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27/08/2008 | LUXEMBOURG | N°24690

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 août 2008, 24690


Tribunal administratif Numéro 24690 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er août 2008 Audience publique du 27 août 2008 Recours formé par Monsieur … … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 16, L. 5.05.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 24690 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er août 2008 par Maître Olivier Lang, avocat à la Cour, inscri

t au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, né le … à … (Camer...

Tribunal administratif Numéro 24690 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er août 2008 Audience publique du 27 août 2008 Recours formé par Monsieur … … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 16, L. 5.05.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 24690 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er août 2008 par Maître Olivier Lang, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, né le … à … (Cameroun), de nationalité camerounaise, ayant élu domicile en l’étude de son mandataire, « ayant demeuré à L-…, jusqu’au jour, 4 juillet 2008, où Madame le Commissaire du Gouvernement aux Etrangers a décidé de lui retirer le bénéfice de son logement où il était hébergé en sa qualité de demandeur de protection internationale. Il dort dans la rue depuis », tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 30 juin 2008 ayant déclaré irrecevable sa demande de protection internationale sur la base de l’article 16 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 août 2008 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Olivier Lang et Madame le délégué du gouvernement Claudine Konsbrück en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 27 août 2008.

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Le 8 mai 2008, Monsieur … … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée la « loi du 5 mai 2006 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur son identité et sur l’itinéraire de voyage suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Il fut encore entendu en date des 4, 6, 10 et 17 juin 2008 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 30 juin 2008, notifiée par courrier recommandé du même jour, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », rejeta la demande de Monsieur … pour être irrecevable sur base de l’article 16 de la loi du 5 mai 2006. Cette décision est libellée comme suit :

« J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration en date du 8 mai 2008.

En mains le rapport du Service de Police Judiciaire de la même date et le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration des 4, 6, 10 et 17 juin 2008.

Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous auriez quitté votre pays d’origine le 6 mai 2008 et que vous auriez rejoint le Luxembourg directement par avion, effectuant une connexion à l’aéroport de Zurich. Vous affirmez dans un premier temps vous trouver pour la première fois en Europe. Interrogé sur vos séjours en Allemagne et en France, vous admettez ensuite avoir rejoint Karlsruhe (Allemagne) directement depuis Douala par avion en 1997. Vous y auriez déposé une première demande d’asile qui aurait été rejetée huit mois plus tard. Vous seriez ainsi retourné au Cameroun pour le quitter à nouveau après quelques mois afin de déposer une demande en France. Vous y avez obtenu le statut de réfugié. Vous ne présentez aucun papier d’identité, vous dites les avoir laissés en France. Le dépôt de votre demande de protection internationale date du 8 mai 2008.

Il résulte cependant de vos déclarations auprès de l’agent du Ministère des Affaires étrangères que vous auriez quitté le Cameroun le 10 août 1997 en possession d’un visa français. Arrivé à Paris, vous n’auriez pas souhaité déposer une demande de protection internationale en France à cause de vos soupçons de coopération des autorités françaises avec le gouvernement camerounais que vous fuyez. Vous auriez donc rejoint l’Allemagne le 30 septembre 1997 mais auriez été renvoyé vers la France en application de la Convention de Dublin en date du 26 août 1998. Vous auriez ensuite déposé une demande d’asile en France et obtenu le statut de réfugié le 8 janvier 1999.

Le statut vous a été octroyé en raison de vos activités politiques au sein du parti d’opposition au Cameroun et vos craintes de persécution y afférentes. Malgré la protection que la France a accepté de vous accorder en application de la Convention de Genève, vous ne vous y sentiriez pas en sécurité. Vous auriez créé deux mouvements politiques en France afin de poursuivre votre engagement en faveur de la démocratie au Cameroun et y auriez une forte représentation militante qui vous aurait permis de résister. Cependant, vous faites état d’incidents en 2002 et 2003 qui vous donneraient des raisons de croire que des agents secrets mandatés par le parti camerounais au pouvoir seraient en train d’organiser une attaque contre votre personne via l’ambassade camerounaise en France. Vous ajoutez que l’absence de suites données aux dépôts de vos plaintes prouverait que la France ne vous protègerait pas contre cette crainte, et au contraire serait de connivence avec le gouvernement camerounais.

Je suis au regret de vous informer qu'en vertu des dispositions de l'article 16 de la loi précitée du 5 mai 2006, votre demande de protection internationale est irrecevable au motif que vos allégations à l’encontre des autorités françaises ne sont pas suffisantes à ébranler le caractère de pays sûr de la France, qui est par conséquent à considérer comme premier pays d’asile.

