Tribunal administratif N° 25888 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 juillet 2009 Audience publique du 13 juillet 2009
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Requête en sursis à exécution sinon en institution d’une mesure de sauvegarde introduite par Monsieur … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration en matière de police des étrangers
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ORDONNANCE
Vu la requête déposée le 13 juillet 2009 au greffe du tribunal administratif par Maître Barbara Najdi, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, de nationalité iraquienne, tendant à voir ordonner le sursis à exécution, sinon l’institution d’une mesure de sauvegarde par rapport à une décision d'incompétence du ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration, prise le 9 juin 2009, pour examiner sa demande d'asile au motif que la compétence afférente reviendrait au Royaume de Suède, un recours en réformation, sinon en annulation dirigé contre la décision d'incompétence, inscrit sous le numéro 25889 du rôle, introduit le même jour, étant pendant devant le tribunal administratif;
Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives;
Vu les pièces versées et notamment la décision critiquée;
Maître Katy Demarche, en remplacement de Maître Barbara Najdi, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter entendus en leurs plaidoiries respectives.
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Le 27 avril 2009, Monsieur …, demeurant à L-…, de nationalité iraquienne introduisit oralement une demande de protection internationale auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères.
Par décision du 9 juin 2009, le ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration, se basant sur la disposition de l'article 16, paragraphe 1er du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers, ci-après désigné par « le règlement n° 343/2003 », se déclara incompétent pour connaître de la demande de protection internationale, 2 soulignant que ce serait le Royaume de Suède qui serait responsable du traitement de cette demande.
Les autorités luxembourgeoises ont dans la suite sollicité et obtenu, de la part des autorités du Royaume de Suède, un engagement de reprise en charge de Monsieur ….
Par requête déposée le 13 juillet 2009, inscrite sous le numéro 25888 du rôle, Monsieur … a introduit un recours tendant à la réformation, sinon à l'annulation de la décision d'incompétence du ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration du 9 juin 2009, et par requête déposée le même jour, inscrite sous le numéro 25888 du rôle, il sollicite du président du tribunal administratif le sursis à exécution de la décision critiquée, sinon un mesure de sauvegarde par rapport à cette décision.
Dans la requête introductive d'instance, Monsieur … admet que le règlement n° 343/2003 du Conseil réglementant entre autre la compétence des pays à l'intérieur de l'Union Européenne dans le contexte de l'examen des demandes de protection internationale a bien été appliqué en l'espèce et que le Luxembourg a déposé une demande de reprise en temps utile, à savoir moins de 3 mois après le dépôt de sa demande.
Cette décision serait néanmoins entachée de nullité pour violation de l'article 3 de la Convention des Droits de l'Homme.
En effet, un Etat agirait en violation du prédit article non seulement lorsqu'il se rendrait lui-même directement coupable de traitements dégradants et inhumains, mais également en envoyant une personne dans un Etat dans lequel on pourrait partir du principe que la personne risque d'encourir un tel traitement.
Il résulterait de toutes les déclarations et explications fournies par Monsieur … lors de son audition par les services de la Police Grand-ducale du 27 avril 2009, ainsi que des lettres adressées au ministre des Affaires Etrangères et de l’Immigration et documents versés par son mandataire que renvoyer un Iraquien, demandeur de protection internationale, vers la Suède équivaudrait à le renvoyer directement en Iraq alors qu’il existerait une convention de réadmission signée entre la Suède et le gouvernement iraquien qui permettrait à la Suède de renvoyer massivement et directement des Iraquiens chrétiens demandeurs de protection internationale vers leur pays d'origine.
La Suède aurait déjà mis en application cette convention de réadmission depuis fin 2008 et début 2009, en renvoyant massivement à trois reprises des iraquiens vers leur pays d'origine.
Le demandeur soutient qu’on pourrait considérer qu'une décision, même si elle était prise en application d'un texte européen, continuerait à être entachée de nullité alors qu'elle constituerait en elle-même une violation de l'article 3 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme qui garantit à toute personne le droit de ne pas être soumis à des peines ou bien des traitements inhumains ou dégradants.
Le délégué du gouvernement conteste tant le risque de préjudice grave et définitif que l'existence de moyens sérieux au fond.
