Tribunal administratif N° 30598 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 mai 2012 Audience publique du 24 mai 2012 Requête en institution d’une mesure de sauvegarde provisoire introduite par Madame XXX XXX et son époux, Monsieur XXX XXX XXX, XXXXX contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, en matière d’autorisation de séjour en qualité de membre de famille
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ORDONNANCE
Vu la requête inscrite sous le numéro 30598 du rôle et déposée le 18 mai 2012 au greffe du tribunal administratif par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame XXX XXX, née le XX XXX XXXX à XXX (XXX) et de son époux, Monsieur XXX XXX XXX, né le XX XXX XXXX à XXX (XXX), tous les deux de nationalité XXXX, demeurant actuellement ensemble à XXXX XXXX, XX, rue XX XXXX, tendant à voir ordonner une mesure provisoire consistant en un sursis à exécution d’une mesure d’éloignement située dans le cadre d’une décision attribuée au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration (en fait il s’agit d’une décision prise par le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration) du « XX » XXX XXXX (en fait il s’agit d’une décision du XX XXX XXXX), par laquelle la demande en obtention d’une autorisation de séjour en qualité de membre de famille dans le chef de Monsieur XXX a été rejetée, un recours en annulation dirigé contre la même décision, inscrit sous le numéro 30597, introduit le 18 mai 2012, étant pendant devant le tribunal administratif ;
Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Maître Yvette NGONO YAH et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du XX XXX XXXX.
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Le XX XXX XXXX, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé le « ministre », informa le mandataire de Madame XXX XXX et de son époux, Monsieur XXX XXX XXX, de ce que leur demande en obtention d’une autorisation de séjour en qualité de membre de famille dans le chef de Monsieur XXX avait été rejetée. La décision en question est libellée comme suit :
« (…) Maître, J’ai l'honneur d'accuser bonne réception de votre courrier du XX XXX XXXX reprenant l'objet sous rubrique.
Je suis toutefois au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête. En effet, la demande de regroupement familial est irrecevable, alors qu'en application de l'article 73, paragraphe (4) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration la demande est introduite [et] (…) examinée alors que les membres de famille résident à l'extérieur du pays.
A titre subsidiaire, je vous signale que conformément à l'article 69, paragraphe (1) de loi du 29 août 2008 précitée, le ressortissant de pays peut demander le regroupement familial des membres de famille définis à l'article 70 s'il rapporte la preuve qu'il dispose de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d'aide sociale.
Conformément à l'article 6, paragraphe (1) du règlement modifié grand-ducal du 5 septembre 2008 définissant les critères de ressources et de logement prévus par la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration, le niveau des ressources du regroupant est apprécié par référence à la moyenne du taux mensuel du salaire social minimum d'un travailleur non-qualifié sur une durée de douze mois. Or, votre mandante ne dispose pas de ressources stables, régulières et suffisantes au sens de l'article 69, paragraphe (1) de loi du 29 août 2008 précitée.
Par conséquent, en application de l'article 101, paragraphe (1), point 1. de la loi du 29 août 2008 précitée, l'autorisation de séjour est refusée à l'époux de votre mandante.
Sur base d'un titre de séjour en cours de validité délivré par les autorités XXXX, Monsieur XXX XXX XXX a le droit de séjourner sur le territoire luxembourgeois pour une période allant jusqu'à trois mois sur une période de six mois s'il remplit les conditions fixées à l'article 34 de la loi du 29 août 2008 précitée.
Au cas où il séjournerait sur le territoire au-delà de la durée de trois mois sur une période de six mois, son séjour est considéré comme irrégulier, conformément à l'article 100, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi du 29 août 2008 précitée et en application de l'article 111, paragraphe (3) c), points 1. et 2., il est invité à quitter le territoire (…) sans délai, soit à destination du pays dont il a la nationalité, le XXX, soit à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité, soit à destination d'un autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner.
A défaut de quitter le territoire volontairement, l'ordre de quitter sera exécuté d'office et il sera éloigné par la contrainte.
Je vous prie, Maître, de croire en l'expression de mes sentiments distingués. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 mai 2012, inscrite sous le numéro 30597 du rôle, Madame XXX et son époux, Monsieur XXX, ont introduit un recours en annulation contre cette décision ministérielle du XX XXX XXXX. Par requête séparée, déposée le même jour, inscrite sous le numéro 30598 du rôle, ils ont encore introduit une demande auprès du président du tribunal administratif tendant à voir ordonner, en application des articles 11 ou 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, un sursis à exécution de toute mesure d’éloignement de Monsieur XXX jusqu'au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite de leur recours au fond.