En effet, vos accusations à l’égard des autorités françaises qui collaboreraient avec le pouvoir camerounais en place ne sont étayées par aucune preuve crédible mais apparaissent davantage comme des interprétations exagérées et outrancières. En effet, bien qu’extrêmement étayé et documenté, votre récit laisse apparaître de nombreuses contradictions et extrapolations qui ébranlent sa crédibilité. Notons dans un premier temps que vous avez tenté de cacher vos séjours en Allemagne et en France auprès des autorités luxembourgeoises. Vos explications subséquentes quant à ces séjours diffèrent ensuite considérablement entre le rapport auprès de la police et celui auprès de l’agent chargé de votre entretien. Vous avez également indiqué une date de naissance erronée et avez admis que c’était dans l’espoir de brouiller les pistes sur votre véritable identité auprès des autorités luxembourgeoises. Ces mensonges flagrants nous permettent de douter de l’intégralité des autres éléments de votre récit.

En ce qui concerne vos soi-disant problèmes avec les autorités françaises, vous affirmez que l’obtention de votre statut de réfugié en France a été l’aboutissement d’une longue « bataille juridique » (p. 4 de l’entretien). Vous ajoutez que « la procédure a été très dure », la France craignant de se mettre les autorités camerounaises à dos si elles vous octroyaient le statut (sic !). Elle a finalement cédé suite aux pressions exercées par l’association CIMADE et le député … … (p. 7). Pourtant, il ressort d’un entretien subséquent (p. 9) que ce serait vous-même qui vous seriez longtemps opposé au dépôt de votre demande d’asile en France. Vous auriez finalement consenti à déposer une demande en août 1998 « étant donné que [vous n’auriez] plus le choix ». Vous auriez pris cette décision notamment après avoir manqué de vous faire reconduire au Cameroun en tant qu’étranger en situation irrégulière et après avoir été refoulé d’Allemagne vers la France. A la suite du dépôt de votre demande, l’OFPRA a décidé de vous octroyer le statut de réfugié dans le cadre d’une procédure accélérée. Ainsi, il n’apparaît aucunement de cette description que les autorités françaises vous auraient empêché de déposer votre dossier auprès de l’OFPRA. Si tant est que vous ayez subi un préjudice à cause du refus par la préfecture de vous délivrer un récépissé provisoire de demandeur d’asile, ce tort aurait été réparé par les deux procès que vous avez intentés et gagnés.

Vos droits administratifs et juridiques sont ainsi bel et bien respectés par les autorités françaises malgré votre refus ostensible de coopérer dans le bon déroulement de votre procédure d’asile.

Concernant votre sentiment d’insécurité suite aux trois agressions dont vous auriez été victime, soulignons tout d’abord que les incidents relatés datent de 2002 et 2003 sans pour autant que d’autres problèmes aient été relevés au cours des cinq dernières années. Notons ensuite que vos plaintes ont été enregistrées par les autorités dans le total respect de la procédure prévue par les articles 15-3 et 40-1 du code de procédure pénale française. Ainsi, après avoir enregistré votre plainte et délivré un récépissé de plainte en bonne et due forme, le procureur de la République doit décider 1° Soit d’engager des poursuites ; 2° Soit de mettre en œuvre une procédure alternative aux poursuites en application des dispositions des articles 41-1 ou 41-2 ; 3° Soit de classer sans suite la procédure. Dans tout Etat de droit, il est ainsi fréquent et normal que soit classée sans suites une plainte déposée contre une infraction n’ayant causé aucun dégât matériel ni préjudice corporel, perpétrée par un auteur inconnu et lorsqu’il n’existe aucun élément susceptible d’être exploité pour en permettre l’identification. Le simple fait qu’une telle enquête n’ait pas pu aboutir n’est pas suffisant à considérer un défaut de protection des autorités françaises. Dans ce contexte, il convient de rappeler la jurisprudence constante selon laquelle « une persécution émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de population ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays d’origine. La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission d’actes de violences, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain degré de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de population seraient encouragées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée » (TA, 22 mars 2000, N° 11.659,… -…).

