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12/07/2005 | LUXEMBOURG | N°19234C

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 juillet 2005, 19234C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 19234 C Inscrit le 31 janvier 2005

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Audience publique du 12 juillet 2005 Recours formé par la société à responsabilité limitée … Luxembourg s.à r.l.

contre une décision de la Commission nationale pour la protection des données en matière de vidéosurveillance - Appel -

(jugement entrepris du 15 décembre 2004, n° 17890 du rôle)

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Vu la requête d’appel, inscrite sous le numér...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 19234 C Inscrit le 31 janvier 2005

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Audience publique du 12 juillet 2005 Recours formé par la société à responsabilité limitée … Luxembourg s.à r.l.

contre une décision de la Commission nationale pour la protection des données en matière de vidéosurveillance - Appel -

(jugement entrepris du 15 décembre 2004, n° 17890 du rôle)

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Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 19234C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 31 janvier 2005 par Maître Georges Krieger, avocat à la Cour, au nom de la société à responsabilité limitée … Luxembourg s.à r.l., établie et ayant son siège social à L-…, dirigée contre un jugement rendu par le tribunal administratif le 15 décembre 2004, par lequel il a déclaré non fondé le recours en annulation introduit contre une décision de la commission nationale pour la protection des données (CNPD) du 9 janvier 2004, refusant de faire droit à deux demandes d’autorisation relatives au traitement de données à des fins de surveillance ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Guy Engel, demeurant à Luxembourg, du 2 février 2005, portant signification de ladite requête d’appel à la CNPD, établissement public, établi à L-4221 Esch-sur-Alzette, 68, rue de Luxembourg ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 2 mars 2005 par Maître Marc Thewes, avocat à la Cour, au nom de la CNPD, préqualifiée ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 4 avril 2005 par la partie appelante ;

Vu l’acte d’avocat à avocat du 5 avril 2005 par lequel ledit mémoire en réplique a été notifié au mandataire de la partie intimée ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 3 mai 2005 au nom de la CNPD ;

Vu l’acte d’avocat à avocat du 26 avril 2005 par lequel ledit mémoire en duplique a été notifié au mandataire de la partie appelante ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Ouï le conseiller en son rapport, Maître Georges Krieger et Maître Marc Thewes en leurs plaidoiries respectives.

Par requête, inscrite sous le numéro 17890 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 avril 2004, la société à responsabilité limitée … Luxembourg s.à r.l., dénommée ci-après la « société … », a fait introduire un recours tendant à l’annulation d’une décision de la Commission nationale pour la protection des données (CNPD) du 9 janvier 2004, refusant de faire droit à deux demandes d’autorisation relatives au traitement de données à des fins de surveillance.

Par jugement rendu le 15 décembre 2004, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, a reçu le recours en annulation en la forme et, au fond, l’a déclaré non justifié et en a débouté la partie demanderesse.

Les premiers juges ont justifié leur décision en écartant tout d’abord un moyen d’irrecevabilité soulevé par la CNPD, tiré de ce que le recours introductif n’articulerait aucun cas d’ouverture prévu par l’article 2, paragraphe premier de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, au motif que les écrits de la société … sont suffisamment explicites pour permettre de cerner avec la précision requise le cadre tant factuel que légal des moyens avancés à l’appui du recours. Ils ont encore constaté que la CNPD a amplement pu prendre position par rapport aux griefs formulés par la société ….

Le tribunal administratif a encore retenu, dans le cadre de son analyse du moyen tiré de l’incompétence du tribunal administratif pour connaître de l’acte déféré, tel que soulevé par la société …, que la CNPD constitue une autorité publique sous la forme d’un établissement public et que les décisions qu’elle prend sont à qualifier d’actes administratifs. Il a dans ce contexte rejeté l’argumentation présentée par la société … suivant laquelle la CNPD serait à considérer comme une juridiction. Il a en outre rejeté l’argumentation développée par la société … suivant laquelle la forme de l’acte attaqué serait celle d’un jugement, en retenant qu’au contraire, la CNPD n’a fait que respecter les règles de la procédure administrative non contentieuse en indiquant une motivation exhaustive et complète de sa décision dans le texte de celle-ci.

