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12/03/2008 | LUXEMBOURG | N°22010a

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 mars 2008, 22010a


Tribunal administratif N° 22010a du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 octobre 2006 Audience publique du 12 mars 2008 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du comité de direction de l’Entreprise des Postes et Télécommunications en matière de discipline

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 22010 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 octobre 2006 par Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, facteur aux écritures pr

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Tribunal administratif N° 22010a du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 octobre 2006 Audience publique du 12 mars 2008 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du comité de direction de l’Entreprise des Postes et Télécommunications en matière de discipline

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 22010 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 octobre 2006 par Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, facteur aux écritures principal auprès de l’Entreprise des Postes et Télécommunications, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision prise par le comité de direction de l’Entreprise des Postes et Télécommunications en date du 29 juin 2006, prononçant à son égard la sanction disciplinaire de la révocation ;

Vu le jugement du 7 mai 2007 ayant reçu le recours en réformation en la forme et, au fond, ayant soumis à la Cour Constitutionnelle les questions préjudicielles suivantes : 1) « Est-ce que le fait que la loi du 25 avril 2005 en ce qu’elle institue une procédure disciplinaire spécifique à l’égard des fonctionnaires employés auprès de l’Entreprise des Postes et Télécommunications et différente par rapport à celle applicable aux fonctionnaires attachés aux autres administrations, constitue une inégalité de traitement par rapport aux autres fonctionnaires et une violation du principe de l’égalité devant la loi consacré par l’article 10bis (1) de la Constitution ? » et 2) « Les articles 9 et 10, alinéa 1er de la loi du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat telle qu’elle a été modifiée, sont-ils conformes à l’article 14 de la Constitution ? » et dans l’affirmative « L’article 47 de la loi du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat telle qu’elle a été modifiée, est-il conforme à l’article 14 de la Constitution ? » , tout en réservant les frais ainsi que tous droits des parties ;

Vu l’arrêt de la Cour Constitutionnelle du 14 décembre 2007, n° 00041 du registre ;

Vu la constitution de nouvel avocat de Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg au nom et pour compte de l’Entreprise des Postes et Télécommunications du 25 janvier 2008 ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport complémentaire ainsi que Maîtres Jean-

Marie BAULER et Patrick KINSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 mars 2008.

___________________________________________________________________________

Par requête inscrite sous le numéro 22010 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 octobre 2006, Monsieur … a fait déposer un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision prise par le comité de direction de l’Entreprise des Postes et Télécommunications, ci-après « l’Entreprise des P & T », en date du 29 juin 2006, prononçant à son égard la sanction disciplinaire de la révocation A l’appui de son recours, le demandeur a soulevé divers moyens ayant trait, d’une part, à la légalité et à la régularité de la procédure disciplinaire ayant abouti à la décision déférée, le demandeur soulevant à cet égard notamment divers moyens de légalité interne de la procédure, et d’autre part, à l’applicabilité per se de la procédure disciplinaire, le demandeur estimant en substance que la procédure telle que lui appliquée par l’Entreprise des P & T sur base de la loi du 25 avril 2005 modifiant certaines dispositions de la loi modifiée du 10 août 1992 portant création de l’Entreprise des P & T n’aurait pas dû lui être appliquée pour être notamment contraire à l’article 10 bis de la Constitution, sinon pour être contraire au principe de la non-rétroactivité de la loi.

Le demandeur met encore en cause le système des sanctions disciplinaires en son intégralité, en faisant plaider que le caractère vague des devoirs sanctionnés disciplinairement heurterait l’article 14 de la Constitution.

Suivant jugement du 7 mai 2007, le tribunal administratif, statuant contradictoirement, a reçu le recours en réformation introduit par Monsieur … en la forme et au fond, après avoir retenu que c’est à juste titre que les organes disciplinaires de l’Entreprise des P & T ont appliqué la loi du 25 avril 2005 comme étant applicable ratione temporis au cas de Monsieur …, encore que les poursuites disciplinaires aient été engagées à l’encontre de Monsieur … avant l’entrée en vigueur de cette loi, a soumis à la Cour Constitutionnelle les questions préjudicielles suivantes : 1) « Est-ce que le fait que la loi du 25 avril 2005 en ce qu’elle institue une procédure disciplinaire spécifique à l’égard des fonctionnaires employés auprès de l’Entreprise des Postes et Télécommunications et différente par rapport à celle applicable aux fonctionnaires attachés aux autres administrations, constitue une inégalité de traitement par rapport aux autres fonctionnaires et une violation du principe de l’égalité devant la loi consacré par l’article 10bis (1) de la Constitution ? » et 2) « Les articles 9 et 10, alinéa 1er de la loi du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat telle qu’elle a été modifiée, sont-ils conformes à l’article 14 de la Constitution ? » et dans l’affirmative « L’article 47 de la loi du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat telle qu’elle a été modifiée, est-il conforme à l’article 14 de la Constitution ? », tout en réservant les frais ainsi que tous droits des parties.

