La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/07/2005 | LUXEMBOURG | N°19100C

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 juillet 2005, 19100C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 19100 C Inscrit le 31 décembre 2004

-----------------------------------------------------------------------------------------------------

Audience publique du 12 juillet 2005 Recours formé par … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière d’autorisation de faire le commerce - Appel -

(jugement entrepris du 22 novembre 2004, n° 17874 du rôle)

-----------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu la requête d’appel, i

nscrite sous le numéro 19100C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 31 d...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 19100 C Inscrit le 31 décembre 2004

-----------------------------------------------------------------------------------------------------

Audience publique du 12 juillet 2005 Recours formé par … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière d’autorisation de faire le commerce - Appel -

(jugement entrepris du 22 novembre 2004, n° 17874 du rôle)

-----------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 19100C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 31 décembre 2004 par Maître Sonja Vinandy, avocat à la Cour, au nom de …, commerçant, demeurant à L-…, dirigée contre un jugement rendu par le tribunal administratif le 22 novembre 2004, par lequel il s’est déclaré incompétent pour connaître du recours en réformation introduit contre une décision du ministre de la Santé du 22 septembre 2003 refusant de faire droit à sa demande en autorisation de commercialiser 1) des graines de chanvre de toutes les variations, 2) des champignons des espèces Copelandia Cyanescens, Psilocibe Semilanceata, Stropharia Cubensis, Psylocybe Tapanensis, 3) des plantes Lophorora Williamsii ;

Trichocerus Pachanoi ; 4) tous autres articles vendus aux Pays-Bas dans les magasins de type « smart shop », ainsi que contre une décision du même ministre du 9 janvier 2004 intervenue sur recours gracieux et confirmant celle prévisée du 22 septembre 2003, et par lequel il a déclaré non fondé le recours en annulation introduit contre les mêmes décisions ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 12 janvier 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Ouï le conseiller en son rapport, Maître Sonja Vinandy et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc Mathekowitsch en leurs plaidoiries respectives.

-----------------------------------------------------------------------------------------------------

Par requête, inscrite sous le numéro 17874 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 avril 2004, … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Santé du 22 septembre 2003 refusant de faire droit à sa demande en autorisation de commercialiser 1) des graines de chanvre de toutes les variations, 2) des champignons des espèces Copelandia Cyanescens, Psilocibe Semilanceata, Stropharia Cubensis, Psylocybe Tapanensis, 3) des plantes Lophorora Williamsii ;

Trichocerus Pachanoi ; 4) tous autres articles vendus aux Pays-Bas dans les magasins de type « smart shop », ainsi que d’une décision du même ministre du 9 janvier 2004 intervenue sur recours gracieux et confirmant celle prévisée du 22 septembre 2003.

Par jugement rendu le 22 novembre 2004, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, s’est déclaré incompétent pour connaître du recours en réformation, a reçu le recours en annulation en la forme et, au fond, l’a déclaré non justifié et en a débouté ….

A l’appui de leur décision, et quant au premier volet du litige portant sur les semences de chanvre, les premiers juges ont tout d’abord retenu qu’il se dégage de l’esprit général de la Convention unique sur les stupéfiants faite à New York le 30 mars 1961, approuvée par une loi du 28 avril 1976, ci-après désignée par « la Convention unique », que c’est en vue de prévenir et de combattre la toxicomanie que les Etats parties se sont engagés mutuellement à observer certaines mesures de contrôle, sans pour autant restreindre leurs compétences nationales respectives en la matière, en ce sens que les Etats parties ont gardé la liberté d’adopter, au-delà des mesures faisant l’objet de la Convention, leurs propres mesures nationales de contrôle excédant le cas échéant en sévérité celles qu’exige la Convention unique.

Le tribunal en conclut que le pouvoir exécutif a ainsi pu étendre l’obligation de solliciter une autorisation ministérielle pour la commercialisation des semences de variétés de cannabis dont le taux en tétrahydrocannabinol (THC) dépasse 0,3%, taux que peuvent dépasser les graines et semences de chanvre.

