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14/03/2006 | LUXEMBOURG | N°21076

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 mars 2006, 21076


Tribunal administratif N° 21076 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er mars 2006 Audience publique du 14 mars 2006

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Requête en sursis à exécution introduite par les sociétés anonymes ….. ….. ….. ….., ….., et ….. ….. ….. ….., ….., contre une décision du ministre des Travaux publics, en matière de marchés publics, en présence de la société à responsabilité limitée ….. …. ……, ….., de la société à responsabilité limitée ….. ….. ….., ….., de la société anonyme ….. ….. ….., â€

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Tribunal administratif N° 21076 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er mars 2006 Audience publique du 14 mars 2006

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Requête en sursis à exécution introduite par les sociétés anonymes ….. ….. ….. ….., ….., et ….. ….. ….. ….., ….., contre une décision du ministre des Travaux publics, en matière de marchés publics, en présence de la société à responsabilité limitée ….. …. ……, ….., de la société à responsabilité limitée ….. ….. ….., ….., de la société anonyme ….. ….. ….., ….., de la société ………. ….. ….., ….. (…..), de la ….. ….. ….. ET ….. ….. ….., (….. …..), ….., de la société à responsabilité limitée ….. ….. ….. – ….. ….., …., de la société à responsabilité limitée ….. …..

….. ….. – …….. ….., ….., de la société à responsabilité limitée ….. ….., ………., de la société en nom collectif ………. ….. ….. (…..), ….. (…..), de la société anonyme ….. ….. ….., ….., de la société anonyme ….. ….., ….. (…..), et de la société à responsabilité limitée ….. ….. ….. ……….

….. & ….., …..

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ORDONNANCE

Vu la requête déposée le 1er mars 2006 au greffe du tribunal administratif par Maître Laurent NIEDNER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à …Luxembourg, au nom de la société anonyme ….. ….. ….. ….., en abrégé ….. ….., établie et ayant son siège social à L-….. ….., ….., route ….., représentée par son conseil d'administration actuellement en fonctions, et de la société anonyme ….. ….. ….. ….., établie et ayant son siège social à B-….. ….., ….., avenue ….., tendant à ordonner le sursis à exécution par rapport à deux décisions du ministre des Travaux publics du 9 février 2006 prises dans le cadre d'une soumission publique concernant les travaux de gros-œuvre du Tunnel Central Gate phase 1 de la liaison Micheville-Esch-sur-Alzette, la première consistant dans l'adjudication des travaux en question à la société à responsabilité limitée ….. …. S.àr.l., établie et ayant son siège à L-….. ….., ….., rue ….., et la seconde consistant à écarter l'offre présentée par les deux sociétés demanderesses, l'information en question leur ayant été communiquée par lettre recommandée du 15 février 2006, un recours au fond ayant été par ailleurs introduit contre lesdites décisions par requête introduite le même jour, inscrite sous le numéro 21075 du rôle;

Vu l'exploit de l'huissier Josiane GLODEN, huissier de justice suppléant, remplaçant l'huissier de justice Jean-Claude STEFFEN, les deux demeurant à Esch-sur-Alzette, des 3 et 4 mars 2006, portant signification de la requête introductive d'instance à la société à responsabilité limitée ….. …. S.àr.l., préqualifiée, à la société à responsabilité limitée ….. …..

….., établie et ayant son siège à L-….. ….., ….., rue ….., représentée par son gérant actuellement en fonctions, à la société anonyme ….. ….. ….., établie et ayant son siège à L-…..

….., ….., rue de ….., représentée par son conseil d'administration actuellement en fonctions, à la société de droit allemand ………. ….. ….., établie et ayant son siège à D-….. ….., élisant domicile au siège de la société à responsabilité limitée ….. ….. ….., préqualifiée, à la ….. …..

….. ET ….. ….., (….. …..), établie et ayant son siège à L-….. ….., ….., boulevard ….., représentée par son conseil d'administration actuellement en fonctions, à la société à responsabilité limitée ….. ….. ….. ….., établie et ayant son siège à L-….. ….., ….., Place ….

