctions, établie en sa maison communale à L-7784 Bissen, 1, rue des Moulins, et à la société à responsabilité limitée …, préqualifiée ;
Vu l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Maître Jean-Luc GONNER, pour les demandeurs, et Maître Georges KRIEGER, pour l’administration communale de Bissen et la société à responsabilité limitée …, entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 12 novembre 2012.
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Le 19 décembre 2011, le bourgmestre de la commune de Bissen, dénommé ci-après le « bourgmestre », délivra, sous le n° 2011/0057, à la société à responsabilité limitée … l’autorisation de démolir l’immeuble existant sis à L-7762 Bissen, …, sur des fonds inscrits au cadastre de la commune de Bissen, section A de Bissen-Nord, sous le numéro 1025/3098.
Le 20 février 2012, le bourgmestre délivra encore, sous le même n° 2011/0057, à la société à responsabilité limitée … l’autorisation de construire un immeuble à appartements sur le susdit terrain sis à L-7762 Bissen, ….
Par requête déposée le 29 octobre 2012, inscrite sous le numéro 31601 du rôle, Mmes …, ainsi que MM. … ont fait introduire un recours tendant en substance à l’annulation de l’autorisation de construire précitée du 20 février 2012 et, par requête déposée le même jour, inscrite sous le numéro 31602 du rôle, ils sollicitent le sursis à exécution de cette autorisation.
Les demandeurs font soutenir que les conditions légales, telles que prévues par l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après dénommée la « loi du 21 juin 1999 », seraient remplies en cause et ils demandent à voir suspendre les effets de l’autorisation querellée en attendant la solution de leur recours au fond.
Au titre d’un préjudice grave et définitif, ils exposent être les copropriétaires de l’immeuble résidentiel situé sur la parcelle voisine et font valoir que leur droit de propriété se verrait entravé par la construction litigieuse à la limite séparative des deux propriétés, insistant n’avoir à aucun moment marqué leur accord avec une construction en limite de propriété. Dans ce contexte, ils invoquent en outre le fait que l’immeuble projeté aurait neuf unités et serait d’un volume largement supérieur à celui des constructions existantes, d’une part, et le fait que l’immeuble projeté aurait des vues directes sur leur immeuble.
Relativement au caractère définitif, ils soutiennent que les travaux de construction iraient de bon train et que sans suspension de l’exécution du permis de construction litigieux, un succès de leur recours au fond ne permettrait plus un rétablissement de la situation antérieure.
Concernant les moyens de fond libellés à l’encontre du permis de construire délivré par le bourgmestre, tels que ces moyens ont plus spécifiquement été mis en évidence par les demandeurs en sursis à exécution, il est soutenu que le permis litigieux contreviendrait au règlement général sur les bâtisses de la commune de Bissen en ce qu’il exigerait le respect d’un recul latéral de 3 mètres et qu’ils n’auraient pas consenti à ce que le recul latéral ne soit pas respecté, d’une part, et qu’au moment de la délivrance dudit permis, le classement de la parcelle d’implantation en zone de faible densité n’aurait pas permis une construction avec neuf unités d’habitation, étant donné qu’en ladite zone ne seraient autorisables que des constructions avec un maximum de six unités d’habitation, d’autre part.
L’administration communale de Bissen et la partie tierce intéressée concluent à l’irrecevabilité de la demande de sursis à exécution au motif que le délai pour agir contre le permis litigieux aurait expiré. En effet, ce permis aurait été émis le 20 février 2012 et affiché de manière accessible à partir du 2 avril 2012 et les travaux auraient commencé à la mi-juin 2012, de sorte que le recours aurait dû être introduit pour le 5 juillet 2012 au plus tard et non seulement le 29 octobre 2012.
Ces mêmes parties contestent aussi l’existence d’un intérêt suffisant pour agir dans le chef des demandeurs, au motif qu’ils exerceraient des droits appartenant à la copropriété et qu’ils ne feraient pas valoir d’intérêt personnel à agir.
Ils estiment en outre que les moyens soulevés au fond par les demandeurs ne seraient pas suffisamment sérieux pour justifier la mesure sollicitée.
La compétence du président du tribunal est restreinte à des mesures essentiellement provisoires et ne saurait en aucun cas porter préjudice au principal. Il doit s’abstenir de préjuger les éléments soumis à l’appréciation ultérieure du tribunal statuant au fond, ce qui implique qu’il doit s’abstenir de prendre position de manière péremptoire, non seulement par rapport aux moyens invoqués au fond, mais même concernant les questions de recevabilité du recours au fond, comme la recevabilité ratione temporis ou l’intérêt à agir, étant donné que ces questions pourraient être appréciées différemment par le tribunal statuant au fond. Il doit donc se borner à apprécier si les chances de voir déclarer recevable le recours au fond paraissent sérieuses, au vu des éléments produits devant lui. Il ne saurait se prononcer définitivement sur des questions de recevabilité que pour autant que celles-ci touchent exclusivement à la demande de sursis à exécution.
En l’espèce, les moyens tirés de l’irrecevabilité du recours ne visent pas, de manière spécifique, la mesure de sursis à exécution, mais le recours introduit au fond contre la décision que les demandeurs entendent attaquer.
Ces moyens touchent partant le fond du droit ; ils relèvent plus précisément du caractère sérieux des moyens invoqués à l’appui du recours au fond et ils sont à examiner sous ce rapport.
Il convient encore de relever que l’exigence tirée du caractère sérieux des moyens invoqués appelle le juge des référés à examiner et à apprécier, au vu des pièces du dossier et compte tenu du stade de l'instruction, les chances de succès du recours au fond. Pour que la condition soit respectée, le juge doit arriver à la conclusion que le recours au fond présente de sérieuses chances de succès.
