Tribunal administratif Numéro 27356 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 octobre 2010 Audience publique du 6 octobre 2010 Requête en sursis à exécution, sinon en institution d’une mesure de sauvegarde introduite par Madame …et par son fils, Monsieur … contre deux décisions du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de police des étrangers
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ORDONNANCE
Vu la requête déposée le 6 octobre 2010 au greffe du tribunal administratif par Maître Olivier Lang, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, veuve …, née le … à … (Monténégro), et de son fils, Monsieur …, né le … à … (Kosovo), tous les deux de nationalité kosovare, actuellement retenus au Centre d’accueil intérimaire en vue d’un départ accompagné, tendant au prononcé du sursis à exécution des décisions du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 1er octobre 2010 portant refus de séjour dans le chef de Madame …et de son fils, Monsieur …et ordre de quitter le territoire, sinon à l’institution d’une mesure de sauvegarde à leur profit, la requête s’inscrivant dans le cadre d’un recours au fond, introduit le même jour, sous le numéro 27355 du rôle, tendant à l’annulation des décisions ministérielles précitées du 1er octobre 2010 ;
Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;
Maîtres Nuria Zurita Peralta, Christine Freymuth et Guillaume Gros, en remplacement de Maître Olivier Lang, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 6 octobre 2010 à 19.05 heures.
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A la suite de l’introduction d’une demande tendant à la reconnaissance d’un statut de réfugié auprès du service compétent du ministère de la Justice en date du 27 décembre 2002, Madame …et son fils, Monsieur …se sont vus refuser la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève par une décision du ministre de la Justice du 14 août 2003 confirmée sur recours gracieux par une décision du même ministre du 27 octobre 2003. Le recours contentieux formé par Madame …et son fils, Monsieur …fut définitivement rejeté par un arrêt de la Cour administrative du 14 octobre 2004 (n° 18113C du rôle).
A la suite de l’introduction par Madame …et son fils, Monsieur …, en date du 13 juillet 2007, d’une demande tendant à la reconnaissance d’un statut de protection internationale sur base de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration refusa de faire droit à ladite demande, par sa décision du 23 novembre 2007, cette décision ayant été définitivement confirmée par un arrêt de la Cour administrative du 5 février 2009 (n° 24927C du rôle).
Par différentes décisions d’abord du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration puis du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ce dernier étant ci-après dénommé le « ministre », tant Madame …que son fils Monsieur …se virent reconnaître un statut de tolérance valable jusqu’à la date du 30 septembre 2010, la dernière prolongation dudit statut de tolérance ayant été décidée par le ministre dans sa décision du 8 mars 2010, cette même décision ayant également refusé à Madame …et à son fils, Monsieur …un sursis à l’éloignement tel que prévu par les articles 130 et 132 de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration.
Par courrier du 21 avril 2010, le ministre informa Madame …et son fils, Monsieur …de ce qu’il envisageait de procéder à la révocation du statut de tolérance ainsi accordé jusqu’au 30 septembre 2010, au motif que les circonstances de fait indépendantes de leur volonté empêchant l’exécution matérielle de leur éloignement n’existaient plus, de sorte que leur rapatriement était matériellement possible. Il est notamment fait état dans ledit courrier de ce qu’en date du 16 avril 2010 le « Department for Border Management, Asylum and Migration » du ministère des Affaires intérieures kosovare a accepté leur retour au Kosovo.
Sur recours gracieux du mandataire des consorts …-…dirigé contre la lettre précitée du 21 avril 2010, le ministre confirma, en date du 10 mai 2010, son refus quant à l’octroi d’un sursis à l’éloignement de même que la décision de révocation de leur statut de tolérance.
Par décisions séparées du 1er octobre 2010, le ministre refusa le séjour tant à Madame …qu’à Monsieur …et leur ordonna de quitter le territoire sans délai, en considération de ce qu’ils n’étaient pas en possession d’un passeport en cours de validité, qu’ils ne justifiaient pas l’objet et les conditions du séjour envisagé, qu’ils ne justifiaient pas de ressources personnelles suffisantes, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans le pays d’origine ou le transit vers un pays tiers dans lequel leur admission est garantie et qu’ils n’étaient en possession ni d’une autorisation de travail valable pour une durée supérieure à trois mois ni d’une autorisation de travail, le ministre ayant également déclaré avoir pris en considération les éléments visés à l’article 103 de la loi précitée du 29 août 2008.
Par décisions séparées du 1er octobre 2010, le ministre ordonna le placement de Madame …et de son fils, Monsieur …au Centre d’accueil intérimaire en vue d’un départ accompagné pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification des arrêtés en question, en considération des décisions précitées portant refus de séjour dans leur chef, de ce qu’ils étaient démunis de tout document de voyage valable, de ce qu’un accord de réadmission avait été délivré par les autorités kosovares en date du 16 avril 2010 et de ce que ledit placement s’imposait en attendant l’organisation du départ qui serait effectué dans les meilleurs délais.
