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01/12/2009 | LUXEMBOURG | N°25563C

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 01 décembre 2009, 25563C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 25563C du rôle Inscrit le 27 mars 2009

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Audience publique du 1er décembre 2009 Appel formé par la Banque Européenne d'Investissement contre des jugements du tribunal administratif des 26 septembre 2007 (n° 22447 du rôle), 17 novembre 2008 (n° 22447a du rôle) et 16 février 2009 (n° 22447b du rôle) en matière de marchés publics Vu la requête d'appel, inscrite sous le numéro 25563C du rôle et déposée au greffe d

e la Cour administrative le 27 mars 2009 par Maître Christian POINT, avocat à ...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 25563C du rôle Inscrit le 27 mars 2009

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Audience publique du 1er décembre 2009 Appel formé par la Banque Européenne d'Investissement contre des jugements du tribunal administratif des 26 septembre 2007 (n° 22447 du rôle), 17 novembre 2008 (n° 22447a du rôle) et 16 février 2009 (n° 22447b du rôle) en matière de marchés publics Vu la requête d'appel, inscrite sous le numéro 25563C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 27 mars 2009 par Maître Christian POINT, avocat à la Cour, inscrit au tableau des avocats à Luxembourg, au nom de la Banque Européenne d'Investissement, en abrégé «la BEI», représentée par son organe statutaire compétent, établie et ayant son siège à …dirigée contre 1) le jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 26 septembre 2007 (n° 22447 du rôle), à la requête de l'association sans but lucratif de droit italien …, établie et ayant son siège à…, ainsi que de l'association sans but lucratif de droit luxembourgeois … , établie et ayant son siège à…, par lequel ledit tribunal s'est déclaré compétent pour connaître d'un recours introduit par les associations en question contre la décision de la BEI du 16 octobre 2006 portant adjudication d'un marché (2006/S228-243954) à la société de droit français …, avec siège à…, ainsi que contre sa décision informant ces associations de ce que leur offre n'avait pas été retenue, et ayant fixé l'affaire à une audience ultérieure pour continuation des débats, 2) le jugement rendu par le même tribunal à l'égard des mêmes parties le 17 novembre 2008 (n° 22447a du rôle), ayant déclaré recevable le recours et ayant refixé l'affaire à une audience ultérieure pour continuation des débats, et 3) le jugement rendu par le même tribunal à l'égard des mêmes parties le 16 février 2009 (n° 22447b du rôle), vidant les jugements avant dire droit des 26 septembre 2007 et 17 novembre 2008, déclarant non fondé le recours et en déboutant les parties demanderesses avec charge des dépens;

Vu l'exploit de l'huissier de justice Jean-Lou THILL, demeurant à Luxembourg, du 22 avril 2009, portant signification de cette requête d'appel aux deux associations sans but lucratif prémentionnées ainsi qu'à la société …, préqualifiée;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Christian POINT en sa plaidoirie à l'audience publique du 27 octobre 2009.

La BANQUE EUROPEENNE D'INVESTISSEMENT, ci-après dénommée « la BEI », en sa qualité de pouvoir adjudicateur, publia le 20 avril 2006, au Journal officiel de l'Union européenne, un avis de marché relatif à la gestion d'une crèche sise à Luxembourg. Ledit avis précisa qu'il s'agissait d'une procédure restreinte et que le critère d'attribution du marché serait l'offre économiquement la plus avantageuse appréciée en fonction des critères énoncés dans le cahier des charges, dans l'invitation à soumissionner ou à négocier ou encore dans le document descriptif.

Par courrier du 18 octobre 2006, la BEI informa l'association sans but lucratif de droit italien … que ladite association n'avait pas été retenue pour la gestion de la crèche en question.

Suite à un échange de courriers qui ne donna pas satisfaction à l'association …, celle-ci ainsi que l'association sans but lucratif de droit luxembourgeois portant le même nom introduisirent un recours en annulation, d'une part, contre la décision de la BEI du 16 octobre 2006 portant attribution du marché public relatif à la gestion externe d'une crèche dans un bâtiment de la BEI à un concurrent, à savoir la société de droit français …, et, d'autre part, contre la décision du 18 octobre 2006 de la BEI les informant que leur offre n'avait pas été retenue.

Par jugement du 26 septembre 2007, le tribunal administratif, statuant sur l'exception d'incompétence soulevée devant lui par la BEI, se déclara compétent pour connaître du litige, conféra aux parties la possibilité de déposer des mémoires supplémentaires et refixa l'affaire pour continuation des débats.

Par requête déposée le 5 novembre 2007, la BEI déclara relever appel dudit jugement, estimant que nonobstant le fait que le tribunal n'avait pas définitivement tranché le litige, il avait néanmoins, en se déclarant compétent pour connaître du litige, pris une décision de nature à préjuger le fond, dès lors que cette déclaration de compétence implique que la BEI se voit reconnaître la qualité – contestée par elle – d'autorité administrative justiciable des juridictions luxembourgeoises et se voyant appliquer des règles de fond de droit luxembourgeois dont elle conteste également l'applicabilité à son égard.