Ainsi, vos allégations selon lesquelles les autorités françaises ne vous protégeraient pas politiquement ne sont fondées sur aucun élément probant. Le Luxembourg considère la France comme un Etat de droit donnant à ses administrés l’accès à de très nombreuses procédures nationales, européennes et internationales. Si tant est que vos craintes étaient malgré tout avérées, le Luxembourg, doté d’un territoire et de moyens moindres que la France, ne serait pas mieux placé pour vous apporter une protection à l’encontre d’agents secrets qui officieraient pour le compte du Gouvernement camerounais et tenteraient de vous liquider même en dehors de votre pays.

Ajoutons enfin que votre déclaration annexée au courrier de Maître Olivier LANG en date du 17 juin 2008 met clairement en évidence que les raisons principales qui vous poussent à trouver refuge dans un autre pays que la France seraient en fait les conditions matérielles dans lesquelles vous y auriez vécu. Or, le fait que vous n’ayez pas bénéficié de soutien financier de la part des autorités françaises durant votre procédure ne peut valablement fonder votre crainte de persécution de la part de l’Etat français. Non seulement vous avez par la suite obtenu réparation contre ce dommage, mais encore votre décision d’interrompre toute occupation lucrative afin de vous consacrer à vos deux associations politiques vous appartient et votre absence de moyens financiers ne peut être imputée aux autorités qui vous offrent une protection.

Le Grand-Duché de Luxembourg ne peut par conséquent pas donner suite à votre demande déclarée irrecevable.

La présente décision est susceptible d’un recours en annulation devant le Tribunal administratif. Ce recours doit être introduit par requête signée d’un avocat à la Cour dans un délai d’un mois à partir de la notification de la présente. Je vous informe par ailleurs que la décision du Tribunal administratif n’est pas susceptible d'appel ».

Par requête déposée le 1er août 2008 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … … a fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 30 juin 2008.

Etant donné que l’article 17 de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions prises par le ministre au titre de l’article 16 de la même loi, un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision ministérielle litigieuse.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement se rapporte à la sagesse du tribunal en ce qui concerne la recevabilité du recours, en faisant valoir que le ministère compétent ignorerait l’adresse actuelle du demandeur, alors que depuis le 2 juillet 2008, celui-ci ne se serait plus présenté dans son foyer d’hébergement et que depuis le 18 juin 2008, il ne se serait pas présenté auprès des autorités luxembourgeoises pour faire prolonger son attestation de demandeur de protection internationale.

Aux termes de l’article 1er, deuxième alinéa de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives « la requête, qui porte date, contient : (…) les noms, prénoms et domicile du requérant, (…) ». Cette prescription est cependant à lire de concert avec l’article 29 de la même loi qui précise que « l’inobservation des règles de procédure n’entraîne l’irrecevabilité de la demande que si elle a pour effet de porter effectivement atteinte aux droits de la défense ».

Le moyen d’irrecevabilité soulevé par le délégué du gouvernement et tiré du défaut d’indication du domicile actuel du demandeur est à écarter, alors qu’il ressort de la requête introductive d’instance que le demandeur a élu domicile auprès de son avocat et qu’il affirme de son côté avoir été exclu du centre d’hébergement. Il ressort en outre du mémoire en réponse déposé au nom de l’Etat que ce dernier ne s’est pas mépris ni sur l’identité du demandeur ni sur la nature et le contenu de la décision attaquée. Il n’est par ailleurs ni prouvé, ni seulement allégué, que le défaut de la précision invoquée ait, en quoi que ce soit, lésé les droits de la défense de l’Etat.

Aucun autre moyen d’irrecevabilité n’ayant été invoqué, le recours en annulation, introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’en 1997, il aurait quitté son pays d’origine, le Cameroun, pour la France, en raison des persécutions dont il aurait été victime du fait de ses activités politiques. Il précise toutefois qu’il n’aurait pas eu l’intention de déposer une demande d’asile en France dont il se méfiait en raison des liens entretenus par la France avec le Cameroun. En voulant se rendre en Allemagne, il aurait été arrêté par les autorités françaises, placé en rétention administrative à deux reprises, puis libéré. Il aurait alors à nouveau tenté de rejoindre l’Allemagne, mais il aurait été intercepté par les autorités allemandes qui l’auraient renvoyé en France. Le 6 octobre 1997, il aurait finalement réussi à rejoindre l’Allemagne pour y déposer une demande d’asile et il y serait resté jusqu’au 26 août 1998, date de son renvoi en France. Il aurait alors déposé une demande d’asile en France qui aurait toutefois été déclarée abusive par le préfet pour finalement se voir accorder le statut de réfugié en date du 8 janvier 1999.

