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12/05/2005 | LUXEMBOURG | N°19738

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 mai 2005, 19738


Tribunal administratif N° 19738 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 avril 2005 Audience publique du 12 mai 2005

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Requête en sursis à exécution, sinon en institution d'une mesure de sauvegarde introduite par les sociétés anonymes …, … et … contre une décision de la Société … … … en présence des sociétés …, … … et …, en matière de marchés publics

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ORDONNANCE

Vu la requête déposée le 27 avril 2005 au greffe du tribunal administratif par

Maître Marc ELVINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom des sociétés 1. ...

Tribunal administratif N° 19738 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 avril 2005 Audience publique du 12 mai 2005

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Requête en sursis à exécution, sinon en institution d'une mesure de sauvegarde introduite par les sociétés anonymes …, … et … contre une décision de la Société … … … en présence des sociétés …, … … et …, en matière de marchés publics

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ORDONNANCE

Vu la requête déposée le 27 avril 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc ELVINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom des sociétés 1. Société … … … et de ….. S.A., en abrégé …, établie et ayant son siège à L-… …, …, … … … , 2. Compagnie … … S.A., en abrégé …, établie et ayant son siège à L-… …, …, … … … , et 3. la Société … … … société à responsabilité limitée, en abrégé …, établie et ayant son siège à L-… … … , …, route … … , réunies en association momentanée ayant comme mandataire général la société …, préqualifiée, tendant à prononcer le sursis à exécution par rapport à une décision prise par la Société … … … … … ., en abrégé …, établie et ayant son siège à L-….. … … , …, route … … , de ne pas adjuger à l'association momentanée en question les travaux de gros-œuvre, second œuvre et étanchéité devant faire l'objet d'un marché négocié dans le cadre du projet de construction d'un nouveau parking souterrain à … … , sinon d'interdire à la société … de conclure un contrat relatif au marché litigieux avec une entité autre que les sociétés demanderesses, un recours au fond ayant été par ailleurs introduit contre ladite décision par requête introduite le même jour, inscrite sous le numéro 19739 du rôle;

Vu l'exploit de l'huissier de justice Jean-Claude STEFFEN, demeurant à Luxembourg, portant signification de la requête introductive d'instance à la société …, préqualifiée, ainsi que l'exploit du même huissier du lendemain, portant signification de la requête à la société à responsabilité limitée … ….. S. À R. L., établie et ayant son siège à L-….. ….., ….., rue du …, à la société à responsabilité limitée … S. À R. L., établie et ayant son siège à L-….. ….., ….., rue du …, ainsi qu'à la société anonyme et … … S.A., établie et ayant son siège à L-….. ….., zone industrielle;

Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives;

Vu les pièces versées et notamment la décision attaquée;

2 Maîtres Marc ELVINGER pour les parties demanderesses, Christian POINT pour la société … et Jacques WOLTER pour les sociétés faisant partie de l'association momentanée entendus en leurs plaidoiries respectives le 10 mai 2005.

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Dans le cadre d'une soumission publique portant sur des travaux de gros-œuvre, second œuvre et étanchéité devant faire l'objet d'un marché négocié dans le cadre du projet de construction d'un nouveau parking souterrain à ….. ….. , les sociétés 1. Société ….. ….. et de ….. S.A., en abrégé …, 2. Compagnie ….. ….. ….. ., en abrégé …, et 3. la Société ….. ….. …..

….. ….. société à responsabilité limitée, en abrégé …, avaient manifesté chacune, respectivement les 9, 7 et 8 juillet 2004, leur intérêt à participer au marché en question et par courrier du 13 janvier 2005, les trois sociétés, réunies en association momentanée ayant comme mandataire général la société …, remirent une offre.

Par courrier du 14 avril 2005, la société … informa l'association momentanée de ce que l'offre en question n'avait pas été retenue, au motif qu'elle n'était pas la "moins-disante pour la réalisation des travaux en question" et que dès lors son offre n'avait pas pu être retenue.

Par requête déposée le 27 avril 2005, inscrite sous le numéro 19739 du rôle, les sociétés …, … et … ont introduit un recours en annulation contre la décision de la société … de ne pas leur attribuer le marché en question, ainsi que de la décision d'attribuer le marché à une autre entité et par requête déposée le même jour, inscrite sous le numéro 19738 du rôle, les mêmes sociétés ont déposé une requête en sursis à exécution à l'encontre de la prédite décision, sinon en institution d'une mesure de sauvegarde consistant dans l'interdiction à faire à la société … de conclure un contrat relatif au marché litigieux avec une entité autre que les sociétés demanderesses.

