Tribunal administratif N° 31521 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 octobre 2012 Audience publique du 26 octobre 2012 Requête en institution d’un sursis à exécution introduite par la société à responsabilité limitée …, …, contre deux décisions du bourgmestre de la Ville de Luxembourg en présence de la société anonyme …, …, et de la société à responsabilité limitée …, …, en matière de marchés publics
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ORDONNANCE
Vu la requête inscrite sous le numéro 31521 du rôle et déposée le 9 octobre 2012 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc THEWES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée …, établie et ayant son siège social à L-…. représentée par ses gérants actuellement en fonctions, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B …, tendant à l’institution d’un sursis à exécution à l’encontre de deux décisions prises par le bourgmestre de la Ville de Luxembourg en date des 28 septembre 2012, la première portant attribution du marché public pour la réalisation de travaux de gros œuvre dans le cadre de la « Construction du bâtiment de la nouvelle centrale thermique et du nouveau poste de transformation électrique » de la Cloche d’Or et la seconde portant rejet de l’offre présentée par elle dans le cadre dudit appel d’offres pour non-conformité technique, un recours au fond ayant été par ailleurs introduit contre lesdites décisions par requête introduite le 9 octobre 2012, inscrite sous le numéro 31520 du rôle ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Patrick MULLER, en remplacement de l’huissier de justice Carlos CALVO, demeurant à Luxembourg, du 10 octobre 2012, portant signification de ladite requête en sursis à exécution à l’administration communale de la Ville de Luxembourg, établie et ayant ses bureaux à Luxembourg, 42, Place Guillaume II ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Patrick MULLER, en remplacement de l’huissier de justice Carlos CALVO, préqualifié, du 18 octobre 2012, portant signification de ladite requête en sursis à exécution à la société anonyme …, établie et ayant son siège social à L-… ; à la société anonyme …, établie et ayant son siège social à L- … ; à la société à responsabilité limitée …, établie et ayant son siège social à L-…, et à la société anonyme … SA, établie et ayant son siège social à L-… ;
Vu la note de plaidoiries déposée par Maître Céline BOTTAZZO, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, pour compte de la Ville de Luxembourg ;
Vu l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;
Maître Marc THEWES, assisté de Maître Thibault CHEVRIER, pour la partie demanderesse, Maître Céline BOTTAZZO, pour la Ville de Luxembourg, et Maître Benjamin MARTHOZ, en remplacement de Maître Marielle STEVENOT, pour les sociétés … S.A. et … S.à r.l., entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 octobre 2012.
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Par avis de marché du 25 juillet 2011, le bourgmestre de la Ville de Luxembourg, dénommé ci-après le « bourgmestre », lança une procédure restreinte relative à la réalisation des travaux de gros œuvre dans le cadre de la « Construction du bâtiment de la nouvelle centrale thermique et du nouveau poste de transformation électrique » de la Cloche d’Or, ci-
après dénommé le « marché relatif à la construction du bâtiment de la nouvelle centrale énergétique à Luxembourg-Gasperich ».
Par lettre du 27 septembre 2012, le bourgmestre informa l’association momentanée formée entre la société anonyme … et la société à responsabilité limitée …, ci-après dénommée l’« association momentanée …», que le collège échevinal de la Ville de Luxembourg l’avait déclarée adjudicataire du marché relatif à la construction du bâtiment de la nouvelle centrale énergétique à Luxembourg-Gasperich.
Par lettre du même jour, le bourgmestre informa la société à responsabilité limitée …, ci-après dénommée la « société … », que l’offre présentée par elle dans le cadre du susdit appel d’offres avait été rejetée pour non-conformité technique.
Cette lettre, communiquée à la société … par télécopie du 28 septembre 2012, précise que « (…) Votre offre a dû être écartée pour les motifs suivants :
L'article 10 (3) du prédit règlement grand-ducal du 3 août 2009 stipule que «l'entrepreneur général doit, sous peine d'irrecevabilité de celle-ci, joindre à son offre une liste des sous-traitants auxquels il prendra recours pour la réalisation de l'ouvrage et avec lesquels il a obligatoirement conclu un pré-contrat de sous-traitance ».