Le demandeur précise qu’il aurait continué en France ses activités politiques en faveur de la démocratie au Cameroun, qu’il aurait créé deux associations politiques et qu’il aurait été accrédité auprès du Parlement européen. Il explique que son engagement politique aurait déplu au pouvoir camerounais et ce serait ainsi qu’en 2002 et 2003 notamment, il aurait été menacé par des inconnus, qui lui auraient fait comprendre de cesser ses activités politiques, que son appartement aurait été visité à plusieurs reprises et qu’à ces occasions des documents de propagande auraient disparu. Il aurait porté plainte à trois reprises, mais ses plaintes seraient restées sans suite. Il explique encore dans ce contexte qu’avant chaque attaque ou intimidation un peu plus grave, il aurait été prévenu par un informateur de l’une de ses associations, un certain … …, qui aurait eu des informateurs à l’ambassade du Cameroun. Le 28 avril 2008, il aurait été informé par le dénommé … d’un projet d’attentat contre sa personne. Il aurait alors décidé de quitter la France pour se réfugier au Luxembourg précisément pour la raison que le Cameroun n’y dispose pas d’une représentation diplomatique.

Il insiste encore sur ce que les informations fournies par les autorités françaises aux autorités luxembourgeoises, selon lesquelles il serait « non recherché, mais connu pour escroquerie en 2007, violences volontaires en 2004, rébellion en 2003, entrée irrégulière en 1997 et usage de faux », contiendraient des faits pour lesquels il n’aurait été ni recherché ni poursuivi, ou qu’il aurait été obligé de commettre pour fuir le Cameroun, tout en concluant que cette manière de procéder des autorités françaises viserait à le rendre non crédible aux yeux des autorités luxembourgeoises. Il conteste par ailleurs les faits d’escroquerie, de violences volontaires et de rébellion.

En droit, le demandeur conclut à l’annulation de la décision d’irrecevabilité déférée pour violation de l’article 16 de la loi du 5 mai 2006, au motif que le ministre n’aurait pas examiné s’il pouvait encore se prévaloir de la protection de la qualité de réfugié en France au sens de l’article 16 (3) a) de la loi du 5 mai 2006.

En deuxième lieu, il estime que la motivation à la base de la décision litigieuse serait contraire à la loi en ce que le ministre n’aurait pas vérifié si les conditions énoncées à l’article 16 (4) de la loi du 5 mai 2006 étaient remplies dans le cas de la France afin de la faire considérer comme pays tiers sûr.

En ordre subsidiaire, le demandeur conclut encore à l’annulation de la décision litigieuse pour manquer de motivation, pour violation du principe de proportionnalité et pour erreur manifeste d’appréciation. Il critique ainsi le ministre de remettre en cause la crédibilité de l’intégralité de son récit sur la base du seul fait qu’il aurait caché ses séjours en Allemagne et en France et qu’il aurait indiqué une date de naissance erronée, d’une part, et de retenir que son récit serait extrêmement étayé et documenté, d’autre part. Il conclut partant à l’annulation de la décision pour manquer de motivation. Il ajoute que ces déclarations mensongères auraient uniquement été faites lors de l’audition par la police et qu’il s’en serait excusé auprès de l’agent du ministère chargé de son audition. Il souligne encore que ces mensonges auraient uniquement été destinés à éviter son renvoi en France.

Il reproche ensuite au ministre d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation en retenant que ses droits administratifs et juridiques auraient été respectés en France.

Le demandeur insiste encore sur le fait qu’il serait manifeste à partir des pièces produites que ses plaintes auprès des autorités françaises n’auraient pas été enregistrées.

Il estime ensuite que les considérations du ministre quant à la capacité du Luxembourg à pouvoir le protéger seraient illégales pour être contraires à l’article 16 de la loi du 5 mai 2006.

Enfin, il conteste que sa demande de protection internationale soit motivée par des considérations d’ordre matériel ou économique.

Le délégué du gouvernement rétorque que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours.

La décision d’irrecevabilité déférée est fondée sur l’article 16 de la loi du 5 mai 2006 qui dispose comme suit :

« (1) Toute demande de protection internationale de la part d’un citoyen de l’Union européenne est irrecevable.

(2) Une demande de protection internationale peut être considérée comme irrecevable s’il existe un premier pays d’asile ou un pays tiers sûr.