Par requête déposée le 6 octobre 2010, inscrite sous le numéro 27355 du rôle, Madame …, veuve …, et son fils, Monsieur …ont fait introduire un recours en annulation contre les décisions du ministre du 1er octobre 2010 portant refus de séjour dans leur chef et ordre de quitter le territoire et par requête déposée le même jour, inscrite sous le numéro 27356 du rôle, ils sollicitent l’institution d’un sursis à exécution sinon l’institution d’une mesure de sauvegarde au regard des décisions en question.
A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent être de confession musulmane, parler la langue serbo-croate et avoir fui leur pays d’origine, à savoir le Kosovo, en raison des persécutions qu’ils y auraient subies.
En droit, ils estiment que l’exécution des décisions attaquées risquerait de leur causer un préjudice grave et définitif et que les moyens invoqués à l’appui de leur recours au fond seraient sérieux.
En ce qui concerne tout d’abord la condition du préjudice grave et définitif, ils soutiennent que tout éloignement remplirait cette condition, en faisant pour le surplus état des problèmes médicaux de Madame …, qui seraient de nature psychiatrique. Ils soutiennent que le fait d’être rapatriés dans leur pays d’origine enlèverait toute chance de traitement médical à Madame …, ce qui serait de nature à avoir des répercussions « très graves sur son état de santé ».
En ce qui concerne la condition de la sériosité des moyens invoqués au fond, les demandeurs soutiennent que les décisions portant refus de séjour dans leur chef violeraient l’article 103, ainsi que l’article 130 de la loi précitée du 29 août 2008.
En vertu de l’article 11 (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.
Un sursis à exécution ne se conçoit pas par rapport à une décision négative, portant rejet d’une prétention, un tel sursis ne pouvant alors pas avoir d’effet utile. Il s’ensuit que dans la mesure où les décisions sous examen portent refus de séjour dans le chef des demandeurs, elles constituent des décisions négatives dont la suspension de leur exécution n’est pas de nature à apporter aux demandeurs un quelconque effet utile. Il s’ensuit qu’il y a lieu de déclarer irrecevable la demande principale tendant au sursis à exécution des décisions portant refus de séjour.
En revanche, une mesure de sauvegarde, prévue par l’article 12 de la loi précitée du 21 juin 1999, et requérant les mêmes conditions tenant au sérieux des moyens et au risque d’un préjudice grave et définitif, est possible à l’égard d’une décision de refus de séjour, de sorte qu’il y a lieu d’examiner la demande par rapport aux exigences de la disposition en question.
En effet, il échet de rappeler que sous peine de vider de sa substance l’article 11 de la même loi, qui prévoit que le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, il y a lieu d’admettre que l’institution d’une mesure de sauvegarde est soumise aux mêmes conditions concernant les caractères du préjudice et des moyens invoqués à l’appui du recours. Admettre le contraire reviendrait en effet à autoriser le sursis à exécution d’une décision administrative alors même que les conditions posées par l’article 11 ne seraient pas remplies, le libellé de l’article 12 n’excluant pas, a priori, un tel sursis qui peut à son tour être compris comme mesure de sauvegarde.
Le recours est à déclarer recevable en ce qu’il tend à l’institution d’une mesure de sauvegarde, étant donné qu’il a été introduit dans les formes de la loi.
Concernant le préjudice grave et définitif, il échet de rappeler que pour l’appréciation du caractère définitif du dommage, il n’y a pas lieu de prendre en considération le dommage subi pendant l’application de l’acte illégal et avant son annulation ou sa réformation. Admettre le contraire reviendrait en effet à remettre en question le principe du caractère immédiatement exécutoire des actes administratifs, car avant l’intervention du juge administratif, tout acte administratif illégal cause en principe un préjudice qui, en règle générale, peut être réparé ex post par l’allocation de dommages et intérêts. Ce n’est que si l’illégalité présumée cause un dommage irréversible dans le sens qu’une réparation en nature, pour l’avenir, un rétablissement de la situation antérieure, ne sera pas possible, que le préjudice révèle le caractère définitif tel que prévu par l’article 11 de la loi précitée du 21 juin 1999 (cf. trib. adm. prés. 28 mai 2001, n° 13446 du rôle, Pas. adm. 2009, V° Procédure contentieuse, n° 444 et autres références y citées).