Au vu des conclusions qui précèdent, les premiers juges ont rejeté le moyen tiré de l’incompétence des juridictions administratives pour connaître de l’acte attaqué qui est susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation devant les juges administratifs.

Quant au fond, les premiers juges ont tout d’abord décidé que la demande de la société … tombe sous le champ d’application des articles 10 et 11 de la loi du 2 août 2002 relative à la protection des personnes à l’égard du traitement des données à caractère personnel, en ce qu’elle vise à la fois un traitement à des fins de surveillance, ainsi que plus spécifiquement un traitement à des fins de surveillance sur le lieu de travail. Ils ont encore constaté dans ce contexte, à la suite de reproches afférents présentés par la société …, que la CNPD a bien analysé la décision sous l’aspect des deux dispositions légales en question.

Quant au moyen basé sur la considération que le règlement interne de la CNPD serait intervenu en violation de l’article 36 de la Constitution pour excéder le cadre légal de l’article 35 de la loi précitée du 2 août 2002, le tribunal a retenu qu’en l’absence du moindre développement de la société … quant à l’incidence dudit règlement interne sur la régularité de la décision litigieuse, ce moyen n’est pas de nature à énerver la régularité de celle-ci.

Quant à la décision basée sur l’article 11 de la loi précitée du 2 août 2002, les premiers juges ont décidé que la CNPD est habilitée, conformément à la disposition légale en question, à procéder à l’évaluation de la nécessité du traitement faisant l’objet de la demande de la société … par rapport aux différents cas d’ouverture limitativement énoncés par la loi à cet égard, afin de vérifier si la demande lui soumise rentre dans les prévisions des dispositions pertinentes de la loi.

Le tribunal rappelle encore que le législateur a opté pour une approche restrictive dans le cadre de l’article 11 précité, qui consiste à ne permettre le traitement des données à des fins de surveillance sur le lieu de travail que lorsqu’il est nécessaire, et il constate qu’en l’espèce, la CNPD a suivi cette approche telle que préconisée par le législateur en appréciant le caractère nécessaire ou non du dispositif envisagé par la société … par rapport aux besoins de sécurité et de santé des travailleurs, ainsi que par rapport au besoin de protection des biens de l’entreprise.

Les premiers juges ont constaté que la CNPD a pu retenir à bon droit que la société … n’a pas apporté un élément concret caractérisant, par rapport aux établissements concernés, la nécessité de mettre en place les dispositifs de surveillance litigieux, alors que seuls des problèmes d’ordre général, communs à tout commerce, ont été invoqués par la société … qui se réfère à des considérations d’opportunité, insuffisantes à elles seules pour caractériser une véritable nécessité telle que requise par la loi.

En ce qui concerne l’argumentation de la société … suivant laquelle les installations de surveillance seraient nécessaires en raison des besoins de protection des biens de l’entreprise, les premiers juges ont constaté que s’il est vrai que la loi ne distingue pas en fonction de la valeur des biens à protéger, il y a néanmoins lieu d’établir que le système de vidéosurveillance tel qu’envisagé par la société … est nécessaire, condition qui, au vu des développements antérieurement retenus par le tribunal, laisse d’être vérifiée en l’espèce. A ce titre, le tribunal relève que l’argumentation de la société … tend tout au plus à établir l’utilité, c’est-à-dire l’opportunité du système préconisé, sans pour autant démontrer que l’installation en question soit nécessaire.

Enfin, en ce qui concerne la décision tombant sous le champ d’application de l’article 10 de la loi précitée du 2 août 2002, le tribunal constate que la société … reste en défaut d’établir à suffisance de droit l’existence d’un risque rendant le traitement nécessaire à la sécurité des usagers, ainsi qu’à la prévention des accidents prévue au point (1) sub (b) dudit article 10.

En date du 31 janvier 2005, Maître Georges Krieger, avocat à la Cour, a déposé une requête d’appel en nom et pour compte de la société …, inscrite sous le numéro 19234C du rôle, par laquelle la partie appelante sollicite la réformation du premier jugement.

