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04/07/2005 | LUXEMBOURG | N°19874

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 juillet 2005, 19874


Tribunal administratif N° 19874 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 mai 2005 Audience publique du 4 juillet 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19874 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 31 mai 2005 par Maître Séverine HACKEL, avocat à la Cour, assistée de Maître Nathalie NI

MESGERN, avocat, toutes les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au ...

Tribunal administratif N° 19874 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 mai 2005 Audience publique du 4 juillet 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19874 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 31 mai 2005 par Maître Séverine HACKEL, avocat à la Cour, assistée de Maître Nathalie NIMESGERN, avocat, toutes les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Nigeria), de nationalité nigérienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision attribuée au ministre de la Justice du 14 mars 2005, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme étant manifestement infondée, ainsi que d’une décision confirmative de refus du 28 avril 2005, prise suite à un recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 juin 2005 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 16 juin 2005 par Maître Séverine HACKEL en nom et pour compte du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport à l’audience publique du 27 juin 2005, Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH s’étant rapporté aux écrits de la partie publique, Maître Séverine HACKEL pour sa part n’ayant été ni présente, ni représentée.

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Le 8 février 2005, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur son identité.

Le 16 février 2005, il fut encore entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 14 mars 2005, notifiée par lettre recommandée expédiée le 24 mars 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa de ce que sa demande avait été rejetée comme étant manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, au motif qu’il ne ferait valoir aucune crainte raisonnable de persécution pour une des raisons prévues par la Convention de Genève.

Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 15 avril 2005 à l’encontre de cette décision ministérielle, par lequel Monsieur … sollicita une nouvelle audition, au motif que son « état psychologique lors de la première audition était tel qu’il n’a pas déclaré ce qu’il aurait dû déclarer », le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration prit à nouveau une décision de refus le 28 avril 2005.

Le 31 mai 2005, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation et subsidiairement en annulation contre les décisions ministérielles précitées.

Le délégué du Gouvernement soulève de prime abord l’irrecevabilité du recours principal en réformation.

Il ressort des éléments du dossier que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration s’est basé sur l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire et sur l’article 3 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996.

L’article 10 (3) de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée prévoit expressément qu’en matière de demandes d’asile déclarées manifestement infondées au sens de l’article 9 de la loi précitée de 1996, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives, de sorte que le tribunal n’est pas compétent pour connaître du recours principal en réformation.

Le recours subsidiaire en annulation pour sa part, par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Quant au fond, le demandeur fait exposer qu’il serait de nationalité nigériane et qu’il appartiendrait à la congrégation des témoins de Jéhovah, de sorte qu’il appartiendrait à une minorité religieuse persécutée au Nigeria.

Il affirme être « tellement traumatisé par ce qu’il avait subi au Nigeria du fait de son appartenance aux témoins de Jévoha qu’il n’a su répondre correctement et entièrement lors de ses auditions (sic) », et prétend que si le ministre avait consenti à l’entendre une nouvelle fois, « il aurait pu dans ces conditions faire état de l’ensemble des persécutions physiques et psychologiques subies au Nigeria ».

Enfin, il relève que le Nigeria serait un Etat « connu pour ses persécutions à l’encontre des minorités et en particulier à l’encontre des minorités chrétiennes ».

Le délégué du Gouvernement estime pour sa part que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours.

Il y a de prime abord lieu de rappeler que dans le cadre d’un recours en annulation la juridiction administrative est appelée à apprécier la décision dévolue par rapport aux circonstances de droit et de fait telles qu’elles existaient au moment où la décision a été prise.

A ce sujet, aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement ».

En vertu de l’article 3, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ».

En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande d’asile dans le cadre de son audition, amène le tribunal à conclure qu’il n’a manifestement pas établi, ni même allégué, des raisons personnelles de nature à établir dans son chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance.

En effet, lors de son audition, telle que celle-ci a été relatée dans le compte rendu figurant au dossier, le demandeur se contente d’affirmer avoir quitté le Nigeria parce qu’il y travaillait beaucoup sans pour autant bien gagner sa vie (« I am doing the work, I don’t get anything »).

Sur question spécifique de l’agent ayant procédé à l’audition, le demandeur a expressément confirmé ne pas avoir été personnellement persécuté au Nigeria, ne pas avoir de problèmes avec qui que ce soit (« I don’t have problems with anybody »), ne rien craindre dans son pays d’origine, et n’avoir, d’une manière générale, connu aucun problème au Nigeria hormis le fait qu’il y ait travaillé trop durement.

