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05/07/2005 | LUXEMBOURG | N°20035

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 juillet 2005, 20035


HTribunal administratif N° 20035 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er juillet 2005 Audience publique du 5 juillet 2005

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Requête en sursis à exécution, sinon en institution d'une mesure de sauvegarde introduite par Monsieur .. … et consorts, contre une décision du Premier ministre sinon du ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration, en matière d'élections

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ORDONNANCE

Vu la requête déposée le 1er juillet au greffe du tribunal administratif par Maître Guy

THOMAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mons...

HTribunal administratif N° 20035 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er juillet 2005 Audience publique du 5 juillet 2005

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Requête en sursis à exécution, sinon en institution d'une mesure de sauvegarde introduite par Monsieur .. … et consorts, contre une décision du Premier ministre sinon du ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration, en matière d'élections

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ORDONNANCE

Vu la requête déposée le 1er juillet au greffe du tribunal administratif par Maître Guy THOMAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur .. … , tendant au prononcé du sursis à exécution d'une "décision non notifiée du Premier ministre, ministre d'Etat, Président du Gouvernement, sinon du Vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration et du ministre délégué aux Affaires Etrangères et de l'Immigration de diffuser, dans le cadre de la campagne d'information gouvernementale sur le traité établissant une Constitution pour l'Europe, signé à Rome le 29 octobre 2004 (ci-après TCE) des spots TV sur la chaîne de télévision de … … … ainsi que des spots radio diffusés sur … … … et plus particulièrement un spot TV débutant par des images de maisons bombardées lors de la deuxième guerre mondiale (… …) pour se terminer sur les drapeaux des 25 pays membres et de l'Union européenne, ce spot vantant les mérites du TCE qui assurerait et garantirait aux pays membres de l'Union européenne la paix, la sécurité, la prospérité et le plein-emploi sans informer le public de façon «neutre en objective» sur le texte et les implications du TCE", sinon à l'institution d'une mesure de sauvegarde consistant dans l'interdiction de continuer à diffuser les spots en question, un recours en réformation, sinon en annulation dirigé contre la même décision, inscrit sous le numéro 20034 du rôle, ayant été introduit le même jour;

Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives;

Vu les pièces versées et notamment la décision critiquée;

Maître Guy THOMAS et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER entendus en leurs plaidoiries respectives.

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Par requête déposée le 1er juillet au greffe du tribunal administratif, inscrite sous le numéro 20034 du rôle, Monsieur .. … , ont introduit un recours en réformation, sinon en annulation dirigé contre une "décision non notifiée du Premier ministre, ministre d'Etat, Président du Gouvernement, sinon du Vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration et du ministre délégué aux Affaires Etrangères et de l'Immigration de diffuser, dans le cadre de la campagne d'information gouvernementale sur le traité établissant une Constitution pour l'Europe, signé à Rome le 29 octobre 2004 (ci-après TCE) des spots TV sur la chaîne de télévision de … … … ainsi que des spots radio diffusés sur … … … et plus particulièrement un spot TV débutant par des images de maisons bombardées lors de la deuxième guerre mondiale (… …) pour se terminer sur les drapeaux des 25 pays membres et de l'Union européenne, ce spot vantant les mérites du TCE qui assurerait et garantirait aux pays membres de l'Union européenne la paix, la sécurité, la prospérité et le plein-emploi sans informer le public de façon «neutre en objective» sur le texte et les implications du TCE", et par requête déposée le même jour, inscrite sous le numéro 20035 du rôle, ils sollicitent le sursis à l'exécution de la prédite décision, sinon l'institution d'une mesure de sauvegarde consistant dans l'interdiction de continuer à diffuser les spots en question.

Ils estiment que la décision en question est de nature à leur causer un préjudice grave et définitif en raison du fait que le référendum qui doit se tenir le 10 juillet 2005 risquerait d'être complètement faussé par la diffusion des spots litigieux.

Par ailleurs, les moyens invoqués à l'appui du recours au fond seraient suffisamment sérieux pour justifier l'institution de la mesure provisoire.