(3) Un pays peut être considéré comme le premier pays d’asile d’un demandeur particulier, si le demandeur:

a) s’est vu reconnaître la qualité de réfugié dans ce pays et peut encore se prévaloir de cette protection, ou b) jouit, à un autre titre, d’une protection suffisante dans ce pays, y compris du bénéfice du principe de non-refoulement, à condition qu’il soit réadmis dans ce pays. En appliquant le concept de premier pays d’asile à la situation personnelle d’un demandeur, le ministre peut tenir compte des dispositions du paragraphe (4) qui suit.

(4) Le ministre peut appliquer la notion de pays tiers sûr uniquement lorsqu’il a acquis la certitude que dans le pays tiers concerné, le demandeur sera traité conformément aux principes suivants:

a) le demandeur n’a à craindre ni pour sa vie ni pour sa liberté en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social particulier ou de ses opinions politiques;

b) le principe de non-refoulement est respecté conformément à la Convention de Genève;

c) l’interdiction, prévue par le droit international, de prendre des mesures d’éloignement contraires à l’interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants, y est respectée;

d) la possibilité existe de solliciter la reconnaissance du statut de réfugié et, si ce statut est accordé, de bénéficier d’une protection conformément à la Convention de Genève.

(5) L’application de la notion de pays tiers sûr est subordonnée aux règles suivantes:

a) un lien de connexion doit exister entre le demandeur et le pays tiers concerné, sur la base duquel il serait raisonnable que le demandeur se rende dans ce pays;

b) le ministre doit s’assurer que la notion de pays tiers sûr peut être appliquée à un pays particulier ou à un demandeur particulier. A cet effet, il procède à un examen au cas par cas de la sécurité du pays pour un demandeur.

(6) Lorsqu’il exécute une décision uniquement fondée sur les paragraphes (2) à (5) qui précèdent, le ministre en informe le demandeur et lui fournit un document informant les autorités de ce pays que la demande n’a pas été examinée quant au fond.

Lorsque le pays tiers ne permet pas au demandeur d’entrer sur son territoire, la demande de protection internationale sera traitée au Luxembourg.

(7) Un règlement grand-ducal peut préciser les éléments à prendre en considération pour déterminer le pays tiers sûr.

(8) La décision d’irrecevabilité sera prise au plus tard dans un délai de deux mois à partir de l’introduction de la demande de protection internationale. Sans préjudice du paragraphe 1er du présent article et de l’article 9, paragraphe 5, aucune décision ne sera prise avant que le demandeur n’ait eu l’occasion d’être entendu.

(9) Le ministre statue sur la demande de protection internationale par une décision motivée qui est communiquée par écrit au demandeur. Les informations relatives au droit de recours sont expressément mentionnées dans la décision ».

Il se dégage de la disposition précitée que le ministre peut déclarer une demande de protection internationale comme irrecevable s’il existe un premier pays d’asile, défini comme étant le pays où le demandeur s’est vu reconnaître la qualité de réfugié et où il peut encore se prévaloir de cette protection. Cette disposition précise encore que le ministre, en appliquant le concept de premier pays d’asile à la situation personnelle d’un demandeur, peut tenir compte des dispositions du paragraphe 4 de l’article 16 qui énoncent les critères selon lesquels le ministre peut considérer un pays tiers comme un pays tiers sûr.

Il appartient dès lors au ministre de vérifier si le demandeur s’est vu reconnaître le statut de réfugié dans un pays et s’il peut encore se prévaloir de la protection que lui confère ledit statut. Cette vérification implique que le ministre se livre à un examen de la situation concrète du demandeur dans le premier pays d’asile, au vu des éléments lui soumis, étant entendu que le ministre évaluera également la crédibilité et la pertinence des éléments lui ainsi soumis.

En l’espèce, il est constant que le 8 janvier 1999, le demandeur s’est vu reconnaître la qualité de réfugié en France du fait de ses activités politiques au sein du parti d’opposition au Cameroun et qu’il dispose toujours à l’heure actuelle de ce statut.

Il convient dès lors de retenir que les développements du demandeur ayant trait à la procédure d’asile en France, en notamment aux actions qu’il a dû mener pour se voir reconnaître le statut de réfugié, ne sont pas pertinents dans le cadre de l’examen de la présente décision, étant donné que le demandeur s’est vu reconnaître la qualité de réfugié en France et qu’il en dispose toujours. Pour le surplus, le fait que le demandeur a dû introduire un recours devant le tribunal administratif de Paris en 1999 pour demander l’annulation du refus du préfet de police de lui accorder un séjour au titre de l’asile et un autre recours, en 2002, devant le même tribunal pour obtenir réparation du préjudice causé par ce refus préfectoral, lesquels recours ont tous les deux été accueillis, ne permettent pas d’infirmer cette conclusion.