Les demandeurs soutiennent que l’exécution de la décision attaquée risquerait de leur causer un préjudice grave et définitif et que les moyens invoqués à l’appui de leur recours au fond seraient sérieux.
Dans le cadre de leur recours au fond, les demandeurs exposent en premier lieu que Madame XXX serait entrée sur le territoire luxembourgeois le XX XXX XXXX pour formuler une demande d'asile, laquelle demande aurait été définitivement rejetée par un arrêt de la Cour administrative du XX XXX XXXX ; que depuis XXXX, elle bénéficierait d’un statut de tolérance avec délivrance d’une autorisation de séjour mention « vie privée » ; que depuis XXXX, elle bénéficierait aussi d’un permis de travail, lui permettant de se procurer un revenu mensuel net d’environ XXXX.- € et que Monsieur XXX, avec lequel Madame XXX se serait mariée le X XXX XXXX, serait détenteur d'une carte de séjour délivrée par les autorités XXXX et venant à expiration le XX XXX XXXX et qu’il séjournerait au Luxembourg depuis le mois de XXXX XXXX.
Les demandeurs estiment que l’on ne saurait leur opposer le fait de ne pas avoir introduit leur demande de regroupement familial à partir de l’étranger, au motif que « la présence du sieur XXX sur le territoire national et le fait de son mariage avec la dame XXX, même en l'absence d'autorisation de séjour dans le chef de la partie requérante sub2), constitue un regroupement partiel devant amener l'autorité administrative à lui octroyer le titre sollicité ». Ils ajoutent encore que l’article 73 paragraphe 5 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration autoriserait le ministre dans des cas exceptionnels dûment motivés d’accepter une demande formulée par des membres de famille résidant d’ores et déjà au Luxembourg et ils font valoir que Monsieur XXX serait entré légalement au pays. Ils relèvent par ailleurs que Madame XXX souffrirait d’une pathologie grave.
Ils font encore valoir que le refus ministériel constituerait une ingérence injustifiée et disproportionnée dans leur vie privée ou familiale et contreviendrait de la sorte à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.
En ce qui concerne le motif de rejet supplémentaire pris de l'absence de ressources stables, régulières et suffisantes, les demandeurs soutiennent qu’en ne frappant que les « étrangers », l’exigence afférente aurait un caractère discriminatoire, étant relevé que le salaire minimum d'un travailleur non-qualifié luxembourgeois ou ressortissant européen, placé dans la même situation, serait qualifié de suffisant pour vivre dans des conditions acceptables.
Pour le surplus, le reproche afférent ne serait pas suffisamment motivé pour leur permettre de prendre utilement position, dès lors que le ministre ne préciserait pas ce qui ferait défaut dans la situation financière de Madame XXX.
En outre, ils font valoir que Madame XXX disposerait d’un permis de travail ; qu’elle n’aurait jamais touché d'aides du service social et qu’un revenu mensuel brut d’environ XXXXX.- € (XXXX.- € net), avec pour seule charge un loyer de XXXX.- €, devrait être considéré comme constituant des moyens de subsistance suffisants.
Le délégué du gouvernement soutient qu’il n’existerait aucun risque de préjudice grave et définitif et que les moyens d’annulation soulevés ne seraient pas de nature à invalider la légalité de la décision attaquée.
En vertu de l'article 11 (2) de la loi précitée du 21 juin 1999, le sursis à exécution ne peut être décrété qu'à la double condition que, d'une part, l'exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d'autre part, les moyens invoqués à l'appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l'affaire est en état d'être plaidée et décidée à brève échéance.
Un sursis à exécution ne se conçoit pas par rapport à une décision négative, portant rejet d’une prétention, un tel sursis ne pouvant alors pas avoir d’effet utile. Il s’ensuit que dans la mesure où la décision sous examen porte refus d’accorder à Monsieur XXX une autorisation de séjour en qualité de membre de famille, elle constitue une décision négative dont la suspension de son exécution n’est pas de nature à apporter aux demandeurs un quelconque effet utile. Il s’ensuit qu’il y a lieu de déclarer irrecevable la demande tendant au sursis à exécution de la décision ministérielle litigieuse.
En revanche, une mesure de sauvegarde, prévue à l’article 12 de la loi précitée du 21 juin 1999, disposition encore expressément visée par les demandeurs et requérant les mêmes conditions tenant au sérieux des moyens et au risque d’un préjudice grave et définitif, est possible à l’égard d’une décision de refus de délivrance d’une autorisation de séjour, de sorte qu’il y a lieu d’examiner la demande en ce qu’elle tend encore en substance à voir autoriser provisoirement Monsieur XXX à séjourner au Luxembourg, par rapport aux exigences de la disposition en question.
