Tribunal administratif N° 30983 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 juillet 2012 Audience publique du 6 août 2012 Requête en institution d’une mesure provisoire introduite par Monsieur … et consorts, …, contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de police des étrangers
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ORDONNANCE
Vu la requête inscrite sous le numéro 30983 du rôle et déposée le 31 juillet 2012 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Monténégro), et de son épouse, Madame …, née le … à …, agissant tant en leur nom personnel qu’au nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, né le … à … et …, née le … à …, tous de nationalité monténégrine, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à voir ordonner une mesure de sauvegarde à l’encontre de la décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 19 juillet 2012 refusant de leur délivrer une autorisation de séjour, un recours en annulation dirigé contre la même décision, inscrit sous le numéro 30962, introduit le 27 juillet 2012, étant pendant devant le tribunal administratif ;
Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Maître Ardavan Fatholahzadeh et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 août 2012.
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Par un jugement du tribunal administratif du 26 mars 2012 (n° 29775 du rôle), la demande en obtention d’une protection internationale présentée par Monsieur … et son épouse, Madame …, accompagnés de leurs enfants mineurs … et …, ci-après désignés par « les consorts … », au ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, en date du 25 octobre 2011 fut définitivement rejetée comme n’étant pas fondée.
Par un courrier du 29 mars 2012, la directrice, la régente de la classe d’…, un éducateur gradué et une assistante sociale du … s’adressèrent au Ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministre », pour le renseigner sur les efforts scolaires d’…, sur leur regret quant au départ de cet élève et sur leur crainte « que son éloignement du Luxembourg, représenterait pour cet élève une nouvelle déception et une dégradation de son état émotionnel ».
Par un courrier du 3 avril 2012 adressé à la directrice du …, le ministre répondit au courrier du 29 mars 2012 en les termes suivants : « (…) La seule possibilité pour la famille de … … c’est de trouver un emploi au Luxembourg et de demander un titre de séjour. Si tel n’est pas possible, je suis aux regrets de vous confirmer le départ de cette famille vers son pays d’origine, le Monténégro. » Le 2 mai 2012, le mandataire des consorts … envoya une promesse d’embauche de Monsieur … au ministre.
Par un courrier du 13 juin 2012, le mandataire des consorts … rappela au ministre son courrier du 2 mai 2012.
Le 6 juillet 2012, le ministre fit savoir au mandataire des consorts … que ses courriers des 2 mai et 13 juin 2012 étaient sans objet en l’état actuel du dossier tout en faisant référence aux dispositions de l’article 39 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 ».
Le 11 juillet 2012, les consorts … prièrent le ministre de « réexaminer » leur demande en obtention d’une autorisation de séjour.
Par un courrier du 17 juillet 2012, la directrice, une assistante sociale et un éducateur gradué du … intervinrent à nouveau après du ministre en faveur des consorts ….
Par une décision du 19 juillet 2012, le ministre, en se basant sur les articles 34, 38, 39 (1) et (2), 78 (3), 100 (1) points a) et c), et 101 (1) point 1. de la loi du 29 août 2008, rejeta la demande en obtention d’une autorisation de séjour des consorts …, introduite par le courrier du 11 juillet 2012, précité, et les informa qu’ « une fois retournés dans leur pays d’origine, rien n’empêchera vos mandants à me soumettre une autorisation de séjour en bonne et due forme en conformité avec les dispositions de l’article 39 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, demande que j’aviserai favorablement si toutes les conditions requises par la loi sont remplies. » Par un courrier du même jour, le ministre informa encore la directrice du … de sa décision du 19 juillet 2012, précitée.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 juillet 2012, inscrite sous le numéro 30962 du rôle, les consorts … ont introduit un recours en annulation contre la décision ministérielle du 19 juillet 2012.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 31 juillet 2012, inscrite sous le numéro 30983 du rôle, les consorts … ont encore introduit une demande en institution d’une mesure de sauvegarde par rapport à la même décision.
Les demandeurs soutiennent que l’exécution de la décision attaquée risquerait de leur causer un préjudice grave et « irréparable » et que les moyens invoqués à l’appui de leur recours au fond seraient sérieux.
Au titre du préjudice grave et « irréparable », les demandeurs exposent que leur refoulement vers leur pays d’origine leur causerait un préjudice grave et « irréparable » dans la mesure où l’avenir de leur enfant … serait sérieusement mis en jeu par ce refoulement et ils invoquent à cet égard un certificat établi le 30 juillet 2012 par Madame …, psychologue au ….
Ils ajoutent qu’un retour dans leur pays d’origine risquerait d’aggraver l’état psychique de leur enfant …, ainsi que de tous les membres de leur famille en raison des traumatismes et mauvais traitements qu’ils y auraient subis. Ils précisent que l’état psychique de leur enfant … nécessiterait « des soins particuliers au sens du droit de l’enfant, notamment celui de la Convention de New-York ». Ils font encore valoir que l’exécution de la décision litigieuse leur causera un préjudice grave et définitif au regard de leur droit à un recours effectif.
Au titre des moyens d’annulation, les demandeurs déclarent que le caractère sérieux des moyens invoqués résulterait à suffisance du recours et font référence à une copie de leur recours au fond annexé à leur requête en institution d’une mesure provisoire. Ils énumèrent ensuite ces moyens qui sont les suivants : la violation de l’article 78 (3) de la loi du 29 août 2008 ; la violation du principe de la confiance légitime ; la violation du « principe du droit acquis » ; la violation du « principe de la proportionnalité de la décision entreprise » ; la violation de la « Convention de New-York relative aux droits de l’enfant » ; la violation de l’article 39 de la loi du 29 août 2008 ; la violation de « l’article 100 a) et c) de la loi du 1er juillet 2011 modifiant la loi modifiée du 29 août 2008 relative à la libre circulation et immigration et la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection » ; la violation des « principes généraux régissant les rapports entre les administrations et les administrations ».
