Tribunal administratif Numéro 25606 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 avril 2009 1ière chambre Audience publique du 20 avril 2009 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 120 L. 29.8.2008)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 25606 du rôle et déposée le 10 avril 2009 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … (Nigeria) et être de nationalité nigériane, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d'une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 27 mars 2009, lui notifiée le 3 avril 2009 à 14.40 heures, prorogeant sa rétention au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une nouvelle durée d’un mois à partir de la notification ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 avril 2009 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 20 avril 2009.
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En date du 28 avril 2005, Monsieur … se vit refuser la reconnaissance du statut de réfugié politique par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, dénommé ci-après le « ministre », décision confirmée sur recours gracieux par décision du même ministre du 2 juin 2005. Un recours contentieux dirigé par Monsieur … à l’encontre de ces décisions fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 23 novembre 2005, un acte d’appel dirigé contre ledit jugement ayant été déclaré irrecevable « quant au fond » par un arrêt de la Cour administrative du 9 mars 2006.
Par décisions du ministre des 15 mai, 13 juin et 13 juillet 2006, Monsieur … fut placé en rétention administrative au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, le recours contentieux dirigé contre la décision précitée du 13 juillet 2006 ayant été déclaré non justifié quant au fond par un jugement du tribunal administratif du 26 juillet 2006.
En date du 18 février 2009, le ministre marqua son accord aux autorités compétentes belges de reprendre en charge Monsieur … sur base de l’article 16 (1) (e) du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers.
Par décision du 27 février 2009, le ministre refusa à Monsieur … le séjour sur le territoire luxembourgeois, en application des articles 100 et 109 à 115 de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, dénommée ci-après « la loi du 29 août 2008 », au motif qu’il n’était en possession ni d’un passeport, ni d’un visa en cours de validité, ni d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois ni d’une autorisation de travail. Cette décision ministérielle fait en outre état de plusieurs autres identités dont a fait usage Monsieur …, à savoir celle de … , celle de …, de nationalité nigériane, ainsi que celle de …, de nationalité angolaise. Cette décision ministérielle fut notifiée à l’intéressé en date du 3 mars 2009.
Par décision séparée du 27 février 2009, notifiée le 3 mars 2009 à 11.30 heures, le ministre ordonna la rétention administrative de Monsieur …, alias …, au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois. Cet arrêté est fondé sur les considérations et motifs suivants :
« Vu les articles 120 à 123 de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;
Vu mon arrêté de refus d’entrée et de séjour du 12 mai 2006, notifié le 15 mai 2006 ;
Vu la décision de refus de séjour du 27 février 2009 ;
Considérant que l’intéressé est démuni de tout document de voyage valable ;
Considérant qu’en attendant le résultat des recherches quant à l’identité et à la situation de l’intéressé, l’éloignement immédiat de l’intéressé est impossible en raison de circonstances de fait ».
Par décision du 27 mars 2009, notifiée à l’intéressé le vendredi 3 avril 2009 à 14.40 heures, le ministre a prorogé ledit placement pour une nouvelle durée d’un mois à partir de la notification aux motifs suivants :
« Considérant qu’une visite consulaire des autorités nigérianes a eu lieu en date du 19 mars 2009 ;
Que l’intéressé a été auditionné en vue de l’établissement de son identité et de sa nationalité ;
Qu’en attendant le résultat de cette audition et les démarches qui en découleraient, l’éloignement immédiat de l’intéressé est impossible en raison des circonstances de fait ;
Considérant qu’il y a nécessité de reconduire la décision de placement » ;
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 10 avril 2009, Monsieur … a fait introduire un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de l’arrêté de prorogation ci-avant visé datant du 27 mars 2009.
Etant donné que l'article 123, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 institue un recours de pleine juridiction en la matière, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable.
Le recours en réformation, introduit par ailleurs dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.
A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir que la notification de la décision de placement serait intervenue en violation de la loi au motif qu’en vertu d’une application combinée des articles 121 et 122 de la loi du 29 août 2008, la notification des décisions respectivement de rétention et de prorogation, au cours de laquelle l’étranger doit également être informé de ses droits, devrait s’effectuer « immédiatement », c’est-à-dire concomitamment avec la prise d’effets de la décision en question, sauf dans les cas d’impossibilité matérielle dûment constatés.
Il conclut que la notification de la décision de prorogation prise le 27 mars 2009 et qui aurait sorti ses effets le 3 avril 2009 à 14.40 heures serait intervenue en dehors du délai légal au motif que la première décision de rétention aurait expiré le 3 avril 2009 à 11.30 heures.