….., représentée par son gérant actuellement en fonctions, à la société à responsabilité limitée ….. ….. ….. ….. – ….. ….., établie et ayant son siège à L-….. ….., ….., rue ….., représentée par son gérant actuellement en fonctions, à la société à responsabilité limitée ….. ….., établie et ayant son siège à L-….. ….., ….., rue ….., représentée par son gérant actuellement en fonctions, à la société en nom collectif ………. ….. ….. (…..), établie et ayant son siège à F- ….., ….., rue ….., représentée par ses associés, à la société anonyme ….. ….. ….., établie et ayant son siège à L-….. ….., ….., à la société anonyme ….. ….., établie et ayant son siège à B-…..

….. ….., avenue ….., représentée par son conseil d'administration actuellement en fonctions, et à la société à responsabilité limitée ….. ….. ………. ….. & ….., établie et ayant son siège à L-

….., ….., représentée par son gérant actuellement en fonctions;

Vu l'arti….. 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives;

Vu les pièces versées et notamment les décisions attaquées;

Maîtres Laurent NIEDNER pour les demanderesses, Marc THEWES pour l'Etat grand-ducal, François PRUM pour la société à responsabilité limitée ….. …. S.àr.l. ainsi que Romain LANCIA et Sonia PONLIASZEK, en remplacement de Maître Henri FRANK, pour les sociétés ….. ….. ….. et ….. ….. entendus en leurs plaidoiries respectives.

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Dans le cadre d'une soumission publique concernant les travaux de gros-œuvre du Tunnel Central Gate phase 1 de la liaison Micheville-Esch-sur-Alzette, le classement des soumissionnaires à l'ouverture des soumissions, le 16 novembre 2005 fit apparaître le résultat suivant:

1) ….. …. S.àr.l.: 14.959.552,02 €; 2) ….. ….. ….. ….., en abrégé ….. ….., et ….. ….. ….. …..:

18.785.021,04 €; 3) association momentanée ….. ……….: 18.832.402,26 €; 4) association momentanée …../…../…..: 19.036.228,49 €; 5) association momentanée …../……………:

22.404.575,04 €; 6) association momentanée …../…../………. …..: 22.919.506,46 €.

Constatant que le prix offert par la société la moins disante était inférieur au devis estimatif établi le 13 juin 2005 par la société anonyme ………. conseils pour compte de l'administration des Ponts et Chaussées, s'élevant à 25.194.453,00 € hors TVA, et inférieur de 24,31 % à la moyenne arithmétique des offres obtenues en éliminant l'offre la moins chère et la plus chère, l'administration des Ponts et Chaussées demanda à la société ….. …. S.àr.l., par courrier du 23 novembre 2005, une analyse des prix de toutes les positions de son offre, à lui faire parvenir jusqu'au 12 décembre 2005 au plus tard. Par courrier du 12 décembre 2005, la même administration lui demanda des précisions supplémentaires concernant les prix unitaires suivants: pos. 020.180.600 (remblais en concassé de carrière 0/250 (m3); pos.

070.050.301 coffrages: parois soignées – parements simples; pos. 070.050.501 coffrages:

parois soignées – parements fins; pos. 070.080.301 béton C30/37, catégorie 3 (XC4, XD2, XF2, XA2), Dmax = 22; 070.090.300 treillis soudé.

Par lettre adressée le 22 décembre 2005 par le directeur adjoint de l'administration des Ponts et Chaussées au directeur de ladite administration, celui-ci souligna: "Vu l'écart considérable entre les deux offres les moins-disantes et tout en comprenant les réflexions de l'….. justifiant ses prix unitaires et confirmant le maintien de son offre, nous invitons néanmoins l'autorité supérieure à soumettre le présent dossier pour avis à la commission des soumissions. – Sauf avis contraire de ladite commission, nous proposons de déclarer la société ….. …., demeurant ….. rue ….., L-….. ….. et ayant présenté l'offre de soumission la moins-disante, adjudicataire des travaux afférents." Le 11 janvier 2006, le directeur de l'administration des Ponts et Chaussées adressa au ministre des Travaux publics un courrier de la teneur suivante: "Transmis à Monsieur le ministre des Travaux Publics en me référant au rapport ci-contre [à savoir la lettre du directeur adjoint du 22 décembre 2005] pour proposer de soumettre ce dossier avant tout autre progrès en cause à la Commission des Soumissions pour avis. – L'….. ayant présenté l'offre accusant le prix le plus bas – ….. …. de ……… – propose des prix unitaires très bas pour certaines positions du bordereau, telles que la fourniture de béton (position 070.080.301, 30 % en dessous de la moyenne du P.U. des autres soumissionnaires) ou la livraison de treillis soudés (position 070.090.300, 60 % en dessous de la moyenne du P.U. des autres soumissionnaires) p.ex.. Etant donné que le prix total de l'offre …. est également de 3,8 mio € (hors TVA) ou de 20 % inférieur à l'offre du deuxième classé, la question de savoir si l'offre …. répond aux exigences de l'arti….. 79 du [règlement]grand-ducal du 7 juillet 2003 portant exécution de la loi du 30 juin 2003 sur les marchés publics se pose. Etant donné que l'analyse des prix fournie à la demande de mes services n'a pas permis de trancher dans cette question, je propose de soumettre le dossier à la Commission des Soumissions avec prière de recourir à l'avis d'experts pour juger si l'offre …. – et en particulier les prix unitaires des positions 070.080.301 et 070.090.300 – sont en relation avec les prestations demandées (…)." Le lendemain, le ministre saisit la commission des soumissions pour avis et le 20 janvier 2006, celle-ci émit un avis de la teneur suivante:

