Tribunal administratif N° 22003 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 octobre 2006 Audience publique du 23 octobre 2006
=============================
Requête en sursis à exécution introduite par la société anonyme ….. S.A., …..
contre une décision du syndicat intercommunal ….., …..
en présence de la société anonyme ….. ….., ….. …..
en matière de marchés publics
--------------------------------------
ORDONNANCE
Vu la requête déposée le 10 octobre 2006 au greffe du tribunal administratif par Maître Roland ASSA, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme ….. S.A., établie et ayant son siège à ….. ….., rue ….., représentée par son conseil d'administration actuellement en fonctions, tendant respectivement à prononcer le sursis à exécution ou l'institution d'une mesure de sauvegarde par rapport aux décisions suivantes prises par le comité du Syndicat intercommunal pour la gestion des déchets en provenance des ménages et des déchets assimilables des communes des cantons de ….. ….. ….. (en abrégé …..):
- la délibération du 10 juillet 2006 adjugeant le marché, lancé dans le cadre d'un appel d'offres du 8 mars 2005, portant sur la réalisation du projet de conception, la réalisation et l'exploitation d'installations de traitement de déchets municipaux et assimilables à la société de droit allemand ….. ….. et rejetant l'offre de la société ….. S.A.;
- la décision du 28 juillet 2006, notifiée le 31 juillet suivant, rejetant l'offre de la société ….. déposée dans le cadre du prédit appel d'offres;
- à toutes fins utiles, les actes juridiquement inexistants du 21 septembre 2006 par lesquels le président du ….. a, à la suite de l'adjudication litigieuse, conclu avec la société ….. les contrats de réalisation et d'exploitation des installations de traitement de déchets municipaux, la requête s'inscrivant dans le cadre d'un recours en annulation déposé au fond le même jour, inscrit sous le numéro 22002 du rôle, dirigé contre les mêmes décisions, et l'allocation d'une indemnité de procédure de 2.500 € étant demandée;
Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives;
Vu les pièces versées et notamment les décisions attaquées;
Maître Guy PERROT, en remplacement de Maître Roland ASSA, pour la demanderesse, Maître Christian POINT pour le syndicat intercommunal ….. et Maître Paulo LOPES DA SILVA, en remplacement de Maître Michel MOLITOR, pour la société ….. entendus en leurs plaidoiries respectives.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Dans le cadre d'une soumission publique lancée le 8 mars 2005 par le Syndicat intercommunal pour la gestion des déchets en provenance des ménages et des déchets assimilables des communes des cantons de ….. ….. ….. (en abrégé …..), relative à la conception, la réalisation et l'exploitation d'installations de traitement de déchets municipaux et assimilables, la société anonyme ….. S.A. et la société de droit allemand ….. ….. avaient présenté une offre.
Par courrier du 28 juillet 2006, le président du syndicat intercommunal …..
informa la société ….. S.A. de ce que dans sa décision prise la veille, le bureau du syndicat n'avait pas retenu son offre parce qu'elle ne constituait pas l'offre économiquement la plus avantageuse ("nicht das wirtschaflich günstigste Angebot").
Par requête déposée le 10 octobre 2006, la société ….. S.A., se plaignant des irrégularités dans la procédure d'attribution du marché et du caractère erroné et illégal de la décision d'adjudication qu'elle estime avoir été prise le 10 juillet 2006, a introduit un recours en annulation contre cette décision, contre celle du 28 juillet 2006 rejetant son offre ainsi que, "à toutes fins utiles, contre les actes juridiquement inexistants du 21 septembre 2006 par lesquels le président du ….. a, à la suite de l'adjudication litigieuse, conclu avec la société ….. les contrats de réalisation et d'exploitation des installations de traitement de déchets municipaux." Par requête déposée le même jour, elle sollicite le sursis à exécution des décisions attaquées sinon les mesures de sauvegarde ayant le même effet. Elle sollicite encore le sursis à exécution, sinon la suspension de toute décision, intervenue ou à intervenir, tendant directement ou indirectement à l'exécution de la décision d'adjudication du marché litigieux. Elle fait plaider que l'exécution de la décision d'adjudication risque de lui causer un préjudice grave et définitif et que les moyens invoqués à l'appui de sa demande au fond sont sérieux.