Par arrêt du 21 février 2008, la Cour administrative, constatant que, dans le cas d'espèce, il se dégageait du dispositif du jugement entrepris que le tribunal administratif s'était déclaré compétent, avait conféré aux parties au litige la possibilité de déposer chacune un mémoire supplémentaire et avait refixé l'affaire pour plaidoiries, estima, sur base de l'article 44 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, en vertu duquel les jugements qui tranchent dans leur dispositif une partie du principal et ordonnent une mesure d'instruction ou une mesure provisoire peuvent être immédiatement frappés d'appel, qu'il en est de même lorsque le jugement, qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident, met fin à l'instance, les autres jugements ne pouvant être frappés d'appel, indépendamment des jugements sur le fond, que dans les cas spécifiés par le législateur, que le tribunal n'avait pas ordonné une mesure d'instruction et n'avait pas davantage, en retenant sa compétence, mis fin au litige. Elle conclut que, puisqu'aucune disposition légale ne prévoit par ailleurs spécifiquement la possibilité de relever appel d'un jugement qui se borne à constater la compétence du juge saisi sans mettre fin au litige, aucun des cas prévus par l'article 44 de la loi modifiée du 21 juin 1999 n'était rempli et elle déclara par conséquent l'appel irrecevable.

Par jugement avant dire droit du 17 novembre 2008, le tribunal administratif examina la situation de la BEI au regard des réglementations nationale luxembourgeoise et communautaire en matière de marchés publics. Il retint que la BEI n'est pas visée par la législation luxembourgeoise applicable en matière de marchés publics. Concernant le droit communautaire, le tribunal qualifia la BEI d'institution communautaire au regard du règlement n° 1605/2002 du Conseil du 25 juin 2002 portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes. Il déclara le recours en annulation recevable et refixa l'affaire à une instance ultérieure pour permettre aux parties de prendre position au vu de l'applicabilité des textes communautaires et, en particulier du règlement communautaire précité n° 1602/2002.

Par jugement du 16 février 2009, le tribunal, vidant les deux jugements des 26 septembre 2007 et 17 novembre 2008, dénia à la BEI le droit de revenir sur la question de l'applicabilité, à son égard, du règlement communautaire n° 1602/2002, constata qu'au vu de l'inapplicabilité de la législation nationale luxembourgeoise à la BEI et à la présentation, par les parties demanderesses, de moyens tirés exclusivement de cette législation, elle n'était saisie d'aucun moyen pertinent et débouta par conséquent les parties demanderesses de leur recours avec charge des dépens.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 27 mars 2009, la BEI a déclaré relever appel des trois jugements précités.

Se prévalant d'un passage de l'arrêt de la Cour administrative du 21 février 2008, elle insiste sur ce que les trois jugements sont appelables, qu'ils soient ou non qualifiables de jugements avant dire droit immédiatement appelables.

Il est vrai, comme la Cour l'a effectivement retenu dans l'arrêt précité du 21 février 2008, que la limitation de la possibilité de relever appel immédiatement du jugement avant dire droit a pour corollaire la possibilité de relever appel du jugement définitif en toute hypothèse, même si un appel immédiat avait été possible, sous peine de forcer une partie, en présence d'un tel jugement avant dire droit, qui estime que celui-ci a tranché une partie du principal et lui fait grief, d'en relever systématiquement appel dans la seule intention de vérifier si ce jugement est immédiatement appelable et pour ne pas se voir forclose ultérieurement, au cas où elle aurait l'intention de relever appel une fois la décision définitive prononcée.

Toujours faut-il, puisque l'intérêt est la mesure de l'action et qu'une partie n'a pas intérêt à relever appel d'un jugement qui ne lui cause aucun grief, que ce jugement, même appelé après que le jugement définitif a été rendu, tranche effectivement une partie du principal et cause grief à l'appelant. Si le jugement avant dire droit ne tranche pas une partie du principal, il est possible de relever appel du seul jugement définitif, le seul à trancher alors le principal, à condition, toujours, qu'il cause grief à l'appelant.

La BEI estime qu'encore qu'elle ait obtenu gain de cause dans le jugement définitif du 16 février 2009, son appel doit être déclaré recevable dès lors que les jugements du 26 septembre 2007 et 17 novembre 2008 lui causeraient grief.

Le premier jugement lui causerait grief en ce que le tribunal s'est déclaré compétent pour connaître du recours. L'existence d'une jurisprudence déclarant les juridictions nationales luxembourgeoises compétentes conduirait les justiciables à saisir erronément ces juridictions de recours contre des actes de la BEI pris par elle dans le cadre de l'attribution de marchés passés pour son propre compte. Il s'ensuivrait un conflit de compétence entre les juridictions luxembourgeoises et les juridictions communautaires qui, à son avis, sont seules compétentes en la matière.