Le tribunal a encore rejeté le moyen tiré de la violation de l’article 14 de la Constitution disposant que « nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu’en vertu de la loi », en ce que ce n’est pas le règlement grand-ducal modifié du 26 mars 1974 établissant la liste des stupéfiants qui établit les peines pénales applicables en la matière, mais la loi cadre modifiée du 19 février 1973 concernant la vente de substances médicamenteuses et la lutte contre la toxicomanie, qui relègue au pouvoir réglementaire uniquement le pouvoir de déterminer les stupéfiants ou substances toxiques, soporifiques ou psychotropes concernés, dont l’usage illicite, l’usage personnel, le transport, la détention ou l’acquisition à titre onéreux ou à titre gratuit sont susceptibles d’être punis par les peines d’emprisonnement et d’amende telles que prévues à l’article 7, A, 1 de la loi précitée du 19 février 1973.

Les premiers juges ont encore retenu que dans la mesure où l’actuel appelant reste en l’espèce en défaut d’établir, voire d’alléguer sérieusement que les variétés de chanvre accusant un taux de THC dépassant 0,3%, susceptibles d’être cultivées à partir des semences litigieuses, ne comportent pas de substances toxiques, soporifiques ou psychotropes, le moyen de l’anti-constitutionnalité du règlement grand-ducal précité du 26 mars 1974, entrevu à partir de l’article 14 de la loi fondamentale, laisse d’être fondé, étant entendu que la distinction plus généralement mise en avant par l’actuel appelant entre les semences et les plantes susceptibles d’être cultivées à partir de ces semences laisse d’être pertinente dans ce contexte, en ce que le vendeur de semences n’est pas maître de l’usage qui est susceptible d’en être fait concrètement par les acheteurs.

Le tribunal a par ailleurs rejeté le moyen tiré de la prétendue violation du principe de la séparation des pouvoirs, en l’absence d’un développement sérieux de ce moyen.

En ce qui concerne la prétendue violation par les décisions litigieuses du principe de la liberté du commerce et de l’industrie, telle qu’ancrée à l’article 11 (6) de la Constitution, les premiers juges ont décidé que contrairement à l’argumentation développée par l’actuel appelant, ce n’est pas le Grand-Duc, en déterminant conformément au mandat lui conféré par le pouvoir législatif, les produits qui sont à considérer comme stupéfiants, qui a procédé à une restriction à la liberté du commerce, mais que celle-ci a été instituée par la loi précitée du 19 février 1973 ayant notamment pour objet de réglementer, voire de restreindre ou d’interdire le cas échéant la commercialisation des semences de chanvre litigieuses, en prévoyant ainsi des dispositions dérogatoires au principe constitutionnel de la liberté du commerce, de sorte qu’une violation de l’article 11 (6) de la Constitution n’a pas pu être retenue. Dans ce contexte, les premiers juges ont constaté que même s’il n’existe aucun texte de droit international de nature à interdire la vente de semences de chanvre et que d’autres textes autoriseraient même sans restriction la culture du chanvre à des fins ornementales ou d’horticulture, un tel état de fait n’est pas de nature à restreindre la souveraineté nationale dans le sens d’un empêchement à l’interdiction des mêmes produits ou substances en droit national, en constatant également que les instruments de droit international invoqués en l’espèce, à savoir la directive 2002/57/CE du Conseil du 13 juin 2002 concernant la commercialisation des semences de plantes oléagineuses et à fibres, telle que modifiée par la directive 2003/45/CE de la Commission du 28 mai 2003 qui préciserait qu’elle ne s’appliquera pas à la commercialisation de semences oléagineuses uniquement à usage ornemental, couvrent des domaines bien déterminés, étrangers quant à leur objet à la finalité de la lutte contre la toxicomanie se trouvant à la base de la législation nationale applicable, de sorte qu’aucune contrariété susceptible d’énerver la légalité des décisions litigieuses ne saurait en être dégagée en l’espèce à partir du moyen proposé.

Quant au moyen tiré d’une prétendue violation par le règlement grand-ducal précité du 26 mars 1974 des principes mis en place par le traité Benelux instituant l’union économique Benelux et les actes connexes, signé à La Haye le 3 février 1958, en ce qu’il interdit un produit qui serait pourtant librement en vente dans un autre Etat contractant, à savoir les Pays Bas, les premiers juges ont constaté qu’en l’absence de coordination des politiques de santé publique dans le cadre de l’Union économique Benelux, le dispositif législatif et réglementaire critiqué par l’actuel appelant ne saurait être considéré comme entravant indûment la libre circulation au sens de l’article 6 du Traité Benelux, étant entendu qu’à supposer qu’il y ait une entrave à la libre circulation des marchandises au sens de l’article 3, 1 dudit traité, celle–ci se justifierait amplement pour les raisons de santé publique mises en avant par le ministre.