Par arrêt du 14 décembre 2007, n° 00041 du registre, la Cour Constitutionnelle a retenu que « la loi du 25 avril 2005 modifiant certaines dispositions de la loi modifiée du 10 août 1992 portant création de l'entreprise des postes et télécommunications en ce qu'elle instaure une procédure disciplinaire spécifique à l'égard des fonctionnaires employés auprès de l'ENTREPRISE DES POSTES ET TELECOMMUNICATIONS ne viole pas le principe de l'égalité devant la loi consacré par l'article 10 bis (1) de la Constitution » ainsi que « les articles 9.1., 10.1., et 47 de la loi du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires telle qu'elle a été modifiée ne sont pas contraires à l'article 14 de la Constitution ».

Il s’ensuit, en application du prédit arrêt de la Cour constitutionnelle, que les moyens du demandeur relatifs à la contrariété de la loi du 25 avril 2005 à la Constitution sont à écarter pour ne pas être fondés.

Les questions soulevées par le demandeur relatives à la procédure théoriquement applicable et à l’éventuelle anti-constitutionnalité de cette procédure ayant été tranchées, il échet de contrôler la régularité et la légalité de la procédure appliquée par l’Entreprise des P & T in concreto, dont le caractère prétendument vicié serait éventuellement de nature à entraîner la nullité de toute la procédure ab initio et partant de la sanction, pour ensuite, en ce qui concerne le résultat de ladite procédure, de vérifier la légalité extrinsèque de l’acte déféré, avant de se livrer finalement, par le biais de l’examen de la légalité et du bien-fondé des motifs, au contrôle de la légalité intrinsèque.

A l’appui de son recours, Monsieur … fait valoir que la procédure disciplinaire ayant précédé la décision déférée violerait l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après dénommée « la Convention européenne des droits de l’homme », en ce que sa cause n’aurait pas été entendue d’une manière équitable. Il estime à ce sujet que l’Inspection centrale serait affectée d’une partialité objective, en ce sens qu’elle aurait tant une mission de juge d’instruction qu’une mission de juge ainsi qu’une mission de procureur.

Quant à la Commission disciplinaire, il lui reproche un manque d’impartialité objective, tiré du fait que le Président de la Commission aurait en sa qualité de chef du service juridique connu préalablement de son dossier et que l’un des autres membres de la Commission aurait signé son ordre de détachement, de sorte que ces deux personnes ne présenteraient plus l’indépendance nécessaire pour siéger dans son affaire, ce qui constituerait une violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme précité.

Il estime enfin que la décision déférée, étant intervenue près de 3 ans après l’ouverture de la procédure disciplinaire, aurait été prise en dehors du délai raisonnable dont le respect est imposé par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

L’Entreprise des P & T conclut à la non-applicabilité de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme à une procédure disciplinaire.

A titre subsidiaire, dans l’hypothèse où l’article 6 prévisé serait néanmoins applicable, l’Entreprise des P & T rencontre le moyen afférent du demandeur en contestant toute violation des droits de la défense dans le chef du demandeur ainsi que tout dépassement du délai raisonnable.

Le champ d’application de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme est défini dans son paragraphe 1 comme suit : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ».

Pour conclure à l’applicabilité en l’espèce dudit article 6, le demandeur s’est référé brièvement à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 8 décembre 1999 dans l’affaire Pellegrin c/ France (requête n° 28541/95), à travers lequel la Cour a retenu que « sont seuls soustraits au champ d’application de l’article 6 § 1 de la Convention les litiges des agents publics dont l’emploi est caractéristique des activités spécifiques de l’administration publique dans la mesure où celle-ci agit comme détentrice de la puissance publique chargée de la sauvegarde des intérêts généraux de l’Etat ou des autres collectivités publiques ».

Force est de constater qu’au-delà même de la question de la transposition de ce critère au cas d’espèce, la procédure disciplinaire sous revue et critiquée au regard des impératifs découlant de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme ne constitue qu’une étape d’un processus décisionnel – organisé par la loi – propre à la fonction publique et aboutissant à une décision finale à l’égard de l’agent concerné, en l’occurrence celle déférée, de sorte que cette procédure disciplinaire préalable ne revêt pas en elle-même un caractère juridictionnel, mais une nature purement administrative.

Or, si l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme impose certes des impératifs à respecter en matière de procès équitable, les garanties afférentes n’ont néanmoins pas pour autant vocation à s’appliquer au niveau d’une procédure disciplinaire purement administrative, en ce qu’elles n’entrent en ligne de compte qu’à un stade ultérieur, au niveau de l’instance juridictionnelle compétente pour connaître du recours dirigé contre la décision administrative traduisant l’aboutissement de ladite procédure disciplinaire1.

En d’autres termes, la Convention européenne des droits de l’homme ne s’oppose pas à ce qu’une sanction soit prononcée par une autorité ne satisfaisant pas aux exigences de l’article 6 pourvue que la personne frappée par la sanction puisse introduire un recours contre celle-ci devant un tribunal offrant toutes les garanties de l’article 62.

Il s’ensuit que les moyens avancés par le demandeur, basés sur une violation alléguée de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme au niveau de la procédure disciplinaire administrative ayant précédé la décision déférée sous examen laissent en tout état de cause d’être fondés.

Le demandeur sollicite cependant, à titre subsidiaire, au cas où le tribunal ne retiendrait pas l’applicabilité de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme à la procédure disciplinaire administrative, que la régularité de la procédure soit examinée sous l’aspect des principes généraux du droit au respect des droits de la défense.