Dans ce contexte, ils font exposer que cette décision apporterait une atteinte grave et manifestement illégale à l'expression pluraliste des courants d'opinion et serait de nature à altérer la liberté du scrutin populaire et à rompre l'égalité des citoyens et électeurs devant la loi tout comme le principe de non-discrimination. Au lieu d'honorer ses propres engagements de faire une campagne neutre et objective, laissant choisir les électeurs entre deux solutions également valables et respectables, le gouvernement, sans doute intimidé par le "non" français et néerlandais et par la forte recrudescence du "non" luxembourgeois durant les dernières semaines, mènerait tambour battant une véritable campagne de désinformation et de propagande pour le "oui" et diaboliserait le "non" présenté non pas comme le choix d'une autre Europe plus démocratique, plus sociale, plus solidaire et moins militariste, mais comme un choix anti-européen tout court.

En agissant ainsi, le gouvernement aurait violé l'article 10bis de la Constitution, l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme combiné avec l'article 3 du Protocole additionnel de ladite Convention, ainsi que les articles 25 b) et 26 du pacte international relatif aux droits civils et politiques de l'ONU et aurait commis une violation de la loi, un abus sinon un détournement de pouvoir et une erreur manifeste d'appréciation.

Le délégué du gouvernement soulève en premier lieu l'irrecevabilité de la demande au fond et, partant, de la demande en sursis à exécution sinon en institution d'une mesure provisoire au motif que la décision critiquée ne constituerait ni une décision administrative individuelle, ni un acte administratif à caractère réglementaire dont le juge administratif pourrait connaître. Il soulève encore l'irrecevabilité de la demande pour défaut d'intérêt à agir dans le chef des demandeurs. Il conteste finalement la réunion des conditions légales du risque d'un préjudice grave et définitif et de l'existence de moyens sérieux invoqués à l'appui du recours au fond.

Il y a lieu de souligner que la compétence du président du tribunal est restreinte à des mesures essentiellement provisoires et ne saurait en aucun cas porter préjudice au principal.

S'il doit examiner et trancher les questions concernant sa compétence propre et la recevabilité de la demande dont il est personnellement saisi et que, saisi d'une demande de sursis à exécution, il doit apprécier cette compétence et l'intérêt à agir du demandeur par rapport aux mesures sollicitées et débouter celui-ci s'il apparaît qu'il n'est pas compétent pour ordonner la mesure sollicitée ou que le demandeur ne justifie pas d'un intérêt à agir suffisamment caractérisé, il doit en revanche s'abstenir de préjuger les éléments soumis à l'appréciation ultérieure du tribunal statuant au fond, ce qui implique qu'il doit s'abstenir de prendre position de manière péremptoire, non seulement par rapport aux moyens invoqués au fond, mais même concernant les questions de compétence et de recevabilité du recours au fond.

En l'espèce, les questions de compétence et de recevabilité soulevées par l'Etat se posent de la même façon au fond, de sorte que le juge du provisoire ne saurait y répondre de manière péremptoire, sous peine de préjuger le fond et d'empiéter sur les compétences du juge du fond. Il doit en revanche les examiner dans le cadre du sérieux des moyens invoqués à l'appui du recours au fond dans ce sens que si les moyens d'incompétence ou d'irrecevabilité apparaissent comme sérieux, ils rendront, par là même, les moyens invoqués à l'appui du fond du litige peu sérieux étant donné que ceux-ci auront alors peu de chances d'être examinés par le juge du fond.

Aucun moyen d'incompétence ou d'irrecevabilité propres à la procédure de sursis à exécution ou d'institution d'une mesure de sauvegarde n'étant soulevé, et la requête introductive d'instance satisfaisant par ailleurs aux conditions de forme et de délai, il y a lieu de recevoir l'action et d'examiner les conditions de fond de ladite procédure provisoire.

En vertu de l'article 11, (2) de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le sursis à exécution ne peut être décrété qu'à la double condition que, d'une part, l'exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d'autre part, les moyens invoqués à l'appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux.