Les sociétés faisant partie de l'association momentanée … ….. S. À R. L., … S. À R. L.

et … … S.A., adjudicatrices du marché, partant parties tierces intéressées, ont été appelées dans la procédure.

Les soumissionnaires évincés estiment que l'exécution de la décision attaquée risque de leur causer un préjudice grave et définitif et que les moyens invoqués à l'appui du recours au fond sont suffisamment sérieux pour justifier une mesure de sursis à exécution en attendant la solution du litige par les juges du fond.

Ils risqueraient en effet de perdre un marché extrêmement important du point de vue de son enjeu et en cas de conclusion du contrat civil portant sur le marché litigieux avant l'intervention de la décision au fond, leur préjudice serait définitif en raison du fait que le contrat en question ne pourrait plus être annulé. L'allocation ultérieure de dommages-intérêts ne serait pas de nature à réparer de manière adéquate leur dommage.

Concernant le sérieux des moyens invoqués à l'appui du recours au fond, ils font plaider que la procédure d'adjudication serait viciée:

- selon la publication européenne relative au marché, les critères d'attribution auraient été définis comme suit: "1. prix des prestations du cahier des charges, 2. planning, 3.

rentabilité, 4. qualité. Par ordre de priorité décroissante: non." En écartant l'offre des sociétés demanderesses au motif qu'elles n'étaient pas les moins-disantes, alors que le critère d'attribution n'était pas celui du prix le plus bas, mais celui de l'offre économiquement la plus 3 avantageuse, la motivation avancée à l'appui de la décision de ne pas retenir leur offre serait illégale. Logiquement, l'attribution du marché à l'association momentanée … – … … – … procéderait à son tour de l'application du même critère illégal;

- les attributaires du marché auraient dû voir écarter leur candidature, dès lors qu'ils ne remplissaient pas l'une des principales conditions de participation à la procédure d'attribution du marché, à savoir que "le montant total des travaux ne doit pas être supérieur à 30 % du chiffre d'affaires annuel du candidat." Or, d'après les calculs des parties demanderesses, ce chiffre serait largement dépassé en l'occurrence;

- le cahier des charges relatif au marché litigieux serait entaché d'irrégularités. Ainsi, alors que les clauses contractuelles générales du marché prévoient que l'offre est adjugée à prix unitaires, les clauses contractuelles particulières stipulent que "les prix unitaires sont fixes, non révisables et non indexables pendant toute la durée de l'exécution des travaux, même si elle dépasse la date de fin des travaux indiquée dans le dossier de soumission", ceci en violation des articles 11, 15, 99 et 103 du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003 portant exécution de la loi du 30 juin 2003 relative aux marchés publics, en vertu desquels le prix de soumission ne peut être stipulé non révisable que lorsque le mode d'offre de prix retenu par le pouvoir adjudicataire est celui de l'offre à prix global non révisable, toutes les autres hypothèses entraînant une possibilité de révision du prix;

- le cahier des charges serait encore irrégulier alors que s'il est bien vrai que la possibilité de variantes d'exécution est prévue, le cahier des charges ne précise pas les exigences minimales requises pour leur soumission, ainsi que le prévoit pourtant l'article 313, par. 1er et 3 du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003, précité.

…, rejointe par les sociétés adjudicatrices du marché, soulève l'incompétence du président du tribunal administratif pour connaître du litige ainsi que l'intérêt des parties demanderesses à agir.

Il y a lieu de souligner que la compétence du président du tribunal est restreinte à des mesures essentiellement provisoires et ne saurait en aucun cas porter préjudice au principal.

S'il doit examiner et trancher les questions concernant sa compétence propre et la recevabilité de la demande dont il est personnellement saisi et que, saisi d'une demande de sursis à exécution, il doit apprécier cette compétence et l'intérêt à agir du demandeur par rapport aux mesures sollicitées et débouter celui-ci s'il apparaît qu'il n'est pas compétent pour ordonner la mesure sollicitée ou que le demandeur ne justifie pas d'un intérêt à agir suffisamment caractérisé, il doit en revanche s'abstenir de préjuger les éléments soumis à l'appréciation ultérieure du tribunal statuant au fond, ce qui implique qu'il doit s'abstenir de prendre position de manière péremptoire, non seulement par rapport aux moyens invoqués au fond, mais même concernant les questions de compétence et de recevabilité du recours au fond.