En l'espèce, le jugement du 26 septembre 2007, en ce qu'il se borne à retenir la compétence du tribunal et à refixer l'affaire pour continuation des débats n'a pas tranché une partie du principal. Comme la Cour l'a retenu dans son arrêt du 21 février 2008, il n'était pas immédiatement appelable. Il ne l'est pas davantage actuellement en ce que, pris isolément, il n'a pas tranché une partie du principal et n'est pas susceptible de faire grief par lui-même.

La BEI estime que le jugement du 17 novembre 2008 lui cause grief en ce que ce serait à tort que le tribunal a déclaré applicable à la BEI le règlement n° 1605/2002, précité.

Le jugement en question, en ce qu'il a retenu quelle législation est applicable au litige et a refixé l'affaire pour continuation des débats au fond, n'a pas davantage tranché une partie du principal et n'est pas appelable, isolément, non plus. Il ne constitue qu'un élément du raisonnement permettant au tribunal de résoudre le litige dans une décision ultérieure.

Il reste à examiner le caractère appelable du jugement du 16 février 2009. Ce jugement a définitivement tranché le principal. Comme les deux jugements avant dire droit qu'il a vidés n'avaient pas tranché une partie du principal, le jugement définitif du 19 février 2009 est le seul à trancher, et à épuiser, le principal. En les vidant et en s'appuyant sur leurs dispositions préparatoires, il forme avec ceux-ci un tout indivisible.

Il est partant appelable, et par là même les deux jugements avant dire droit qu'il vide, à condition de causer grief à l'appelant. Il se dégage de la décision du tribunal que celui-ci s'est déclaré compétent pour connaître du litige, qu'il a déclaré applicable à la BEI les dispositions du règlement communautaire n° 1605/2002, précité, et qu'il a finalement déclaré le recours non fondé comme ne faisant état d'aucun moyen pertinent d'illégalité des décisions attaquées.

Il est évident qu'en tant qu'il déboute les parties demanderesses de leur demande d'annulation de l'attribution du marché litigieux, le jugement du 19 février 2009 ne cause pas grief à la BEI. Il se pose dès lors la question de savoir si, en retenant sa compétence pour connaître du litige et en déclarant applicable le règlement communautaire n° 1605/2002, le jugement lui cause grief.

Pour qu'une partie ait intérêt à interjeter appel, il faut qu'elle ait succombé en première instance. Tel est le cas si elle a été condamnée par le jugement frappé d'appel ou si elle a été déboutée, expressément ou implicitement, d'un des chefs de sa demande, de sorte à ne pas avoir obtenu entière satisfaction (v. Juris-Classeur de procédure civile, fasc.

713, éd. 2008, n° 55).

Seul le dispositif est de nature à faire grief à une partie qui entend interjeter appel contre une décision, à l'exclusion des motifs de la décision, même décisoires (Encyclopédie Dalloz, Procédure, V° Appel, éd. 2008, n° 313).

En l'espèce, les parties demanderesses ont été intégralement déboutées de leur recours avec charge des dépens.

Le seul grief que fait valoir la BEI est constitué par ce qu'elle appelle une jurisprudence défavorable, à savoir un jugement de première instance ayant retenu la compétence des juridictions luxembourgeoises en matière d'adjudications de marchés publics par la BEI et l'applicabilité à celle-ci, du règlement communautaire n° 1605/2002.

La BEI n'est partant pas directement affectée négativement par les décisions rendues en première instance, mais seulement indirectement, en ce que dans une instance ultérieure, les juges ayant à apprécier les questions de compétence et d'applicabilité de la réglementation en matière de marchés publics pourraient être amenés à s'inspirer de ces décisions et opter pour la même solution.

Or, devant la relativité de la chose jugée et l'absolue liberté dont jouit un tribunal de conférer à un litige une solution qu'il estime adéquate, alors même que celle-ci est en contradiction avec une jurisprudence fermement établie, même émanant d'une juridiction de rang supérieur ou suprême, une décision qui rejette dans son intégralité un recours n'est pas de nature à faire grief au défendeur, alors même que le raisonnement mené pour aboutir à cette solution ne trouve pas son acquiescement et peut constituer un préjugé défavorable à ses thèses dans un litige ultérieur. Le grief afférent n'engendre qu'un intérêt indirect pour s'opposer à la décision critiquée, non suffisant pour justifier le droit d'en relever appel.

Etant donné que dans le cas d'espèce, les parties demanderesses ont été déboutées de leur recours avec charge des dépens, la décision en question n'est pas de nature à faire directement grief à la BEI qui ne justifie partant pas d'un intérêt suffisant pour relever appel des jugements qu'elle entend entreprendre.

Son appel doit partant être déclaré irrecevable.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l'égard de toutes les parties;

déclare l'appel irrecevable, condamne l'appelante aux frais.

Ainsi délibéré et jugé par :

Georges RAVARANI, président, Henri CAMPILL, premier conseiller, Serge SCHROEDER, conseiller, et lu par le président en l'audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en-tête, en présence de la greffière de la Cour Anne-Marie WILTZIUS.

s. WILTZIUS s. RAVARANI 6


Synthèse
Numéro d'arrêt : 25563C
Date de la décision : 01/12/2009

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2009-12-01;25563c ?

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