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09/08/2005 | LUXEMBOURG | N°20237

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 août 2005, 20237


Numéro 20237 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 août 2005 Audience publique du 9 août 2005 Recours formé par les époux … -

… et consorts, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière d’autorisation de séjour

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ORDONNANCE

Vu la requête, inscrite sous le numéro 20237 du rôle, déposée le 3 août 2005 au greffe du tribunal administratif par Maîtr

e Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsi...

Numéro 20237 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 août 2005 Audience publique du 9 août 2005 Recours formé par les époux … -

… et consorts, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière d’autorisation de séjour

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ORDONNANCE

Vu la requête, inscrite sous le numéro 20237 du rôle, déposée le 3 août 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Kananga/Kasaï (République Démocratique du Congo), et de son épouse, Madame … …, née le … à Lubumbashi/Katanga (République Démocratique du Congo), agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs …, tous de nationalité congolaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’institution d’une mesure de sauvegarde par rapport à une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 15 mars 2005 portant rejet de leur demande en obtention d’une autorisation de séjour, sinon du statut de tolérance, et une décision confirmative dudit ministre du 20 avril 2005, rendue sur recours gracieux ;

Vu l’article 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;

Vu les pièces versées en cause ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Véronique LAUTIER, en remplacement de Maître Frank WIES, et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 8 août 2005.

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En date du 26 juin 2000, Monsieur … et son épouse, Madame … …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs …, introduisirent une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971. Cette demande fut rejetée par une décision du ministre de la Justice du 21 octobre 2003, confirmée par une décision du 8 décembre 2003 suite au recours gracieux formé par les époux …-….

Le recours contentieux introduit par ces derniers à l’encontre de ces décisions ministérielles fut rejeté par jugement du tribunal administratif du 27 mai 2004 (n° 17369 du rôle), confirmé sur appel par un arrêt de la Cour administrative du 11 novembre 2004 (n° 18269C du rôle).

Par courrier de leur mandataire du 11 février 2005, les époux …-… soumirent au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après dénommé le « ministre », une demande en obtention d’une autorisation de séjour, sinon du statut de tolérance.

Par décision du 15 mars 2005, le ministre refusa de faire droit à cette demande aux motifs que les époux …-… ne disposeraient pas de moyens d’existence personnels suffisants et qu’ils ne feraient pas état « de raisons humanitaires justifiant une autorisation de séjour au Luxembourg ».

Le recours gracieux formé par courrier de leur mandataire du 14 avril 2005 fut rencontré par une décision confirmative du ministre du 20 avril 2005.

Par requête déposée le 25 juillet 2005 et inscrite sous le numéro 20156 du rôle, les époux …-…, agissant tant en leur nom propre qu’en nom de leurs enfants mineurs …, ont fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation des décisions ministérielles des 15 mars et 20 avril 2005 portant rejet de leur demande en obtention d’une autorisation de séjour, sinon du statut de tolérance.

Par courrier du 27 juillet 2005, le ministre rappela aux époux …-… l’obligation pour eux de quitter le territoire suite au rejet définitif de leur demande d’asile et leur réitéra l’offre du Gouvernement de les faire bénéficier d’un retour volontaire assisté doublé d’une aide financière, tout en annonçant l’intention du Gouvernement de procéder à leur retour forcé en cas de refus de l’offre d’un retour volontaire assisté.

Par requête déposée le 3 août 2005 et inscrite sous le numéro 20237 du rôle, les époux …-… ont introduit une demande tendant à obtenir une mesure de sauvegarde à l’encontre des décisions ministérielles en question en vue d’obtenir une autorisation de séjour provisoire au Luxembourg, sinon à se voir tolérer sur le territoire national en attendant que leur recours au fond soit vidé.

Pour étayer le caractère sérieux de leurs moyens au fond, les demandeurs exposent que la situation actuelle dans la République démocratique du Congo rendrait un retour « pour le moins impossible à réaliser dans des conditions humainement acceptables ». Dans ce contexte, ils signalent l’absence d’un accord de réadmission entre le Luxembourg et la République démocratique du Congo et soutiennent qu’en cas de retour dans leur pays d’origine ils se retrouveraient sans logement, étant donné que le logement de service mis à disposition de Monsieur … par son ancien employeur ne serait plus à leur disposition. Pour le surplus, comme ils seraient originaires de la région du Kasaï se situant à l’Est du pays, limitrophe avec le Rwanda, où la situation politique serait « loin d’être stable » et « encore partiellement en proie à des actes de guerre civile », ils seraient exposés à « une situation extrêmement précaire tant au niveau du respect des droits humains que de celui à l’accès à des services sociaux de base au niveau des soins de santé et autres ». A cela s’ajouterait qu’ils auraient fait beaucoup d’efforts d’intégration au Luxembourg, notamment Monsieur …, titulaire d’un diplôme universitaire en relations internationales obtenu en 1996 à l’université de Lubumbashi, qui aurait suivi des cours de fiscalité auprès de la Chambre de commerce et des cours d’allemand et d’anglais au Centre de langues, de sorte qu’il devrait pouvoir trouver assez rapidement un emploi rémunéré lui permettant de disposer de moyens de subsistance suffisants. Finalement, les demandeurs signalent encore qu’un dénommé D. M. aurait déjà signé en date du 29 novembre 2004 une déclaration de prise en charge à leur profit en attendant qu’ils pourraient subvenir eux-mêmes à leurs besoins.

