Tribunal administratif Numéro 27354 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 octobre 2010 Audience publique du 6 octobre 2010 Requête en sursis à exécution, sinon en institution d’une mesure de sauvegarde introduite par Monsieur …et son épouse, Madame … et consorts contre deux décisions du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de police des étrangers
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ORDONNANCE
Vu la requête déposée le 6 octobre 2010 au greffe du tribunal administratif par Maître Olivier Lang, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Kosovo), et de son épouse, Madame …, née le … à … (Monténégro), agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, né le … à Luxembourg et … …, né le … à Luxembourg, tous de nationalité kosovare, actuellement retenus au Centre d’accueil intérimaire en vue d’un départ accompagné, tendant au prononcé du sursis à exécution des décisions du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration des 1er et 4 octobre 2010 portant refus de séjour dans le chef des époux …-… et ordre de quitter le territoire, sinon à l’institution d’une mesure de sauvegarde à leur profit, la requête s’inscrivant dans le cadre d’un recours au fond, introduit le même jour, sous le numéro 27353 du rôle, tendant à l’annulation des décisions ministérielles précitées des 1er et 4 octobre 2010 ;
Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;
Maîtres Nuria Zurita Peralta, Christine Freymuth et Guillaume Gros, en remplacement de Maître Olivier Lang, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 6 octobre 2010 à 19.05 heures.
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A la suite de l’introduction d’une demande d’asile auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration en date du 28 novembre 2005, Monsieur …et son épouse, Madame … se sont vus refuser la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève par une décision ministérielle du 20 octobre 2006. Le recours contentieux formé par les époux …-… fut définitivement rejeté par un arrêt de la Cour administrative du 27 septembre 2007 (n° 22977C du rôle).
Par décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 3 juin 2009, un statut de tolérance antérieurement accordé aux époux …-… ainsi qu’à leur fils … fut prolongé jusqu’au 31 juillet 2009, date à laquelle il serait procédé à une réévaluation de leur dossier.
Par décision du 17 septembre 2009 le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, dénommé ci-après le « ministre », refusa de faire droit à une demande tendant à l’obtention d’un sursis à l’éloignement sur base des articles 130 et 132 de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration. Par la même décision, une prolongation du statut de tolérance fut également refusée au motif qu’il n’existait pas de preuve que l’exécution matérielle de l’éloignement des demandeurs serait impossible en raison de circonstances de fait indépendantes de leur volonté. Enfin, le ministre ordonna, par sa décision précitée du 17 septembre 2009, aux demandeurs de quitter le territoire luxembourgeois dans le délai d’un mois à compter de la notification de ladite décision. Cette décision du 17 septembre 2009 fut confirmée sur recours gracieux par un courrier du ministre du 6 juillet 2010, au motif « que l’affection dont souffre Mme …-… (sic !) n’est pas de nature à engager ni le pronostic vital ni le pronostic fonctionnel et que la prise en charge peut être réalisée dans le pays d’origine », et que « l’état de santé de …-… (sic !) ne nécessite pas une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour elle des conséquences d’une exceptionnelle gravité », le ministre s’étant référé à deux avis émis par des médecins chef de service du service médical de l’immigration de la direction de la Santé relevant du ministère de la Santé.
Par décision du 1er octobre 2010, le ministre refusa le séjour à Madame … et lui ordonna de quitter le territoire sans délai, en considération de ce qu’elle n’était pas en possession d’un passeport en cours de validité, qu’elle ne justifiait pas l’objet et les conditions du séjour envisagé, qu’elle ne justifiait pas de ressources personnelles suffisantes, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans le pays d’origine ou le transit vers un pays tiers dans lequel son admission est garantie et qu’elle n’était en possession ni d’une autorisation de travail valable pour une durée supérieure à trois mois ni d’une autorisation de travail, le ministre ayant également déclaré avoir pris en considération les éléments visés à l’article 103 de la loi précitée du 29 août 2008.
Par décision du 4 octobre 2010, le ministre refusa le séjour à Monsieur …et lui ordonna de quitter le territoire sans délai, en considération des mêmes motifs que ceux invoqués à l’appui de la décision précitée du 1er octobre 2010.
Par décisions séparées du 1er octobre 2010, le ministre ordonna le placement des époux …-… ensemble avec leurs enfants … et … …au Centre d’accueil intérimaire en vue d’un départ accompagné pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification des arrêtés en question, en considération des décisions précitées portant refus de séjour dans leur chef, de ce qu’ils étaient démunis de tout document de voyage valable, de ce qu’un accord de réadmission avait été délivré par les autorités kosovares en date du 22 septembre 2010 et de ce que ledit placement s’imposait en attendant l’organisation du départ qui serait effectué dans les meilleurs délais.