Pour la partie A3, travaux de dépollution, votre société ne dispose pas des autorisations requises pour transporter des substances dangereuses aux décharges Orscholtz, Fitten (Allemagne) et Moerdisk (Pays Bas) indiquées dans le bordereau. Or, vous n'avez conclu aucun pré-contrat de sous-traitance avec une autre entreprise.
Par ailleurs, en ce qui concerne la position 2.4.1.3.2 «dalles béton sur plots», les informations de la fiche technique remise ne sont pas suffisantes alors que notamment la résistance à la compression n'est pas indiquée.
Quant à la position 2.4.2.1.3 « membrane d'étanchéité ardoisée», le produit proposé par vous n'est pas conforme aux prescriptions du cahier des charges alors que sa finition n'est ni ardoisée ni auto protégée.
Votre offre n’est donc, d’un point de vue technique, pas conforme au dossier de soumission, de sorte qu’elle doit être écartée sur base de l’article 71 du règlement grand-
ducal du 3 août 2009, exécutant la loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics, suivant les dispositions duquel « Le pouvoir adjudicateur examine et vérifie les dossiers de soumission quant à leur conformité technique …. Les offres qui ne satisfont pas aux conditions du cahier spécial des charges … sont éliminées. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 9 octobre 2012, inscrite sous le numéro 31520 du rôle, la société … a fait introduire un recours tendant à l’annulation tant de la décision d’adjudication précitée du 28 septembre 2012, que de la décision du même jour portant rejet de son offre. Par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 31521 du rôle, elle sollicite le sursis à exécution des deux décisions attaquées dans le cadre du recours au fond.
La demanderesse estime que les conditions légales requises pour l’institution de la mesure provisoire sollicitée seraient remplies en l’espèce au motif que l'exécution des décisions attaquées risquerait de lui causer un préjudice grave et définitif, d’une part, et que les moyens d’annulation à l'appui de son recours au fond seraient sérieux, d’autre part.
Au titre de l’existence d’un préjudice grave et définitif, elle fait valoir que la signature du contrat avec un de ses concurrents constituerait une perte de chance pour elle, dès lors qu’elle se verrait définitivement privée d'un marché « pour des motifs parfaitement fallacieux et dérisoires et alors qu'elle avait présenté l'offre régulière la mieux-disante », et qu’en raison du montant du marché en cause, avoisinant …- €, le préjudice serait aussi grave.
Elle relève encore qu’au vu du résultat de l'ouverture des offres, elle aurait déjà pris des mesures pour assurer la disponibilité de ses employés et se serait abstenue de participer à d'autres soumissions qu'elle n'aurait pas pu exécuter en même temps que le marché en cause.
La société … fait ensuite soutenir que les moyens exposés à l'appui de son recours en annulation dont est saisi le tribunal administratif, seraient en outre manifestement de nature à entraîner l'annulation de la décision attaquée.
Ces moyens d’annulation peuvent être résumés comme suit :
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non-justification du premier motif de rejet avancé par la Ville de Luxembourg, au motif que le transporteur de substances dangereuses dont l’intervention serait requise dans le cadre de l’exécution des travaux à réaliser ne saurait être considéré comme constituant un « sous-traitant » au vu de l'objet du marché concerné ; qu’il n’existerait aucune obligation légale de fournir un prétendu pré-contrat ; qu’en tout état de cause, elle aurait conclu un précontrat en ce sens que depuis plusieurs années, elle aurait conclu un accord-cadre avec la société … pour la gestion et le transport de tout type de déchet et qu’au vu des contrats conclus par le passé avec la Ville de Luxembourg, elle estime que le rejet pour ce motif constituerait une violation du principe de confiance légitime ;
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non-justification du reproche d’un défaut de précision de la fiche technique remise pour les dalles béton sur plots, au motif que le produit proposé, à savoir des « Gehwegplatten » de la société …, seraient des matériaux classiques offrant une résistance normale pour une dalle en béton de ces dimensions, pour laquelle la fiche technique lui adressée par son fournisseur, qui reprendrait les informations les plus importantes, aurait été fournie au pouvoir adjudicateur et qu’il serait disproportionné d’exiger que les fiches techniques répondraient à toutes les mentions du cahier des charges. En l’occurrence, la demanderesse au fond estime que la Ville de Luxembourg aurait omis d’attirer l'attention des candidats sur l’obligation spéciale de préciser que la fiche technique devra faire apparaître la résistance à la compression exacte, tout en soutenant que le motif de rejet en question procéderait d’une approche déloyale du pouvoir adjudicateur et d’une erreur manifeste d'appréciation. Enfin, elle pointe le caractère disproportionné d'une mise à l'écart pour ce motif, dès lors que la position en question ne représenterait que 0,22% du marché ;
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erreur d’appréciation manifeste et violation du principe de proportionnalité au niveau du reproche relatif à la non-conformité du produit référencé à la position 2.4.2.1.3, dès lors que l’erreur commise serait une simple erreur matérielle de référencement facilement décelable et que la position en question porterait que sur une prestation correspondant à un montant de … €, soit 0,01 % du coût total.
