Tribunal administratif N° 28625 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 mai 2011 1re chambre Audience publique du 7 mai 2012 Recours introduit par la société MAY CONSTRUCTION GmbH, Wecker, contre une décision de l’administration communale de Schifflange, en présence de la société REISERBANN PEINTURE ET DECORATION s. à r. l., Crauthem, en matière de marchés publics
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JUGEMENT
Vu la requête introduite le 17 mai 2011 sous le numéro du rôle 28625 au greffe du tribunal administratif par Maître Canan CETIN, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée de droit luxembourgeois MAY CONSTRUCTION GmbH, établie et ayant son siège social à L-6868 Wecker, 7, Am Scheerleck, inscrite auprès du Registre de Commerce et des Sociétés de Luxembourg sous le numéro B 154080, représentée par ses gérants actuellement en fonctions, tendant à l’annulation d’une décision du collège des bourgmestre et échevins de la commune de Schifflange du 29 avril 2011 de ne pas lui attribuer le marché public ayant trait à l’exécution des travaux de mise en application de peinture dans le cadre du projet de construction de la Maison des Générations à Schifflange et d’attribuer ledit marché à la société REISERBANN PEINTURE ET DECORATION s. à r. l., établie et ayant son siège social à L-3327 Crauthem, 4, Zone Industrielle Am Bruch, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg, sous le numéro B 105121, représentée par son gérant actuellement en fonctions ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Véronique REYTER, en remplacement l’huissier de justice Jean-Claude STEFFEN, immatriculée près le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, du 17 mai 2011, portant signification de ce recours en annulation à l’administration communale de Schifflange représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonctions, signifié en la personne de son bourgmestre, ainsi qu’à la société à responsabilité limitée REISERBANN PEINTURE ET DECORATION, préqualifiée ;
Vu le mémoire en réponse déposé le 10 octobre 2011 par Maître Steve HELMINGER pour le compte de l’administration communale de Schifflange, notifié le même jour à Maître Canan CETIN ;
Vu le mémoire en réplique, erronément qualifié de « mémoire en réponse », déposé le 8 novembre 2011 par Maître Canan CETIN au greffe du tribunal administratif pour le compte de la partie demanderesse, notifié le 7 novembre 2011 ;
Vu le mémoire en duplique déposé le 21 novembre 2011 par Maître Steve HELMINGER pour le compte de l’administration communale de Schifflange, notifié le même jour à Maître Canan CETIN;
Vu les pièces versées et notamment la décision attaquée ;
Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Canan CETIN et Maître Steve HELMINGER en leurs plaidoiries respectives à l’audience du 23 avril 2012.
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La commune de Schifflange lança un appel d’offre pour des travaux de mise en application de peinture à exécuter dans le cadre du projet de construction de la Maison des Générations à Schifflange.
La société à responsabilité limitée MAY CONSTRUCTION GmbH, ci-après « la société MAY CONSTRUCTION », déposa en date du 1er février 2011 une offre dans le cadre de cette soumission.
Par courrier recommandé du 11 avril 2011, l’administration communale de Schifflange informa la société MAY CONSTRUCTION de sa décision de ne pas retenir son offre qui ne répondrait pas aux dispositions de la législation sur les marchés publics, ladite décision étant libellée comme suit :
« Par la présente, nous tenons à vous informer que l’analyse des offres a montré que votre offre ne répond pas aux dispositions de la législation sur les marchés publics.
Nous regrettons devoir vous informer que votre offre pour les travaux susmentionnés n’a pu être retenue puisque vous ne puissiez pas confirmer l’aptitude pour les travaux prévus. Ceci pour les points suivants :
Vous n’avez pas remis de bilans, mais seulement un courrier certifiant que la production d’un bilan n’est possible étant donné que la société a été créée en juillet 2010.
Vous avez remis une autorisation d’établissement pour l’activité d’entrepreneur de construction, mais pas de peintre.
Les certificats de bonne exécution ne certifient pas des travaux de peinture et date de 2005/2006.
