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14/11/2006 | LUXEMBOURG | N°22139

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 novembre 2006, 22139


Tribunal administratif N° 22139 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 novembre 2006 Audience publique du 14 novembre 2006

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Requête en sursis à exécution introduite par Monsieur ….. ….., ….. ….., contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration en matière de police des étrangers

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ORDONNANCE

Vu la requête déposée le 10 novembre 2006 au greffe du tribunal administratif par Maître Véronique WIOT, avocate à la Cour, inscrite au tab

leau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ….. ….., de nationalité bosniaque, demeurant...

Tribunal administratif N° 22139 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 novembre 2006 Audience publique du 14 novembre 2006

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Requête en sursis à exécution introduite par Monsieur ….. ….., ….. ….., contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration en matière de police des étrangers

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ORDONNANCE

Vu la requête déposée le 10 novembre 2006 au greffe du tribunal administratif par Maître Véronique WIOT, avocate à la Cour, inscrite au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ….. ….., de nationalité bosniaque, demeurant à L…..

….. ….., ….., rue ….., actuellement détenu au centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, tendant à ordonner le sursis à exécution d'un arrêté du ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration du 10 août 2006 portant refus du renouvellement de son permis de séjour, la demande s'inscrivant dans le cadre d'un recours en réformation, sinon en annulation introduit le même jour et inscrit sous le numéro 22138 du rôle, dirigé contre la décision en question;

Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives;

Vu les pièces versées et notamment la décision critiquée;

Maître Véronique WIOT, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-

Paul REITER entendus en leurs plaidoiries respectives.

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Par arrêté du 10 août 2006, le ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration a refusé à Monsieur ….. ….., de nationalité bosniaque, le renouvellement de son permis de séjour. La décision est basée sur la considération que l'intéressé présenterait un danger grave pour la sécurité et l'ordre publics et elle précise qu'il devra quitter le pays dès la notification de l'arrêté.

Par requête déposée le 10 novembre 2006, inscrite sous le numéro 22138 du rôle, Monsieur ….. a introduit un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l'annulation de la décision ministérielle du 10 août 2006 et par requête déposée le même jour, inscrite sous le numéro 22139 du rôle, il sollicite le sursis à exécution de la décision en question ainsi qu'une mesure de sauvegarde en sa faveur, cette mesure consistant dans ce qu'il soit autorisé à séjourner provisoirement sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg en attendant que le tribunal administratif se soit prononcé sur le mérite de son recours au fond.

Il fait expliquer que s'il est vrai qu'il a été condamné à une peine d'emprisonnement qu'il a entre-temps purgée, il a mûri au cours de son incarcération et qu'il aspire à une vie saine et ordonnée auprès des siens. Il souligne qu'il a trouvé un employeur qui est prêt à l'embaucher. Il est donc d'avis qu'il ne constitue plus, actuellement, un danger pour l'ordre et la sécurité publics.

Il invoque par ailleurs l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome, le 4 novembre 1950 et approuvée par une loi du 29 août 1953 qui garantit la vie familiale et n'autorise une ingérence des pouvoirs publics dans cette vie que si celle-ci est absolument nécessaire dans une société démocratique. Or, en l'espèce, tous les membres de sa famille vivraient au Luxembourg, lui-même y étant arrivé à l'âge de dix ans. Il n'aurait plus aucune attache familiale en Bosnie. Un transfert vers ce pays provoquerait un déracinement intolérable.

Il estime dès lors remplir les conditions légales pour bénéficier d'un sursis à exécution ainsi que d'une mesure de sauvegarde.

Le délégué du gouvernement ne conteste pas l'existence d'une vie familiale au Luxembourg dans le chef de Monsieur …… Il estime cependant qu'au vu de ses antécédents, il constitue un danger pour l'ordre et la sécurité publics. En effet, il aurait été condamné à une peine d'emprisonnement de six ans, dont deux avec sursis. Au cours de son incarcération, il s'est fait remarquer par de nombreuses sanctions disciplinaires. La commission consultative en matière de police des étrangers aurait, après avoir soupesé les éléments plaidant en faveur et en défaveur de Monsieur ….., estimé nécessaire de prendre une mesure de police à son encontre. Il s'oppose partant tant au sursis à exécution qu'à une mesure de sauvegarde.

La requête est basée sur les articles 11, relative au sursis à exécution, et 12, relatif aux mesures de sauvegarde, de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

En vertu de l'article 11, (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le sursis à exécution ne peut être décrété qu'à la double condition que, d'une part, l'exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d'autre part, les moyens invoqués à l'appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l'affaire est en état d'être plaidée et décidée à brève échéance.

La décision de refus de renouvellement du permis de séjour est une décision négative dans ce sens qu'elle refuse de faire droit à une demande. Une telle demande n'est pas susceptible d'un sursis à exécution, la non-exécution de la décision n'étant d'aucune utilité pour le demandeur qui ne saurait, par ce moyen, se voir conférer le droit de séjourner provisoirement sur le territoire luxembourgeois.

L'article 12 de la loi précitée du 21 juin 1999, le président du tribunal administratif peut au provisoire ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution d'une affaire dont est saisi le tribunal administratif, à l'exclusion des mesures ayant pour objet des droits civils.

Une mesure de sauvegarde présente une utilité certaine pour un étranger débouté de sa demande de renouvellement d'un permis de séjour en ce qu'elle peut consister dans l'autorisation provisoire de résider sur le territoire en attendant que le juge du fond ait définitivement statué sur le mérite du recours.

