GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 22461 C Inscrit le 19 janvier 2007
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Audience publique du 24 avril 2007 Recours formé par …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié - Appel -
(jugement entrepris du 20 décembre 2006, no 21940 du rôle)
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Vu l’acte d’appel déposé au greffe de la Cour administrative le 19 janvier 2007 par Maître François Moyse, avocat à la Cour, au nom de …, née le …à … (Liberia), de nationalité libérienne, demeurant à L-…, contre un jugement rendu en matière de statut de réfugié par le tribunal administratif à la date du 20 décembre 2006, à la requête de l’actuelle appelante tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 17 août 2006 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée et lui ayant refusé le bénéfice de la protection subsidiaire ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 2 février 2007 par le délégué du Gouvernement Jean-Paul Reiter.
Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris.
Ouï le conseiller-rapporteur Marc Feyereisen en son rapport et Maître Jean-Philippe François, en remplacement de Maître François Moyse, ainsi que la déléguée du Gouvernement Jacqueline Guillou-Jacques en leurs observations orales.
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Par requête, inscrite sous le numéro 21940 du rôle et déposée le 15 septembre 2006 au greffe du tribunal administratif par Maître François Moyse, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, …, née le … à … (Liberia), de nationalité libérienne, demeurant à L-…, a demandé la réformation, sinon l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 17 août 2006 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée et lui ayant refusé le bénéfice de la protection subsidiaire.
Le tribunal administratif, statuant à l’égard de toutes les parties en date du 20 décembre 2006, a reçu le recours en réformation en la forme, au fond, l’a déclaré non justifié et en a débouté.
Il a déclaré le recours en annulation irrecevable.
Maître François MOYSE, avocat à la Cour, a déposé une requête d’appel au greffe de la Cour administrative en date du 19 janvier 2007 pour compte de … dans laquelle il invoque une violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure administrative non contentieuse.
La partie appelante reproche aux juges de première instance une appréciation erronée des éléments de la cause en se basant sur les mêmes moyens de fait que ceux exposés en première instance en estimant remplir les conditions pour bénéficier du statut de réfugié.
L’appelante fait ensuite valoir qu’elle aurait mis d’emblée en avant l’origine de ses persécutions, à savoir le refus de son mari d’être enrôlé de force par les rebelles.
Par ailleurs, l’argument du tribunal administratif relatif aux élections et à la présence des forces de maintien de la paix ne saurait constituer un motif de rejet de sa demande d’asile.
L’appelante estime finalement remplir les conditions d’obtention du statut conféré par la protection subsidiaire telle que prévue à l’article 37 de la loi du 5 mai 2006.
Le délégué du Gouvernement a déposé un mémoire en réponse en date du 2 février 2007 dans lequel il demande la confirmation du jugement entrepris.
Sur le vu des faits de la cause qui sont les mêmes que ceux soumis aux juges de première instance, la Cour estime que ceux-ci ont, dans un examen complet et minutieux de tous les éléments recueillis, apprécié ces derniers à leur juste valeur et en ont tiré des conclusions juridiques exactes.
La partie appelante continue d’abord à reprocher en instance à la décision critiquée de violer l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 concernant la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes et de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire en ce qu’elle ne comporterait pas une motivation suffisante au sens de ces deux dispositions, mais énoncerait des formules stéréotypées semblables à de nombreuses autres décisions en la matière.
Ce moyen laisse cependant d’être fondé, étant donné qu’il se dégage du libellé de la décision ministérielle du 17 août 2006 qu’elle reprend exhaustivement les éléments de persécution mis en avant par la demanderesse et qu’elle les analyse par rapport aux critères de la Convention de Genève pour arriver à la conclusion que lesdits éléments ne peuvent être qualifiés de crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Quant au fond de sa demande d’asile, … expose qu’au courant du mois d’août 2003, elle aurait été attaquée par des rebelles du groupe LURD alors qu’elle se rendait au marché, que lors de cette attaque, son frère aurait été tué et que les rebelles l’auraient emmenée et enfermée dans un bâtiment. Elle précise encore que lors de son emprisonnement, elle aurait été la victime de nombreux sévices physiques et sexuels, qu’après 6 jours de détention elle 2 aurait réussi à s’enfuir en profitant de l’absence momentanée de ses gardes, qu’elle aurait par la suite retrouvé dans un camp sa fille … et qu’elle aurait décidé de quitter le Liberia avec sa fille après avoir appris que son village aurait été attaqué par les troupes de Charles TAYLOR et que son mari et ses deux fils, ainsi que tous les autres villageois, auraient abandonné ledit village.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.