En l'espèce, les questions de compétence et de recevabilité soulevées par … et les sociétés adjudicatrices se posent de la même façon au fond, de sorte que le juge du provisoire ne saurait y répondre de manière péremptoire, sous peine de préjuger le fond et d'empiéter sur les compétences du juge du fond. Il doit en revanche les examiner dans le cadre du sérieux des moyens invoqués à l'appui du recours au fond dans ce sens que si les moyens d'incompétence ou d'irrecevabilité apparaissent comme sérieux, ils rendront, par là même, les moyens invoqués à l'appui du fond du litige peu sérieux étant donné que ceux-ci auront alors peu de chances d'être examinés par le juge du fond.

4 Aucun moyen d'incompétence ou d'irrecevabilité propres à la procédure de sursis à exécution ou d'institution d'une mesure de sauvegarde n'étant soulevé, et la requête introductive d'instance satisfaisant par ailleurs aux conditions de forme et de délai, il y a lieu d'examiner les conditions de fond des dites procédures provisoires.

En vertu de l'article 11, (2) de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le sursis à exécution ne peut être décrété qu'à la double condition que, d'une part, l'exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d'autre part, les moyens invoqués à l'appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux.

L'article 12 de la loi précitée du 21 juin 1999 dispose que le président du tribunal administratif peut au provisoire ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution d'une affaire dont est saisi le tribunal administratif, à l'exclusion des mesures ayant pour objet des droits civils.

Sous peine de vider de sa substance l'article 11 de la même loi, qui prévoit que le sursis à exécution ne peut être décrété qu'à la double condition que, d'une part, l'exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d'autre part, les moyens invoqués à l'appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, il y a lieu d'admettre que l'institution d'une mesure de sauvegarde est soumise aux mêmes conditions concernant les caractères du préjudice et des moyens invoqués à l'appui du recours. Admettre le contraire reviendrait en effet à autoriser le sursis à exécution d'une décision administrative alors même que les conditions posées par l'article 11 ne seraient pas remplies, le libellé de l'article 12 n'excluant pas, a priori, un tel sursis qui peut à son tour être compris comme mesure de sauvegarde.

… et les sociétés adjudicatrices estiment que, faute par les sociétés demanderesses de respecter la condition du chiffre d'affaires minimal pour pouvoir prétendre participer au marché litigieux, elles ne sauraient subir un préjudice grave et définitif du fait de l'attribution du marché à des concurrents.

Ainsi formulé, le moyen ne saurait valoir puisqu'il conduit à réduire la question du préjudice grave et définitif à celle de la justification du recours au fond. Or, la condition du préjudice grave et définitif est autonome par rapport à l'existence de moyens sérieux à l'appui du recours au fond. La question du préjudice grave et définitif est à examiner de manière indépendante par rapport à la question du sérieux des moyens dans ce sens que le risque d'un préjudice grave et définitif peut exister alors même que le recours n'est pas justifié au fond.

En d'autres termes, un préjudice découlant d'une décision administrative peut être grave et définitif sans être illicite.

La conclusion du contrat relatif à l'exécution des travaux litigieux avec les sociétés adjudicatrices et, corrélativement, la non-conclusion du contrat afférent avec les sociétés demanderesses risque de causer à celles-ci un préjudice grave et définitif. Celles-ci risquent en effet de se voir privées définitivement d'un marché très important.

Concernant le sérieux des moyens invoqués à l'appui du recours au fond, il y a lieu d'examiner en premier lieu, ainsi qu'il vient d'être exposé plus haut, les moyens d'incompétence et d'irrecevabilité invoqués par les sociétés défenderesses, étant donné que 5 leur sérieux influera directement sur le sérieux des moyens invoqués par les parties demanderesses.

Concernant la compétence, … se prévaut de l'article 2, par. 1er de la loi du 27 juillet 1997 relative à l'exécution en droit luxembourgeois de la Directive du Conseil n° 92/13/CEE du 25 février 1992, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des règles communautaires sur les procédures de passation des marchés des entités opérant dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications, en vertu duquel les recours relatifs aux marchés des entités adjudicatrices privées visées par le chapitre 5 de la loi modifiée du 4 avril 1974 sont de la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire. Or, le chapitre 5 de la loi modifiée du 4 avril 1974 était consacré aux marchés tombant sous le champ d'application de la Directive n° 93/38/CEE du Conseil du 14 juin 1993 relative aux procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications, et les dispositions afférentes auraient été reprises sous les Livres III des loi du 30 juin 2003 et règlement grand-

ducal du 7 juillet 2003, précités.