"D'abord, une analyse de prix de toutes les positions de l'offre de l'….. ….. …. a été demandée, à laquelle l'….. …. a répondu. L'administration des Ponts et Chaussées a encore, par courrier du 12 décembre 2005, sollicité des précisions quant à l'analyse des prix de 5 positions de l'offre.

L'….. ….. …. a remis des justifications et explications supplémentaires en ce qui concerne ces positions.

Il ressort du rapport de la Division centrale de la voirie de l'administration des Ponts et Chaussées que les responsables comprennent l'argumentation et les réflexions de l'….. …..

…. «justifiant les prix unitaires et confirment le maintien de l'offre».

La commission des soumissions constate que les règles procédurales en ce qui concerne les justifications de prix ont été respectées dans le dossier sous rubrique et se permet de partir de la prémisse que les offres remises et les analyses de prix y afférentes ont été évaluées soigneusement et avec le savoir-faire requis quant à leur contenu technique en vue que le devis estimatif du projet s'élève à 24.936.181,96 €." Sollicité le 7 février 2006 par le ministre des Travaux publics de soumettre une proposition au vu de l'avis de la commission des soumissions, le directeur de l'administration des Ponts et Chaussées prit position, le jour suivant, comme suit: "Après concertation avec mes services et au vu de l'avis de la Commission des Soumissions du 20 janvier 2006, je suis venu à la conclusion que le dossier sous main est à adjuger au meilleur offrant et je propose de déclarer l'….. ….. …. comme adjudicataire des travaux de gros œuvre du Tunnel Central Gate." Par arrêté du 9 février 2006, le ministre des Travaux publics, sur recommandation de l'administration des Ponts et Chaussées, approuva le procès-verbal d'adjudication publique portant adjudication des travaux à la société ….. …. S.àr.l.

Par courrier recommandé du 15 février 2005, l'administration des Ponts et Chaussées informa les autres soumissionnaires de ce que leur offre n'avait pas été retenue. Les sociétés ….. et ….. furent informées que leur offre n'avait pas été retenue parce qu'elle n'était pas la moins disante.

Le 21 février 2006, le mandataire des sociétés ….. et ….. demanda au ministre des Travaux publics notamment la transmission de l'avis de la commission des soumissions, de l'offre de la société ….. …. S.àr.l., l'identification des postes anormalement bas et l'analyse des prix et la justification des prix anormalement bas.

Le ministre lui répondit, le 24 février 2006, que le dossier, comprenant notamment l'avis de la commission des soumissions du 20 janvier 2006, ainsi que tous les autres documents relatifs à la procédure de soumission, y inclus le devis estimatif, était à sa disposition. Il refusa par contre de lui transmettre les offres émanant des autres soumissionnaires dont, notamment, celle de la société ….. …. S.àr.l.

Par requête déposée le 1er mars 2006, inscrite sous le numéro 21075 du rôle, les sociétés ….. et ….. ont introduit un recours tendant à l'annulation de la décision d'adjudication des travaux litigieux à la société ….. …. S.àr.l. et par requête déposée le même jour, inscrite sous le numéro 21076 du rôle, elles sollicitent le sursis à exécution de la décision d'adjudication des travaux à ladite société ainsi que de celle de ne pas leur attribuer le marché.