A l’appui de sa requête d’appel, l’appelante reproche d’abord aux premiers juges de ne pas avoir retenu son argumentation développée en première instance quant au caractère juridictionnel de la décision litigieuse. Elle précise à ce sujet que le moyen afférent ne tendait pas à voir constater l’incompétence du tribunal administratif pour connaître du recours, mais à sa compétence pour prononcer l’annulation de la décision juridictionnelle prise par la CNPD pour violation de la loi, excès et détournement de pouvoir. Elle estime en effet que la CNPD ne se serait pas comportée dans le cas d’espèce comme une autorité administrative, mais plutôt comme une autorité juridictionnelle, alors que la loi ne l’aurait pas instituée pour trancher entre des intérêts divergents des parties, mais pour faire une application « pure et simple » de ses dispositions.

La société … conteste par ailleurs que la CNPD se soit simplement conformée à la réglementation telle qu’instituée par le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relative à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, en soutenant qu’elle aurait au contraire outrepassé ses pouvoirs en se comportant de facto comme un organe juridictionnel, ce qui serait apparent non seulement du point de vue de la forme mais également du fond de sa décision.

Quant au fond, l’appelante critique la décision prise par les premiers juges en ce qu’ils auraient basé celle-ci en partie sur l’article 4.1.b) de la loi précitée du 2 août 2002, qui ne devrait pas trouver application en l’espèce, étant donné qu’elle n’exploiterait à l’heure actuelle aucun système de traitement de données à caractère personnel, seul cas d’ouverture de ladite disposition légale.

Elle reproche encore au tribunal d’avoir fait une interprétation stricte du terme nécessaire, qui excéderait la volonté du législateur. Elle conteste dans ce contexte que la charge de la preuve d’une nécessité de procéder au traitement à des fins de surveillance sur le lieu de travail lui incomberait, tel que retenu par les premiers juges, au motif qu’une telle exigence ne serait pas prévue par la loi précitée du 2 août 2002. Il suffirait par conséquent que le traitement de données à caractère personnel soit simplement légitime pour que l’autorisation doive être accordée. Elle ajoute que la CNPD aurait tout au plus pu imposer certains aménagements à faire dans le cadre de la mise en place du traitement projeté, notamment quant au positionnement des caméras. Pour le surplus, les autres dispositions de la loi précitée du 2 août 2002 contiendraient assez de dispositions protectrices notamment des intérêts des salariés.

En conclusion, elle estime que son intention de protéger ses biens devrait justifier à elle seule la mise en place et l’autorisation du système de vidéosurveillance envisagé.

Dans son mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 2 mars 2005, Maître Marc Thewes, avocat à la Cour, agissant en nom et pour compte de la CNPD, conclut à la confirmation du jugement entrepris.

La CNPD conteste tout d’abord qu’elle aurait excédé ou détourné ses pouvoirs en se comportant comme une autorité juridictionnelle, en contestant avoir tranché un litige, tel qu’allégué par la partie appelante, mais elle estime au contraire qu’elle a pris une décision administrative dans les limites de ses attributions, telles que prévues par la loi. Ainsi, elle conteste que sa décision litigieuse violerait l’article 86 de la Constitution.

Quant au fond, la partie intimée estime que les dispositions de l’article 4 de la loi précitée du 2 août 2002 s’appliquent non seulement pour des systèmes de traitement déjà existants, mais également aux systèmes envisagés faisant l’objet d’une demande en autorisation, de sorte que pour ces demandes, il y aurait lieu de vérifier non seulement la légitimité du traitement, mais également le respect des obligations de licéité et de loyauté telles que visées par l’article 4 précité.