3 En vertu de l'article 11, (2) de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le sursis à exécution ne peut être décrété qu'à la double condition que, d'une part, l'exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d'autre part, les moyens invoqués à l'appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux.
En l'espèce, Monsieur … reste en défaut de prouver en quoi la décision d'incompétence et l'exécution de la décision de reprise par les autorités suédoises risquerait de lui causer un préjudice grave et définitif.
Aux termes de son premier considérant, le règlement n° 343/2003 considère qu'une politique commune dans le domaine de l'asile, incluant un régime d'asile européen commun, est un élément constitutif de l'objectif de l'Union européenne visant à mettre en place progressivement un espace de liberté, de sécurité et de justice ouvert à ceux qui, poussés par les circonstances, recherchent légitimement une protection dans la Communauté. Tablant sur l'équivalence des procédures devant assurer la protection des demandeurs d'asile applicables dans les différents Etats membres, le règlement en question fixe des règles de compétence en vue de déterminer l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile émanant d'un ressortissant d'un Etat tiers. Il s'ensuit qu'un demandeur d'asile ne saurait se prévaloir d'un préjudice quelconque qu'il risquerait de subir au cas où sa demande d'asile serait examinée dans un Etat membre plutôt que dans un autre. Par conséquent, le seul fait que le ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration luxembourgeois se soit déclaré incompétent en faveur des autorités suédoises n'est pas de nature à causer un préjudice au requérant.
Celui-ci se prévaut encore de ce qu'il s’est vu rejeter sa demande d'asile par les autorités suédoises et qu'il risque de se voir renvoyer vers son pays d'origine au cas où il serait repris par ces autorités.
Indépendamment de la véracité de cette affirmation qui ne ressort pas d'une quelconque pièce du dossier, cette argumentation ne saurait valoir à son tour. En effet, l'article 16, paragraphe 1er, sub e) du règlement n° 343/2003 prévoit que l'Etat membre qui a rejeté la demande d'asile du ressortissant d'un Etat tiers qui se trouve, sans en avoir reçu la permission, sur le territoire d'un autre Etat membre, est obligé de reprendre ledit ressortissant, ce qui implique logiquement qu'un tel rejet d'une demande d'asile dans un Etat membre produit ses effets dans les autres Etats membres. Admettre le contraire priverait de toute justification les règles de compétence établies par le règlement précité et les priverait par ailleurs de toute efficacité en ce qu'un demandeur d'asile débouté dans un Etat membre pourrait tenter d'obtenir l'asile politique dans chacun des autres Etats membres, dans le cadre de procédures successives, sur base de mêmes faits et arguments ayant motivé la demande initiale.
Par ailleurs, force est de constater que le risque de préjudice lié à un éventuel rapatriement vers l’Irak ne résulte pas de l’exécution de l’acte attaqué mais d’une décision éventuelle à prendre par les autorités suédoises.
Il y a lieu de considérer dans ce contexte que la Suède est signataire de la Convention de Genève, qu’elle est partie à la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et qu’elle est pourvue de juridictions indépendantes auxquelles le requérant pourra recourir au cas où les autorités suédoises décideraient de le rapatrier en violation l'article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et libertés fondamentales et il pourrait, tous recours épuisés, saisir la Cour européenne des droits de l'Homme et lui demander 4 d’inviter lesdites autorités de surseoir à l'exécution du rapatriement jusqu'à l'issue de la procédure devant cet organe.
Il résulte de ces considérations que le requérant n'a pas établi que l'exécution de la décision entreprise risque de lui causer un préjudice grave et définitif et il s'ensuit que l'une des conditions cumulativement posées par l'article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999, exigée également dans le cadre de l’article 12 de cette même loi, fait défaut, de sorte qu'il y a lieu de rejeter tant la demande en requête d’un sursis à exécution que la demande en institution d’une mesure de sauvegarde, sans qu'il faille par ailleurs examiner si les motifs invoqués sont à considérer comme sérieux.
Par ces motifs, le soussigné président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique, déclare tant la demande de sursis à exécution que la demande en institution d’une mesure de sauvegarde non fondées et en déboute, condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 13 juillet 2009 par M. Marc Feyereisen, président du tribunal administratif, en présence de M. Arny Schmit, greffier en chef.
s. Arny Schmit s. Marc Feyereisen