Il est à ce sujet admis que si l’autorité administrative n’est pas formellement soumise au respect de l’article 6 en question, elle est néanmoins tenue d’observer les principes généraux de droit3 4, tels que le principe d’équitable procédure, le principe de respect des droits de la défense ou encore le principe général d’impartialité, et ce même en l’absence d’un texte exprès.

Le demandeur reproche à ce sujet à l’Inspection centrale de cumuler plusieurs fonctions, de sorte à être entaché de partialité objective.

Il est certes vrai qu’il échet d’une manière générale d’assurer que l’enquête disciplinaire soit conduite par une personne compétente à condition que son impartialité ne soit pas contestable. Ainsi, à part le fait que l’organe enquêteur, chargé de l’instruction de 1 Voir. trib. adm. 18 novembre 2002, n° 14055, confirmé sur ce point par Cour adm. 22 avril 2003, n° 15788C, Pas. adm. 2006, V° Fonction publique, n° 123.

2 F. Krenc, « La protection contre la répression administrative au regard de la Convention européenne des droits de l’homme », dans : La protection juridictionnelle du citoyen face à l’administration, éd. La Charte, 2007, p.122, n° 17.

3 Ibidem, p.130, n° 27.

4 Voir aussi : D. Renders, M. Joassart, G. Pijke et F. Piret, « Le régime juridique de la sanction administrative », dans : Les sanctions administratives, Bruylant, 2007, p.198, n° 48, ainsi que B. Jeanneau, Les principes généraux du droit dans la jurisprudence administrative, Sirey, 1954, p.76..

l’affaire disciplinaire, doit être impartial d’un point de vue subjectif, en ce qu’il ne doit pas avoir procédé à des prises de position antérieures de nature à préjuger du résultat de la procédure disciplinaire, il est exigé que, d’un point de vue objectif, ledit enquêteur ne puisse pas être soupçonné de partialité objective5, la partialité objective pouvant découler de conditions structurelles ou organisationnelles qui autoriseraient à suspecter l’impartialité d’un organe.

Il n’appert cependant pas que l’Inspection centrale, du seul fait qu’elle soit appelée, en fonction des résultats de l’enquête, soit à classer l’affaire, soit à transmettre le dossier au comité aux fins de décision ou encore pour avis à la Commission disciplinaire, puisse être soupçonnée de partialité objective au cours de l’enquête, la partialité ne pouvant être déduite ex post du seul résultat de l’enquête. Il convient en effet de souligner que contrairement aux affirmations du demandeur, l’Inspection centrale n’exerce pas trois fonctions distinctes et incompatibles, mais est appelée, aux termes d’une instruction à charge et à décharge, à décider du sort de l’affaire, cette décision n’ayant par ailleurs que la qualité d’acte préparatoire, le comité de direction demeurant souverain dans son appréciation et pouvant décider soit qu'il n'y a pas lieu de prononcer une sanction, soit d'appliquer une ou plusieurs sanctions mineures, soit d'appliquer une sanction plus sévère que celle envisagée par l’Inspection centrale.

Le fait que le rapport de l’Inspection centrale clôture l’instruction disciplinaire menée à charge et à décharge du fonctionnaire et qu’il délimite les faits mis à sa charge ne saurait non plus être considéré comme mettant en cause son impartialité, l’Inspection centrale n’étant pas, par la suite, appelée à intervenir dans la procédure disciplinaire, et notamment lors de la procédure devant la Commission disciplinaire et le comité de direction.

Enfin, il convient de souligner que si, conformément à ce qui a été retenu ci-avant, l’autorité administrative est tenue d’observer les principes généraux de droit, dont notamment ceux relatifs aux droits de la défense, cette obligation s’impose certes avec rigueur à l’autorité qui sanctionne, mais non, ou du moins pas avec une telle sévérité, à un organe seulement appelé à poser des actes préparatoires et en particulier lorsqu’il s’agit d’un organe chargé de l’instruction d’une affaire6.

La même conclusion est à appliquer par ailleurs à la Commission disciplinaire dont le rôle ne consiste pas à arrêter une sanction, mais à rendre un avis lorsque les faits reprochés au fonctionnaire sont susceptibles d’être sanctionnés par une sanction plus sévère. En ce qui concerne par ailleurs le reproche concret selon lequel le président de la Commission disciplinaire, Monsieur …, aurait également eu à connaître préalablement du dossier de Monsieur … en sa qualité de chef du service juridique, implication que le demandeur entend établir par différents documents, force est cependant de constater que l’étude des documents indiqués par le demandeur, à savoir les pièces numérotées 19 et 22, ne permet pas de confirmer l’allégation du demandeur, les courriers en question ne mentionnant ni le nom ni la fonction de la personne visée par le demandeur, mais se limitant à évoquer indirectement le service juridique de l’Entreprise des P & T, sans que cette mention ne soit de nature à laisser entrevoir d’une quelconque manière une implication compromettante ou disqualifiante de Monsieur ….

5 Voir trib. adm. 21 mars 2001, n° 11896, confirmé par Cour adm. 9 octobre 2001, n° 13376C, Pas. adm. 2006, V° Fonction publique n° 130.

6 Voir en ce sens : Cass.b., 8 octobre 1973, Pas.b., 1974, I, p.139-142 ; Cass.b., 22 décembre 1982, n° 2677 Pas.b.,1983, I, p.498-503.