En ce qui concerne l’argumentation de la partie appelante quant à la charge de la preuve et à la notion de nécessité, la partie intimée souligne que suivre le raisonnement adopté par la partie appelante aurait pour conséquence d’enlever tout pouvoir d’appréciation dans son chef, en ce qu’il entraînerait l’obligation de délivrer l’autorisation sollicitée à partir du moment où le demandeur en autorisation indique la cause de légitimité qui se trouve à la base de sa demande. Elle rappelle au contraire que le législateur aurait clairement eu l’intention d’instituer un contrôle préalable avant la mise en place du système de traitement de données en chargeant la CNPD d’un pouvoir d’appréciation, afin de déterminer si le traitement envisagé est bien nécessaire pour réaliser la finalité telle que poursuivie par le demandeur en autorisation.

En date du 4 avril 2005, la société … a fait déposer au greffe de la Cour administrative un mémoire en réplique.

Elle conteste que la CNPD dispose d’un pouvoir d’apprécier la proportionnalité du traitement envisagé au regard des droits des salariés du demandeur en autorisation.

Elle estime dans ce contexte que les missions réservées à la CNPD par le législateur comporteraient notamment une fonction de contrôle et de vérification ex-post et elle rappelle son argumentation antérieurement développée suivant laquelle la CNPD n’aurait pas pour mission de trancher des litiges entre deux intérêts de nature privée.

Elle conteste encore, pour le cas où l’objectif de la loi précitée du 2 août 2002 serait de protéger des libertés et des droits fondamentaux des personnes physiques, que le contrôle de la caisse enregistreuse, ainsi que des locaux proches de ladite caisse affecte d’une quelconque manière la vie privée des employés.

Par ailleurs, elle maintient son moyen tiré d’une violation de l’article 86 de la Constitution, en ce que la CNPD aurait agi, à tort, comme une autorité juridictionnelle.

A l’appui de son mémoire en réplique, la partie appelante soulève un moyen nouveau qu’elle qualifie comme étant d’ordre public et qui est tiré du caractère réglementaire de la décision litigieuse. Elle expose que ce moyen ne serait que subsidiaire pour le cas où la Cour n’admettrait pas son argumentation tendant à voir qualifier la décision litigieuse de la CNPD comme étant une décision juridictionnelle. En effet, elle estime que la décision est susceptible d’avoir des effets sur tous les salariés concernés dans la mesure où elle concerne l’ensemble des caméras de surveillance à installer dans les différents points de vente et de service.

Il en découlerait l’inapplicabilité des règles relatives à la procédure administrative non contentieuse qui ne s’applique qu’aux décisions administratives individuelles.

Partant, en faisant une application stricte desdites règles et plus particulièrement de celles découlant du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979, la CNPD aurait violé la loi du 1er décembre 1978 réglant la procédure administrative non contentieuse et plus particulièrement le champ d’application tel que défini à son article 4.

Quant au fond, elle reprend son argumentation antérieure notamment quant à l’applicabilité de l’article 4 de la loi précitée du 2 août 2002, qui, suivant ses termes mêmes, ne pourrait trouver application lors de l’analyse d’une demande d’autorisation préalable. Il s’ensuivrait que lors de l’analyse d’une telle demande, seule la condition de légitimité du traitement devrait être vérifiée, condition qui serait remplie en l’espèce. Par ailleurs, à défaut de base juridique appropriée, la CNPD ne serait pas en droit de porter une appréciation quant à la proportionnalité du traitement envisagé par rapport à la finalité prévue.

Quant à la notion de « nécessité », la partie appelante soutient que contrairement à ce qui a été développé par la partie intimée, celle-ci ne se verrait en rien enlever son pouvoir de contrôle lors de la procédure d’autorisation préalable, telle que prévue par la loi, en ce qu’il lui appartiendrait notamment de vérifier si le traitement envisagé rentre dans les prévisions de la loi, si le traitement projeté est légitime, en écartant les demandes d’autorisation préalables relatives à des traitements de données les plus attentatoires aux droits des personnes physiques.

Enfin, quant à la valeur des biens que la partie appelante entend protéger par les systèmes de traitement de données à mettre en place, elle rappelle qu’aucune différence n’est faite entre des biens à valeur élevée et des biens à valeur moins élevée, de sorte qu’une autorisation peut être demandée pour les besoins de protection des biens de l’entreprise, quelle que soit leur valeur.