Le syndicat intercommunal ….. et la société ….. ….. soulèvent l'irrecevabilité de la demande au motif que le contrat portant exécution du marché litigieux serait d'ores et déjà définitivement conclu, de sorte que la demande en sursis à exécution sinon en institution d'une mesure de sauvegarde serait dépourvue d'effet utile, le juge administratif ne pouvant suspendre l'exécution d'un contrat relevant du droit civil.
La société ….. conteste en premier lieu que le contrat dont se prévalent le pouvoir adjudicateur et la société ….. ait été valablement conclu en ce que les seuls documents versés, à savoir un "Generalübernehmervertrag" et un "Betriebsführungsvertrag", datés l'un et l'autre du 21 septembre 2006 mais dépourvus de date certaine, ne répondraient pas aux exigences de l'article 90, paragraphe 4 du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003 portant exécution de la loi du 30 juin 2003 sur les marchés publics, en vertu duquel la conclusion du contrat avec l'adjudicataire a lieu par l'apposition de la signature du pouvoir adjudicateur sur le document de la soumission remise par l'adjudicataire.
S'il est bien vrai que les parties défenderesses ne versent pas aux débats le document prévu par la disposition réglementaire précitée, il n'en reste pas moins qu'elles versent deux contrats dont l'objet est l'exécution du marché public tel que lancé le 8 mars 2005. Il ne fait donc pas de doute que les parties en question se sont effectivement contractuellement liées en vue de l'exécution du marché public litigieux.
Le fait que le contrat ne soit pas, par ailleurs, matérialisé par l'apposition de la signature du pouvoir adjudicateur ne semble pas, en l'état actuel de l'instruction du litige, être de nature à mettre en doute la réalité de la conclusion du contrat d'exécution documenté par d'autres écrits équivalents et répondant, en toute hypothèse, a priori, aux exigences du droit civil. Pareillement, l'absence de date certaine ne saurait porter à conséquence en l'espèce, étant donné qu'il n'y a pas de risque que le contrat en question soit antidaté. En effet, ce qui est litigieux, ce n'est pas la date de signature du contrat, mais sa conclusion en elle-même, moyen auquel il vient d'être répondu. En ce qui concerne la date du contrat, la demanderesse ne prétend pas qu'il ait été conclu à une date postérieure à celle qui y est mentionnée et elle ne fait pas découler de la prétendue inexactitude de sa date un quelconque effet juridique.
La société ….. soutient encore qu'étant donné que la jurisprudence estime que dès l'attribution du marché, les dispositions de la loi du 13 mars 1993 relative à l'exécution en droit luxembourgeois de la directive n° 89/665 du Conseil du 21 décembre 1989 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des procédures de recours en matière de marchés publics ne sauraient plus s'appliquer, il faudrait conclure, sous peine de laisser sans remède concret l'adjudicataire évincé et ne lui permettre que l'obtention de dommages et intérêts, qu'un recours basé sur les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ne saurait être tenu en échec au seul motif que la conclusion du contrat d'exécution du marché serait d'ores et déjà intervenue. Une telle conclusion ne serait certainement pas en phase avec les vœux des législateurs à la fois communautaire et national. Le seul délai d'attente de 15 jours entre la décision d'adjudication et la conclusion du contrat d'exécution légalement prévu ne saurait constituer un délai de forclusion pour agir sur base des articles 11 et 12 de la loi du 21 juin 1999, précitée. Il serait en effet illogique de considérer que les décisions administratives prises en matière de marchés publics, ayant des incidences financières très graves, bénéficient d'un régime juridique moins favorable que n'importe quelle autre décision administrative. Réduire à 15 jours le délai pour demander le sursis à exécution ou une mesure de sauvegarde après communication des motifs ajouterait une condition de recevabilité à cette procédure qui ne figurerait ni dans la loi du 21 juin 1999 ni dans celle du 30 juin 2003, précitées. Il faudrait partant conclure que le recours en question est recevable aussi longtemps que l'est le recours au fond, soit pendant trois mois.