Elles estiment que l'exécution de la décision d'adjudication attaquée risque de leur causer un préjudice grave et définitif et que les moyens invoqués à l'appui de leur requête au fond sont suffisamment sérieux pour justifier le sursis à exécution de la décision.

Elles font valoir les moyens suivants:

- la décision d'adjudication violerait les ….. 86 et 88 du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003 portant exécution de la loi du 30 juin 2003 sur les marchés publics en ce qu'elle aurait adjugé le marché à la société ….. …. S.àr.l. sans avoir demandé et obtenu, avant cette adjudication, les certificats à délivrer par le centre commun de la sécurité sociale, l'administration des Contributions et l'administration de l'Enregistrement et des Domaines que ladite société s'est conformée aux obligations de déclaration de paiement d'avances et de principal à chaque terme;

- la décision violerait pareillement les ….. 71, 79 et 239 du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003 en ce que la société ….. …. S.àr.l., ayant remis une offre anormalement basse par rapport au devis initial et aux offres remises par les autres soumissionnaires, resterait en défaut de justifier que le prix offert couvrirait le prix de revient et permettrait de ….. un bénéfice minimal;

- en violation de l'obligation de transparence imposée par les textes communautaires, l'administration refuserait de communiquer à la demanderesse les pièces du dossier administratif, notamment celles relatives à l'offre de la société ….. …. S.àr.l., lui permettant de contrôler si les prix pratiqués sont des prix normaux;

- l'avis émis par la commission des soumissions violerait ….. 4 du règlement grand-

ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes et ….. 16 de la loi du 30 juin 2003 sur les marchés publics en ce que la commission ne se serait pas réellement prononcée en faveur ou en défaveur de l'adjudication du marché à la société ….. …. S.àr.l., de sorte qu'elle n'aurait pas exprimé d'avis au sens de la loi;

- la décision d'adjudication ne contiendrait pas de motif pourquoi le marché a été attribué à la société ….. …. S.àr.l. malgré l'absence de justification de la normalité du prix offert;

- cette décision serait encore viciée en ce qu'en méconnaissance de ….. 71, 2e phrase du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003, précité, le ministre a adjugé le marché sans charger au préalable un expert de procéder à un contrôle de l'offre de la société ….. …. S.àr.l.

En vertu de ….. 11, (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le sursis à exécution ne peut être décrété qu'à la double condition que, d'une part, l'exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d'autre part, les moyens invoqués à l'appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l'affaire est en état d'être plaidée et décidée à brève échéance.

Concernant le moyen tiré de ce que l'administration n'a pas exigé les certificats concernant le paiement des dettes sociales et fiscales préalablement à l'adjudication du marché, celui-ci ne paraît pas assez sérieux pour prononcer une mesure de sursis à exécution face à deux éléments, à savoir, d'une part, la production effective des certificats en question, qui témoignent de ce que la société ….. …. S.àr.l. n'est pas en retard avec ses paiements, ce qui ramène le moyen à un pur moyen de forme et, d'autre part, le texte de ….. 86 du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003 qui, en disposant que les certificats sont à demander au soumissionnaire susceptible d'être déclaré adjudicataire, n'exige pas péremptoirement une remise de ces certificats au moment de la remise de l'offre, mais plutôt au moment où le soumissionnaire le mieux disant est sur le point de se voir adjuger l'offre.

En ce qui concerne le moyen tiré d'éléments importants du dossier administratif que l'Etat refuserait de communiquer abusivement aux demanderesses, et notamment les détails de l'offre de la société ….. …. S.àr.l., l'article….. 66, paragraphe 3 du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003 dispose qu'il n'est pas donné connaissance des prix d'unité ni avant, ni après l'adjudication. C'est à tort, dans ce contexte, que les sociétés demanderesses entendent se prévaloir des dispositions de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil de l'UE relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services pour tenir en échec ladite disposition de droit national.

Indépendamment de la question de l'effet direct de ladite directive non encore transposée en droit ….. et qui, aux termes de son arti….. 80, aurait dû l'être avant le 31 janvier 2006, l'arti…..