Le délégué du gouvernement soutient en substance que les conditions requises pour justifier une mesure provisoire ne seraient pas remplies.
En vertu de l’article 11 (2) de la loi du 21 juin 1999, un sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.
Une mesure de sauvegarde, prévue à l’article 12 de la loi du 21 juin 1999, requiert, sous peine de vider de sa substance l’article 11 de la loi du 21 juin 1999, les mêmes conditions tenant au sérieux des moyens et au risque d’un préjudice grave et définitif.
Une mesure de sauvegarde présente une utilité certaine pour un étranger débouté de sa demande de protection internationale obligé de quitter le territoire, et en outre débouté de sa demande de délivrance d’une autorisation de séjour, en ce qu'elle peut consister dans l'autorisation provisoire de résider sur le territoire en attendant que le juge du fond ait définitivement statué sur le mérite de son recours.
En ce qui concerne tout d’abord la condition tenant à l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif, il convient de rappeler que le risque du préjudice s’apprécie in concreto et qu’il appartient au demandeur d’apporter des éléments à cette fin.
Un préjudice est grave lorsqu'il dépasse par sa nature ou son importance les gênes et les sacrifices courants qu'impose la vie en société et doit dès lors être considéré comme une violation intolérable de l'égalité des citoyens devant les charges publiques.
Il est définitif lorsque le succès de la demande présentée au fond ne permet pas ou ne permet que difficilement un rétablissement de la situation antérieure à la prise de l'acte illégal, la seule réparation par équivalent du dommage qui se manifeste postérieurement à son annulation ou sa réformation ne pouvant être considérée à cet égard comme empêchant la réalisation d'un préjudice définitif. Pour l'appréciation du caractère définitif du dommage, il n'y a pas lieu de prendre en considération le dommage subi pendant l'application de l'acte illégal et avant son annulation ou sa réformation. Admettre le contraire reviendrait à remettre en question le principe du caractère immédiatement exécutoire des actes administratifs, car avant l'intervention du juge administratif, tout acte administratif illégal cause en principe un préjudice qui, en règle générale, peut être réparé ex post par l'allocation de dommages-
intérêts. Ce n'est que si l'illégalité présumée cause un dommage irréversible dans le sens qu'une réparation en nature, pour l'avenir, ne sera pas possible, que le préjudice revêt le caractère définitif tel que prévu par l'article 11 de la loi précitée du 21 juin 1999.
A cet égard, les demandeurs invoquent qu’en cas de leur éloignement du territoire luxembourgeois, ils ne seraient plus en mesure d’exercer leur droit à un recours effectif.
Or, il n’appert pas en quoi, et à défaut de plus de précisions fournies par les demandeurs, leur éloignement risquerait d’affecter concrètement l’exercice de leur droit à un recours effectif. En effet, ils ont d’ores et déjà déposé un recours en annulation dirigé contre la décision ministérielle litigieuse du 19 juillet 2012. En outre, il échet de souligner qu’en raison des moyens de communication actuels, il reste possible aux demandeurs de discuter avec leur avocat des éventuels problèmes qui se posent durant le déroulement de la procédure et de lui donner des instructions. Il convient également de préciser qu’un jugement d’annulation de la décision attaquée la ferait disparaître de l’ordonnancement juridique et rétablirait de la sorte la situation antérieure à sa prise et qu’en cas d’obtention de l’autorisation de séjour sollicitée, les demandeurs seront parfaitement en droit de revenir s’installer au Luxembourg.
Les demandeurs ne sauraient pas non plus être suivis en ce qu’ils soutiennent qu’un retour dans leur pays d’origine causerait un risque de préjudice grave et définitif pour leurs états psychiques et notamment celui de leur enfant ….
En effet, il ne se dégage pas à suffisance des éléments de la cause, étant relevé plus particulièrement que les pièces versées par les demandeurs relatives à l’état psychique de leur enfant … n’apparaissent à première vue comme n’étant pas suffisamment circonstanciées, que le seul fait pour les demandeurs de devoir quitter le Luxembourg, où ils ne sont installés que depuis le mois d’octobre 2011, donc depuis une période assez récente seulement, et en parfaite connaissance de la précarité de leur situation, serait de nature à compromettre gravement et irrémédiablement une situation acquise. Il convient encore de relever à cet égard qu’en présence de l’arrivée récente sur le territoire luxembourgeois d’un étranger qui se voit refuser une autorisation de séjour, les circonstances justifiant qu’il y reste en attendant la solution au fond sont essentiellement précaires, de sorte qu’un retour dans son pays d’origine en attendant que la juridiction du fond se prononce sur le mérite de son recours contre le refus de lui accorder une autorisation de séjour n’est pas de nature à lui causer un préjudice grave et définitif.
Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas établi que l’exécution de la décision de refus de délivrance d’une autorisation de séjour risque de leur causer un préjudice grave et définitif, de sorte qu’il y a lieu de les débouter de leur demande en institution d’une mesure de sauvegarde, sans encore examiner davantage la question du sérieux des moyens soulevés au fond, les conditions afférentes devant être cumulativement remplies, de sorte que la défaillance de l’une des conditions légales entraîne à elle seule l’échec de la demande.
Par ces motifs, la soussignée, juge du tribunal administratif, siégeant en remplacement des président et magistrats plus anciens en rang, tous légitimement empêchés, statuant contradictoirement et en audience publique ;
reçoit la requête en institution d'une mesure provisoire en la forme ;
au fond, la déclare non justifiée et en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 6 août 2012 par Andrée Gindt, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Andrée Gindt Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 06.08.2012 Le Greffier du Tribunal administratif 6