En date du 3 mai 2005, la CNPD a fait déposer un mémoire en duplique au greffe de la Cour. Elle précise tout d’abord que la demande de la partie appelante ne remplissait pas les conditions prévues par les articles 10 et 11 de la loi précitée du 2 août 2002, en contestant ainsi avoir reconnu une quelconque légitimité à cette demande.

En deuxième lieu, la CNPD conteste avoir rendu une décision juridictionnelle par la décision critiquée, en soutenant qu’au contraire elle aurait pris une décision administrative dans le cadre des compétences lui dévolues par la loi précitée du 2 août 2002.

Elle conclut, en troisième lieu, à l’irrecevabilité du moyen nouveau soulevé par l’appelante dans le cadre de sa réplique, par lequel cette dernière entend faire qualifier la décision attaquée d’acte réglementaire.

Pour le surplus, elle conclut au caractère non fondé de ce moyen, en soutenant que la décision attaquée constituerait un acte administratif à caractère individuel dont le destinataire serait la partie appelante. Elle fait dans ce contexte état de ce que le fait que l’acte en question soit susceptible d’affecter la situation des membres du personnel de la partie appelante ne serait pas de nature à avoir un effet sur la qualification à donner à l’acte en question.

Enfin, la CNPD rappelle le sens qu’il y aurait lieu de donner, à son avis, à l’article 11 de la loi précitée du 2 août 2002, d’après lequel elle aurait à examiner si les traitements envisagés par les demandes lui soumises, aux fins de surveillance sur le lieu de travail, sont possibles, en considération des finalités telles que prévues par cet article. Il y aurait partant lieu d’exercer un contrôle de proportionnalité entre les moyens que le demandeur en autorisation entend mettre en œuvre et la finalité recherchée par lui.

La requête d’appel est recevable pour avoir été introduite dans les formes et délai prévus par la loi.

La Cour est tout d’abord amenée à analyser le premier moyen invoqué par l’appelante à l’appui de sa requête d’appel, par lequel elle reproche aux premiers juges de ne pas avoir fait droit à son argumentation développée en première instance qui tendait à voir qualifier la décision de la CNPD du 9 janvier 2004 en tant que décision ayant un caractère juridictionnel dont elle souhaitait voir prononcer l’annulation pour violation de la loi, excès et détournement de pouvoir.

Elle estime dans ce contexte que la décision incriminée violerait l’article 86 de la Constitution suivant lequel « nul tribunal, nulle juridiction contentieuse ne peuvent être établies qu’en vertu d’une loi. Il ne peut être créé de commissions ni de tribunaux extraordinaires, sous quelque dénomination que ce soit ».

Il échet de constater que la CNPD a été créée par la loi du 2 août 2002 relative à la protection des personnes à l’égard du traitement des données à caractère personnel, qui l’a instituée en tant qu’autorité de contrôle « chargée de contrôler et de vérifier si les données soumises à un traitement sont traitées en conformité avec les dispositions de la (…) loi [précitée du 2 août 2002] et de ses règlements d’exécution » et suivant l’article 34 de la loi précitée du 2 août 2002, la CNPD constitue une autorité publique sous la forme d’un établissement public, jouissant de la personnalité juridique, ainsi que de l’autonomie financière et administrative, sous la tutelle du ministre ayant dans ses attributions la protection des données.

Il suit des constatations qui précèdent que la loi a institué non pas une juridiction, mais une autorité administrative, de sorte que du point de vue de son statut légal, la CNPD ne rentre pas dans le champ d’application tel que déterminé par l’article 86 de la Constitution.

Au-delà de ce constat, il est encore reproché à la CNDP de s’être comportée non pas comme une autorité administrative, mais comme une juridiction, ce qui ressortirait tant de la forme que du fond de la décision sous analyse du 9 janvier 2004.