Concernant le deuxième volet du litige portant sur les champignons et plantes décrits dans la demande initiale de l’actuel appelant, et après avoir constaté que les parties sont en accord pour admettre que les champignons et plantes litigieux constituent des produits naturels qui contiennent des substances psychotropes, dont plus particulièrement les substances mescaline et psilocybine, expressément énoncées à l’annexe du règlement grand-ducal du 20 mars 1974 sur les substances psychotropes, de sorte que ces substances, conformément aux dispositions de l’article 1er dudit règlement grand-ducal, tombent sous les dispositions de l’article 7 de la loi précitée du 19 février 1973, le tribunal a décidé que les champignons et plantes concernés, dans la mesure où ils contiennent naturellement les substances litigieuses, tombent nécessairement sous le champ d’application du règlement grand-ducal précité du 20 mars 1974, puisque celui-ci détermine d’une manière claire et précise que les substances concernées sont visées indistinctement, sans considération de la façon – à l’état naturel ou autre – dont elles se présentent. Le tribunal a dans ce contexte écarté l’application de la Convention sur les substances psychotropes de Vienne du 21 février 1971, en ce que celle-ci n’empêcherait pas les Etats parties à prévoir sur leur territoire national des mesures de contrôle plus strictes que celles prévues par l’instrument de droit international en question.

Enfin, quant aux champignons et plantes dont question ci-avant, le tribunal a également écarté le moyen tiré d’une prétendue violation de l’article 11 (6) de la Constitution, ainsi que des violations alléguées du droit communautaire et du Traité Benelux, pour les mêmes motifs que ceux invoqués au sujet des semences de chanvre.

En date du 31 décembre 2004, Maître Sonja Vinandy, avocat à la Cour, a déposé une requête d’appel en nom et pour compte de …, inscrite sous le numéro 19100C du rôle, par laquelle la partie appelante sollicite la réformation du premier jugement.

A l’appui de sa requête d’appel, l’appelant reproche aux premiers juges de ne pas avoir fait droit à ses conclusions en soutenant d’abord, quant aux graines de chanvre, que ses moyens exposés devant les premiers juges tendant à voir constater une violation de l’article 14 de la Constitution, ainsi qu’une violation du principe de la séparation des pouvoirs seraient justifiés et qu’ils auraient dû entraîner l’annulation des décisions litigieuses dans la mesure où elles visent les graines de chanvre.

Il précise encore, en ce qui concerne les graines de chanvre, qu’il n’existerait aucun texte international ou européen auquel serait partie le Luxembourg, qui considérerait les graines de chanvre comme constituant des stupéfiants, quel que soit par ailleurs leur taux en THC. Ainsi, la Convention unique définirait le terme « cannabis » comme excluant les graines ainsi que les feuilles qui ne sont pas accompagnées des sommités, en ajoutant que les graines ou semences de chanvre ne figureraient d’ailleurs pas sur la liste jaune (« yellow list ») de la Convention unique. Il précise en outre que la Convention unique ne s’appliquerait pas à la culture de la plante de cannabis faite exclusivement à des fins industrielles ou pour des buts horticulturaux, quel que soit d’ailleurs la teneur en THC des graines de chanvre, de sorte que l’Etat, en sa qualité d’Etat signataire de la Convention unique, serait lié par les normes internationales ainsi définies qui s’imposeraient à lui comme des normes supérieures, de sorte que le Luxembourg n’aurait pas été autorisé à prendre une mesure d’application de ladite Convention unique allant au-

delà du champ d’application tel que défini par celle-ci. Il s’ensuivrait que le règlement grand-ducal précité du 26 mars 1974 faisant figurer sur la liste des stupéfiants les semences de chanvre en tant que stupéfiants dont le commerce est prohibé, serait « illégal et partant inapplicable ». Tout en admettant que conformément à la Convention unique, le Luxembourg peut prévoir des mesures de contrôle plus sévères que celles prévues par cet instrument de droit international, ces mesures ne pourraient toutefois viser que les stupéfiants tels que définis par le champ d’application de la Convention en question, à l’exclusion des graines dont la culture pour des buts industriels ou à des fins d’horticulture ont été expressément exclues du champ d’application de la Convention.