6 de la directive dispose que le pouvoir adjudicateur ne divulgue pas les renseignements que les opérateurs économiques lui ont communiqués à titre confidentiel; ces renseignements comprennent notamment les secrets techniques ou commerciaux et les aspects confidentiels des offres. De plus, en vertu de l'arti….. 41, par…..raphe 3 de la directive, figurant au chapitre VI, intitulé "Règles de publicité et de transparence", les pouvoirs adjudicateurs peuvent décider de ne pas communiquer certains renseignements concernant l'adjudication des marchés lorsque leur divulgation porterait préjudice aux intérêts commerciaux légitimes d'opérateurs économiques publics ou privés ou pourrait nuire à une concurrence loyale entre ceux-ci.

Il s'ensuit que le fait, par l'administration des Ponts et Chaussées, d'avoir refusé la communication de certains éléments de l'offre émanant de la société ….. …. S.àr.l. n'apparaît pas, au stade actuel de l'instruction du litige, comme assez sérieux pour justifier la mesure de sursis à exécution sollicitée.

Les sociétés ….. et ….. se plaignent encore de ce que l'avis du 20 janvier 2006 émanant de la commission des soumissions ne répondrait pas aux exigences légales en ce que cet avis ne contiendrait pas une véritable motivation. En réalité, celle-ci aurait rendu un avis incompréhensible dans lequel elle ne s'exprimerait pas, de sorte qu'on serait en réalité en l'absence d'un avis.

Ce moyen ne convainc pas non plus au stade actuel de l'instruction du litige, étant donné que l'avis de la commission répond aux critères formels d'un avis, le seul contenu non satisfaisant pour l'une ou l'autre partie ne suffisant pas pour le vicier. Dans ce contexte, il n'est pas correct d'affirmer que la commission ne s'exprimerait pas, étant donné qu'elle conclut à l'adjudication du marché à la société ….. …. S.àr.l.

Dans la suite de ce qui précède, il n'est pas possible non plus de suivre les sociétés demanderesses en ce qu'elles affirment que la décision d'attribution du marché à la société …..

…. S.àr.l. serait dépourvue de motivation. En effet, la motivation de la décision ministérielle attaquée se base d'une part sur les conclusions de l'administration des Ponts et Chaussées et de la commission des soumissions, et d'autre part sur le fait que l'offre retenue était la moins disante.

Le moyen tiré de la violation de l'arti….. 71, dernière phrase du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003, en ce qu'en dépit de la disposition exigeant qu'en cas de besoin, il soit fait appel à des experts, l'administration se soit dispensée de charger un expert, n'emporte à son tour pas la conviction, étant donné que l'administration estimait, sur base des éléments dont elle était en possession, qu'elle était suffisamment outillée pour prendre sa décision sans avoir recours à des experts. Si, le cas échéant, sa décision est entachée d'irrégularités ou procède d'une erreur d'appréciation, elle n'a en revanche pas violé la disposition invoquée qui ne constitue pour elle qu'une faculté, et non une obligation.

En ce qui concerne le moyen tiré de ce que l'offre de la société ….. …. S.àr.l. serait anormalement basse et que le soumissionnaire en question ne serait pas en mesure d'établir que les prix pratiqués sont en rapport avec les travaux, fournitures et services demandés, les sociétés ….. et ….. n'ont pas été en mesure de procéder à une analyse des prix, en particulier des prix unitaires pratiqués par la société adjudicatrice, en raison du fait que celle-ci, s'abritant derrière le secret des affaires, a refusé de communiquer à une société concurrente les éléments d'établissement de son prix global. Elles ont alors fait procéder, par un homme de l'art mandaté par elles, à une analyse de leur propre offre, à l'effet d'établir qu'à partir de la structure de leur offre, celle de la société ….. …. S.àr.l. apparaît comme suspecte.

A partir de pièces mises à la disposition du soussigné, les considérations suivantes s'imposent: ni la lettre du directeur adjoint des Ponts et Chaussées au directeur de cette administration, ni celle de celui-ci au ministre, ni encore l'avis de la commission des soumissions ne permettent à un tiers qui n'est pas en possession des pièces dont ont disposé ces autorités, d'affirmer ou d'infirmer que le prix offert par la société ….. …. S.àr.l. soit un prix normal, étant donné que leurs conclusions ne sont pas vérifiables et restent, dans le cadre du présent litige, à l'état d'allégation.