La Ville de Luxembourg, rejointe en substance par les sociétés … S.A. et la … S.à r.l., conclut en substance au rejet de la demande au motif que les conditions légales ne seraient pas remplies.
En vertu de l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après dénommée la « loi du 21 juin 1999 », un sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.
L'exigence tirée du caractère sérieux des moyens invoqués appelle le juge administratif à examiner et à apprécier, au vu des pièces du dossier et compte tenu du stade de l'instruction, les chances de succès du recours au fond. Pour que la condition soit respectée, le juge doit arriver à la conclusion que le recours au fond présente de sérieuses chances de succès.
Ainsi, le juge administratif saisi de conclusions à des fins de sursis à exécution est appelé, d'une part, à procéder à une appréciation de l'instant au vu des éléments qui lui ont été soumis par les parties à l'instance, cette appréciation étant susceptible de changer par la suite en fonction de l'instruction de l'affaire et, d'autre part, non pas à se prononcer sur le bien-
fondé des moyens, mais à vérifier, après une analyse nécessairement sommaire des moyens et arguments présentés, si un des moyens soulevés par la partie demanderesse apparaît comme étant de nature à justifier avec une probabilité suffisante l'annulation voire la réformation de la décision critiquée.
Il convient en premier lieu d’examiner les chances de succès des critiques visant le premier motif de rejet de l’offre de la société … tablant sur le non-respect des exigences de l’article 10 (3) du règlement grand-ducal du 3 août 2009.
Ceci étant dit, l’argumentaire de la demanderesse basé sur ce qu’en l’espèce, le transporteur de substances dangereuses dont l’intervention serait requise dans le cadre de l’exécution des travaux à réaliser ne constituerait pas un « sous-traitant » n’est, au stade actuel de l’instruction de l’affaire au fond, pas suffisamment convainquant pour permettre au soussigné de retenir qu’il y ait de fortes chances qu’il sera entériné par les juges du fond. En effet, sur base d’une analyse nécessairement sommaire, les travaux de dépollution paraissent faire partie intégrante du marché en cause, de sorte que la tâche d’évacuer les terres polluées semble bien relever de l’exécution du contrat principal et ne pas être une simple prestation accessoire. Il s’ensuit que la relation entre le soumissionnaire concerné et le transporteur des substances dangereuses appert plutôt être une sous-traitance de spécialité qu’un simple sous-
contrat de fourniture de prestations accessoires.
La demanderesse soutient ensuite que l’on ne saurait faire valoir une obligation légale de joindre à son offre un pré-contrat de sous-traitance, mais qu’il suffirait qu’un pré-contrat existe. Or, le motif de rejet de l’offre de la société … fondé sur le non-respect des exigences de l’article 10 (3) du règlement grand-ducal du 3 août 2009 ne paraît pas pouvoir être réduit, comme tend à le soutenir la demanderesse, au reproche d’un défaut d’existence d’un pré-
contrat avec un sous-traitant, mais il semble plutôt, notamment au regard des explications fournies dans le cadre de la présente affaire par le mandataire de la Ville de Luxembourg, que le pouvoir adjudicateur, après avoir constaté que la société … ne dispose pas des autorisations requises pour le transport de substances dangereuses, lui reproche le fait de ne pas avoir indiqué qu’elle aura recours à un sous-traitant, respectivement qu’elle a omis de préciser l’identité du sous-traitant auquel elle entend prendre recours pour la réalisation de la prestation en question.