Enfin le fait que l’un des membres de la Commission disciplinaire ait signé préalablement l’ordre de détachement du demandeur n’est pas non plus de nature à témoigner d’une partialité de son auteur, l’ordre en question ayant été pris, du moins dans l’intention de son auteur, en tant que mesure conservatoire ne préjudiciant pas du résultat futur de l’instruction et de la procédure disciplinaire. Il convient de rappeler à ce sujet, par analogie avec les solutions dégagées relativement à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme, que « le simple fait, pour un juge, d'avoir déjà pris des décisions avant le procès ne peut passer pour justifier en soi des appréhensions relativement à son impartialité. Ce qui compte est l'étendue des mesures adoptées par le juge avant le procès. De même, la connaissance approfondie du dossier par le juge n'implique pas un préjugé empêchant de le considérer comme impartial au moment du jugement sur le fond. Enfin, l'appréciation préliminaire des données disponibles ne saurait non plus passer comme préjugeant l'appréciation finale ». Il échet tout particulièrement de relever que la Cour européenne des droits de l’Homme a écarté sur base de ce raisonnement toute impartialité objective dans le chef d’un juge-commissaire ayant pris des mesures conservatoire à l’égard d’une société, et ce alors que le même juge était postérieurement appelé à apprécier au sein d’une composition collégiale du tribunal le fond du litige7.

En ce qui concerne la question du respect ou de la violation du délai raisonnable par l’autorité administrative, il y a lieu de souligner que même en l'absence de texte prévoyant un délai déterminé, une autorité administrative chargée d’infliger des sanctions, assurant par là même une mission proche d’une juridiction répressive, a, dès qu'elle a connaissance de faits susceptibles de donner lieu à une sanction, l'obligation d’entamer et de poursuivre la procédure avec célérité, afin que la décision intervienne dans un délai raisonnable8.

Le caractère raisonnable du délai s'apprécie dans chaque cas et aux divers stades de la procédure, en fonction des circonstances de la cause, de la nature de l'affaire, du comportement de la personne sanctionnée et de celui de l'autorité. Cette obligation existe par ailleurs quelle que soit la gravité de la sanction envisagée, mais la menace d'une sanction grave implique qu’elle soit traitée, sauf circonstances particulières, comme une affaire urgente9, l'appréciation du caractère raisonnable ou non d'un délai étant fonction des circonstances propres à chaque espèce et le délai raisonnable dans lequel toute autorité administrative doit prendre une décision commençant à courir à partir du moment où elle est en mesure de le faire.

En présence de poursuites pénales, sauf disposition contraire expresse, lorsque les mêmes faits font l'objet de poursuites pénales et de poursuites administratives, l'autorité n'est pas tenue de surseoir à statuer jusqu'à ce que la juridiction répressive se soit définitivement prononcée. Elle peut toutefois estimer prudent d'attendre qu'une décision judiciaire ait statué définitivement sur l'action publique mais une telle prudence ne la dispense pas de l'obligation de statuer dans un délai raisonnable. Celle-ci doit poursuivre l'instruction administrative aussi loin qu'elle le peut par ses propres moyens d'investigation. Si, compte tenu de ces éléments, la matérialité des faits n'est pas contestée ou est incontestable, l'attente du résultat des poursuites pénales n'est pas nécessaire et par conséquent risque d'entraîner un dépassement du délai raisonnable. Par contre, si la matérialité des faits est contestée et qu'il est nécessaire ou utile d'attendre l'issue des poursuites pour avoir l'assurance qu'ils sont établis, le principe du délai 7 CEDH 6 juin 2000, Morel c/ France, n° 34130/96.

8 Voir notamment C.E. belge, 29 juin 2006, n° 160.797.

9 Voir C.E. belge, 9 avril 2001, n° 94.650 et C.E. belge, 29 juin 2006, n° 160.796.

raisonnable ne s'oppose pas à ce que l'autorité attende l'issue de la procédure pénale, pourvu qu'elle fasse diligence pour en connaître le résultat et pour agir en conséquence par la suite10.

En l’espèce, force est au tribunal de constater que si le demandeur a été informé par courrier du 2 juillet 2003 de l’ouverture d’une instruction disciplinaire à son encontre, instruction clôturée dès le 10 juillet 2003, au vu notamment des aveux du demandeur, et achevée définitivement, suite à un complément d’instruction, en août 2003, il n’a en revanche été convoqué devant la Commission disciplinaire qu’en date du 3 mai 2006, suite à quoi le comité de direction prit sa décision le 26 juin 2006.

Force est encore au tribunal de constater que l’Entreprise des P & T, confrontée au reproche d’un dépassement du délai raisonnable, n’a fourni aucune explication justifiant ce délai de près de trois ans entre la clôture de l’instruction et la décision finale du comité de direction prononçant à l’égard de Monsieur … la sanction disciplinaire de la révocation.

Il s’ensuit dès lors, compte tenu des circonstances particulières de l’espèce relevées ci-

avant et de la sévérité de la sanction infligée, à savoir la révocation, sanction la plus sévère des 10 sanctions disciplinaires prévues par la loi, qu’il y a effectivement eu dépassement du délai raisonnable.