En vertu de l'article 11, paragraphe 2 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le sursis à exécution ne peut être décrété qu'à la double condition que, d'une part, l'exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d'autre part, les moyens invoqués à l'appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux.
L'article 12 de la même loi dispose que le président du tribunal administratif peut au provisoire ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution d'une affaire dont est saisi le tribunal administratif, à l'exclusion des mesures ayant pour objet des droits civils.
Sous peine de vider de sa substance l'article 11 de la même loi, qui prévoit que le sursis à exécution ne peut être décrété qu'à la double condition que, d'une part, l'exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d'autre part, les moyens invoqués à l'appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, il y a lieu d'admettre que l'institution d'une mesure de sauvegarde est soumise aux mêmes conditions concernant les caractères du préjudice et des moyens invoqués à l'appui du recours. Admettre le contraire reviendrait en effet à autoriser le sursis à exécution d'une décision administrative alors même que les conditions posées par l'article 11 ne seraient pas remplies, le libellé de l'article 12 n'excluant pas, a priori, un tel sursis qui peut à son tour être compris comme mesure de sauvegarde.
Concernant le problème du risque d'un préjudice grave et définitif, il y a lieu de prendre en compte la réglementation communautaire, le marché tombant, de par son envergure, sous l'application des dispositions en question.
Dans un arrêt du 28 octobre 1999 (affaire C-81/98), la Cour de justice des Communautés européennes, appelée à rendre une décision à titre préjudiciel concernant l'interprétation de la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux, a souligné que la directive en question vise à renforcer les mécanismes existant, tant sur le plan national que sur le plan communautaire, pour assurer l'application effective des directives communautaires en matière de passation de marchés publics, en particulier à un stade où les violations peuvent encore être corrigées et impose aux Etats membres de mettre en place des recours efficaces et aussi rapides que possible pour que soit assuré le respect des directives communautaires en matière de marchés publics. Répondant entre autres à un argument selon lequel dans l'Etat membre dont la juridiction avait posé la question préjudicielle – la situation ayant été la même au Luxembourg avant les changements législatif et réglementaire intervenus en 2003 – la décision d'adjudication emporte conclusion du contrat d'exécution du marché et que la procédure à mettre en place par le législateur national doit se limiter à faciliter les conditions préalables à l'octroi de dommages-intérêts, elle retint que cette manière de voir pourrait avoir comme conséquence que la décision la plus importante du pouvoir adjudicateur, à savoir l'attribution du marché, échappe de façon systématique aux mesures dont la mise en place est exigée par la directive, à savoir la mise en place des recours efficaces et rapides ayant pour objet les décisions illégales du pouvoir adjudicateur à un stade où les violations peuvent encore être corrigées. La Cour de justice a conclu que les Etats sont partant tenus, en ce qui concerne la décision du pouvoir adjudicateur précédant la conclusion du contrat, par laquelle celui-ci choisit le soumissionnaire ayant participé à la procédure de passation du marché avec lequel il conclura le contrat, de prévoir dans tous les cas une procédure de recours permettant au requérant d'obtenir l'annulation de cette décision lorsque les conditions y afférentes sont réunies, indépendamment de la possibilité d'obtenir des dommages-intérêts lorsque le contrat a été conclu.
Avant l'entrée en vigueur de la loi du 30 juin 2003 et du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003, précités, la décision d'adjudication emportait conclusion du contrat d'exécution et le soumissionnaire injustement évincé ne pouvait obtenir satisfaction que moyennant une décision d'annulation de la soumission par le juge administratif, étant précisé que cette annulation n'avait qu'une portée théorique en ce qu'elle ne pouvait plus remettre en question le contrat civil portant sur l'exécution du marché en principe d'ores et déjà exécuté, mais ne pouvait que servir de base à une demande en obtention de dommages-intérêts à introduire devant le juge judiciaire.
En cela, le système en vigueur ne répondait pas aux objectifs de la directive 89/665 CEE, précitée, telle qu'interprétée par la Cour de justice.