Les demanderesses, tout en étant d'accord que le marché litigieux tombe sous l'application de la directive secteurs exclus – ….. ….. ….. figurant d'ailleurs à l'annexe V, Liste des pouvoirs adjudicateurs luxembourgeois répondant aux critères déterminés par le livre III de la loi du 30 juin 2003 –, contestent le caractère privé de l'entité adjudicatrice ….

Elles soulignent que celle-ci, constituée sous forme de société anonyme, a comme actionnaire principal, détenant 499 actions sur 500, l'Etat luxembourgeois et que l'intégralité des membres du conseil d'administration est constituée d'agents étatiques. Il s'agirait dès lors non seulement d'une entreprise publique au sens de l'article 55, sub (2) de la loi du 30 juin 2003, figurant au Livre III relatif aux secteurs exclus et à laquelle s'appliqueraient dès lors les dispositions figurant au dit Livre III, mais d'un organisme de droit public tel que défini par l'article 2, sub (3) de la même loi auquel seraient applicables les dispositions des Livres I, II et III dans leur ensemble. Les décisions prises par cet organisme de droit public constitueraient des décisions administratives relevant, au niveau contentieux, du tribunal administratif et, concernant les mesures provisoires, de son président.

En vertu de l'article 2, sub (3) de la loi du 30 juin 2003, les organismes de droit public, en tant que pouvoirs adjudicateurs, s'entendent comme tout organisme créé pour satisfaire spécifiquement aux besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial, doté d'une personnalité juridique et dont soit l'activité est financée majoritairement par l'Etat, les collectivités territoriales ou d'autres organismes de droit public, soit la gestion est soumise à un contrôle par ces derniers, soit l'organe d'administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par l'Etat, les collectivités territoriales ou d'autres organismes de droit public.

…, constituée le ….. ….., a comme objet social la mise en valeur et l'exploitation de ….. ….. ….. y compris l'administration et la gestion des infrastructures …… L'article 2 de la loi du 26 juillet 2002 sur la police et l'exploitation de ….. ….. ….. prévoit que l'Etat peut charger un organisme de droit public ou privé de tout ou partie des activités de développement, de mise en valeur et d'exploitation de ….. ….. ….. , y compris l'administration et la gestion des infrastructures …… En vertu d'un contrat signé le ….. …..

….. entre l'Etat et …, approuvé par règlement grand-ducal du ….. ….. ….. , celle-ci a été chargée du développement, de la mise en valeur et de l'exploitation de ….. ….. ….. , cette mission incluant la construction d'un parking souterrain.

6 Il découle des éléments qui précèdent que … s'est vue investir d'une mission d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial. Etant dotée par ailleurs de la personnalité juridique et ayant comme actionnaire majoritaire l'Etat et un conseil d'administration exclusivement composé d'agents étatiques, elle répond à la définition d'un organisme de droit public au sens de l'article 2 de la loi du 30 juin 2003, précitée.

La compétence des juridictions administratives, comme d'ailleurs des autres juridictions luxembourgeoises ne se déterminant pas en fonction des sujets de droit, mais, conformément aux articles 84, 85 et 95 bis de la Constitution, en fonction de l'objet du litige, le seul fait que … réponde à la qualification d'organisme de droit public, et partant de pouvoir adjudicateur au sens de la loi du 30 juin 2003, ne suffit pas à rendre ses activités et décisions justiciables des juridictions administratives.

Aucun texte légal n'ayant spécifiquement attribué compétence à une juridiction pour connaître des actions et décisions de …, il y a lieu d'examiner si la décision litigieuse, à savoir d'attribuer le marché litigieux aux membres de l'association momentanée … – … … – … et, partant, de ne pas l'attribuer à l'association momentanée … – … – …, constitue une décision administrative à l'égard de laquelle aucun autre recours n'est admissible d'après les lois et règlements, ainsi que le prévoit l'article 2, alinéa 1er de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif.

Il s'agit partant, en particulier, de déterminer si la décision d'adjudication litigieuse est à considérer comme décision administrative au sens de la disposition précitée.