Ce constat n’est néanmoins pas de nature à entraîner la nullité de la procédure, mais il permet au fonctionnaire qui en aurait souffert de saisir éventuellement la juridiction compétente d’une demande de réparation11 et doit être pris en compte, le cas échéant, lors de l’appréciation de la sanction, de sorte à être susceptible d’aboutir à un allègement de la sanction à prononcer par le tribunal, siégeant en tant que juge de la réformation.

Le demandeur oppose encore à la décision déférée de reposer sur une violation de l'article 34 de la loi du 25 avril 2005 modifiant certaines dispositions de la loi modifiée du 10 août 1992 portant création de l’Entreprise des P & T, sinon de l'article 9 du règlement grand-

ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, au motif que la convocation lui adressée indiquerait un élément nouveau, à savoir le jugement rendu par le tribunal de police en date du 14 février 2006, sans qu’il n’ait été invité à présenter ses observations ou encore admis à solliciter un complément d’instruction.

L’Entreprise des P & T estime cependant pour sa part que le jugement rendu par le tribunal de police de Luxembourg ne constituerait pas un élément nouveau, mais seulement le résultat de la procédure pénale engagée contre le demandeur par la plainte déposée entre les mains de Monsieur le Procureur d'Etat près le Tribunal d'arrondissement de et à Luxembourg en date du 4 novembre 2003, portant sur les mêmes faits qui se trouvent à la base de l'instruction disciplinaire menée par l'Entreprise des P & T à l'encontre du demandeur.

Aux termes de l’article 34 de la loi du 25 avril 2005 , « l’agent a le droit de prendre inspection du dossier, de présenter ses observations et de demander un complément d’instruction conformément à l’article 56, paragraphe 4, de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat », ce dernier article organisant le droit du fonctionnaire de prendre inspection de son dossier, de présenter endéans dix jours ses 10 D. Renders, M. Joassart, G. Pijke et F. Piret, op.cit., n° 66, p.219 à220.

11 J. Robert, Droits de l’homme et libertés fondamentales, Précis Domat, 5e éd., 1993, p.251.

observations et de demander le cas échéant un complément d’instruction.

Quant à l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, celui-ci dispose que « sauf s´il y a péril en la demeure, l´autorité qui se propose de révoquer ou de modifier d´office pour l´avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits à une partie, ou qui se propose de prendre une décision en dehors d´une initiative de la partie concernée, doit informer de son intention la partie concernée en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l´amènent à agir. Cette communication se fait par lettre recommandée. Un délai d´au moins huit jours doit être accordé à la partie concernée pour présenter ses observations. Lorsque la partie concernée le demande endéans le délai imparti, elle doit être entendue en personne.

L´obligation d´informer la partie concernée n´existe que pour autant que l´autorité compétente est à même de connaître son adresse. Les notifications sont valablement faites à l´adresse indiquée par la partie ou résultant de déclarations officielles ».

En l’espèce, il convient cependant de constater que si le jugement rendu par le tribunal de police en date du 14 février 2006 à l’encontre du demandeur peut constituer un épisode nouveau dans le cadre des différentes procédures intentées à son encontre, en ce sens que ce jugement clôture, du moins provisoirement en attenant l’issue d’un éventuel appel, la procédure pénale diligentée à son encontre, ce jugement ne constitue cependant pas un élément nouveau, étant donné qu’il ne repose en fait que sur les aveux du demandeur, sans ajouter de nouveaux faits matériels au dossier de celui-ci.

Il convient de surcroît de relever que contrairement à la lecture qu’en fait le demandeur, les articles 34 de la loi du 25 avril 2005 et 56, paragraphe 4, de la loi modifiée du 16 avril 1979 cités ci-avant, s’ils aménagement le droit du fonctionnaire de présenter le cas échéant ses observations et de solliciter éventuellement un complément d’instruction, ne comportent pas d’autre obligation dans le chef de l’autorité que celle de faire droit à une telle demande. Or il n’appert pas à l’étude du dossier que le demandeur, qui pourtant n’ignorait pas l’existence et la teneur du jugement du tribunal de police en question, ait formulé de telle demande. Le tribunal constate tout particulièrement que le jugement en question ayant été prononcé le 14 février 2006 et la convocation datant du 11 avril 2006, le demandeur disposait de près de 2 mois pour étudier le dossier et solliciter le cas échéant un complément d’instruction, ce qu’il n’a, en l’état actuel des éléments soumis au tribunal, manifestement pas fait.

Quant à l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, celui-ci n’est pas applicable au cas d’espèce, étant donné que s’il vise les cas où une autorité administrative se propose de révoquer ou de modifier d´office pour l´avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits à une partie, ou se propose de prendre une décision en dehors d´une initiative de la partie concernée, il n’est en revanche pas d’application en cours de procédure disciplinaire lorsque le fonctionnaire a eu la possibilité non contestée de faire valoir ses observations et de demander le cas échéant un complément d’instruction. Les formalités procédurales inscrites à l’article 9 dudit règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ayant trait aux droits de la défense, ne constituent en effet pas une fin en soi, mais consacrent des garanties visant à ménager à l’administré concerné une possibilité de prendre utilement position par rapport à la décision projetée, de sorte que dans l’hypothèse où il est établi que cette finalité est atteinte, la question du respect de toutes les étapes procédurales préalables prévues afin de permettre d’atteindre cette finalité devient sans objet12.

Le moyen tiré de la violation de l’article 34 de la loi du 25 avril 2005 sinon de l'article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 est dès lors à écarter.