Par requête déposée le 6 octobre 2010, inscrite sous le numéro 27353 du rôle, Monsieur …et son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et … …, ont fait introduire un recours en annulation contre les décisions du ministre des 1er et 4 octobre 2010, portant refus de séjour dans leur chef et ordre de quitter le territoire et par requête déposée le même jour, inscrite sous le numéro 27354 du rôle, ils sollicitent l’institution d’un sursis à exécution sinon l’institution d’une mesure de sauvegarde au regard des décisions en question.
A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent appartenir à la minorité ethnique des bochniaques originaires du Kosovo et avoir fui ledit pays en raison des graves dangers auxquels ils y auraient été exposés.
En droit, ils estiment que l’exécution des décisions attaquées risquerait de leur causer un préjudice grave et définitif et que les moyens invoqués à l’appui de leur recours au fond seraient sérieux.
En ce qui concerne tout d’abord la condition du préjudice grave et définitif, ils soutiennent que tout éloignement remplirait cette condition, en faisant pour le surplus état des problèmes médicaux dont ils souffriraient tous les deux, les problèmes de santé diagnostiqués au sujet du demandeur étant de nature urologique et ceux de son épouse étant d’ordre psychiatrique.
En ce qui concerne plus particulièrement le demandeur, ils font état de ce qu’une intervention chirurgicale serait prévue pour le 13 octobre 2010 afin de traiter « ses problèmes urologiques ».
Ils estiment que le fait de ne pas pouvoir être en mesure de faire procéder à ladite intervention chirurgicale entraînerait dans le chef du demandeur « des risques de cancer ».
En ce qui concerne la condition de la sériosité des moyens invoqués au fond, les demandeurs soutiennent que les décisions portant refus de séjour dans leur chef violeraient l’article 103 de la loi précitée du 29 août 2008.
Par ailleurs, ils soutiennent que les décisions portant ordre de quitter le territoire auraient été prises en violation de l’article 124 de la loi précitée du 29 août 2008 et de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, en ce qu’elles ne seraient pas assorties d’un délai.
En vertu de l’article 11 (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.
Un sursis à exécution ne se conçoit pas par rapport à une décision négative, portant rejet d’une prétention, un tel sursis ne pouvant alors pas avoir d’effet utile. Il s’ensuit que dans la mesure où les décisions sous examen portent refus de séjour dans le chef des demandeurs, elles constituent des décisions négatives dont la suspension de leur exécution n’est pas de nature à apporter aux demandeurs un quelconque effet utile. Il s’ensuit qu’il y a lieu de déclarer irrecevable la demande principale tendant au sursis à exécution des décisions portant refus de séjour.
En revanche, une mesure de sauvegarde, prévue par l’article 12 de la loi précitée du 21 juin 1999, et requérant les mêmes conditions tenant au sérieux des moyens et au risque d’un préjudice grave et définitif, est possible à l’égard d’une décision de refus de séjour, de sorte qu’il y a lieu d’examiner la demande par rapport aux exigences de la disposition en question.
En effet, il échet de rappeler que sous peine de vider de sa substance l’article 11 de la même loi, qui prévoit que le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, il y a lieu d’admettre que l’institution d’une mesure de sauvegarde est soumise aux mêmes conditions concernant les caractères du préjudice et des moyens invoqués à l’appui du recours. Admettre le contraire reviendrait en effet à autoriser le sursis à exécution d’une décision administrative alors même que les conditions posées par l’article 11 ne seraient pas remplies, le libellé de l’article 12 n’excluant pas, a priori, un tel sursis qui peut à son tour être compris comme mesure de sauvegarde.
Concernant le préjudice grave et définitif, il échet de rappeler que pour l’appréciation du caractère définitif du dommage, il n’y a pas lieu de prendre en considération le dommage subi pendant l’application de l’acte illégal et avant son annulation ou sa réformation. Admettre le contraire reviendrait en effet à remettre en question le principe du caractère immédiatement exécutoire des actes administratifs, car avant l’intervention du juge administratif, tout acte administratif illégal cause en principe un préjudice qui, en règle générale, peut être réparé ex post par l’allocation de dommages et intérêts. Ce n’est que si l’illégalité présumée cause un dommage irréversible dans le sens qu’une réparation en nature, pour l’avenir, un rétablissement de la situation antérieure, ne sera pas possible, que le préjudice révèle le caractère définitif tel que prévu par l’article 11 de la loi précitée du 21 juin 1999 (cf. trib. adm. prés. 28 mai 2001, n° 13446 du rôle, Pas. adm. 2009, V° Procédure contentieuse, n° 444 et autres références y citées).
Quant à l’état de santé des demandeurs, ceux-ci font état de ce que Monsieur …serait « sous traitement urologique suite à – condylomes acuminés (herpes génital) [et] – prostatisme avec dysurie et pollakiurie et ceci depuis le 13.10.2008 », avec la précision qu’une intervention chirurgicale est prévue pour le 12 octobre 2010 et que des contrôles sont à prévoir, d’après ce qui ressort d’un certificat médical établi en date du 6 octobre 2010.