Sous peine de vider de sa substance l'article 11 de la même loi, qui prévoit que le sursis à exécution ne peut être décrété qu'à la double condition que, d'une part, l'exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d'autre part, les moyens invoqués à l'appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, il y a lieu d'admettre que l'institution d'une mesure de sauvegarde est soumise aux mêmes conditions concernant les caractères du préjudice et des moyens invoqués à l'appui du recours. Admettre le contraire reviendrait en effet à autoriser le sursis à exécution d'une décision administrative alors même que les conditions posées par l'article 11 ne seraient pas remplies, le libellé de l'article 12 n'excluant pas, a priori, un tel sursis qui peut à son tour être compris comme mesure de sauvegarde.

En l'espèce, il est vrai que Monsieur ….., qui vit au Luxembourg depuis l'âge de dix ans et, tous les membres de sa proche famille, c'est-à-dire sa mère et ses frères et sœurs, vivant par ailleurs dans ce pays, y a une vie familiale, fait à propos duquel le délégué du gouvernement est d'accord. Il convient cependant de souligner qu'il n'est pas marié et qu'il n'a pas d'enfants au Luxembourg. Il se pose dès lors la question de savoir si, en refusant le renouvellement de son permis de séjour, le ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration a pu valablement s'ingérer dans cette vie familiale.

En vertu de l'article 8, alinéa 2 de la Convention européenne des droits de l'homme, précitée, il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de la vie privée et familiale que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.En vertu de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, les critères suivants doivent être utilisés pour l'appréciation de la question de savoir si une mesure d'expulsion est nécessaire dans une société démocratique et proportionnée au but légitime suivi:

- la nature et la gravité de l'infraction commise par l'intéressé;

- la durée du séjour de l'intéressé dans le pays dont il doit être expulsé;

- le laps de temps qui s'est écoulé depuis l'infraction, et la conduite de l'intéressé pendant cette période;

- la nationalité des diverses personnes concernées;

- la situation familiale de l'intéressé, et notamment, le cas échéant, la durée de son mariage, et d'autres facteurs témoignant de l'effectivité d'une vie familiale au sein d'un couple;

- la question de savoir si le conjoint avait connaissance de l'infraction à l'époque de la création de la relation familiale;

- la question de savoir si des enfants sont issus du mariage et, dans ce cas, leur âge;

- la gravité des difficultés que le conjoint risque de rencontrer dans le pays vers lequel l'intéressé doit être expulsé;

- l'intérêt et le bien-être des enfants, en particulier la gravité des difficultés que les enfants de l'intéressé sont susceptibles de rencontrer dans le pays vers lequel il doit être expulsé, et - la solidité des liens sociaux, culturels et familiaux avec le pays hôte et avec le pays de destination (CEDH 18 octobre 2006, req. n° 46410/99).

Dans l'affaire précitée, l'étranger faisant l'objet d'une mesure d'expulsion avait immigré dans le pays hôte à l'âge de douze ans avec sa mère et ses frères pour y rejoindre son père. Il y avait fondé une famille et avait deux fils, de sorte que la Cour estima qu'il avait des "liens solides" avec ce pays. L'étranger avait été condamné à une peine d'emprisonnement de sept mois du chef d'homicide involontaire. La Cour considéra ces faits comme très graves. Elle retint, par ailleurs, du cursus de l'intéressé qu'il avait "démontré une propension à la délinquance." Elle arriva à la conclusion que l'interdiction de territoire prononcée par les autorités du pays hôte était proportionnée aux buts poursuivis et donc nécessaire dans une société démocratique, de sorte qu'il n'y avait pas eu violation de l'article 8 de la Convention.

Dans la présente affaire, Monsieur ….. a été condamné, par arrêt de la Cour d'appel du 25 mai 2004, à une peine similaire, à savoir six ans dont deux avec sursis, pour des faits également graves, à savoir du chef de trafic de stupéfiants, faits qui sont de nature à troubler gravement l'ordre et la santé publics. D'autre part et surtout, comme le soulève la commission consultative en matière de police des étrangers dans son avis du 15 juin 2006, Monsieur ….. a reconnu avoir été impliqué dans de nombreuses bagarres avant ses 18 ans. Il fut placé, en 1999, pour une durée de sept mois, au Centre socio-

éducatif de …… Pendant son incarcération, il s'était fait remarquer pour de nombreuses sanctions disciplinaires tout au long de son séjour au centre pénitentiaire. Il paraît donc montrer à son tour une propension à la délinquance, fait relevé par la Cour européenne des droits de l'homme dans son arrêt précité du 18 octobre 2006. Par ailleurs, s'il est vrai que sa mère et ses frères et sœurs vient au Luxembourg, il n'y a pas fondé de famille; il est célibataire et il n'a pas d'enfants. Sa vie familiale est partant beaucoup moins intense que dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt précité de la Cour européenne des droits de l'homme.

Il suit des considérations qui précèdent que les moyens tirés de la violation, par le ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration, des principes de proportionnalité et d'ingérence intolérable dans la vie privée et familiale ne paraissent pas suffisamment sérieux, au stade actuel de l'instruction du litige, pour justifier une mesure de sauvegarde en faveur du demandeur. Comme les conditions tenant d'une part au sérieux des moyens et d'autre part au risque d'un préjudice grave et définitif doivent être remplies cumulativement, il y a lieu de rejeter la demande sans qu'il y ait lieu d'examiner davantage le risque d'un préjudice grave et définitif.

Par ces motifs, le soussigné président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique, déclare la demande en sursis à exécution irrecevable, déclare la demande en institution d'une mesure de sauvegarde non justifiée et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 14 novembre 2006 par M.

Ravarani, président du tribunal administratif, en présence de M. Rassel, greffier.

s. Rassel s. Ravarani


Synthèse
Numéro d'arrêt : 22139
Date de la décision : 14/11/2006

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2006-11-14;22139 ?

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