C’est à juste titre que le tribunal administratif a retenu que l’examen des déclarations faites par … lors de ses différentes auditions, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre de la procédure contentieuse, l’amène à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
En effet, force est de constater avec les premiers juges que l’appelante actuelle fait essentiellement état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre dans le contexte du climat d’insécurité ayant régné au Liberia, et plus particulièrement des affrontements entre les rebelles du LURD et le gouvernement de l’ancien président Charles TAYLOR.
Or, cette crainte, dans la mesure où les faits ainsi mis en avant remontent au mois d’août 2003 et donc à une époque se situant avant le départ du président Charles TAYLOR, n’est plus de nature à fonder à l’heure actuelle une crainte justifiée de persécution dans son chef, faute notamment par la demanderesse d’avoir rapporté en cause un quelconque élément tangible permettant de conclure à la persistance d’un risque individualisé de persécution à son égard dans le contexte politique actuel dans son pays d’origine.
Cette conclusion n’est pas ébranlée par l’argumentation … tenant à la situation générale prévalant au Liberia.
En effet, comme dégagé à juste titre par les premiers juges, le changement politique, amorcé par la signature en août 2003 d’un accord entre le gouvernement libérien, les forces rebelles, les partis politiques et des représentants de la société civile et par l’instauration en date du 14 octobre 2003 d’un gouvernement de transition auquel s’est ajouté la mise en place d’une force internationale (UNMIL) par la résolution n° 1509 du Conseil de Sécurité des Nations Unies du 19 septembre 2003 avec la mission notamment d’assurer la sécurité intérieure du pays et 3 de soutenir la démobilisation et le désarmement des forces rebelles, a abouti à des élections parlementaires et présidentielles en octobre et novembre 2005.
L’UNHCR a, en février 2006, pris officiellement position en faveur d’une politique de promotion active du retour des réfugiés libériens dans leur pays d’origine en retenant que dans l’ensemble, les conditions sont réunies pour un retour des réfugiés dans la sécurité et la dignité.
S’il est certes exact que le Conseil de sécurité des Nations Unies a relevé dans son rapport du 29 septembre 2006 que la situation au Liberia demeure une menace pour la paix et la sécurité internationales dans la région et que le mandat de la MINUL a été prorogé jusqu’au 31 mars 2007, ledit rapport constate également en guise de conclusion que les efforts consentis pour consolider la paix au Liberia portent déjà leurs fruits, notamment en ce qui concerne l’établissement de bonnes relations avec les pays voisins.
Face à cette évolution somme toute positive de la situation générale au Liberia et en l’absence d’éléments suffisants de nature à étayer un risque concret de recrudescence générale des violences, les craintes exprimées par la demanderesse ne sont pas de nature à fonder à l’heure actuelle une crainte justifiée de persécution, étant relevé que la demanderesse n’a fourni aucun élément permettant d’admettre que sa situation diffère de celle de ses compatriotes.
Concernant ensuite l’examen des conditions d’obtention du statut de protection subsidiaire dans le chef de …, force est de retenir avec le tribunal administratif que c’est à juste titre que le ministre a estimé que la demanderesse ne court pas, en cas de retour éventuel au Liberia, un risque réel de se voir infliger la peine de mort ou de se faire exécuter ou encore de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants respectivement de faire l’objet de menaces graves et individuelles contre sa vie en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international alors que le fait d’avoir été emprisonné pendant 6 jours en août 2003 par des membres du « LURD » ne justifie pas une impossibilité de retour à l’heure actuelle au Liberia au vu de l’évolution de la situation politique dans ledit pays.
L’appel déposé en date du 19 janvier 2007 est partant à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs la Cour, statuant contradictoirement, sur le rapport de son conseiller, reçoit l’acte d’appel du 19 janvier 2007, le déclare cependant non fondé, confirme le jugement du 20 décembre 2006 dans toute sa teneur, condamne l’appelante aux dépens de l’instance d’appel.
Ainsi délibéré et jugé par Jean Mathias Goerens, vice-président 4 Marc Feyereisen, conseiller, rapporteur Henri Campill, conseiller et lu par le vice-président Jean Mathias Goerens en l’audience publique au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête en présence du greffier de la Cour Anne-Marie Wiltzius.
le greffier le vice-président 5