L'article 12 de la même loi dispose que le président du tribunal administratif peut au provisoire ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution d'une affaire dont est saisi le tribunal administratif, à l'exclusion des mesures ayant pour objet des droits civils.

Sous peine de vider de sa substance l'article 11 de la même loi, qui prévoit que le sursis à exécution ne peut être décrété qu'à la double condition que, d'une part, l'exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d'autre part, les moyens invoqués à l'appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, il y a lieu d'admettre que l'institution d'une mesure de sauvegarde est soumise aux mêmes conditions concernant les caractères du préjudice et des moyens invoqués à l'appui du recours. Admettre le contraire reviendrait en effet à autoriser le sursis à exécution d'une décision administrative alors même que les conditions posées par l'article 11 ne seraient pas remplies, le libellé de l'article 12 n'excluant pas, a priori, un tel sursis qui peut à son tour être compris comme mesure de sauvegarde.

Concernant le sérieux des moyens invoqués à l'appui du recours au fond, ils sont fonction, comme il vient d'être relevé ci-avant, de la compétence du juge administratif pour connaître du litige dans ce sens que si la compétence de celui-ci est sérieusement mise en doute, les chances que les moyens invoqués à l'appui du recours soient examinés seront minimes et, dans cette optique, ils manquent du sérieux pour justifier un sursis à exécution ou l'institution d'une mesure de sauvegarde.

L'article 2, alinéa 1er de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif dispose que le tribunal administratif statue sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre toutes les décisions administratives à l'égard desquelles aucun autre recours n'est admissible d'après les lois et règlements.

Aucun texte légal ou réglementaire ne prévoyant un recours spécifique en la matière, il y a lieu d'examiner si la décision incriminée constitue une décision administrative au sens de la loi.

S'il ne fait pas de doute que la décision, prise par l'Etat, émane d'une autorité administrative, il faut encore, en vertu de la jurisprudence des juridictions administratives dont le président du tribunal administratif, statuant au provisoire, ne saurait se départir, que l'acte constitue, dans l'intention de l'autorité qui l'émet, une véritable décision, à qualifier d'acte de nature à faire grief, c'est-à-dire un acte apte à produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame. Si le caractère décisoire de l'acte attaqué est une condition nécessaire à la recevabilité du recours contentieux, il n'est pas pour autant une condition suffisante. Pour être susceptible de faire l'objet d'un recours la décision critiquée doit encore être de nature à faire grief (v. trib. adm.

18 mars 1998, Pas. adm. 2004, V° Actes administratifs, n° 4 et les autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que s'il est vrai que toute action de l'administration comme toute action généralement quelconque présuppose nécessairement, à un certain stade, une manifestation de volonté, celle-ci ne suffit pas pour caractériser l'acte administratif susceptible d'un recours contentieux. Il faut que soient visées une ou plusieurs personnes à l'égard desquelles l'autorité administrative entend unilatéralement créer des effets juridiques.

Or, en l'espèce, en faisant réaliser puis diffuser les spots litigieux, ce qui constitue indubitablement l'aboutissement d'un processus décisionnel, l'Etat, d'une part, a conclu un contrat de nature civile avec le réalisateur puis le diffuseur, et, d'autre part, a visé avec son action la population entière.

Son action vise donc non pas une ou plusieurs personnes déterminées à l'égard desquelles l'Etat aurait décidé, unilatéralement, de créer des effets juridiques, mais elle s'inscrit dans le cadre de son action politique visant à atteindre l'opinion publique dans sa généralité.

A moins d'admettre, en droit administratif, l'action populaire, ce qui n'est pas le cas en droit positif luxembourgeois actuel, une telle action ne saurait être sanctionnée par le juge administratif.

En réalité les demandeurs entendent défendre l'intérêt général et ils agissent, en quelque sorte, au nom de la population entière.

Or, les tribunaux sont conçus et organisés pour résoudre les litiges individuels et non à juger et à sanctionner des agissements politiques visant la population entière. Des dysfonctionnements se manifestant sur ce terrain doivent trouver leur sanction, en théorie du moins, sur le plan politique, c'est-à-dire, en dernière analyse, lors d'élections générales où le citoyen est appelé à juger et à sanctionner l'action des gouvernants.