A la lecture de la décision litigieuse du 9 janvier 2004, intitulée « délibération n° 1/2004 du 9 janvier 2004 de la Commission nationale pour la protection des données relative aux demandes d’autorisation préalable en matière de vidéosurveillance de la société à responsabilité limitée … Luxembourg », contenue dans un document comprenant une vingtaine de pages, il échet de constater que celle-ci contient une motivation très détaillée et circonstanciée, qui comprend non seulement une analyse approfondie des faits de l’espèce soumis à la CNPD par les différentes demandes en autorisation lui soumises par la société …, mais également le relevé des dispositions légales afférentes, ainsi que des principes sur lesquels elle s’est basée pour prendre sa décision.

Il échet de relever de prime abord qu’une telle présentation de la motivation, dont d’autres administrations pourraient s’inspirer, est certainement dans l’intérêt de l’administré concerné, puisqu’elle lui permet de comprendre en détail les motifs qui ont pu amener l’autorité administrative à ne pas faire droit à ses demandes. S’il est vrai qu’une telle présentation des motifs va au-delà de ce qui est exigé par l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, puisqu’elle ne se borne pas à n’indiquer que d’une manière sommaire la cause juridique qui sert de fondement à la décision, ainsi que les circonstances de fait se trouvant à sa base, aucun texte de loi et aucun règlement d’application n’interdit toutefois d’indiquer de manière exhaustive les raisons sur lesquelles l’autorité s’est basée pour prendre sa décision, une telle transparence de l’action administrative étant certainement dans l’intérêt de tous les administrés concernés.

Il ne saurait toutefois être tiré du fait que la présentation matérielle de cette décision ressemble du point de vue de l’approche systématique suivie à celle utilisée en règle générale par les jugements ou arrêts des juridictions que la CNPD ait en réalité entendu rendre une décision juridictionnelle. Par ailleurs, à aucun endroit de la décision en question la CNPD ne donne l’apparence de se comporter en tant que juridiction, alors qu’au contraire, elle indique expressément à la page 21 sous la rubrique « indication des voies de recours » que le document en question constitue une « décision administrative », susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation à introduire devant le tribunal administratif. Il ressort au plus tard de cette constatation que la CNPD n’a pas eu l’intention de rendre un jugement en tant que juridiction administrative de première instance, puisqu’elle spécifie elle-même que la décision prise par elle constitue une décision administrative.

Le simple fait que la CNPD ait procédé à une instruction minutieuse des demandes dont elle était saisie par la société …, au cours de laquelle elle a notamment consulté et entendu non seulement les représentants de l’appelante, mais également des membres d’un syndicat représentant les intérêts d’au moins une partie des salariés de l’appelante, n’est pas de nature à établir que la CNPD se soit comportée comme une juridiction, alors qu’au contraire, une telle approche témoigne du sérieux du travail accompli par la CNPD afin d’aboutir à une décision la plus juste et exacte possible. Le fait d’entendre différentes personnes ou organismes susceptibles de fournir à la CNPD des éléments, ainsi que des renseignements qui lui permettront de rendre sa décision, ne permet pas d’aboutir à la conclusion que la décision rendue à la suite de telles consultations constituerait un jugement rendu entre les parties que l’auteur de la décision administrative a consulté au cours de la phase préparatoire de sa décision. En effet, à défaut de litige contentieux entre lesdits personnes ou organismes, il ne saurait être question de litige que la CNPD aurait été amenée à trancher.

La Cour ne peut partant que se rallier aux conclusions auxquelles ont abouti les premiers juges et qui les ont amené à rejeter comme n’étant pas fondé le moyen tiré de ce que la décision litigieuse serait en réalité un jugement rendu par une autorité juridictionnelle.

C’est dans ce contexte qu’il y a lieu de situer le moyen que la partie appelante qualifie de « moyen nouveau », qui est tiré du caractère prétendument réglementaire de la décision litigieuse et que la partie appelante semble invoquer dans le seul but de faire échapper la décision litigieuse aux règles relatives à la procédure administrative non contentieuse. Une telle approche pour le moins curieuse amène toutefois la Cour à relever que bien que les actes réglementaires ne soient pas visés par le champ d’application fixé par la loi du 1er décembre 1978 réglant la procédure administrative non contentieuse, en exécution de laquelle a été pris le règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979, rien n’empêche l’auteur d’un acte réglementaire à y indiquer les motifs qui l’ont amené à prendre sa décision. Pour le surplus, il y a lieu de rappeler que même un acte réglementaire doit être basé sur des motifs légaux, même s’il n’existe aucune obligation législative ou réglementaire qui oblige l’auteur dudit acte à indiquer dans l’acte lui-même lesdits motifs. Il s’ensuit que même à supposer que la décision litigieuse puisse être considérée comme constituant un acte administratif à caractère réglementaire, une telle qualification ne saurait avoir l’effet voulu par l’appelante.