Les projets figurant sur la liste des références ont été achevés entre 2000 et 2006 et ne concernent pas des travaux de peinture.
Vos certificats et références datent d’une période où votre société n’existait pas encore.
Conformément aux dispositions de l’article 5 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, il vous est loisible de présenter vos observations au collège des bourgmestre et échevins.
En application de l’article 14 du même règlement grand-ducal du 8 juin 1979, nous vous informons que vous avez également la possibilité d’introduire un recours en annulation auprès du tribunal administratif contre la décision d’adjudication par requête signée d’un avocat à la cour dans un délai de trois mois à partir de la notification de la présente (…) » Par courrier recommandé du 21 avril 2011 adressé à l’administration communale de Schifflange, la société MAY CONSTRUCTION contesta le rejet de son offre, réclamation à laquelle le collège des bourgmestre et échevins répondit par courrier du 29 avril 2011, libellé comme suit :
« Par la présente, et conformément au règlement grand-ducal portant exécution de la loi sur les marchés publics, nous sommes au regret de vous informer que nous maintenons notre position quant à la passation du marché à l’entreprise Reiserbann.
En effet, même si vous avez fourni en date du 22 avril 2011 l’autorisation d’établissement pour l’activité de peintre-décorateur, vous avez largement dépassé le délai de 15 jours fixé par le règlement grand-ducal qui commençait à courir à partir du 17 février 2011 où le bureau Team 31 vous avait invité par courrier recommandé avec accusé de réception de remettre ce document.
En plus, en réponse à la demande de remettre toutes les pièces administratives pour toutes les sociétés de votre groupe, vous certifiez par votre lettre du 7 mars 2011 que votre entreprise MAY Construction GmbH est une entreprise juridiquement indépendante. Ainsi, toutes les références de EosBerlin, qui par ailleurs ne concernent pas des travaux de peinture, ne peuvent pas être retenues pour certifier votre aptitude de réaliser ce projet.
En outre, comme déjà précisé dans notre lettre du 11 avril 2011, vos certificats de bonne exécution sont invalides puisqu’ils ne peuvent pas prouver la bonne exécution de travaux réalisés par la société Maycon puisque la société n’existait pas encore dans les années en question.
Ainsi et en application de l’article 14 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, nous vous informons que vous avez la possibilité d’introduire un recours en annulation auprès du tribunal administratif contre la décision d’adjudication par requête signée d’un avocat à la cour dans un délai de trois mois à partir de la notification de la présente (…) ».
En date du même jour, le collège des bourgmestre et échevins adressa à la société à responsabilité limitée REISERBANN PEINTURE ET DECORATION une commande définitive relative à l’offre lui adressée par ce soumissionnaire.
La société MAY CONSTRUCTION a dès lors déposé en date du 17 mai 2011 un recours en annulation à l’encontre de la décision de rejet définitif de son offre.
La société à responsabilité limitée REISERBANN PEINTURE ET DECORATION, quoique valablement informée par la signification de la requête introductive d’instance de la demanderesse, n’a pas fait déposer de mémoire en réponse. Nonobstant ce fait, le tribunal statue néanmoins contradictoirement à l’égard de toutes les parties, en vertu de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.
La loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics ne prévoyant pas la possibilité d’exercer un recours en réformation, seul un recours en annulation est possible contre la décision querellée. Le tribunal est dès lors compétent pour connaître du recours en annulation lui déféré, ledit recours en annulation étant encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Avant d’aborder l’analyse des moyens développés au fond, le tribunal, statuant en formation collégiale, doit rappeler qu’il n’est en l’espèce pas saisi d’une requête en sursis à exécution sinon en instauration d’une mesure de sauvegarde, requête dont le bien-fondé est soumis conformément aux articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Or, le tribunal doit toutefois constater que la requête introductive d’instance est libellée comme si elle tendait à obtenir par-devant le président du tribunal administratif statuant au provisoire un sursis à exécution sinon une mesure de sauvegarde, c’est-à-dire qu’elle est articulée, après un rappel des faits, autour, d’une part, d’un exposé relatif au « caractère sérieux des moyens invoqués à l’appui du recours au fond » et, d’autre part, de développements relatifs « au risque d’un préjudice grave et définitif », développements qui doivent être écartés pour ne pas être pertinents dans le cadre d’un recours en annulation.