Quant à l’état de santé de Madame …, il échet de relever que les demandeurs soutiennent que Madame …serait en train de suivre un traitement d’ordre psychiatrique et ils se réfèrent à cet effet à un certificat médical établi en date du 4 octobre 2010 par un médecin spécialiste suivant lequel Madame …« souffre d’une dépression qui entraîne des troubles neuropsychologiques et des céphalées de tension », le médecin ayant encore précisé qu’« elle souffre d’une tumeur intracrânienne bénigne asymptomatique qu’il faut contrôler régulièrement par scanner cérébral (prochain contrôle dans 1 an environ) », ledit médecin ayant conclu qu’« un suivi régulier en neurologie est nécessaire ».
En dates des 23 février et 3 mai 2010, le médecin chef de service du service médical de l’immigration de la direction de la Santé relevant du ministère de la Santé émetta à chaque fois l’avis que Madame …« ne nécessite pas une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour elle des conséquences d’une exceptionnelle gravité », ledit médecin ayant par ailleurs été d’avis qu’elle « ne remplit pas les conditions médicales pour bénéficier d’un sursis à l’éloignement », au vu de ce que « la pathologie neuro-psychiatrique de Mme …-… n’est pas de nature à engager le pronostic vital ou fonctionnel » et que « le traitement de la maladie de Mme …-… peut être réalisée dans le pays d’origine ».
Il ressort de l’ensemble des éléments et certificats médicaux qui précèdent que les demandeurs n’ont pas établi que l’état de santé de Madame …serait mis en danger du fait de son rapatriement vers son pays d’origine, à savoir le Kosovo. Ainsi, il n’a pas été établi ni même soutenu que son rapatriement lui-même serait de nature à porter atteinte à son état de santé ni que les infrastructures sanitaires et médicales de son pays d’origine ne seraient pas en mesure de lui fournir un traitement médical approprié par rapport à ses problèmes médicaux. En ce qui concerne ces derniers, il échet de relever qu’il ne ressort d’aucun élément du dossier que ceux-ci sont d’une gravité telle qu’un défaut de traitement urgent serait de nature à entraîner des conséquences irréversibles pour son état de santé. Il s’ensuit que les problèmes médicaux de Madame …ne sont pas de nature à constituer le préjudice grave et définitif auquel les articles 11 et 12 de la loi précitée du 21 juin 1999 font référence.
En ce qui concerne en outre les conséquences défavorables dans le chef des demandeurs qu’ils auraient à subir du fait d’être rapatriés contre leur volonté dans leur pays d’origine, il échet de relever que cette seule considération n’est pas de nature à établir ni un préjudice grave ni un préjudice définitif dans le chef des demandeurs, étant donné que le seul fait de devoir quitter le Luxembourg – temporairement en cas de succès de la demande au fond – ne saurait engendrer dans le chef des demandeurs un préjudice suffisamment conséquent pour pouvoir être considéré comme grave au sens des articles 11 et 12 de la loi précitée du 21 juin 1999. En effet, si préjudice il devait y avoir du fait de devoir rentrer dans leur pays d’origine, ce préjudice n’est pas à considérer comme étant définitif, étant donné qu’en cas de succès de leur demande au fond, les demandeurs pourront retourner au Luxembourg. Ils pourront même, le cas échéant, se faire compenser le préjudice subi du fait de devoir financer le voyage de retour vers le Luxembourg dans le cadre d’une action en dommages et intérêts à diriger contre l’Etat. Il y a enfin lieu de constater que les demandeurs n’ont soumis au soussigné aucun élément de nature à conclure ni à la gravité ni au caractère irréversible du préjudice qu’un tel rapatriement serait de nature à leur causer. Le seul fait que les demandeurs ne possèdent plus de maison au Kosovo voire que celle-ci est occupée par des ressortissants albanais n’est pas non plus de nature à constituer un tel préjudice grave et définitif.
Les conditions tenant au risque d’un préjudice grave et définitif et au sérieux des moyens devant être remplies cumulativement, il y a lieu de rejeter la demande au seul vu de l’absence d’un risque de préjudice grave et définitif, sans qu’il y ait lieu d’examiner par ailleurs le sérieux des moyens invoqués à l’appui de la demande au fond.
Par ces motifs, le soussigné, premier vice-président du tribunal administratif, siégeant en remplacement du président légitimement empêché, statuant contradictoirement et en audience publique ;
déclare irrecevable la demande principale tendant au sursis à exécution ;
reçoit la demande subsidiaire en octroi d’une mesure de sauvegarde en la forme ;
au fond, la déclare non justifiée et en déboute ;
donne acte aux demandeurs de ce qu’ils déclarent bénéficier de l’assistance judiciaire ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 6 octobre 2010 à 20.30 heures par Carlo Schockweiler, premier vice-président du tribunal administratif, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Tagliaferri s.Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 14 octobre 2010 Le Greffier du Tribunal administratif 6