Le tribunal est ensuite amené à retenir que le reproche du demandeur à l’adresse du ministre de ne pas avoir vérifié si, en l’espèce, la France pouvait encore être considérée comme premier pays d’asile, laisse d’être fondé. En effet, il ressort des termes de la décision litigieuse que le ministre s’est livré à un examen détaillé de la situation du demandeur, en analysant les déclarations faites par ce dernier lors de ses auditions, pour arriver à la conclusion que, dans le cas du demandeur, la France est à considérer comme premier pays d’asile un pays tiers sûr.

A cet égard, c’est à juste titre que le ministre a estimé que les affirmations du demandeur selon lesquelles les autorités françaises ne pourraient pas le protéger, n’étaient pas fondées. En effet, le demandeur a fait état de trois incidents dont il aurait été victime en 2002 et 2003. Les récépissés des plaintes déposées à la suite de ces incidents, produits par le demandeur, précisent que le demandeur a déclaré à la police avoir été victime des infractions suivantes : « menace par arme blanche », « vol d’un téléphone – vol d’argent » et « vol avec effraction et menace avec arme ». Il ne ressort toutefois pas desdits récépissés que ces incidents soient liés de loin ou de près aux activités politiques du demandeur. Il s’y ajoute que le simple fait que ces plaintes soient restées sans suite ne permet pas de conclure à un défaut de protection de la part des autorités françaises, d’autant plus que le demandeur aurait pu former un recours contre la décision de classement sans suite, ou encore décider de saisir directement le procureur de la République ou le juge d’instruction compétent afin de pallier à l’inertie dont il accuse les services de police français. Quant à l’absence de numéro d’enregistrement sur les trois récépissés de dépôt de plainte, ce fait à lui seul, ne permet pas non plus de conclure, contrairement à ce que soutient le demandeur, à un non-enregistrement de ces plaintes, cette absence pouvant s’expliquer notamment par un simple oubli de la part de l’agent de police ou par le fait que la plainte s’est vu attribuer un numéro plus loin dans la procédure, étant relevé par ailleurs que le demandeur a déclaré lors de ses auditions que la police avait déclaré que l’instruction des plaintes était en cours. Quant au prétendu projet d’attentat contre la personne du demandeur, il convient de relever que celui-ci n’a pas déclaré avoir recherché la protection des autorités françaises contre cette menace.

Il y a encore lieu de relever que s’il est certes vrai, comme le soutient le demandeur, que le ministre a déclaré dans la décision litigieuse que le Luxembourg ne serait pas mieux placé pour protéger le demandeur, pour le cas où ses craintes s’avéreraient fondées, la décision déférée n’est toutefois pas fondée sur cette affirmation, mais se fonde sur le fait que la France est à considérer comme premier pays d’asile, de sorte que cette remarque ne saurait porter à conséquence.

Il suit de ce qui précède que le moyen d’annulation tiré d’une violation de l’article 16 de la loi du 5 mai 2006 est à rejeter.

Le demandeur reproche encore au ministre, à partir de ses déclarations mensongères devant l’agent de police judiciaire au sujet de ses séjours en France et en Allemagne et de sa date de naissance, d’avoir mis en doute la crédibilité de l’ensemble de son récit. Aucun reproche ne saurait toutefois être adressé de ce chef au ministre, étant donné que si le récit du demandeur est certes, comme l’a d’ailleurs relevé le ministre, bien étayé et documenté, le demandeur reste toutefois en défaut d’apporter un quelconque élément de preuve permettant de croire qu’il ne pourrait pas bénéficier d’une protection en France, de sorte que le ministre a, valablement et sans commettre une erreur d’appréciation, pu estimer, au vu des déclarations mensongères ci-avant relatées, que le récit du demandeur était sujet à caution.

Il s’ensuit que les moyens d’annulation tirés d’une violation de la loi et du principe de proportionnalité laissent également d’être fondés.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en annulation laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

donne acte au demandeur de ce qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 27 août 2008 par :

Martine Gillardin, premier juge, Marc Sünnen, juge, Françoise Eberhard, juge, en présence du greffier en chef de la Cour administrative Erny May, greffier assumé.

s. May s. Gillardin 11


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 24690
Date de la décision : 27/08/2008

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2008-08-27;24690 ?

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