Quant à l’argumentation relative au « caractère sérieux des moyens invoqués à l’appui du recours au fond », le tribunal procédera à son analyse, indépendamment de cette présentation impropre, en considérant qu’il s’agit en fait directement de l’argumentation de fond de la partie demanderesse. Aussi, le tribunal, saisi d’un recours en annulation, vérifiera si les motifs sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et contrôlera si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés.
Dans ce contexte, la société MAY CONSTRUCTION fait d’abord valoir qu’en ce qui concerne le grief lui opposé d’une communication tardive de l’autorisation d’établissement pour l’activité de peintre-décorateur, que la personne en charge du dossier aurait joint par erreur au dossier de soumission l’autorisation d’établissement pour l’activité d’entrepreneur de construction au lieu de l’autorisation pour l’activité de peintre-décorateur, ce qui constituerait une simple erreur matérielle.
Elle donne à considérer que l’objectif de la demande du pouvoir adjudicateur d’une copie de l’autorisation d’établissement était de vérifier que les soumissionnaires disposaient effectivement d’une autorisation valable d’établissement pour l’activité de peintre, ce qui serait le cas de la société MAY CONSTRUCTION.
La demanderesse expose ensuite que la décision de rejet de son offre au vu de cette erreur matérielle serait contraire à l’objectif du législateur qui aurait non seulement été de donner d’un côté un cadre législatif et réglementaire strict aux marchés publics mais également de permettre une bonne efficacité dans le cadre des soumissions publiques, la demanderesse se prévalant à cet égard d’un arrêt du Conseil d’Etat français qui tendrait à abandonner sa position rigoriste en matière de passation des marchés publics, en ayant notamment retenu qu’un candidat ne saurait être valablement éliminé au motif qu’il a inclus par erreur dans l’enveloppe relatives aux candidatures, une pièce exigée à l’appui des offres, dès lors que l’essentiel est que cette pièce ait été produite.
Elle en conclut dès lors qu’elle n’aurait pas pu être valablement éliminée pour avoir présenté à contretemps une pièce qui ne faisait pas partie de l’offre et n’aurait dû être présenté qu’après la passation du marché sur demande du pouvoir adjudicateur, la demanderesse en particulier craignant que l’éviction de candidats pour de telles erreurs vénielles ne soit finalement contre-productive et ne paralyse le libre jeu de la concurrence.
En ce qui concerne le second motif de rejet de son offre, à savoir l’invalidité alléguée des certificats de bonne exécution, la société MAY CONSTRUCTION expose avoir été constituée le 6 juillet 2010, de sorte à n’avoir pas encore finalisé de chantier en matière de peinture. Dès lors, elle aurait indiqué des références et des certificats de bonne exécution relatifs à l’activité antérieure de ses gérants et aux chantiers qu’ils auraient dirigés dans le cadre d’autres sociétés, ce qui expliquerait que la société MAY CONSTRUCTION aurait communiqué des références et certificats relatifs aux travaux exécutés par ses gérants dans le cadre de la société EOS BUILDING & CONSTRUCTION GmbH. Elle relève encore que l’argument de l’administration communale de Schifflange tiré de l’indépendance entre les sociétés MAY CONSTRUCTION et EOS BUILDING & CONSTRUCTION GmbH pour fonder son refus de la validité de ces certificats et références serait erroné, l’indépendance entre les sociétés étant une notion économique, alors qu’il s’agirait en l’espèce de la compétence professionnelle des personnes qui composent les entités économiques en question. Enfin, elle considère que la question de l’appréciation des capacités techniques des entreprises récentes qui seraient de facto dans l’impossibilité de présenter des références devrait se faire au travers de l’appréciation de l’expérience des capacités des personnes qui seraient affectées à la réalisation du projet, ce qui aurait été confirmé par un arrêt du Conseil d’Etat français.