Le délégué du gouvernement fait valoir que l’article 120 de la loi du 29 août 2008 prévoit des délais calculés en mois et que l’article 121 (1) de la même loi concernant le procès-verbal qui doit être dressé par l’officier de police procédant à la notification doit mentionner uniquement la date de la notification, de sorte que la mention de l’heure de la notification serait purement superfétatoire et ne saurait être utilement prise en considération dans le cadre de la computation des délais.
Il y aurait lieu de se tenir dès lors à la réglementation concernant la computation des délais telle qu’énoncée aux articles 1256 du Nouveau code de procédure civile et à la Convention européenne sur la computation des délais du 16 mai 1972, de sorte que le délai expirerait le 3 avril 2009 à minuit.
Il ressort du procès-verbal de notification que la première décision de rétention du 27 février 2009 a été notifiée au demandeur le 3 mars 2009 à 11.30 heures.
Il ressort d’un autre procès-verbal de notification que la décision du 27 mars 2009 portant prorogation de la durée de rétention a été notifiée au demandeur le 3 avril 2009 à 14.40 heures.
En application de l’article 120 in fine de la loi du 29 août 2008, la durée maximale de rétention est fixée à un mois. La durée de placement ainsi que la durée de prorogation du placement débutent à partir de la notification de la décision. A ce titre la décision sous examen précise dans son article 1er que le placement est prorogé pour une nouvelle durée d’un mois à partir de la notification.
Etant donné que la durée de placement commence à courir à partir de la notification, la durée de placement relative à la première décision a commencé à courir à partir du 3 mars 2009 à 11.30 heures.
La prise d’une décision de prorogation d’une décision initiale implique nécessairement que la reconduction de la mesure de placement soit décidée avant son expiration, et suppose que la mesure initiale sorte encore ses effets, étant donné qu’au cas contraire, il s‘agirait non pas d’une mesure de reconduction ou de prorogation d’une mesure de placement initiale, mais d’une nouvelle mesure de placement devant se justifier dans ce cas par des circonstances de fait autres que celles se trouvant à la base de la mesure de placement initiale (cf. trib. adm. 2 avril 2003, n° 16193, Pas. adm. 2008, V° Etrangers, n° 556, p. 192).
S’agissant partant en l’espèce non pas de computer un délai de procédure, mais de déterminer la durée de placement, ni l’article 1256 du Nouveau code de procédure civile (NCPC), ni la Convention européenne sur la computation des délais du 16 mai 1972 ne sont applicables afin de déterminer la date d’expiration de la durée de placement, ces textes ne visant que des délais de procédure et non pas le calcul de la durée d’une mesure privative de liberté.
Force est encore de constater qu’en suivant le raisonnement du délégué du gouvernement une durée de placement qui aurait commencé à courir un jour précis à 8.00 heures du matin serait d’office prolongée jusqu’au même jour à minuit, de sorte à augmenter la privation de la liberté, en principe, de près d’une journée.
Or, le placement d’un étranger se concrétisant par une privation de liberté d’un individu, il y a lieu de procéder par analogie des dispositions de l’article 15 du Code pénal, aux termes duquel la durée d’un jour d’emprisonnement est de 24 heures et la durée d’un mois d’emprisonnement de 30 jours.
Par application de ce principe, il y a lieu de constater qu’en l’espèce la durée de placement a expiré 30 jours après la notification de la décision déférée soit le 2 avril 2009 à 11.30 heures.
Etant donné que la prorogation de la durée de placement est soumise à la condition que la durée du placement initial n’a pas encore expiré, il y a partant lieu de constater que la décision portant prorogation de la durée de placement du 27 mars 2009 notifiée que le 3 avril 2009 à 14.40 heures, est devenue effective à un moment où la mesure qu’elle était censée proroger avait déjà cessé de produire ses effets.
Faute d’avoir été notifiée en temps utile à l’intéressé, la décision déférée est partant dépourvue de base légale.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le dit justifié ;
partant ordonne la libération immédiate de Monsieur … du Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig ;
renvoie le dossier en prosécution de cause au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration ;
déclare irrecevable le recours subsidiaire en annulation ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 20 avril 2009 par :
Paulette Lenert, vice-président, Marc Sünnen, premier juge, Thessy Kuborn, juge en présence du greffier en chef Arny Schmit.
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