Sur base de l’ensemble de ces éléments, les demandeurs s’emparent de l’article 14 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1° l’entrée et le séjour des étrangers ; 2° le contrôle médical des étrangers, 3° l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère, et de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), signée à Rome le 4 novembre 1950 et approuvée par une loi du 29 août 1953, pour conclure qu’ils ne pourraient pas être renvoyés vers leur pays d’origine, étant donné que « leur vie y sera exposée à des craintes non négligeables » valant risque de traitement inhumain et que la délivrance d’une attestation de tolérance, conformément à l’article 13 (4) de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire permettrait au moins de régulariser leur situation actuelle sur le territoire luxembourgeois.

En termes de plaidoiries, le mandataire des demandeurs a encore particulièrement insisté sur deux pièces « nouvelles » versées à l’appui de leur requête en institution d’une mesure de sauvegarde, à savoir deux communiqués de presse de l’organisation « Human Rights Watch », relatant, d’une part, l’assassinat d’un défenseur des droits de l’homme dans l’Est du Congo, et, d’autre part, un recours inutile à la force par des patrouilles mixtes de la police et de l’armée à l’encontre de manifestants dans la ville originaire des époux …-….

Le délégué du gouvernement déclare se rapporter à prudence de justice quant à la recevabilité de la requête en institution d’une mesure de sauvegarde, tout en concluant au rejet de la mesure sollicitée au motif que l’affaire serait susceptible d’être plaidée et décidée à brève échéance, suite au dépôt par l’Etat du mémoire en réponse en date du 8 août 2005 dans le cadre de l’affaire au fond.

Ledit moyen, basé sur l’article 11 (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, est cependant à rejeter, étant donné que l’affaire n’est pas susceptible d’être plaidée dans un avenir rapproché compte tenu des délais d’instruction prévus par la loi, par ailleurs suspendus jusqu’au 15 septembre 2005.

Le représentant étatique souligne ensuite que les demandeurs auraient attendu le dernier jour utile pour déposer leur recours au fond, constatation qui démontrerait l’absence d’un préjudice grave et définitif dans leur chef et le caractère peu urgent de l’affaire. Pour le surplus, le délégué du gouvernement relève que Monsieur … ne disposait pas de moyens personnels propres suffisants au moment de la prise des décisions ministérielles litigieuses, à défaut de production d’un permis de travail, et que les faits invoqués dans la requête introductive auraient déjà été toisés dans le cadre du recours contentieux ayant trait à la demande d’asile des demandeurs, faits qui pour le surplus ne seraient pas suffisamment circonstanciés et graves pour empêcher un retour des demandeurs dans leur pays d’origine. Il en conclut que les éléments en cause ne dégageraient pas un risque de traitements inhumains ou dégradants ou un risque pour la vie des demandeurs et que les moyens au fond manqueraient partant du caractère sérieux requis pour justifier l’institution d’une mesure de sauvegarde.

En vertu de l'article 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le président du tribunal administratif peut au provisoire ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution d'une affaire dont est saisi le tribunal administratif, à l'exclusion des mesures ayant pour objet des droits civils.

Sous peine de vider de sa substance l'article 11 de la loi précitée du 21 juin 1999, qui prévoit que le sursis à exécution ne peut être décrété qu'à la double condition que, d'une part, l'exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d'autre part, les moyens invoqués à l'appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, il y a lieu d'admettre que l'institution d'une mesure de sauvegarde est soumise aux mêmes conditions concernant les caractères du préjudice et des moyens invoqués à l'appui du recours. Admettre le contraire reviendrait en effet à autoriser le sursis à exécution d'une décision administrative alors même que les conditions posées par l'article 11 ne seraient pas remplies, le libellé de l'article 12 n'excluant pas, a priori, un tel sursis qui peut à son tour être compris comme mesure de sauvegarde.

Concernant le sérieux des moyens présentés à l'appui de la demande au fond, le président du tribunal appelé à prendre une mesure provisoire doit nécessairement se livrer à un examen sommaire de ces moyens, sous peine d'empiéter sur les pouvoirs du juge du fond.

Il doit pareillement, dans cette même optique, apprécier les problèmes juridiques qui se posent à la lumière de la jurisprudence développée en la matière par les juridictions administratives siégeant au fond.