En ce qui concerne le premier moyen de la demanderesse, relatif à la communication tardive de l’autorisation d’établissement pour l’activité de peintre, le tribunal constate, de concert avec l’administration communale, que l’obligation de communiquer cette autorisation résulte de l’article 1.9. des clauses contractuelles générales du dossier de soumission, lequel prévoit « aucune adjudication ne peut avoir lieu au profit d’un soumissionnaire dont les attestations et certificats repris sub 1.9. n’ont pas été fournis de façon complète dans les délais. A moins qu’elles n’aient été jointes à l’offre, les pièces justificatives énumérées sub 1.9.1., 1.9.2., 1.9.3. et 1.9.4. sont à produire par le soumissionnaire, sous peine de l’exclusion de son offre, dans un délai de 15 jours à courir à partir de la réception de la demande y relative par lettre recommandée avec accusé de réception du pouvoir adjudicateur », l’article 1.9.2. exigeant plus particulièrement la preuve de l’habilitation à exercer l’activité professionnelle par la communication du certificat d’inscription au registre professionnelle ou au registre de commerce dans les conditions prévues par la législation du lieu d’établissement du soumissionnaire.
Il convient encore de relever, outre que l’article 1.9. précité impose la communication de cette habilitation, soit directement avec l’offre afférente, soit endéans un délai de rigueur de 15 jours après que le pouvoir adjudicataire en ait fait la demande, que l’article 71 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 portant exécution de la loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics portant modification du seuil prévu à l’article 106.10° de la loi communale du 13 décembre 1988 prévoit explicitement que « les offres qui ne satisfont pas aux conditions du cahier spécial des charges (…) sont éliminées ».
En l’espèce, il est constant en cause qu’après avoir déposé son offre en date du 1er février 2011 la société MAY CONSTRUCTION s’est vue adresser le 17 février 2011 un courrier recommandé du bureau d’architecture chargé par l’administration communale de vérifier les offres, lui demandant de fournir un certificat d’inscription au registre professionnel relatif aux travaux mis en adjudication, un extrait du casier judiciaire, une copie des polices d’assurance responsabilité civile et professionnelle, ses bilans et comptes pertes et profits, les certificats attestant que l’entrepreneur est en règle avec ses obligations de déclaration et de paiement des cotisations de sécurité sociale, une liste de références des projets exécutés au cours des cinq dernières années, de même qu’un relevé de son effectif, et ce « jusqu’au lundi 07 mars 2011 sous peine d’exclusion de votre offre ».
Si la société MAY CONSTRUCTION a fourni par courrier daté du 7 mars 2011 -
donc en tout état de cause déjà en-dehors du délai lui imparti, la date limite de remise devant être interprétée comme étant la date de remise au pouvoir adjudicateur, respectivement à son représentant, et ce notamment en vertu de l’article 62 du règlement grand-ducal précité du 3 août 20091 - la plupart des documents requis, elle a fait savoir qu’en ce qui concerne l’autorisation d’établissement faisant défaut, que « die autorisation d’établissement für Malerarbeiten können wir Ihnen nicht zukommen lassen, da wir sie momentan nicht auffinden können. Wir haben bereits eine neue beim Ministère des Classes Moyennes et du Tourisme aufgefordert, die wir Ihnen selbstverständlich sofort nach Erhalt zukommen lassen werden ».
Il est encore constant en cause que la société MAY CONSTRUCTION n’a finalement fait parvenir l’habilitation exigée qu’en date du 21 avril 2011, et ce dans le cadre de sa réclamation dirigée contre la décision de rejet de son offre du 11 avril 2011.
Il s’ensuit que comme la société MAY CONSTRUCTION n’a pas fourni le document réclamé endéans le délai lui imparti, le collège des bourgmestre et échevins a valablement pu écarter son offre comme n’étant pas conforme aux stipulations du cahier des charges.