En ce qui concerne tout d’abord la condition tenant à l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif, il convient de rappeler que le risque du préjudice s’apprécie in concreto et qu’il appartient au demandeur d’apporter des éléments à cette fin.
Un préjudice est grave lorsqu'il dépasse par sa nature ou son importance les gênes et les sacrifices courants qu'impose la vie en société et doit dès lors être considéré comme une violation intolérable de l'égalité des citoyens devant les charges publiques.
Il est définitif lorsque le succès de la demande présentée au fond ne permet pas ou ne permet que difficilement un rétablissement de la situation antérieure à la prise de l'acte illégal, la seule réparation par équivalent du dommage qui se manifeste postérieurement à son annulation ou sa réformation ne pouvant être considérée à cet égard comme empêchant la réalisation d'un préjudice définitif. - Pour l'appréciation du caractère définitif du dommage, il n'y a pas lieu de prendre en considération le dommage subi pendant l'application de l'acte illégal et avant son annulation ou sa réformation. Admettre le contraire reviendrait à remettre en question le principe du caractère immédiatement exécutoire des actes administratifs, car avant l'intervention du juge administratif, tout acte administratif illégal cause en principe un préjudice qui, en règle générale, peut être réparé ex post par l'allocation de dommages-
intérêts. Ce n'est que si l'illégalité présumée cause un dommage irréversible dans le sens qu'une réparation en nature, pour l'avenir, ne sera pas possible, que le préjudice revêt le caractère définitif tel que prévu par l'article 11 de la loi précitée du 21 juin 1999.
A cet égard, les demandeurs se bornent à invoquer qu’en cas d’éloignement de Monsieur XXX du territoire luxembourgeois, ils ne seraient plus en mesure de faire valoir leurs droits dans le cadre de leur recours au fond et qu’un succès de l’affaire au fond risquerait de rester sans effet utile, dès lors que Monsieur XXX sera « très loin du territoire luxembourgeois ».
Or, il n’appert pas en quoi l’éloignement de Monsieur XXX risquerait d’affecter concrètement l’exercice des droits de la défense des demandeurs. En effet, il convient non seulement de retenir qu’en cas d’éloignement du demandeur, la demanderesse restera en droit de continuer à séjourner au pays et qu’elle pourra de la sorte veiller à la sauvegarde de leurs intérêts communs, mais encore et surtout qu’avec les moyens de télécommunications modernes un contact régulier avec un mandataire luxembourgeois paraît parfaitement possible, que ce soit à partir de la Hongrie ou même à partir du pays d’origine de Monsieur XXX.
Les demandeurs ne sauraient pas non plus être suivis en ce qu’ils soutiennent qu’un succès de l’affaire au fond resterait sans effet utile, étant donné qu’un jugement d’annulation de la décision attaquée la ferait disparaître de l’ordonnancement juridique et rétablirait de la sorte la situation antérieure à sa prise et qu’en cas d’obtention de l’autorisation de séjour sollicitée, l’intéressé sera parfaitement en droit de revenir s’installer au Luxembourg. En tout cas, il ne se dégage pas à suffisance des éléments de la cause que le seul fait pour Monsieur XXX de devoir quitter le Luxembourg, où il n’est installé que depuis le mois de février 2011 et en parfaite connaissance de la précarité de sa situation, et de retourner soit en XXX où, il semble encore pour l’instant disposer d’une autorisation de séjour, soit dans son pays d’origine, serait de nature à compromettre gravement et irrémédiablement une situation acquise.
Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas établi que l’exécution de la décision de refus de séjour risque de leur causer un préjudice grave et définitif, de sorte qu’il y a lieu de les débouter de leur demande en institution d’une mesure de sauvegarde, sans encore examiner davantage la question du sérieux des moyens soulevés au fond, les conditions afférentes devant être cumulativement remplies, de sorte que la défaillance de l’une des conditions légales entraîne à elle seule l’échec de la demande.
Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique ;
déclare irrecevable la demande principale tendant au sursis à exécution ;
reçoit la demande subsidiaire en octroi d’une mesure de sauvegarde en la forme ;
au fond, la déclare non justifiée et en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 24 mai 2012 par M. CAMPILL, président du tribunal administratif, en présence de M. RASSEL, greffier.
RASSEL CAMPILL 6