Il importe de souligner, dans ce contexte, qu'un tel état de choses est a priori normal et que personne n'encourt un blâme de ce chef. En effet, les soumissionnaires peuvent légitimement – en vertu des textes communautaires et nationaux précités – refuser de divulguer à leurs concurrents et aux tiers les prix unitaires qu'ils pratiquent, et l'administration, qui joue le rôle d'arbitre, est alors en possession de tous les chiffres émanant des différents soumissionnaires, sans qu'elle soit en droit de les communiquer aux contestataires dans le cadre de réclamations ou d'un recours contentieux.

La position procédurale de l'administration change cependant en cas de recours contentieux dirigé contre une décision d'adjudication, l'administration revêtant alors la qualité de partie et non plus d'arbitre, ce dernier rôle revenant au juge. Or, celui-ci, en raison du caractère contradictoire de la procédure et de la communicabilité de toutes les pièces versées, ne dispose pas, alors, des informations dont pouvait profiter l'administration pour prendre sa décision, de sorte qu'il se trouve dans une position qui lui rend très malaisé le contrôle de la légalité de cette décision au-delà des pures conditions de forme, contrôle insuffisant au regard de la loi qui impose par ailleurs le respect de certaines conditions de fond comme, précisément, celle d'un prix normal de l'offre.

Le juge ne peut dès lors que s'en tenir à des présomptions pour former sa conviction.

En l'espèce, l'admission de l'offre par les différentes instances administratives constitue certainement une présomption de régularité de l'offre. Il convient encore de souligner qu'en règle, l'offre la moins disante, partant celle qui grève le moins lourdement les finances publiques, doit, à défaut d'éléments contraires, être présumée être la plus avant…..euse.

Or, les présomptions découlant des considérations qui précèdent ont cependant été contrebalancées par l'analyse de l'homme de l'art chargé par les sociétés ….. et ….. de procéder à l'analyse de leur offre à partir de tous les éléments à la base de celle-ci, prix unitaires compris. Au terme de son étude, celui-ci conclut qu'il "apparaît que les prix pratiqués par …..-….. répondent en tous points à une approche raisonnable et fondée sur les éléments de calculs probants et permettant une exécution dans des conditions normales de chantier.

L'écart important (25 %) existant entre la Société moins disante et …..-….. demande à être explicité.

Nous ne voyons, en effet, pas comment il est possible, sauf élément non fourni au dossier d'expliquer pareil écart pour l'ensemble des postes de la soumission.

A titre d'exemple, je citerai le cas précis du béton C30/37 ayant fait l'objet de l'analyse ci-avant pour signaler que son prix de vente (94,47 €/m3) comporte une incidence matière de 86 % (offre de 79,56 €/m3 par son Fournisseur) et 16 % pour l'ensemble des postes mis en œuvre et autres frais généraux et bénéfices (14,91 €/m3).

Il serait, dès lors, intéressant que l'….. moins disante puisse établir le détail de calcul de son prix de revient sur les bases de celles définies ci-dessus." Faute de chiffres à l'appui, les explications de la société ….. …. S.àr.l. tendant à faire comprendre les avant…..es dont celle-ci bénéficierait lui permettraient de rester sensiblement en-dessous de l'offre des sociétés ….. et ….. (achat plus avant…..eux du béton, meilleures conditions de transport du béton, présence de chariots permettant de réaliser le tunnel sans confection de nouveaux cintres de coffr…..e, meilleures conditions d'achat des treillis, proximité d'un autre chantier d'envergure permettant de réaliser des synergies, surtout en ce qui concerne la main-d'œuvre, transport plus avant…..eux des déblais, etc.), si elles paraissent toutes pertinentes, n'apparaissent cependant pas, au stade actuel de l'instruction du dossier et surtout sur base des pièces que cette ….. a consenti à verser aux débats, comme étant de nature à expliquer une différence de presque quatre millions d'euros.

Il importe, dans ce contexte, de souligner, que le prix offert par les sociétés ….. et …..

n'est pas à considérer, au stade actuel de l'instruction du litige, comme étant le prix normal, ni, surtout, que celui offert par sa concurrente soit anormal.

Il reste que face aux apparences créées tant par les pièces versées que par celles non versées, relativement aux offres respectives et les analyses pouvant être faites à partir de ces éléments, le caractère normal de l'offre de la société ….. …. S.àr.l. ne peut ni être constaté, ni être écarté avec certitude.