Au-delà de ces considérations, la Cour ne saurait suivre l’argumentation de la partie appelante pour conclure à la qualification par elle souhaitée, puisque le seul fait qu’une décision soit de nature à avoir des effets directs ou indirects, à l’égard d’autres personnes, n’est pas à lui seul de nature à qualifier ladite décision d’acte réglementaire. Il y a lieu de relever que pour qu’une décision ou un acte puisse être qualifié d’acte réglementaire, il est tout d’abord nécessaire que l’autorité prenant l’acte en question ait eu l’intention de régler d’une manière générale et abstraite la situation d’un nombre indéterminé de personnes. Or, en l’espèce, tel n’a certainement pas été le cas, puisque l’intimée, auteur de la décision litigieuse, a simplement pris position par rapport à des demandes lui soumises par l’appelante, sans qu’elle n’ait exprimé d’une quelconque manière avoir eu l’intention de réglementer d’une manière générale la situation des salariés se trouvant au service de l’appelante. S’il est vrai que beaucoup de décisions administratives individuelles ont nécessairement des effets dans le chef de tierces personnes, notamment en matière d’urbanisme, d’établissements classés, de protection de l’environnement etc., ce fait à lui seul n’est pas de nature à leur donner la qualification d’acte réglementaire.

Il suit de ce qui précède que le moyen afférent, tendant à voir constater que la CNPD aurait violé la loi précitée du 1er décembre 1978, est à rejeter pour être manifestement infondé.

Quant au fond, l’appelante critique tout d’abord la décision prise par les premiers juges en ce que ceux-ci se seraient basés au moins en partie sur l’article 4.1.b de la loi précitée du 2 août 2002, en ce qu’ils auraient rendu ladite disposition légale applicable en présence d’une demande portant sur un système de traitement de données à caractère personnel qui ne serait pas encore exploité.

Il échet toutefois de constater que les premiers juges ont pu se baser notamment sur les dispositions inscrites à l’article 4 de la loi précitée du 2 août 2002 dont la CNPD doit tenir compte lorsqu’elle prend une décision dans le contexte plus spécifique des articles 10 et 11 de la loi en question. C’est ainsi que les premiers juges ont pu considérer lesdites dispositions comme faisant partie des dispositions générales s’appliquant à tout type de traitement, au-delà des dispositions spécifiques qui peuvent trouver application pour certains types spécifiques de traitements.

Une telle conclusion peut en effet être tirée pour le cas d’espèce à partir de l’article 14 (1) (a) de la loi précitée du 2 août 2002 visant le type de traitement envisagé par la société … qui doit partant soumettre à la CNPD une demande d’autorisation devant comprendre, conformément aux dispositions du paragraphe (2) du même article 14, notamment les informations ayant trait à la finalité du traitement. Dans ce contexte, il y a encore lieu de se référer à la mission et aux pouvoirs conférés à la CNPD par l’article 32 de la même loi, qui dispose sous son point (1) que la commission « est chargée de contrôler et de vérifier si les données soumises à un traitement sont traitées en conformité avec les dispositions de la présente loi et de ses règlements d’exécution ».

La décision prise par le tribunal n’encourant aucun reproche à cet égard, il y a lieu de rejeter le moyen afférent pour ne pas être fondé.