L’appelant reproche encore aux décisions du ministre de la Santé de s’être basé sur un simple règlement grand-ducal, à savoir celui du 26 mars 1974, précité, et partant sur une décision « arbitraire » du Gouvernement ayant pour objet de fixer la liste des stupéfiants, sans que cette décision n’ait été discutée par la Chambre des Députés, de sorte qu’il y aurait lieu de constater un « dépassement flagrant des prérogatives du pouvoir exécutif par rapport aux principes notamment de la légalité des peines (…) et de celui de la séparation des pouvoirs ».

Il souhaite voir décider par la Cour, et par réformation du jugement entrepris, que la liste des stupéfiants et celle des substances psychotropes est fixée par les instruments de droit international, à savoir la Convention unique et la Convention de Vienne auxquelles le Luxembourg est lié ou voir décider « pour le moins » qu’il n’appartient pas au pouvoir exécutif de changer les listes existantes en la matière, telles qu’établies par des normes internationales. L’appelant craint qu’au cas où le pouvoir exécutif ne serait pas obligé de respecter le champ d’application des conventions internationales, ainsi que les définitions du terme de « stupéfiants » telles que fixées par des normes de droit international, il pourrait, de manière arbitraire, et sans aucun contrôle de la part de la Chambre des Députés, faire figurer sur la liste des stupéfiants n’importe quelle substance, ce qui serait contraire aux articles 14, 33 et 36 de la Constitution.

L’appelant reproche encore aux décisions litigieuses d’être basées sur le règlement grand-ducal précité du 26 mars 1974 qui aurait été pris en violation de l’article 11 (6) de la Constitution, garantissant notamment la liberté de faire le commerce, en soutenant qu’il n’existerait au Luxembourg aucune loi qui interdirait la vente libre des semences de chanvre de toutes les variations à des fins ornementales ou horticultrices, quel que soit d’ailleurs leur taux en THC, en précisant qu’il existerait au contraire des textes internationaux autorisant expressément la culture du chanvre à des fins ornementales ou horticultrices sans restriction. Il cite à ce sujet la directive précitée 2002/57/CE, ainsi que le Traité Benelux et plus précisément l’article 3.1 de celui-ci, en ce qu’il traite de « la circulation des marchandises sans distinction d’origine, de provenance ou de destination entre les territoires des Hautes Parties contractantes [qui] est exempte de toutes prohibitions ou entraves d’ordre économique et financier, notamment de restrictions quantitatives qualitatives ou de change », en insistant sur le fait que l’article 6 dudit traité prend soin de préciser à l’attention des Etats signataires que ceux-ci ont pour obligation de veiller à ce qu’aucune disposition législative ou réglementaire ni aucune disposition de droit public, ayant notamment trait à la santé publique, n’entrave indûment la libre circulation. Il reproche ainsi aux premiers juges d’avoir justifié la réglementation critiquée par la référence faite à la protection de la santé publique.

L’appelant estime encore que les décisions incriminées violeraient l’article 7 du traité Benelux, qui aurait pour objet d’éviter que les dispositions législatives ou réglementaires ne faussent sur le territoire des parties contractantes les conditions de concurrence, en soutenant que dans la mesure où les semences/graines de chanvre se trouveraient en vente non réglementée aux Pays-Bas à des fins ornementales ou d’horticulture et qu’elles ne figurent nullement sur la liste des stupéfiants dans ce pays, elles devraient pouvoir librement circuler sur le territoire desdits Etats contractants en vue de leur commercialisation et de leur utilisation.

Quant aux champignons et plantes décrits dans la demande de l’appelant et dont la commercialisation lui a également été interdite par la décision incriminée, l’appelant critique le raisonnement adopté par les premiers juges qui auraient procédé à une mauvaise interprétation du règlement grand-ducal précité du 20 mars 1974, ainsi que de la Convention de Vienne, en ce que contrairement à leur décision, il n’existerait aucun texte interdisant la commercialisation des plantes fraîches tels les champignons et plantes litigieux, étant entendu par ailleurs qu’une telle restriction de la commercialisation desdites plantes serait contraire à l’article 11.6 de la Constitution.