Monsieur … accuse encore l'Inspection centrale d’avoir commis un excès de pouvoir pour avoir proposé à la Commission disciplinaire de prononcer la sanction de révocation.

Il convient cependant de constater que l'article 35 c) de la loi du 25 avril 2005 impose à l'Inspection centrale de transmettre le dossier à la Commission disciplinaire lorsqu'elle estime que les faits établis par l'instruction constituent un manquement à réprimer par une sanction plus sévère que celles mentionnées sous b) du même article, à savoir une sanction plus sévère que l'avertissement, la réprimande ou l'amende ne dépassant pas les 2/10ème d'une mensualité brute du traitement de base.

Il importe dès lors que l’Inspection centrale motive au regard de cette disposition sa décision de saisine de la Commission disciplinaire en indiquant de manière précise quelle sanction serait susceptible de sanctionner le ou les manquements retenus, étant souligné que cette décision ne lie cependant ni la Commission disciplinaire, ni le comité de direction, la décision de renvoi n’ayant que la nature d’un acte préparatoire.

Il s’ensuit que le moyen afférent est rejeter.

Le demandeur estime enfin que ses droits de la défense auraient été violés, au motif qu’il aurait été entendu au cours de l’enquête préalable administrative sans avoir été informé que des poursuites disciplinaires étaient d’ores et déjà envisagées.

Force est cependant au tribunal de constater qu’il ressort des pièces versées en cause, et notamment de la déposition du demandeur faite dans le cadre de ladite enquête administrative que celui-ci a été informé de l’objet de l’enquête administrative, portant sur la matière de violation du secret des lettres.

Il convient encore de relever que l’enquête administrative en cause n’est qu’une enquête préalable, destinée, le cas échéant, à permettre à l’autorité compétente de décider de l’opportunité, au vu des résultats dégagés par cette enquête, de charger l’Inspection centrale d’une instruction disciplinaire au cours de laquelle le fonctionnaire présumé fautif aura la possibilité de présenter sa défense.

Il ne saurait dès lors être conclu à une violation des droits de la défense du seul fait que le demandeur n’ait pas été expressément averti que les faits au sujet desquels une enquête préalable était poursuivie seraient théoriquement susceptibles de donner lieu à des poursuites disciplinaires, et ce d’autant plus que le demandeur ne pouvait ignorer cette éventualité qui découle du texte légal même, et plus particulièrement de l’article 44 du statut général des fonctionnaires, lui applicable, aux termes duquel « tout manquement à ses devoirs […] expose le fonctionnaire à une peine disciplinaire ».

12 Trib. adm. 18 mars 2002, n° 12086, confirmé par Cour adm. 8 octobre 2002, n° 14845C, Pas.adm. V° Procédure non contentieuse, n° 73.

Monsieur … estime enfin que dans la mesure où l’article 13 du règlement de procédure de l'Entreprise des P & T énonce que « les membres de la Commission et le secrétaire sont astreints au secret du délibéré et du vote », ce principe d’ordre public aurait été violé, étant donné que les noms des membres figurent sur la décision de la Commission ainsi que l’indication qu’ils ont statué à l’unanimité.

Il en déduit que par l’inobservation de cette prescription touchant à l’ordre public, l’avis de la Commission disciplinaire serait vicié et devrait dès lors être annulé.

L'Entreprise des P & T, outre de contester la recevabilité de ce moyen pour n’avoir été soulevé que dans le cadre du mémoire en réplique du demandeur, se réfère à l’article 4 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes pour faire valoir que la Commission serait tenue d’indiquer le nombre de voix exprimées en faveur de l’avis donné, de sorte qu’il n’y aurait pas de violation du secret du délibéré.

En ce qui concerne la recevabilité du moyen nouveau tendant à la violation, par la Commission disciplinaire, du secret du délibéré, il échet de rappeler que la partie demanderesse doit faire valoir ses moyens dans la requête introductive d'instance et ne peut, sous peine de forclusion, faire valoir d'autres moyens ou prendre d'autres conclusions après l'expiration du délai de recours, sous réserve des moyens d'ordre public qui peuvent être soulevés en tout état de cause et même être suppléés d'office13, les moyens d’ordre public étant ceux qui ont trait au respect de règles qui touchent aux intérêts essentiels de l’Etat ou de la collectivité, au bon fonctionnement des pouvoirs publics, à la sauvegarde des droits fondamentaux des administrés, à des questions politiquement explosives, des points vulnérables de l’organisation de la puissance publique ou qui fixent, dans le droit privé, les bases juridiques sur lesquelles repose l’ordre économique ou moral de la société, un critère permettant de reconnaître le caractère d’ordre public attaché à une règle pouvant notamment consister dans le fait que sa méconnaissance est sanctionnée pénalement14.

En l’espèce, étant donné que tant le secret du délibéré que le secret du vote traduisent des exigences procédurales fondamentales15, le moyen afférent doit être considéré comme étant d’ordre public et dès lors comme recevable même si soulevé pour la première fois par le demandeur dans le cadre de son mémoire en réplique.

En ce qui concerne cependant le caractère fondé de ce moyen, il y a lieu de rappeler que la Commission disciplinaire n’est pas un organe décisionnel et encore moins un organe juridictionnel, mais qu’elle n’est appelée, aux termes de l’article 38 de la loi du 25 avril 2005, qu’à émettre, dans certains cas de figure, un avis destiné à éclairer le comité de direction à l’occasion de sa prise de décision.