Si la société MAY CONSTRUCTION fait certes plaider qu’il ne s’agirait en l’espèce que d’une erreur matérielle, due à l’erreur de la personne en charge du dossier qui aurait joint à l’offre l’autorisation d’établissement pour l’activité d’entrepreneur de construction au lieu de l’autorisation pour l’activité de peintre-décorateur, il résulte toutefois tant du courrier du 7 mars 2011 de la demanderesse que de la date de délivrance de l’autorisation d’établissement litigieuse, à savoir le 19 avril 2011, que la demanderesse ne disposait pas, à la date d’établissement de son offre, de l’autorisation professionnelle requise, la demanderesse ayant dû se faire délivrer une telle autorisation après l’ouverture de la soumission, de sorte que l’explication avancée par la demanderesse doit être écartée pour être contredite par ses propres pièces.
En tout état de cause, il convient encore de relever que le fait que la société MAY CONSTRUCTION ait le cas échéant pallié au défaut d’autorisation d’établissement pour l’activité de peintre-décorateur postérieurement à l’ouverture de la soumission et à la décision du collège des bourgmestre et échevins d’écarter son offre, n’est pas pertinent, l’article 82 du règlement grand-ducal précité du 3 août 2009 prévoyant le rejet d’une offre lorsque le soumissionnaire n’a pas répondu à la demande du pouvoir adjudicateur dans le délai imparti ;
ce qui est le cas en l’espèce.
1 Voir à ce sujet trib. adm. 30 janvier 2012, n° 27910, disponible sous www.ja.etat.lu.
Par ailleurs, la prise en compte éventuelle par le collège des bourgmestre et échevins d’un document fourni tardivement, en-dehors des délais prévus sous peine de forclusion, aurait été de nature à vicier la procédure de soumission de manière substantielle, alors que les critères retenus dans le cahier des charges lient le pouvoir adjudicateur qui ne saurait ni ajouter d’autres critères que ceux énoncés, ni dispenser un ou plusieurs des soumissionnaires de l’obligation énoncée au cahier des charges moyennant une dérogation personnelle, sous peine de porter atteinte aux règles de la concurrence loyale ainsi qu’au principe de l’égalité des soumissionnaires2.
Par ailleurs, et à titre tout à fait superfétatoire, le tribunal tient à relever que l’autorisation d’établissement pour l’activité de peintre-décorateur délivrée en date du 19 avril 2011 n’aurait en tout état de cause pas été de nature à rencontrer l’exigence inscrite à l’article 1.9.2 du cahier spécial des charges, précité, ladite autorisation ayant en effet été émise sous la condition explicite « que […] la gérance est assurée par THONNES JÜRGEN » : or, il résulte à ce sujet de l’extrait du registre de commerce et des sociétés fourni par la société MAY CONSTRUCTION en annexe à sa réclamation du 21 avril 2011 que le dénommé Jürgen THONNES n’était pas gérant de la société, les seuls gérants y indiqués étant Messieurs Mustafa YAPRAK et Hans-Friedrich STIEFERMANN, de sorte que la société MAY CONSTRUCTION ne pouvait même pas se prévaloir valablement post festum de l’autorisation d’établissement pour l’activité de peintre-décorateur.
En ce qui concerne le second moyen de la demanderesse, auquel le tribunal ne répondra qu’à titre superfétatoire, la décision de rejet du collège des bourgmestre et échevins étant valablement justifiée en fait et en droit par le constat de l’absence d’habilitation professionnelle pour exercer l’activité concernée de peinture, le tribunal relève que la demanderesse entend se prévaloir de références d’une autre société, à savoir la société allemande EOS BUILDING & CONSTRUCTION GmbH, d’une part en affirmant que ses gérants actuels auraient dirigé les chantiers dans le cadre de la société allemande EOS BUILDING & CONSTRUCTION GmbH, et d’autre part en insistant que les personnes physiques qui la composeraient actuellement auraient suffisamment prouvé leurs compétences, puisqu’elle n’aurait pu obtenir d’autorisation d’établissement dans l’activité de peintre qu’au vu du fait que la personne ayant demandé l’autorisation et la société seraient suffisamment compétentes pour le ministère des Classes Moyennes.