Dans son mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 12 janvier 2005, le délégué du Gouvernement conclut à la confirmation du jugement entrepris, en se référant pour le surplus à ses moyens et arguments développés en première instance.

La requête d’appel est recevable pour avoir été introduite dans les formes et délai prévus par la loi.

Il y a tout d’abord lieu de prendre position par rapport au premier moyen invoqué par l’appelant à l’appui de sa requête d’appel, et tiré de la violation par le règlement grand-ducal précité du 26 mars 1974, sur lequel est basée la décision litigieuse, de l’article 14 de la Constitution déterminant que « nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu’en vertu de la loi ». Il se dégage de cette disposition constitutionnelle que c’est à bon droit que les premiers juges ont retenu comme principe général qu’un règlement grand-ducal, pris en exécution d’une loi, ne peut en effet établir une peine si la loi cadre ne contient aucune disposition afférente.

Il y a toutefois lieu de se rapporter à l’article 7, A. 1. de la loi précitée du 19 février 1973 qui dispose que « seront punis d’un emprisonnement de 8 jours à 6 mois et d’une amende de 251 euros à 2500 euros ou de l’une de ces peines seulement, ceux qui auront, de manière illicite, en dehors des locaux spécialement agréés par le Ministre de la Santé, fait usage d’un ou plusieurs stupéfiants ou d’une ou de plusieurs substances toxiques, soporifiques ou psychotropes déterminées par règlement grand-ducal ou qui les auront, pour leur usage personnel, transportés, détenus ou acquis à titre onéreux ou à titre gratuit ».

Au vu des dispositions légales précitées, il y a lieu de confirmer l’analyse faite par les premiers juges suivant laquelle il se dégage de leur libellé que ce n’est pas le règlement grand-ducal précité du 26 mars 1974, établissant la liste des stupéfiants, qui établit des peines, mais bien la loi cadre précitée du 19 février 1973, laquelle relègue au pouvoir réglementaire uniquement le pouvoir de déterminer les stupéfiants ou substances toxiques, soporifiques ou psychotropes concernées.

Il y a encore lieu de confirmer les premiers juges dans leur conclusion suivant laquelle force est de constater que cette disposition habilitante n’est pas de nature à investir le pouvoir réglementaire d’un blanc-seing pour rendre l’usage de n’importe quel produit passible de sanctions pénales, étant donné que seuls des stupéfiants ou substances toxiques, soporifiques ou psychotropes sont susceptibles d’être déterminés à cette fin par voie de règlement grand-ducal.

En l’espèce, dans la mesure où l’appelant reste en défaut d’établir, voire d’alléguer sérieusement que les variétés de chanvre accusant un taux de THC dépassant 0,3 % susceptibles d’être cultivées à partir des semences litigieuses ne comportent pas de substances toxiques, soporifiques ou psychotropes, le règlement grand-ducal précité du 26 mars 1974 n’est pas contraire à l’article 14 de la Constitution. Le jugement entrepris n’encourt partant aucun reproche à cet égard et le moyen afférent réexposé en instance d’appel est à rejeter pour ne pas être fondé.

Il y a encore lieu de rejeter pour ne pas être fondé le moyen tiré d’une violation du principe de la séparation des pouvoirs par le règlement grand-ducal précité du 26 mars 1974, en ce que, d’après l’appelant, il n’appartiendrait pas au pouvoir exécutif de déterminer la liste des stupéfiants, alors que ce pouvoir devrait revenir exclusivement au pouvoir législatif, étant donné que l’article 36 de la Constitution confère expressément au Grand-Duc le pouvoir de faire les règlements et les arrêtés nécessaires pour l’exécution des lois et qu’en l’espèce, comme il ressort des développements faits ci-avant, le règlement grand-ducal précité du 26 mars 1974 trouve sa base légale dans l’article 7, A.1. de la loi précitée du 19 février 1973. Il y a partant lieu de rappeler ici que ce n’est pas le pouvoir réglementaire, partant le Grand-Duc, qui établit une peine ou incrimination pénale, mais que celle-ci est fixée par le législateur dans l’article 7, A.1 précité et que le règlement grand-ducal a simplement pour objet l’énumération des substances et des stupéfiants tels que visés par la disposition pénale de l’article 7 précité.