Face à cette incertitude, seul un homme de l'art qui disposerait de tous les éléments, concernant l'offre de la société ….. …. S.àr.l., dont l'administration des Ponts et Chaussées et le ministre des Travaux publics ont à leur tour disposé en vue de la prise de leur décision, pourrait de manière réellement utile renseigner le soussigné en vue de la décision qu'il est amené à prendre.

Or, il est vrai que la société ….. …. S.àr.l. dispose du droit de ne pas divulguer ses secrets commerciaux et ne saurait être forcée à ce faire.

Il s'avère donc qu'en l'espèce, deux droits a priori équivalents, à savoir celui du caractère contradictoire de la procédure juridictionnelle, y compris de la procédure devant expert, et celui du secret des affaires risquent de se paralyser mutuellement.

Ni le législateur national, ni les organes communautaires n'ont mis à la disposition du juge un instrument permettant à celui-ci de disposer d'une information aussi complète que l'administration pour se forger une opinion, le cas échéant moyennant des amén…..ements au caractère contradictoire de la procédure, y compris de la procédure d'expertise.

Il ne reste au juge, surtout au juge du provisoire, qu'à tirer les conclusions à partir des principes juridiques régissant la matière et des éléments de fait lacuneux mis à sa disposition par les parties.

Au niveau des principes, s'il est vrai que depuis la réforme de la réglementation des marchés publics intervenue avec le vote de la loi du 30 juin 2003 et le règlement grand-ducal du 7 juillet 2003, précités, et l'amén…..ement d'un droit de recours dans le cadre d'une procédure urgente, pendant quinze jours à partir de la décision d'adjudication, le risque d'un préjudice grave et définitif peut être retenu par essence même, encore faut-il que, de manière corollaire, les moyens invoqués à l'appui du recours apparaissent comme particulièrement sérieux, sous peine du risque d'une paralysie de la quasi-totalité des marchés publics dont l'adjudication fait l'objet d'une contestation. Il y a lieu d'ajouter qu'une décision de refus du sursis à exécution suivi, en règle de la conclusion d'un contrat civil avec l'adjudicataire ne permettant plus, même en cas d'annulation de l'adjudication par le juge du fond, l'annulation de ce contrat, l'adjudicataire injustement évincé ne reste pas sans indemnisation, mais il lui est loisible de solliciter la réparation de son domm…..e au juge judiciaire moyennant l'eng…..ement de la responsabilité civile du pouvoir adjudicateur.

Or, il reste que malgré la pertinence des éléments produits par les sociétés ….. et ….., celles-ci se sont limitées, serait-ce nécessairement et sans possibilité pour elles et pour le juge d'aller au-delà, à faire examiner leur propre offre et non celle de leur concurrent.

Il y a lieu d'ajouter que les parties demanderesses, qui reprochent à la société ….. ….

S.àr.l. d'avoir soumis une offre à perte, restent en défaut de prouver ou de produire des éléments permettant de présumer les raisons d'une telle démarche anormale et exceptionnelle.

Une telle opération ne paraît en tout cas pas provenir d'une situation financière obérée de la société en question, les certificats émanant des administrations sociales et fiscales témoignant du contraire.

Il suit des considérations qui précèdent que les parties demanderesses n'ont pas établi le caractère anormal de l'offre d'une manière suffisamment sérieuse pour justifier le sursis à exécution de la décision d'adjudication.

Par ces motifs, le soussigné président du tribunal administratif, statuant par défaut à l'égard des sociétés ….. ….. ….., ….. ….. ….., ………. ….. ….., …. ….. ………. ….. ….., (….. …..), ….. ….. …..

….., ….. ….. ….. ….. ….. ….. ………. ….., ….. ….., ………. ….. ….. (…..), et ….. ….. ….. ……….

….. & ….., et contradictoirement à l'égard des autres parties, prononçant en audience publique, reçoit la demande en sursis à exécution en la forme, au fond la déclare non justifiée et en déboute, condamne les parties demanderesses aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 14 mars 2006 par M. Ravarani, président du tribunal administratif, en présence de M. Rassel, greffier.

s. Rassel s. Ravarani 9


Synthèse
Numéro d'arrêt : 21076
Date de la décision : 14/03/2006

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2006-03-14;21076 ?

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