Concernant l'absence de moyens d'existence personnels invoqués par le ministre à l'appui de sa décision de refus, il convient de souligner qu'en vertu de la jurisprudence de la Cour administrative et du tribunal administratif fermement établie, seulement des moyens actuellement disponibles et légalement acquis rentrent dans les prévisions de l'article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972, précitée.

Un refus d’entrée et de séjour au pays peut être décidé notamment lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers (cf. trib. adm. 17 février 1997, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 146 et autres références y citées). Or, il ne ressort d’aucun élément du dossier au stade actuel du litige que les demandeurs disposaient au moment de la prise des décisions critiquées d’un quelconque moyen personnel susceptible de leur permettre de subvenir à leurs besoins personnels au pays et Monsieur … ne disposait pas non plus d’un permis de travail émis par l’autorité compétente, de sorte qu’il n’était pas non plus autorisé à s’adonner à une activité salariée au Luxembourg.

Finalement, la déclaration de prise en charge signée en date du 29 novembre 2004 par Monsieur D. M., au vu de la jurisprudence constante en la matière, ne saurait être prise en compte pour valoir comme preuve de moyens d'existence personnels suffisants dans le chef des demandeurs.

Concernant le caractère sérieux des moyens soulevés par les demandeurs relativement à la situation actuelle en République démocratique du Congo et au risque pour eux de subir encore à l’heure actuelle des traitements inhumains ou dégradants ou des atteintes à leur vie, moyens basés sur l’article 3 de la CEDH, sur l’article 14 de la loi précitée du 28 mars 1972 et sur l’article 13 de la loi du 3 avril 1996, précitée, les éléments afférents avancés ne paraissent pas être suffisamment graves et circonstanciés pour permettre au juge statuant au provisoire de retenir que le tribunal saisi du fond de l’affaire sera amené à conclure au non-respect des dispositions légales invoquées.

En effet, il échet de retenir en premier lieu que l’absence d’un accord de réadmission entre le Luxembourg et la République démocratique du Congo et les problèmes de logement et d’accès aux services sociaux avancés par les demandeurs ne présentent à l’évidence pas le caractère sérieux nécessaire pour justifier l’instauration d’une mesure de sauvegarde, étant donné que les conditions matérielles d’un éloignement futur et les problèmes de logement et de soins dans le pays d’origine des demandeurs ne sont a priori pas susceptibles d’amener avec une probabilité suffisante le tribunal, saisi du fond du litige, à conclure au non respect des dispositions légales invoquées et partant à annuler les décisions critiquées.

Pour le surplus, il convient de rappeler que le tribunal administratif et la Cour administrative, dans le cadre du recours contentieux introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 21 octobre 2003, ayant rejeté la demande en reconnaissance du statut de réfugié des demandeurs, ont relevé une évolution positive de la situation politique au Congo avec notamment la mise en place d’une amnistie générale en faveur des personnes condamnés pour des infractions à la sécurité nationale pour la période du 2 août 1998 au 4 avril 2003, de sorte que Monsieur … n’est plus susceptible d’être inquiété par les autorités en place pour les faits qui l’ont amené à quitter son pays d’origine.

Cette conclusion ne se trouve pas énervée, au stade actuel d’instruction du litige, par le contenu des articles de presse et des communiqués versées à l’appui du recours, décrivant notamment un regain des violences dans l’Est du pays, étant donné que les faits y relatés, s’ils sont certes d’une gravité certaine, sont soit géographiquement limités, soit visent en général des personnes exposées s’opposant au pouvoir en place, de sorte que la famille … ne semble pas être particulièrement exposée à l’heure actuelle en cas de retour en République démocratique du Congo, et ce à tel point que leur vie ou liberté seraient gravement menacées respectivement qu’il seraient susceptible de subir des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH.

Il suit de ce qui précède que les moyens invoqués à l'appui de la demande au fond par les demandeurs ne présentent pas, au stade actuel de l'instruction de l'affaire, le caractère sérieux nécessaire pour justifier l’instauration d’une mesure de sauvegarde.

La loi exigeant qu’une mesure de sauvegarde à l’encontre d'une décision administrative ne soit prononcée qu'au cas où les conditions du sérieux des moyens et d'un risque de préjudice grave et définitif sont cumulativement remplies, il y a lieu de rejeter la demande, sans qu'il y ait lieu d'examiner par ailleurs l'existence d'un risque de préjudice grave et définitif dans le chef des demandeurs.

PAR CES MOTIFS le soussigné, juge du tribunal administratif, siégeant en remplacement du président et des autres magistrats plus anciens en rang, tous légitimement empêchés, statuant contradictoirement et en audience publique ;

donne acte aux demandeurs qu’ils déclarent bénéficier de l’assistance judiciaire ;

déclare la demande en institution d’une mesure de sauvegarde non justifiée et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 9 août 2005 par M. Spielmann, juge du tribunal administratif, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Spielmann 6


Synthèse
Numéro d'arrêt : 20237
Date de la décision : 09/08/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-08-09;20237 ?

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