Pour les mêmes motifs que ceux développés ci-dessus, il ne saurait être fait droit au reproche suivant lequel le pouvoir exécutif arrêterait d’une manière arbitraire la liste desdites substances et desdits stupéfiants, puisque les substances énumérées par le règlement grand-ducal précité du 26 mars 1974 doivent nécessairement répondre aux qualifications telles que définies par le pouvoir législatif dans l’article 7 précité.

Il ne peut pas non plus être fait droit à l’argumentation développée par la partie appelante suivant laquelle le Luxembourg, par le biais de son pouvoir exécutif, modifierait les listes existantes en matière de stupéfiants et de substances toxiques, soporifiques ou psychotropes telles que déterminées par des conventions internationales, puisque par le règlement grand-ducal litigieux du 26 mars 1974, le pouvoir exécutif a non pas modifié les listes établies par des conventions internationales, ce qu’il ne serait de toute façon pas en droit de faire, mais il a simplement arrêté la liste nationale des stupéfiants et desdites substances, en exécution de l’article 7 précité.

L’appelant reproche encore au pouvoir exécutif luxembourgeois d’avoir pris un règlement grand-ducal, à savoir celui précité du 26 mars 1974, dépassant le champ d’application de la Convention unique en y faisant figurer des graines dont la culture pour des buts industriels ou à des fins de horticulture aurait été expressément exclue dudit champ d’application, de sorte que ledit règlement grand-

ducal, dans la mesure où il a excédé ledit champ d’application, devrait être déclaré « illégal et partant inapplicable ».

Il échet de constater que la Convention unique, sur laquelle la partie appelante base son raisonnement pour aboutir à la conclusion que le règlement grand-ducal précité du 26 mars 1974 constituant une base réglementaire sur laquelle a été prise la décision litigieuse, a été conclue entre différents Etats et que ceux-ci se sont engagés à prendre toute une série de mesures dans le cadre du champ d’application et des dispositions de droit international ainsi fixés. En ratifiant cette convention, le Luxembourg s’est partant engagé au niveau international à respecter les obligations y contenues qu’il lui incombe de transposer en droit national afin de se mettre en conformité avec le traité international en question. Dans ce contexte, il y a lieu de se référer à l’article 4 de la Convention unique portant sur les obligations générales incombant à chacune des parties contractantes. Il se dégage encore de l’article 14 de la Convention unique toute une série de procédures et de mesures qui peuvent être prises au cas où un Etat contractant ne respecte pas les dispositions de la Convention unique.

La Convention unique ne contient aucune disposition interdisant à un Etat de prévoir une législation ou réglementation allant au-delà du champ d’application tel que fixé par elle et, dans ce contexte, il y a même lieu de se référer à l’article 39 de la Convention unique suivant lequel « aucune partie ne sera, ou ne sera censé être, empêchée d’adopter des mesures de contrôle plus strictes ou plus sévères que celles qui sont prévues par la présente Convention ».

Le Grand-Duché de Luxembourg est partant autorisé, en sa qualité de partie contractante à la Convention unique, de prévoir une réglementation plus stricte que celle prévue par la Convention unique et d’y inclure des substances ou des stupéfiants non énumérés par elle. Partant, le pouvoir exécutif luxembourgeois, dans le cadre de l’habilitation lui conférée par le législateur, a pu inclure dans la liste du règlement grand-ducal précité du 26 mars 1974 la plante de cannabis même si elle n’est destinée qu’à des fins industrielles ou à des buts horticulturaux, en allant partant au-delà de ce qui est prévu à l’article 28, paragraphe 2 de la Convention unique.

Le règlement grand-ducal précité du 19 février 1974, tel que modifié par le règlement grand-ducal du 9 janvier 1998, prévoyant sous son point 15 les « plantes de chanvre indien (cannabis sativa var-indica), ainsi que les semences, extraits, teintures et résines de la même plante, à l’exception des variétés énoncées à l’annexe du présent règlement, qui ne sont pas considérées comme stupéfiants, à condition que leur poids de THC (tétrahydrocannabinol) par rapport au poids d’un échantillon porté à poids constant ne soit pas supérieur à 0,3 % », n’encourt pas de reproche à cet égard, de sorte que la Cour ne peut que se rallier à l’analyse et à la conclusion auxquelles ont abouti les premiers juges ayant rejeté pour ne pas être fondé le moyen afférent présenté en première instance et le moyen d’appel est partant également à rejeter.