Alors que dans le projet de règlement grand-ducal portant exécution de la loi concernant le régime des marchés publics, tel que soumis au Conseil d'Etat (doc. parl. n° 46352), il était prévu, selon l'article 90, paragraphe 1er, que l'adjudication vaut passation de contrat si elle a lieu dans le délai prévu ou dans le délai accepté par le soumissionnaire, le texte définitif prévoit dans l'article 90, paragraphe 1er, que l'adjudication doit avoir lieu dans le délai prévu ou, si celui-ci est dépassé, dans le délai accepté par le soumissionnaire susceptible d'être déclaré adjudicataire. Un paragraphe 4 a été ajouté en vertu duquel la conclusion du contrat avec l'adjudicataire a lieu après un délai d'au moins quinze jours à compter de l'information donnée aux autres concurrents que le pouvoir adjudicateur ne fait pas usage de leur offre.
Alors même que l'exposé des motifs et d'autres travaux préparatoires du règlement grand-ducal en question ne sont pas disponibles, il y a lieu d'admettre qu'en introduisant un délai entre la date de l'adjudication et celle de la conclusion du contrat d'exécution du marché, les auteurs de la réglementation entendaient conférer aux soumissionnaires évincés un droit de recours contre la décision d'adjudication autre que celui se soldant par l'octroi de dommages-intérêts.
Ce délai n'est que de quinze jours, de sorte qu'il est légalement et pratiquement impossible d'obtenir, dans ce délai, une décision du juge administratif du fond concernant la régularité du choix de l'adjudicataire.
Comme on ne saurait raisonnablement admettre que le législateur a procédé à un changement de la réglementation en vigueur sans vouloir lui conférer un effet réel, ce qui serait pourtant le cas si on continuait à admettre qu'en raison du caractère réparable du préjudice du soumissionnaire injustement évincé moyennant l'allocation de dommages-
intérêts, le juge du provisoire en matière administrative ne saurait connaître de demandes en suspension d'adjudications querellées par des soumissionnaires écartés, il faut admettre qu'en vertu de la nouvelle réglementation, au cas où le soumissionnaire évincé introduit une demande en institution d'une mesure provisoire dans le délai de quinzaine à partir de la communication de la décision d'adjudication du marché à un tiers – la signification du recours au pouvoir adjudicateur ainsi qu'aux tiers intéressés pouvant intervenir après cette date, de sorte que l'obligation de signifier le recours à une partie domiciliée à l'étranger n'affecte pas l'efficacité du recours introduit dans le délai de quinzaine mentionné ci-avant – le président du tribunal administratif, statuant sur base des articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999, peut utilement prononcer le sursis à exécution de la décision d'adjudication en ce qu'un tel sursis empêche concrètement la signature du contrat d'exécution du marché litigieux.
En l'espèce, la demande en sursis à exécution a été introduite longtemps après l'expiration du délai de quinzaine à partir de la notification de la décision d'adjudication – en effet, la société ….. fut informée de la décision d'adjudication le 28 juillet 2006 – et il se pose la question de savoir si le juge administratif est encore autorisé, tel que le soutient la demanderesse, à prononcer le sursis à exécution de la décision d'adjudication après l'écoulement de ce délai et surtout après la signature du contrat d'exécution du marché.
Il ne fait pas de doute que tant que le contrat civil d'exécution n'est pas signé, le président du tribunal administratif peut encore ordonner le sursis à exécution de la décision d'adjudication, même si le délai de quinzaine prévu par l'article 90, paragraphe 4 du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003, précité, est expiré. Dans ce sens, le reproche, formulé par la demanderesse, qu'en matière de marchés publics, le délai pour introduire une demande en institution d'une mesure de sauvegarde ne serait que de 15 jours tandis que dans les autres matières relevant du droit administratif, ce délai serait de trois mois, n'est pas justifié.
Au cas où le contrat d'exécution est d'ores et déjà signé au moment de l'introduction de la demande, il faut se poser la question de savoir si le président du tribunal peut encore utilement empêcher, moyennant une décision de sursis à exécution de la décision d'adjudication, l'exécution du marché en question, autrement dit s'il est en mesure de prévenir un risque de préjudice grave et définitif dans le chef du demandeur.