Il y a lieu de souligner que l’agent ayant procédé à son audition a veillé à plusieurs reprises à se voir confirmer les motifs de fuite du demandeur. Ainsi, il s’est fait explicitement confirmer que Monsieur … ne s’est rendu au Luxembourg que pour des raisons économiques (« Did you came here for economical reasons ? »), le demandeur répondant à la question afférente par l’affirmative.

Force est partant de constater qu’à sa base, les motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande d’asile sont exclusivement d’ordre économique et matériel, de sorte que le seul élément concret dont le demandeur a fait état dans le cadre de son audition n’a pas permis au ministre de retenir dans son chef un risque de persécution au sens de la Convention de Genève.

C’est partant à juste titre que le ministre a déclaré par décision du 14 mars 2005 la demande d’asile sous analyse comme étant manifestement infondée.

Par recours gracieux introduit en date du 15 avril 2005 par son mandataire, le demandeur a prétendu avoir été psychologiquement perturbé lors de son audition du 16 février 2005, de sorte que son récit n’aurait pas correspondu à la réalité, recours gracieux que le ministre a rejeté par décision du 28 avril 2005 pour les motifs suivants :

« (…), force est de constater que lors de son audition Monsieur … n’a jamais fait état de problèmes psychologiques quelconques et n’a jamais exprimé le souhait d’arrêter l'audition. A cela s’ajoute, qu’il a été assisté par un avocat et que ce dernier n’a également jamais fait opposition à la tenue ou continuation de l’audition en question.

Si effectivement vous faites état de nouveaux faits dans votre recours gracieux à titre subsidiaire, il y a lieu de soulever que ces allégations sont en contradiction flagrante avec le contenu de l'audition. En effet, lors de l’audition de Monsieur …, durant laquelle il a eu largement l’occasion de s’exprimer, l’intéressé n’a jamais fait état de problèmes quelconques et a même clairement déclaré ne jamais avoir été persécuté ou avoir eu des problèmes. De surplus, Monsieur … n’a jamais soulevé être témoin de Jehova. Par ailleurs, vous ne faites pas état de problèmes ou persécutions personnelles quelconques que Monsieur … aurait subis du fait l’être membre actif de la congrégation des témoins de Jehova ».

Le tribunal est de prime abord amené à constater que le demandeur, dûment assisté par un avocat, n’a pas émis la moindre réserve lors de son audition en date du 16 février 2005, mais au contraire a explicitement signé ses déclarations avec la mention « I don’t have anything else to declare that could change the meaning of the declarations made above ».

Il y a encore lieu de souligner, tel que relevé ci-avant, que le demandeur a maintenu tout au long de son audition, et ce même face à l’insistance de l’agent du ministère, son récit selon lequel il aurait quitté le Nigeria pour des raisons économiques.

Force est encore de constater que le demandeur n’a pas fait part au service compétent de ses problèmes psychologiques dans les jours suivants l’audition actuellement critiquée, mais a attendu de prendre connaissance de la décision de refus du ministre en date du 25 mars 2005, soit près d’un mois et demi plus tard et in tempore suspecto, pour se prévaloir de troubles psychologiques.

Il s’ensuit que le tribunal ne saurait accorder de crédibilité aux affirmations du demandeur selon lesquelles son récit initial aurait été vicié par son état psychologique.

Force est enfin de constater que le demandeur, lors de son audition par la police grand-

ducale en date du 8 février 2005, tout comme lors de son audition en date du 16 février 2005, a affirmé être chrétien, et non pas témoin de Jéhovah. Il échet par ailleurs de retenir, à supposer que le demandeur appartienne effectivement à cette croyance, qu’il ne fait état, au-delà de cette appartenance et de la situation générale au Nigeria, d’aucune persécution effective ou de risque effectif de persécution personnel.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est en effet pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Il s’ensuit que c’est partant à juste titre que le ministre, dans sa décision datée du 28 avril 2005, intervenue sur recours gracieux, n’a ni accordé au demandeur une seconde audition, ni reconsidéré sa décision initiale de refus.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours formé par le demandeur est à rejeter comme n’étant pas fondé.

La procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite, le tribunal est appelé à statuer contradictoirement en l'espèce, encore que le demandeur n'était pas représenté à l'audience publique à laquelle l'affaire fut plaidée.

Par ces motifs, se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 4 juillet 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Lamesch, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 6


Synthèse
Numéro d'arrêt : 19874
Date de la décision : 04/07/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-07-04;19874 ?

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