Il se dégage encore de ce qui précède que l’appelant a tort de prétendre que les listes des stupéfiants et celles des substances psychotropes telles que fixées par la Convention unique et par la Convention de Vienne lieraient le Luxembourg de manière à lui interdire de compléter ces listes par d’autres substances ou par d’autres stupéfiants, alors que ces conventions ont simplement pour objet de prévoir des listes et des dispositions minima, en-dessous desquelles un Etat contractant tel le Luxembourg ne pourra pas aller dans le cadre de sa transposition des dispositions de droit international en question, étant toutefois entendu que rien ne s’oppose, tel qu’il vient d’être dégagé ci-avant, qu’un Etat contractant, tel le Luxembourg, prévoit des mesures plus contraignantes et des listes allant au-delà des listes minima telles que fixées par les conventions en question.

La manière dont un Etat contractant transpose ces dispositions de droit international et plus particulièrement l’organe compétent pour prendre les mesures de transposition en question sont déterminés pour chaque Etat contractant suivant son régime institutionnel tel que déterminé par la Constitution nationale. Partant, rien ne s’oppose à ce que le législateur luxembourgeois habilite le pouvoir exécutif à arrêter la liste des stupéfiants et des substances psychotropes qui sont incriminés de la manière déterminée par le législateur lui-même.

Il se dégage partant des éléments qui précèdent qu’une violation des articles 14, 33 et 36 de la Constitution telle qu’alléguée d’une manière il est vrai assez vague par l’appelant ne peut être retenue par la Cour, de sorte qu’il y a lieu de rejeter le moyen afférent de l’appelant pour ne pas être fondé.

Quant au moyen tiré de la violation de l’article 11 (6) de la Constitution par le règlement grand-ducal précité du 26 mars 1974, en ce qu’il porterait atteinte à la liberté de faire le commerce, il échet encore de confirmer les premiers juges dans leur raisonnement suivant lequel si le Grand-Duc, en déterminant conformément au mandat lui conféré par le législateur, les produits qui sont à considérer comme stupéfiants, contribue certes à concrétiser l’arsenal juridique mis en place pour réglementer, voire restreindre ou interdire le cas échéant la commercialisation des semences de chanvre litigieuses, et participe ainsi à la mise en place de dispositions dérogatoires au principe constitutionnel de la liberté du commerce, il n’est cependant pas moins constant que cette dérogation globalement considérée trouve sa source dans la loi même du 19 février 1973, précitée, qui a pour objet notamment la lutte contre la toxicomanie et exprime clairement l’intention du législateur de voir réglementer par le Grand-Duc tant l’usage que la vente et l’offre en vente des stupéfiants, de sorte que la restriction à la liberté du commerce, seule visée par l’appelant, est à considérer comme étant établie dans le respect de la garantie mise en place par l’article 11 (6) de la Constitution.

Il y a également lieu de confirmer les premiers juges dans leur décision suivant laquelle cette conclusion ne saurait par ailleurs être énervée par la considération qu’aucun texte de droit international n’interdirait la vente de semences de chanvre et que d’autres textes autoriseraient même sans restriction la culture du chanvre à des fins ornementales ou horticulturales, étant donné d’abord que d’une manière générale, l’absence d’interdiction au niveau international n’est pas de nature à restreindre la souveraineté nationale dans le sens d’un empêchement à l’interdiction des mêmes produits ou substances en droit national ; ensuite concernant les instruments de droit international invoqués en l’espèce, il y a lieu de constater qu’ils couvrent des domaines bien déterminés, étrangers quant à leur objet à la finalité de lutte contre la toxicomanie à la base de la législation nationale applicable, de sorte qu’aucune contrariété susceptible d’énerver la légalité de la décision litigieuse ne saurait en être dégagée en l’espèce à partir du moyen proposé.

Quant au moyen tiré de la violation du traité Benelux, en ce que le règlement grand-

ducal précité du 26 mars 1974 irait à l’encontre de la libre circulation des marchandises au sein des trois pays signataires du traité en question, étant donné que l’un des produits litigieux qui serait pourtant librement en vente dans un des trois Etats contractants, il y a encore lieu de confirmer les premiers juges dans leurs conclusions suivant lesquelles ledit règlement grand-ducal s’inscrit dans une approche de prévention en matière de santé publique et plus particulièrement dans le cadre de la lutte contre la toxicomanie, de sorte qu’en l’absence de coordination des politiques de santé publique dans le cadre de l’Union économique Benelux, le dispositif législatif et réglementaire critiqué par l’appelant ne saurait être considéré comme entravant indûment la libre circulation au sens de l’article 6 dudit traité Benelux. En effet, même à admettre qu’il y ait une entrave à la libre circulation des marchandises au sens de l’article 3.1 dudit traité, celle-ci se justifierait amplement pour les raisons de santé publique mises en avant par le ministre.