La notion même de préjudice implique une détérioration de la situation préexistante. Le président du tribunal administratif ne saurait ordonner le sursis à exécution ou une autre mesure de sauvegarde que lorsque cette mesure tend à prévenir une telle détérioration.
Il importe donc de savoir si le sursis à exécution de la décision d'adjudication litigieuse est de nature à empêcher une aggravation de la situation de la société ….. par rapport à la situation dans laquelle elle se trouvait avant la prise de ladite décision.
Comme il vient d'être exposé plus haut, il semble acquis, au stade actuel de l'instruction du litige que, postérieurement à la décision d'adjudication du marché litigieux, un contrat civil portant sur les travaux faisant l'objet de la soumission s'est formé entre le ….. et la société ….. …… Ce contrat forme la loi des parties, conformément aux articles 1134 et suivants du code civil. Les causes de nullité, de résolution et de résiliation du contrat sont à leur tour régies par les dispositions correspondantes du code civil et des lois qui le complètent.
En particulier, le droit civil ne prévoit pas le droit de se défaire unilatéralement d'un contrat. Il appartient à une partie qui entend se délier des effets d'un contrat d'obtenir le consentement de l'autre partie ou l'annulation, la résolution ou la résiliation du contrat par le juge.
Lorsque le contrat est vicié dans sa formation, il appartient à celui qui s'en prévaut d'en faire prononcer la nullité par le juge. Ceci est encore vrai lorsque le contrat a été conclu avec une partie publique moyennant une décision administrative préalable sauf qu'en cette matière, la législation sur les marchés publics prévoit, en plus, des causes spécifiques de résiliation des marchés qui doivent cependant, en tout état de cause, être invoquées devant le juge civil.
Même l'annulation de la décision administrative servant de base à la conclusion du contrat est dépourvue d'effet direct sur le contrat qui continue à exister, serait-ce de manière précaire puisque sa survie dépend de la décision du juge du contrat, c'est-à-dire du juge judiciaire qui doit cependant être saisi par une partie au contrat pour décider du sort de celui-ci. Alors que le juge administratif est en effet compétent pour annuler l'acte administratif servant de base à la conclusion du contrat, il appartient au seul juge civil, en vertu de l'article 84 de la Constitution, de décider du sort du contrat ainsi vicié quant à sa formation. La victime d'une telle illégalité peut alors, le cas échéant, soit poursuivre l'annulation du contrat devant le juge civil sur base des causes d'annulation reconnues par le droit civil et le droit des marchés publics ou demander l'annulation de la décision d'adjudication au juge administratif et demander ensuite au juge civil, sur base de cette décision d'annulation, l'allocation de dommages-intérêts en réparation du préjudice lui causé par la décision illégale de conclure un contrat en violation des règles normales applicables en matière de marchés publics.
En toute hypothèse, il n'appartient pas au juge administratif de constater, de manière incidente, comme suite à l'annulation de l'acte administratif préalable à la formation du contrat, l'absence de validité du contrat et d'en suspendre l'exécution. Le juge administratif ne saurait que prononcer l'annulation de l'acte administratif détachable et le président du tribunal administratif ne saurait ordonner le sursis à exécution que dudit acte administratif, mais non pas du contrat formé sur sa base.
Il suit de l'ensemble des considérations qui précèdent qu'une décision de sursis à exécution de la décision d'adjudication prise par le ….. ne serait pas de nature à empêcher l'exécution du contrat existant entre lui-même et la société ….. …… Elle ne serait donc pas de nature à prévenir le risque de la réalisation d'un préjudice grave et définitif dans le chef de la demanderesse, condition de son intervention.
Cette conclusion n'est pas en contradiction avec le droit de faire concrètement suspendre dans ses effets une décision d'adjudication potentiellement illégale que la législation sur les marchés publics confère aux soumissionnaires qui s'estiment injustement évincés. Le délai de quinzaine prévu par l'article 90, paragraphe 4 du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003 opère en effet un équilibre entre les intérêts des soumissionnaires évincés et l'obligation d'agir rapidement en matière d'exécution de marchés publics. Le soumissionnaire évincé qui ne profite pas du délai lui offert par la loi pour faire prononcer le sursis à exécution du marché fait ainsi, le cas échéant, les frais de sa propre inertie.