C’est dès lors à juste titre que l'Entreprise des P & T se prévaut de l’article 4 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, qui impose aux avis pris par des organismes consultatifs – tel qu’en l’espèce la Commission disciplinaire – d’indiquer « la composition de l´organisme, les noms des membres ayant assisté à la délibération et le nombre de voix exprimées en faveur de l´avis exprimé ».

13 Cour adm. 16 juin 1997, n° 9481C, Pas. adm. 2006, V° Procédure administrative, n° 473.

14 Trib. adm. 6 juin 2005, 19236, Pas. adm. 2006, V° Procédure administrative, n° 474.

15 Trib.adm. 9 mai 2007, n° 21852, www.ja.etat.lu.

L’indication, dans l’avis de la Commission disciplinaire, des noms de ses membres et du fait que l’avis a été pris à l’unanimité, est par conséquent conforme à l’obligation inscrite à l’article 4 cité ci-dessus.

S’il est vrai que le règlement de procédure interne de la Commission disciplinaire prévoit en revanche en son article 13 que les membres de la Commission sont astreints au secret du délibéré et au secret du vote, cette disposition purement interne ne saurait faire obstacle aux dispositions précitées du règlement grand-ducal et dispenser les membres de ladite Commission de l’obligation leur imposée par ce même règlement grand-ducal, mais elle doit, au vu précisément de l’obligation contraire imposée par règlement grand-ducal, être considérée comme illégale.

Il s’ensuit que si les membres ont effectivement violé le secret du vote tel que leur imposé par leur règlement interne, cette violation ne saurait légalement porter à conséquence, étant donné qu’elle a été imposée aux mêmes membres par un règlement grand-ducal.

Concernant finalement le fond du litige et les griefs retenus à charge de Monsieur …, il se dégage du dossier d’instruction, et plus particulièrement du rapport d’instruction établi en date du 10 juillet 2003 à la base de la décision critiquée du 29 juin 2006, que différents faits ont été retenus à charge du demandeur, faits que le demandeur ne conteste pas.

Il a ainsi été retenu à charge du demandeur d’avoir lors de l’exercice de ses fonctions violé à dessein et à plusieurs reprises les dispositions légales sur le secret des lettres, le demandeur ayant ainsi ouvert par curiosité un envoi contenant des produits pharmaceutiques ainsi qu’à plusieurs reprises des envois de la police grand-ducale contenant des photographies.

Force est de constater que le demandeur ne conteste pas la matérialité de ces faits, mais qu’il conteste qu’il s’agissait d’un comportement habituel et que tous les faits lui reprochés aient eu lieu en 2003. Le tribunal, s’il ne retient pas à la lecture des différentes dépositions et déclarations du demandeur un comportement systématique dans le chef du demandeur, est néanmoins contraint de constater que le demandeur a ouvert les envois émanant de la police grand-ducale de manière répétitive, ce caractère résultant d’ailleurs également du jugement du tribunal de police du 14 février 2006 qui a retenu à charge du demandeur d’avoir « à plusieurs reprises » ouvert des envois postaux, de sorte qu’il ne saurait en tout état de cause être considéré que le demandeur n’ait posé qu’un acte isolé.

Force est encore au tribunal de constater que l’avis de la Commission disciplinaire retient que le demandeur a « ouvertement avoué, lors de (…) l’audience du 3 mai 2003, d’avoir continué ses agissements illicites d’ouverture d’envois postaux en pleine connaissance de cause, en dépit des injonctions formelles de son supérieur hiérarchique de les cesser avec effet immédiat, qu’il ridiculisa, de sorte que la circonstance aggravante du refus d’ordre est constituée en l’espèce », sans que le demandeur n’ait actuellement contesté avoir fait cette déclaration.

Le demandeur conteste néanmoins la gravité des faits lui reprochés en arguant de l’excellence de ses antécédents, caractérisées par l’absence dans son dossier personnel de toute mention négative, de l’absence de tout préjudice matériel dans le chef de l'Entreprise des P & T, du fait que son affaire pénale ait été décorrectionnalisée et n’ait finalement abouti qu’à une peine symbolique, à savoir une amende de 150.- €, et du fait qu’il n’ait pas été suspendu pendant la durée de l’instruction disciplinaire.

Il estime enfin que la sanction de la révocation, consistant en la sanction la plus grave, serait disproportionnée.

Le tribunal constate à ce sujet que le conseil de direction a retenu dans la décision déférée au titre de la gravité des manquements commis par le demandeur le fait que ces manquements portent « gravement atteinte à la renommée de l'Entreprise des Postes et Télécommunications, particulièrement à la fiabilité du service du courrier postal et subsidiairement à la bonne réputation du corps des facteurs en général ».