En ce qui concerne tout d’abord le moyen d’irrecevabilité tiré du défaut d’existence d’un intérêt à agir dans le chef des demandeurs, il semble, au stade actuel de l’instruction du litige, et sur base d’une analyse nécessairement sommaire, que ce moyen ne présente pas le caractère sérieux légalement requis, c’est-à-dire qu’il ne semble pas à suffisance de droit que les juges du fond seront amenés à conclure à l’irrecevabilité du recours au fond des demandeurs au regard de l’intérêt à agir. En effet, chacun des demandeurs pris individuellement, en sa qualité - non contestée - de copropriétaire de l’immeuble sis à L-7762 Bissen, …, semble avoir un intérêt suffisant à faire vérifier la légalité d’un permis de construire autorisant sur la parcelle voisine une construction non seulement d’une envergure certaine donnant différentes vues directes sur l’immeuble des demandeurs, mais surtout une construction implantée directement à la limite de leur propriété, alors que les demandeurs entendent voir respecter un recul de 3 mètres, pour justifier de la sorte une aggravation de leurs inconvénients de voisinage.
Cependant, au stade actuel de l’instruction de l’affaire au fond, le moyen tiré du non-
respect du délai légal pour agir paraît quant à lui présenter des chances de succès sérieuses et amener les juges du fond à conclure à l’irrecevabilité du recours au fond des demandeurs sous ce regard.
En effet, mis à part des divergences de date (tantôt 20, tantôt 21 février) du permis de construire et des plans qui l’accompagnent, lesquelles ne devraient pas avoir d’incidence sous ce rapport, il semble se dégager des éléments d’appréciation soumis en cause, dont un certain nombre d’attestations testimoniales, que la date du jour de l’affichage du certificat relatif à la construction projetée aux abords du chantier est à situer au 2 avril 2012. S’il est vrai que cet état des choses est contesté par les parties demanderesses, ils n’apportent cependant pas d’éléments suffisants permettant d’ébranler l’apparence créée par les attestations testimoniales produites en cause.
Concernant la visibilité dudit certificat encore contestée par les demanderesses, le mandataire de l’administration communale de Bissen et de la partie tierce intéressée a présenté, en complément des différentes attestations testimoniales ayant essentiellement trait à la date de l’affichage, une image sur téléphone portable montrant ledit certificat apposé de façon visible derrière le grillage de fermeture du chantier, tout en précisant que ladite image n’avait certes été prise qu’au cours du mois de septembre, mais que le « point rouge » y aurait été installé depuis le 2 avril 2012 et s’y trouverait encore à ce jour. A défaut d’autre élément, le certificat relatif à la construction projetée semble donc aussi avoir été affiché de façon visible.
Les demandeurs ne semblent pas non plus pouvoir utilement mettre en balance le fait de n’avoir eu connaissance de l’ampleur exacte des travaux que vers la mi-juillet 2012, où fut réalisée, à la limite de propriété, la première dalle, étant donné que la possibilité d’apercevoir l’existence d’un certificat relatif à une construction projetée, sinon le commencement des travaux de construction aurait dû les amener à se rendre à la commune pour vérifier l’existence de l’autorisation délivrée et s’enquérir de son contenu.
Le délai légal pour agir semble donc avoir commencé à courir le 2 avril 2012 et être venu à expiration le 5 juillet 2012 – compte tenu de l’indication sur les délais de recours telle que figurant sur le certificat litigieux et indiquant un délai (commençant à courir 3 jours à compter de l’affichage) donc plus long que le délai légal (commençant en principe à courir à partir de la date de délivrance du certificat) –.
Si c’est à bon droit que les demandeurs soutiennent que le fait qu’un tiers intéressé se voit injustement refuser l’accès à un dossier administratif relatif à une décision qui lui est préjudiciable devrait avoir des incidences et, concrètement, interrompre le cours du délai légal pour agir à l’encontre de la décision en question, encore faudrait-il qu’il soit établi qu’en l’espèce, ils se sont présentés à la commune pour ce faire avant l’expiration du délai légal. Or, au stade actuel, la simple affirmation que l’un des demandeurs se serait rendu à la commune « vers la mi-juillet 2012 » pour avoir accès au dossier et que le technicien de la commune lui aurait refusé tout accès au dossier à la base du permis de construire litigieux paraît insuffisante pour ce faire. En effet, non seulement l’affirmation afférente, contestée avec véhémence par l’administration communale de Bissen, n’est pas sous-tendue par le moindre élément de preuve tangible, mais encore et surtout, même à la supposer vérifiée, l’entrevue dont il est question ne semble pas non plus avoir eu lieu au cours du délai légal, étant donné qu’il se dégage des considérations qui précèdent que ce délai a expiré dès le 5 juillet 2012.
Au vu de ces considérations qui précèdent, il semble que c’est à bon droit que l’administration communale de Bissen et la partie tierce intéressée opposent aux demandeurs la tardiveté de leur recours au fond et il est probable que les juges du fond déclareront le recours irrecevable, de sorte qu'en l'état actuel de la procédure, il y a lieu de rejeter la demande en sursis à exécution au motif qu'en l'état actuel de l'instruction du dossier, les chances de succès de la demande au fond apparaissent comme trop aléatoires pour justifier une telle mesure.
Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique ;
reçoit la requête en sursis à exécution en la forme ;
au fond, la déclare non justifiée et en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 13 novembre 2012 par M. CAMPILL, président du tribunal administratif, en présence de M. SCHMIT, greffier.
s. SCHMIT s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 13/11/2012 Le Greffier du Tribunal administratif 5