La société ….. fait encore plaider, jurisprudence française à l'appui, que le président du tribunal administratif pourrait utilement ordonner le sursis à exécution des actes d'exécution du contrat, comme par exemple les ordres de versement en faveur du cocontractant attributaire du marché public.
Le soussigné ne saurait suivre ce raisonnement dans le contexte de la délimitation des matières civile et administrative découlant de l'article 84 de la Constitution. En effet, les actes pris en exécution d'un contrat civil, comme les paiements des prestations contractuellement prévues, constituent des actes relevant du droit civil. Ils ne constituent pas des actes administratifs détachables du contrat civil. En décider le contraire permettrait au juge administratif de vider le contrat civil de son efficacité et, en dernière analyse, de son effet obligatoire.
La société ….. se prévaut encore de l'absence d'approbation de la décision d'adjudication par l'autorité de tutelle, en méconnaissance de la disposition de l'article 106, sub 10° de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988 qui soumet à l'approbation ministérielle les projets de construction dont le montant dépasse 250.000 €, ladite disposition étant applicable aux syndicats de communes.
L'irrégularité soulevée par la demanderesse, à la supposer pertinente, affecterait la décision d'adjudication et constituerait le cas échéant une cause d'annulation de celle-ci.
Elle pourrait également constituer une cause d'annulation du contrat conclu en vertu de la décision d'adjudication qui serait alors viciée. Comme il a cependant été relevé ci-avant, une telle nullité du contrat ne saurait être sanctionnée que par le juge civil et le juge administratif chargé de mesures provisoires ne saurait, par la constatation incidente d'une cause de nullité ou de résolution du contrat, en suspendre l'exécution.
Invoquant encore de la jurisprudence française, la société ….. prétend que la signature même du contrat serait un acte détachable du contrat administratif alors même qu'elle ne s'en distingue pas matériellement. Elle en conclut qu'en tant que telle, la conclusion du contrat pourrait être déférée devant le juge administratif en vue de son annulation ou d'un sursis à exécution.
D'une part, la notion de contrat administratif à proprement parler est inconnue en droit luxembourgeois et les contrats conclus par les pouvoirs publics sont soumis au droit civil. D'autre part, même si la décision de conclure le contrat, en tant qu'elle découle de la décision d'adjudication, relève de la juridiction administrative qui peut annuler la décision en question, le juge administratif ne saurait, par le biais de la qualification d'acte détachable du contrat, suspendre l'effet d'un contrat signé par une personne morale de droit public, sous peine de s'immiscer dans le contentieux de la conclusion et de l'exécution des contrats qui relèvent du droit civil et, partant, de la compétence exclusive des juridictions judiciaires.
Finalement, la demanderesse estime qu'en signant le contrat litigieux, le ….. aurait commis un abus de droit.
Un tel abus, à le supposer avéré, pourrait soit conduire à l'annulation de la décision d'adjudication par le juge administratif, mesure qui n'aurait pas d'effet direct sur la validité du contrat civil conclu suite à cette décision, soit à l'annulation du contrat civil;
une telle annulation relèverait cependant de la compétence exclusive des juridictions judiciaires et un sursis à exécution du contrat prononcé par le juge administratif empiéterait sur cette compétence.
Il suit des considérations qui précèdent que, d'une part, le sursis à exécution de la décision d'adjudication ne serait pas de nature à prévenir un préjudice grave et définitif au vu de la conclusion, d'ores et déjà intervenue, du contrat d'exécution du marché litigieux et que, d'autre part, le sursis à exécution du contrat ne relève pas de la compétence du juge administratif.
Eu égard au sort de la demande principale, la demande accessoire en allocation d'une indemnité de procédure est à rejeter à son tour.
Par conséquent, la demande est à rejeter dans son intégralité.
Par ces motifs, le soussigné président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique, déclare la demande non fondée et en déboute, condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 23 octobre 2006 par M. Ravarani, président du tribunal administratif, en présence de M. Rassel, greffier.
s. Rassel s. Ravarani 10