Force est de constater de prime abord que le demandeur ne conteste pas le fait que ses manquements aient porté atteinte à la réputation de l'Entreprise des P & T. Il échet encore de constater que le secret de la correspondance est garanti par l’article 28 de la Constitution, tandis que sa violation est sanctionnée pénalement par les articles 149 et 460 du Code pénal, de sorte que l’importance objective de ce secret, et de la gravité corrélative de sa violation, n’est pas contestable. Par ailleurs, c’est à bon droit que l'Entreprise des P & T insiste sur l’importance de ce secret en ce qui la concerne subjectivement, la crédibilité et la légitimité de l'Entreprise des P & T en tant qu’opérateur de services postaux, et ce particulièrement sur un marché dorénavant ouvert à la concurrence, dépendant étroitement de la confiance accordée par les usagers au respect du secret des lettres, confiance susceptible d’être gravement atteinte par le comportement du demandeur.

Il s’ensuit que la gravité intrinsèque des manquements du demandeur doit être considérée comme établie, le demandeur cherchant néanmoins à en atténuer la gravité en se prévalant de considérations extrinsèques relevant en substance de ses états de service antérieurs, au résultat de l’action pénale intentée à son encontre et au fait que l’Entreprise des P & T ne l’ait pas suspendu.

Il échet cependant de retenir que l’appréciation souveraine du juge pénal en ce qui concerne la gravité des faits retenus ne lie pas l’autorité administrative, ni a fortiori le juge administratif, l’autorité administrative, si elle ne peut remettre en cause la matérialité des faits établis par une décision judiciaire, restant libre de décider si ceux-ci appellent une sanction et le taux de celle-ci, la sanction disciplinaire poursuivant un autre but que la sanction pénale. En effet, si la sanction pénale tend, de manière générale, à la préservation de l’ordre public ou de l’ordre social, la répression disciplinaire tend à assurer la cohérence interne à l’administration en sanctionnant un agent qui a manqué à ses obligations et à sauvegarder sa crédibilité auprès des administrés16. Aussi, si le juge pénal a retenu, dans sa sphère d’appréciation - encore que le jugement en question ne comporte aucune motivation à ce titre - que le comportement du demandeur n’a finalement porté atteinte à l’ordre public que de manière limitée, cette considération ne doit pas nécessairement s’imposer à l’autorité administrative – en l’espèce le comité de direction – qui peut, comme relevé ci-avant, retenir que les manquements ont gravement porté atteinte à l’administration, en l’occurrence à l’Entreprise des P & T, et à ses principes fondamentaux.

En relation avec le taux de la sanction retenue à charge de Monsieur … par rapport aux faits ci-avant retenus à sa charge, il ressort de l’article 53, alinéa 1er du statut général que « l’application des sanctions se règle notamment d’après la gravité de la faute commise, la nature et le grade des fonctions et les antécédents du fonctionnaire inculpé ».

16 T. Bombois et D. Déom, « La définition de la sanction administrative », dans : Les sanctions administratives, Bruylant, 2007, p.43, n° 21.

En l’espèce, malgré le fait que le demandeur n’a aucune inscription à son casier disciplinaire, le tribunal retient que la sanction de la révocation infligée au demandeur n’apparait pas comme disproportionnée par rapport aux faits commis par Monsieur …, notamment dans la mesure où, d’une part, il est établi que le comportement du demandeur a porté atteinte à la réputation de l’Entreprise des P & T et, d’autre part, que le demandeur a non seulement agi en connaissance du caractère illégal de son comportement, mais encore qu’il a persévéré dans son comportement malgré les injonctions formelles de son supérieur hiérarchique.

Cette conclusion n’est pas énervée par le fait que le demandeur n’a pas été immédiatement suspendu par l’Entreprise des P & T, étant donné que si l’Entreprise des P & T n’a effectivement pas choisi d’imposer une telle mesure drastique au demandeur, elle a en revanche tenté d’atteindre un but identique, à savoir éloigner le demandeur du centre de tri, tout en lui épargnant les conséquences de la suspension, en le détachant au bureau régional de ….

Enfin, si le tribunal a retenu ci-avant un dépassement du délai raisonnable, le dépassement constaté n’est cependant en l’espèce pas de nature à motiver une réformation de la décision déférée dans le sens d’une sanction revue à la baisse compte tenu, d’une part, de la gravité des manquements retenus et, d’autre part, de l’absence précisément de meure de suspension, et par conséquent de préjudice financier, dans le chef du demandeur pendant la durée excessive de l’instruction disciplinaire.

Il s’ensuit que le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Le demandeur réclame encore l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 1.000.- €, demande qui, au vu de l’issue du litige, est à rejeter.

L’Entreprise des P & T, de son côté, réclame également une indemnité de procédure d’un 1.500.- €, indemnité contestée par le demandeur.

Force est de constater que l’Entreprise des P & T, face à cette contestation, ne justifient ni la nature ni les motifs de sa demande. Or, une demande d'allocation d'une indemnité de procédure qui omet de spécifier concrètement la nature des sommes exposées non comprises dans les dépens et qui ne précise pas concrètement en quoi il serait inéquitable de laisser des frais non répétibles à charge de la partie gagnante est à rejeter, la simple référence à l'article de loi applicable n’étant pas suffisante à cet égard.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

vidant le jugement du 7 mai 2007, déclare le recours non fondé ;

rejette les demandes en allocation d’une indemnité de procédure formulées de part et d’autre ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par et prononcé à l’audience publique du 12 mars 2008 :

Mme Lenert, vice-président, M. Sünnen, juge, M. Fellens, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 14


Synthèse
Numéro d'arrêt : 22010a
Date de la décision : 12/03/2008

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2008-03-12;22010a ?

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