C'est à tort que les demandeurs se prévalent, dans le contexte du présent litige, d'un arrêt du Conseil d'Etat du 28 mai 1984 dans lequel celui-ci avait annulé la décision du gouvernement de répartir la répartition du temps d'émission radiophonique accordé aux listes électorales en fonction de l'importance numérique des partis à la Chambre des Députés, étant donné que dans cette affaire, les critères de la décision administrative individuelle étaient remplis, les candidats figurant sur les différentes listes se présentant pour les élections ayant été directement et individuellement affectés par la décision en question.

La question aurait été différente si les demandeurs avaient requis l'allocation de moyens pour leur permettre de faire valoir leur point de vue et s'ils s'étaient vu refuser ces moyens par une décision administrative.

C'est aussi dans ce contexte qu'il y a lieu de situer le moyen invoqué par les demandeurs selon lequel l'article 3 du Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, fait à Paris, le 20 mars 1952, approuvé par une loi du 29 août 1953, qui oblige les Etats membres à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif, serait violé par la campagne de désinformation unilatérale lancée par le gouvernement et qu'en cas d'absence de recours juridictionnel contre de tels agissements, l'article 13 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui exige des recours juridictionnels effectifs contre des violations des dispositions de ladite Convention et de ses Protocoles, serait violé.

En dehors de la question de savoir si la disposition en question s'applique à des référendums, on voit mal, dans la présente espèce, en quoi la diffusion des spots incriminés, et alors même qu'ils auraient le contenu déséquilibré que les demandeurs leur imputent, affecteraient le droit à des élections libres et honnêtes.

Si d'aucuns se plaignent d'un matraquage publicitaire par le gouvernement, il n'est ni allégué, ni prouvé que les demandeurs aient été empêchés ou gênés dans l'expression de leur opinion concernant la question qui fait l'objet du référendum.

Il faut constater, à propos de l'exigence des demandeurs que pour garantir un scrutin libre, le gouvernement aurait dû observer une position de stricte neutralité, que le seul fait, par le gouvernement, d'avoir clairement pris position en faveur du Traité établissant une Constitution pour l'Europe, ne semble pas constituer une violation juridique de l'exigence d'élections libres et honnêtes. Qu'il soit permis de citer l'exemple de la Suisse qui a une réelle pratique démocratique du référendum et où le gouvernement prend normalement clairement position en faveur d'une ou de l'autre solution soumise à consultation populaire ultérieure, sans que le corps électoral ne n'en laisse impressionner.

Il y a finalement lieu d'ajouter que l'action gouvernementale visée par le recours ne constitue pas non plus un acte administratif à caractère réglementaire au sens de l'article 7, alinéa 1er de la loi modifiée du 7 novembre 1996, précitée, en ce qu'il ne règle pas, pour l'avenir, d'une manière abstraite, l'ensemble des situations similaires qu'il vise. Il s'agit au contraire d'une activité de gestion concrète dépourvue du caractère de généralité qui caractérise un acte réglementaire.

Il suit de l'ensemble des considérations qui précèdent qu'au stade actuel de l'instruction du litige, le moyen d'incompétence du juge administratif paraît comme sérieux, de sorte qu'il apparaît comme probable que l'action échouera devant le juge du fond.

Dans ces conditions, et sans qu'il y ait lieu d'examiner de plus le risque d'un préjudice grave et définitif dans le chef des demandeurs, étant donné que le sursis à exécution et l'institution d'une mesure de sauvegarde supposent la réunion cumulative des deux conditions légales du risque d'un préjudice grave et définitif et d'existence de moyens sérieux, la demande est à rejeter.

Par ces motifs, le soussigné président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique, déclare les demandes en sursis à exécution et en institution d'une mesure de sauvegarde non fondées et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 5 juillet 2005 par M. Ravarani, président du tribunal administratif, en présence de M. Rassel, greffier.

s. Rassel s. Ravarani 6


Synthèse
Numéro d'arrêt : 20035
Date de la décision : 05/07/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-07-05;20035 ?

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