La Cour est ensuite amenée à analyser le moyen par lequel l’appelante reproche aux premiers juges d’avoir fait une appréciation erronée de l’article 11 de la loi précitée du 2 août 2002, en ayant fait une fausse interprétation du terme de « nécessaire » y indiqué. L’article 11 paragraphe (1) prévoit en effet ce qui suit : « le traitement à des fins de surveillance sur le lieu de travail peut être mis en œuvre, conformément à l’article 14, par l’employeur s’il en est le responsable. Un tel traitement n’est possible que s’il est nécessaire (…), [pour les différents besoins y limitativement énoncés] ».

Il suit du libellé clair et précis de ladite disposition légale que le législateur a clairement voulu limiter la possibilité de mettre en place un tel traitement à des cas limitativement énoncés et il appartient partant à la CNPD d’analyser si l’une des hypothèses prévues par le paragraphe en question est remplie en l’espèce. C’est ainsi que la CNPD a en l’espèce procédé à juste titre à l’évaluation de la nécessité du traitement faisant l’objet de la demande de la société … par rapport aux différents cas d’ouverture limitativement énoncés par la loi à cet égard, puisqu’elle a reçu par le législateur la mission consistant précisément à vérifier si la demande soumise à autorisation préalable rentre dans les prévisions des dispositions de la loi.

Il ne suffit partant pas que la demanderesse en autorisation, en l’espèce l’appelante, affirme avoir l’intention de protéger ses biens au moyen du système de vidéosurveillance envisagé par elle, mais elle doit au contraire rapporter la preuve de la pertinence de ses affirmations.

C’est partant à bon droit que la CNPD a pu procéder à l’analyse de la nécessité invoquée par l’appelante et il y a lieu de confirmer les conclusions retenues à cet égard par les premiers juges.

Ledit moyen, qui n’a pas été développé plus en avant, de sorte à ne nécessiter aucune analyse supplémentaire de la part de la Cour, est à rejeter pour ne pas être fondé.

Enfin, quant au reproche adressé aux premiers juges d’avoir retenu que la CNPD disposait d’un pouvoir d’apprécier la proportionnalité du traitement envisagé, il échet encore de confirmer les premiers juges dans leur analyse de l’article 11 de la loi qui donne expressément à la CNPD le pouvoir d’apprécier si le système de surveillance envisagé est nécessaire pour protéger les biens de l’entreprise ou pour assurer la sécurité et la santé des travailleurs. Afin d’être en mesure d’assurer la mission qui lui est ainsi conférée par le législateur, la CNPD doit nécessairement procéder à un contrôle de la proportionnalité des mesures envisagées pour décider si le traitement ainsi préconisé est nécessaire pour assurer les besoins prévus par la loi.

Partant, loin d’avoir dépassé ses compétences légales, la CNPD a agi conformément à la mission lui conférée par le législateur, tel que cela a été retenu à bon droit par les premiers juges.

A cet égard, il y a lieu de retenir que c’est à bon droit que la CNPD a pu constater l’absence d’éléments concrets caractérisant par rapport à l’établissement concerné la nécessité de mettre en place le dispositif de surveillance litigieux, dans la mesure où les problèmes d’ordre général mis en avant par l’appelante à cet égard sont communs à tout commerce et s’analysent tout au plus en des considérations d’opportunité, insuffisantes à elles seules pour caractériser une véritable nécessité telle que requise par la loi.

La Cour peut partant se rallier aux conclusions afférentes retenues par les premiers juges dans le jugement entrepris, de sorte que le moyen invoqué en instance d’appel est à rejeter pour ne pas être fondé.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que la requête d’appel n’est pas fondée et qu’il y a lieu de confirmer le jugement entrepris du 15 décembre 2004.

Par ces motifs, La Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit la requête d’appel du 31 janvier 2005 en la forme ;

la dit cependant non fondée et en déboute ;

partant confirme le jugement entrepris du 15 décembre 2004 dans toute sa teneur;

condamne l’appelante aux frais et dépens de l’instance d’appel.

Ainsi jugé par :

Jean-Mathias Goerens, vice-président Marc Feyereisen, conseiller, Carlo Schockweiler, conseiller, rapporteur, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en-tête, en présence du greffier de la Cour Anne-Marie Wiltzius.

le greffier le vice-président 13


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19234C
Date de la décision : 12/07/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-07-12;19234c ?

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