Ceci dit, il n’est pas contesté que la société … ne dispose pas des autorisations requises pour le transport de substances dangereuses, d’une part, et il semble se dégager des pièces produites en cause que la société … n’a pas indiqué dans son offre avoir recours à un sous-traitant pour l’évacuation des terres polluées, d’autre part.
S’il est vrai que la demanderesse fait encore état de ce qu’elle a indiqué « par souci de transparence, (…), au sein des documents supplémentaires remis : « A titre indicatif, les terres polluées seront transportées éventuellement par l’entreprise … S.A. et mis dans diverses décharges selon les degrés de contamination (…) », il n’est pas, au stade actuel de l’instruction de l’affaire, suffisamment sûr que les juges du fond assimileront cette façon de faire – indication, au niveau d’une prise de position additionnelle et dans des termes essentiellement flous, d’une « éventualité » d’un recours à la société … S.A. – à une exécution de l’obligation légale, énoncée à l’article 10 (3) du règlement grand-ducal du 3 août 2009, de ce que tout entrepreneur général doit « joindre à son offre une liste des sous-traitants auxquels il prendra recours (…) ».
Concernant l’argumentaire de la demanderesse reposant sur la violation du principe de confiance légitime, il n’apparaît pas non plus, au regard de la jurisprudence en la matière, présenter des chances de succès suffisantes. En effet, dès lors que la Ville de Luxembourg, auteur de la décision de rejet de l’offre de la société …, paraît avoir correctement appliqué les dispositions de l’article 10 (3) du règlement grand-ducal du 3 août 2009, il semble que même à admettre qu’il soit vérifié par les juges du fond - l’état des choses afférent étant vivement critiqué par le mandataire de la Ville - que le pouvoir adjudicateur a pu avoir une autre attitude dans d’autres dossiers, la légalité de la décision de rejet en question en cause ne saurait pâtir de ce fait.
Il s’ensuit qu’au stade actuel de l’instruction de l’affaire au fond et sur base d’une analyse nécessairement sommaire, le premier motif de rejet de l’offre de la société … ne se trouve pas ébranlé par les moyen et arguments lui opposés dans l’affaire au fond de telle manière que le soussigné puisse retenir l’existence d’une chance suffisamment sérieuse qu’il se voie censuré par les juges du fond.
Or, étant donné que le motif de rejet d’un non-respect des exigences de l’article 10 (3) du règlement grand-ducal du 3 août 2009 semble également être à lui-seul de nature à légalement sous-tendre la décision de rejet de l’offre de la demanderesse pour non-conformité technique, de même que la décision d’adjudication subséquente, qui pour l’heure de fait pas l’objet de reproches spécifiques, il convient de retenir que la condition ayant trait au caractère sérieux des moyens invoqués n’est pas remplie en cause sans qu’il y ait lieu d’examiner davantage la pertinence des moyens d’annulation visant les deux autres motifs de rejet de l’offre de la société …, respectivement les mérites des éléments de motivation complémentaires ou additionnels de ladite décision de rejet tels qu’ils ont encore été invoqués par la Ville de Luxembourg dans le cadre de la présente affaire et des critiques y afférentes soulevées par la demanderesse.
Il s’ensuit qu’indépendamment encore de la question de savoir s’il y a ou non existence d’un risque de préjudice grave et définitif dans le chef de la demanderesse, cette dernière doit être déboutée de sa demande de sursis à exécution.
Les sociétés … S.A. et … S.à r.l. sollicitent l’allocation d’une indemnité de procédure d’un import de 5.000.- € sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives. Toutefois, il échet de rejeter cette demande, étant donné que les conditions légales pour ce faire ne sont pas remplies.
Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant par défaut à l'égard de la société anonyme … et de la société anonyme … et contradictoirement à l’égard des autres parties, prononçant en audience publique ;
reçoit la requête en sursis à exécution en la forme ;
au fond, la déclare non justifiée et en déboute ;
rejette la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par les sociétés … S.A. et … S.à r.l. ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 26 octobre 2012 par M. CAMPILL, président du tribunal administratif, en présence de Mme Michèle HOFFMANN, greffière.
s. HOFFMANN s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 26.10.2012 Le Greffier du Tribunal administratif 7