Or, il échet de relever que la demanderesse n’a, à l’instar du point analysé ci-avant, pas répondu aux exigences du cahier spécial des charges, lequel prévoit en son article 1.9.4.
notamment des dispositions particulières relatives aux sociétés fraîchement constituées, c’est-
à-dire dont la date d’établissement remonte à moins de cinq ans, en exigeant que celles-ci produisent trois certificats de bonne exécution pour les travaux les plus importants à partir de la date de leur établissement, la société MAY CONSTRUCTION n’ayant à cet égard versé aucun certificat relatif à des travaux qu’elle aurait mené à bonne fin, de sorte que conformément aux articles 59, 71 et 85 du règlement grand-ducal précité du 3 août 2009, le collège des bourgmestre et échevins a valablement pu écarter l’offre de la demanderesse comme n’étant pas conforme au cahier spécial des charges et comme n’ayant pas rapporté la preuve de compétence et d’expérience suffisantes pour garantir une bonne exécution des prestations dans les délais prévus.
2 Trib. adm. 12 mars 2008, n° 23133, Pas. adm. 2011, V° Marchés publics, n° 34.
Le tribunal ne saurait admettre à cet égard l’argumentation de la demanderesse selon laquelle cette clause serait discriminatoire à l’égard des sociétés récemment créées ; en effet, cette clause constitue une condition de sélection devant permettre au pouvoir adjudicateur d’évaluer et de vérifier les capacités techniques ou professionnelles des soumissionnaires :
l’objet d’une telle clause est dès lors principalement de donner l’assurance au pouvoir adjudicateur que l’expérience et les capacités techniques du soumissionnaire suffisent pour garantir la bonne exécution des travaux exigés par le marché en question. Dès lors, le fait que cette clause aboutisse au rejet d’entreprises ne disposant d’aucune expérience professionnelle avérée ne saurait être considéré discriminatoire, puisqu’il s’agit précisément du but recherché au travers de cette clause par le législateur.
Il convient ensuite de relever que si l’article 1.9.4. tel que libellé - c’est-à-dire en exigeant du soumissionnaire, même fraîchement établi, la production de trois certificats de bonne exécution - devait avoir posé le moindre problème à la société MAY CONSTRUCTION, il aurait appartenu à cette dernière de faire usage de l’article 21 du règlement grand-ducal du 3 août 2009, lequel dispose que « le soumissionnaire qui constaterait dans le dossier de soumission des ambiguïtés, erreurs ou omissions, est tenu sous peine d’irrecevabilité, de les signaler par lettre recommandée au pouvoir adjudicateur au moins sept jours avant l’ouverture de la soumission, à moins que le cahier spécial des charges ne stipule un délai plus long », et, le cas échéant, de s’enquérir de la possibilité de produire des références relatives à d’autres entreprises. Cette disposition implique l’association active de tous les soumissionnaires à l’établissement d’un dossier clair et exact garantissant une saine mise en concurrence, moyennant le droit et l’obligation des intéressés, tous des professionnels avertis, de contrôler et de vérifier soigneusement la documentation remise par le commettant et de signaler toute ambiguïté, erreur ou omission risquant d’empêcher la comparabilité des offres. Cette obligation à charge des soumissionnaires, qui peut être mise en parallèle avec l’obligation de loyauté et de collaboration entre parties telle que développée par les juridictions civiles à partir de l’article 1134 alinéa 3 du Code civil, a non seulement pour but de veiller à mettre tous les candidats soumissionnaires à égalité par rapport au cahier des charges, en clarifiant par exemple les interrogations que l’un des soumissionnaires pourrait avoir par rapport au dossier de soumission, mais encore de veiller en permettant ainsi préalablement l’évacuation des problèmes liés à la compréhension et à l’interprétation du cahier des charges, une fois les soumissions déposées, à ce que la procédure d’adjudication soit menée à bien dans les meilleurs délais dans l’intérêt de l’achèvement des travaux publics. En aucun cas n’est-il admissible que, dans un premier temps, un soumissionnaire participe à une soumission sans dire mot quant à des ambiguïtés, erreurs ou omissions qu’il a pu - ou dû - constater, pour par la suite s’en emparer et s’en prévaloir dans le cas de figure défavorable où son offre n’aurait pas été retenue3.