Pour les mêmes motifs que ceux développés ci-dessus, il y a lieu de conclure au rejet du moyen tendant à voir constater une violation de l’article 7 du traité Benelux, étant donné que les mêmes raisons de santé publique ont pu être dûment invoquées par le ministre compétent pour interdire les semences/graines de chanvre au Luxembourg et le simple fait qu’elles soient en vente libre dans l’un des Etats contractants dudit traité n’est pas de nature à enlever audit ministre son pouvoir d’en interdire la commercialisation ou l’utilisation sur le territoire luxembourgeois pour les raisons de santé dûment justifiées en l’espèce.

Enfin, quant au dernier moyen de l’appelant, ayant trait aux champignons et plantes décrits par lui dans sa demande, dont la commercialisation a également été interdite par le ministre de la Santé, tiré d’une violation par le règlement grand-ducal précité du 20 mars 1974, se trouvant à la base de cette partie de la décision ministérielle, de l’article 11 (6) de la Constitution, en relevant qu’il n’existerait aucun texte interdisant la commercialisation des plantes fraîches tels les champignons et plantes litigieux, il y a également lieu de confirmer les premiers juges dans leur analyse pertinente et circonstanciée des faits et éléments de droit litigieux, et plus particulièrement ceux se dégageant de la Convention de Vienne, suivant laquelle pour les mêmes motifs que ceux développés ci-avant au sujet des semences de chanvre, transposables mutatis mutandis, il y a lieu d’écarter le moyen afférent, au vu également de l’argumentation non autrement circonstanciée de l’appelant par rapport aux champignons et plantes sous examen.

C’est ainsi que les premiers juges ont à bon droit pu conclure de leur analyse de la Convention de Vienne que celle-ci a exclusivement pour objet l’assujettissement de certaines substances à des mesures de contrôle international, de sorte à laisser intact le pouvoir souverain des Etats contractants de cette convention de prévoir le cas échéant sur leur propre territoire national des mesures de contrôle plus strictes. En effet, à l’instar de ce qui a été retenu ci-avant au sujet de la Convention unique, la Convention de Vienne confère expressément aux parties la possibilité d’appliquer des mesures de contrôle plus strictes ou plus sévères que celles qu’exige la Convention de Vienne, en ce qu’elle dispose en son article 23 que « les parties pourront adopter des mesures de contrôle plus strictes ou plus sévères que celles qui sont prévues par la présente Convention si elles le jugent opportun ou nécessaire pour la protection de la santé et de l’intérêt publics ».

Partant, dans la mesure où il ne fait pas de doute que le texte réglementaire critiqué invoqué à la base des décisions litigieuses s’inscrit dans une optique de protection de la santé en ce qu’il a pour objet de réglementer notamment la mise en vente de substances psychotropes, l’argumentation de la partie appelante basée sur la Convention de Vienne n’est pas susceptible d’énerver la légalité des décisions litigieuses faute d’incidence directe sur la situation de droit national sous cet aspect.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que la requête d’appel n’est pas fondée et qu’il y a lieu de confirmer le jugement entrepris du 22 novembre 2004.

Par ces motifs, La Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties à l’instance ;

reçoit la requête d’appel du 31 décembre 2004 en la forme ;

la dit cependant non fondée et en déboute ;

partant confirme le jugement entrepris du 22 novembre 2004 dans toute sa teneur;

condamne l’appelant aux frais et dépens de l’instance d’appel.

Ainsi jugé par :

Jean-Mathias Goerens, vice-président, Marc Feyereisen, conseiller, Carlo Schockweiler, conseiller, rapporteur, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en-tête, en présence du greffier de la Cour Anne-Marie Wiltzius.

le greffier le vice-président Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 12 juillet 2005 Le greffier de la Cour administrative 13


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19100C
Date de la décision : 12/07/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-07-12;19100c ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award