Tribunal administratif N° 22032 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 octobre 2006 Audience publique du 20 octobre 2006
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Requête en sursis à exécution introduite par Monsieur et Madame N. … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration en matière de police des étrangers
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ORDONNANCE
Vu la requête déposée le 18 octobre 2006 au greffe du tribunal administratif par Maître Adrian SEDLO, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Gnjilane, et de son épouse …, née le ….
à Gnjilane, les deux étant de nationalité serbo-monténégrine et demeurant à L-…, tendant à ordonner le sursis à exécution par rapport à une décision du ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration du 19 septembre 2006, par laquelle celui-ci s'est déclaré incompétent pour examiner leur demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, introduite le 27 septembre 2006, ladite décision étant par ailleurs entreprise au fond par une requête en réformation, subsidiairement en annulation introduite le même jour, portant le numéro 22031 du rôle;
Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives;
Vu les pièces versées et notamment la décision critiquée;
Maître Alban COLSON, en remplacement de Maître Adrian SEDLO, ainsi que Madame la déléguée du gouvernement Jacqueline JACQUES entendus en leurs plaidoiries respectives.
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Le 27 juillet 2006, Monsieur …, né le … à Gnjilane, et son épouse …, ont introduit une demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection tant pour eux-
mêmes que pour leur fils …, né le ….Par décision du 19 septembre 2006, notifiée aux intéressés le 29 septembre 2006, le ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration, se basant sur les dispositions de l'article 15 de la loi précitée du 5 mai 2006 et 9, paragraphe 2 du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers, ci-après désigné par "le règlement n° 343/2003", se déclara incompétent pour connaître de la demande d'asile, soulignant que la responsabilité du traitement de leur demande d'asile reviendrait à la République d'Autriche.
Les autorités luxembourgeoises ont dans la suite sollicité et obtenu, de la part des autorités autrichiennes, un engagement de reprise en charge de Monsieur et Madame … ainsi que de leur fils …, né le ….
Par requête déposée le 18 octobre 2006, inscrite sous le numéro 22031 du rôle, les époux … ont introduit un recours en réformation, sinon en annulation contre la décision ministérielle du 19 septembre 2006, et par requête du même jour, inscrite sous le numéro 22032 du rôle, ils ont introduit une demande tendant à ordonner le sursis à exécution de la décision en question.
Ils estiment que l'exécution de la décision critiquée risque de leur causer un préjudice grave et définitif en ce qu'ils risquent de se voir expulser indûment et très rapidement du pays, sans avoir pu faire valoir leurs droits et leur point de vue. Une "telle mesure entraînerait un préjudice grave et définitif aux requérants, ces derniers se retrouvant dans une situation humanitaire catastrophique." Ils sont par ailleurs d'avis que les moyens invoqués à l'appui du recours au fond sont sérieux. Ils font notamment valoir que ce serait à tort que le ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration a déclaré que ce serait l'Autriche qui serait responsable pour traiter leur demande d'asile. En effet, les autorités autrichiennes se seraient elles-
mêmes estimées incompétentes pour connaître de la demande, ce qui impliquerait que les autorités luxembourgeoises devraient l'examiner.
La déléguée du gouvernement s'oppose à la demande en soulignant qu'après réclamation du gouvernement luxembourgeois, les autorités autrichiennes se sont déclarées d'accord à reprendre les consorts …. Elle conteste par ailleurs le risque d'un préjudice grave et définitif étant donné que le fait que la compétence pour examiner la demande d'asile revienne à l'Autriche n'entraînerait aucun préjudice dans le chef des demandeurs.
En vertu de l'article 11, (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le sursis à exécution ne peut être décrété qu'à la double condition que, d'une part, l'exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d'autre part, les moyens invoqués à l'appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l'affaire est en état d'être plaidée et décidée à brève échéance.
En vertu de l'article 12 de la même loi, le président du tribunal administratif peut au provisoire ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution d'une affaire dont est saisi le tribunal administratif, à l'exclusion des mesures ayant pour objet des droits civils.
Sous peine de vider de sa substance l'article 11 de la même loi, qui prévoit que le sursis à exécution ne peut être décrété qu'à la double condition que, d'une part, l'exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d'autre part, les moyens invoqués à l'appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, il y a lieu d'admettre que l'institution d'une mesure de sauvegarde est soumise aux mêmes conditions concernant les caractères du préjudice et des moyens invoqués à l'appui du recours. Admettre le contraire reviendrait en effet à autoriser le sursis à exécution d'une décision administrative alors même que les conditions posées par l'article 11 ne seraient pas remplies, le libellé de l'article 12 n'excluant pas, a priori, un tel sursis qui peut à son tour être compris comme mesure de sauvegarde.
En l'espèce, les consorts … restent en défaut de prouver en quoi la décision d'incompétence et l'exécution de la décision de reprise par les autorités autrichiennes risqueraient de leur causer un préjudice grave et définitif.
Aux termes de son premier considérant, le règlement n° 343/2003 considère qu'une politique commune dans le domaine de l'asile, incluant un régime d'asile européen commun, est un élément constitutif de l'objectif de l'Union européenne visant à mettre en place progressivement un espace de liberté, de sécurité et de justice ouvert à ceux qui, poussés par les circonstances, recherchent légitimement une protection dans la Communauté. Tablant sur l'équivalence des procédures devant assurer la protection des demandeurs d'asile applicables dans les différents Etats membres, le règlement en question fixe des règles de compétence en vue de déterminer l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile émanant d'un ressortissant d'un Etat tiers. Il s'ensuit qu'un demandeur d'asile ne saurait se prévaloir d'un préjudice quelconque qu'il risquerait de subir au cas où sa demande d'asile serait examinée dans un Etat membre plutôt que dans un autre. Par conséquent, le seul fait que le ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration luxembourgeois se soit déclaré incompétent en faveur des autorités autrichiennes n'est pas de nature à causer un préjudice aux consorts ….
Le sursis à exécution et une mesure de sauvegarde ne pouvant être institués qu'en cas de risque d'un préjudice grave et définitif, et celui-ci faisant défaut en l'espèce, la demande est à rejeter, sans qu'il y ait lieu d'examiner, de plus, la question du sérieux des moyens invoqués à l'appui du recours au fond.
Par ces motifs, le soussigné président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique, reçoit le recours en institution d'une mesure provisoire en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 20 octobre 2006 par M. Ravarani, président du tribunal administratif, en présence de M. Legille, greffier.
s. Legille s. Ravarani