En ce qui concerne l’état de santé de Madame …, il ressort d’un certificat médical établi par un médecin spécialiste en neuropsychiatrie en date du 30 mai 2010 qu’elle souffrait, au moment de sa grossesse, de « Schlafstörungen mit Alpträumen », de « Zukunftsängste und eine gewisse Perspektivlosigkeit, bedingt durch den Flüchtlingsstatus », le médecin ayant encore relevé qu’elle souffrait d’expériences traumatisantes vécues dans son pays d’origine avant sa fuite. Du point de vue du traitement médical, le médecin spécialiste était d’avis que ces symptômes pouvaient mener à une dépression future, qui pourrait être due aux « hormonellen Veränderungen in der Schwangerschaft », de sorte qu’un accompagnement psychiatrique était indiqué afin de pouvoir diagnostiquer et le cas échéant traiter une « postpartale Depression ».
Le médecin chef de service du service médical de l’immigration de la direction de la Santé relevant du ministère de la Santé émetta en date du 5 juillet 2010 l’avis que « l’état de santé de Madame …… … ne nécessite pas une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour elle des conséquences d’une exceptionnelle gravité », de sorte qu’elle ne remplissait pas « les conditions médicales pour bénéficier d’un sursis à l’éloignement », ceci au vu du certificat médical du médecin spécialiste en neuropsychiatrie du 30 mai 2010 et en considération de ce que l’affection dont souffrait Madame … n’était pas de nature à engager ni le pronostic vital ni le pronostic fonctionnel et que la prise en charge pourrait être réalisée dans son pays d’origine.
Il ressort de l’ensemble des éléments et certificats médicaux qui précèdent que les demandeurs n’ont pas établi que leur état de santé serait mis en danger du fait de leur rapatriement vers leur pays d’origine, à savoir le Kosovo. Ainsi, il n’a pas été établi ni même soutenu que leur rapatriement lui-même serait de nature à porter atteinte à leur état de santé ni que les infrastructures sanitaires et médicales de leur pays d’origine ne seraient pas en mesure de leur fournir un traitement médical approprié par rapport à leurs problèmes médicaux. En ce qui concerne ces derniers, il échet de relever qu’il ne ressort d’aucun élément du dossier que ceux-ci sont d’une gravité telle qu’un défaut de traitement urgent serait de nature à entraîner des conséquences irréversibles pour leur état de santé. Il s’ensuit que les problèmes médicaux dont font état les demandeurs ne sont pas de nature à constituer le préjudice grave et définitif auquel les articles 11 et 12 de la loi précitée du 21 juin 1999 font référence.
En ce qui concerne en outre les conséquences défavorables dans leur chef qu’ils auraient à subir du fait d’être rapatriés contre leur volonté dans leur pays d’origine, il échet de relever que cette seule considération n’est pas de nature à établir ni un préjudice grave ni un préjudice définitif dans le chef des demandeurs, étant donné que le seul fait de devoir quitter le Luxembourg – temporairement en cas de succès de la demande au fond – ne saurait engendrer dans le chef des demandeurs un préjudice suffisamment conséquent pour pouvoir être considéré comme grave au sens des articles 11 et 12 de la loi précitée du 21 juin 1999. En effet, si préjudice il devait y avoir du fait de devoir rentrer dans leur pays d’origine, ce préjudice n’est pas à considérer comme étant définitif, étant donné qu’en cas de succès de leur demande au fond, les demandeurs pourront retourner au Luxembourg. Ils pourront même, le cas échéant, se faire compenser le préjudice subi du fait de devoir financer le voyage de retour vers le Luxembourg dans le cadre d’une action en dommages et intérêts à diriger contre l’Etat. Il y a enfin lieu de constater que les demandeurs n’ont soumis au soussigné aucun élément de nature à conclure ni à la gravité ni au caractère irréversible du préjudice qu’un tel rapatriement serait de nature à leur causer.
Les conditions tenant au risque d’un préjudice grave et définitif et au sérieux des moyens devant être remplies cumulativement, il y a lieu de rejeter la demande au seul vu de l’absence d’un risque de préjudice grave et définitif, sans qu’il y ait lieu d’examiner par ailleurs le sérieux des moyens invoqués à l’appui de la demande au fond.
Par ces motifs, le soussigné, premier vice-président du tribunal administratif, siégeant en remplacement du président légitimement empêché, statuant contradictoirement et en audience publique ;
déclare irrecevable la demande principale tendant au sursis à exécution ;
reçoit la demande subsidiaire en octroi d’une mesure de sauvegarde en la forme ;
au fond, la déclare non justifiée et en déboute ;
donne acte aux demandeurs de ce qu’ils déclarent bénéficier de l’assistance judiciaire ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 6 octobre 2010 à 20.30 heures par Carlo Schockweiler, premier vice-président du tribunal administratif, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s.Tagliaferri s.Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 13 octobre 2010 Le Greffier du Tribunal administratif 6