Factuellement, c’est à tort que la demanderesse entend tirer de la présence de l’un ou des deux de ses gérants dans la société allemande EOS BUILDING & CONSTRUCTION GmbH la preuve de ses compétences professionnelles, alors que, d’une part, les deux – sachant par ailleurs que le cahier spécial des charges en exigeait trois - certificats figurant en annexe à l’offre de la demanderesse ne permettent pas d’attribuer lesdits travaux à la société EOS BUILDING & CONSTRUCTION GmbH ni, d’autre part, à établir un quelconque lien entre cette société et l’un des gérants en exercice de la demanderesse, le fait que ces certificats soient adressés au gérant YAPRAK n’étant à cet égard clairement pas suffisant.
3 Trib. adm. 22 décembre 2006, n° 21211, Pas. adm. 2011, V° Marchés publics, n° 25.
Enfin, il ne saurait être déduit de la délivrance tardive de l’autorisation d’établissement pour l’activité de peintre-décorateur une quelconque consécration par le ministère compétent de l’expérience passée des gérants de la société MAY CONSTRUCTION, ladite autorisation d’établissement pour l’activité de peintre-décorateur ayant été, comme constaté ci-avant par le tribunal, délivrée non pas en considération des deux gérants YAPRAK et STIEFERMANN, mais de la présence exigée d’une tierce-personne, à savoir le dénommé Jürgen THONNES, au sein de la société.
Il résulte des développements qui précèdent que la décision de rejeter l’offre de la société MAY CONSTRUCTION est légalement motivée à travers les éléments retenus ci-
avant en fait et en droit, de sorte que le recours en annulation est à déclarer non fondé.
L’administration commune réclame encore l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 2.500.- euros, en insistant sur la mauvaise foi de la demanderesse, laquelle aurait maintenu son recours au fond, alors qu’elle se serait pourtant désistée de son recours introduit par-devant le président du tribunal administratif, statuant au provisoire.
Le tribunal relève toutefois à l’étude du dossier relatif au recours au provisoire que si la demanderesse a certes fait procéder à la radiation de son recours tendant à l’obtention d’un effet suspensif sinon en institution d’une mesure de sauvegarde, radiation matérialisée par ordonnance du 26 mai 2011, n° 28626 du rôle, ladite radiation était motivée par le fait que le recours afférent était devenu sans objet, l’administration communale ayant apparemment signé un contrat définitif avec la société REISERBANN PEINTURE ET DECORATION s. à r. l.. Si la signature d’un tel contrat est de nature à rendre sans objet le recours tendant précisément à éviter la conclusion définitive du contrat, elle reste cependant sans incidence sur le recours au fond, la demanderesse conservant un intérêt à rechercher l’annulation de la décision ayant rejeté son offre : le tribunal ne saurait dès lors déceler de mauvaise foi dans le seul maintien par la société MAY CONSTRUCTION de son recours au fond. Pour le surplus, il y a lieu de constater que la preuve des conditions d’application et notamment l’établissement du caractère d’iniquité résultant du fait de laisser des frais non répétibles à charge de la partie défenderesse n’ont pas été rapportées à suffisance comme étant remplies en l’espèce, de sorte qu’il y a lieu de rejeter la demande.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond le déclare non justifié et en déboute ;
rejette la demande en obtention d’une indemnité de procédure telle que formulée par l’administration communale de Schifflange ;
condamne la société MAY CONSTRUCTION aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 7 mai 2012 par :
Marc Sünnen, vice-président, Thessy Kuborn, premier juge, Paul Nourissier, juge, en présence du greffier Arny Schmit.
s.Schmit s. Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 7.5.2012 Le Greffier du Tribunal administratif 10