En vertu de la jurisprudence des juridictions administratives dont le président, statuant au provisoire, ne saurait se départir, une décision administrative émane d'une autorité qui met en oeuvre un pouvoir administratif, c’est-à-dire d'une autorité qui soit participe à l’exercice de la puissance publique soit gère un service public.

D’après le premier critère dégagé on doit qualifier d’acte administratif, l’acte pris par une autorité relevant, du moins pour cet acte, de la sphère du droit administratif. Il s’agit normalement d’un organisme de droit public ayant la qualité d’autorité administrative, celle-ci étant qualifiée comme autorité participant à un titre quelconque à l’exercice de la puissance publique, c’est-à-dire exerçant des prérogatives de droit public, investie pour l’acte considéré de pouvoirs exorbitants du droit commun applicable entre particuliers, en d’autres termes, du droit de prendre des décisions unilatérales opposables aux destinataires et exécutoires, au besoin, par voie de contrainte, peu importe d'ailleurs que l’autorité relève, pour d’autres attributions et décisions, de juridictions différentes (trib. adm. 30 octobre 2000, confirmé par arrêt du 29 novembre 2001; 7 février 2002, Pas. adm. 2004, V° Actes administratifs, n° 1) En vertu de la même jurisprudence, il existe cependant, à côté de ce premier critère de distinction un second, à savoir celui du service public. Entendu dans un sens organique, la notion de service public ne s’applique pas à une activité mais à un organisme: c’est un organisme auquel on a confié une mission d’intérêt général, ce qui implique la réunion de deux ordres d’éléments, à savoir des éléments d’ordre organique – une dépendance vis-à-vis des gouvernants – et des éléments d’ordre matériel – la nécessité d’une mission de répondre d’une manière continue et régulière à des besoins collectifs jugés essentiels par les gouvernants –.

7 S'il est possible, à partir de ces critères, de qualifier certains organismes de droit privé d'autorités administratives, il ne s'agit cependant pas d'autorités à part entière. Un recours administratif contentieux ne peut être introduit que contre ceux des actes de ces institutions qui relèvent des missions d'intérêt général qui leur sont confiées (M. LEROY, Contentieux administratif, 3e éd., Bruylant 2004, p. 279).

En retenant comme critère de la décision administrative justiciable des juridictions administratives, entre autres, l'accomplissement par l'organisme en question d'une mission d'intérêt général, la jurisprudence administrative luxembourgeoise suit les vues du Conseil d'Etat belge en la matière, par ailleurs désapprouvées par la Cour de cassation belge (Cass. b.

14 février 1997, Pas. b. 1998, p. 284 et 10 septembre 1999, Pas. b. 1999, p. 1126; v. encore M. LEROY, op. cit., p. 272, note 4).

En l'espèce, il se dégage des pièces versées que la société …, de par son actionnariat et son conseil d'administration, est étroitement dépendante des gouvernants. La gestion de ….., le seul dont dispose le Luxembourg, y compris de son parking souterrain, constitue par ailleurs une mission consistant à répondre d’une manière continue et régulière à des besoins collectifs essentiels pour les administrés.

La société … semble partant constituer, dans la limite de l'accomplissement de cette mission d'intérêt général, une autorité administrative apte à prendre des décisions administratives.

La décision – unilatérale – respectivement d'adjuger ou de ne pas adjuger des travaux relatifs à l'accomplissement de cette mission semble constituer une décision administrative susceptible d'un recours en annulation devant le juge administratif.

Par voie de conséquence, le déclinatoire de compétence n'apparaît pas, en l'état actuel de l'instruction du litige, comme suffisamment sérieux pour barrer l'examen du sérieux des moyens invoqués par les demandeurs.

… et les membres de l'association momentanée … – … … – … dénient encore aux sociétés demanderesses l'intérêt à agir au motif qu'au moment de leurs candidatures initiales individuelles et avant la date limite du dépôt de candidatures, aucune d'entre elles n'aurait respecté l'exigence d'un chiffre d'affaires supérieur à 30 % du montant du marché.

Ce moyen constitue dans le chef des parties défenderesses un moyen tiré du défaut d'un intérêt suffisamment caractérisé à agir de la part des sociétés demanderesses car, à supposer avérées les allégations de … et des membres de l'association momentanée … – … … – …, les sociétés …, … et … n'auraient pas eu de chance de se voir attribuer le marché litigieux et seraient de ce fait dépourvues de l'intérêt à agir en annulation de l'adjudication litigieuse.

Or, ainsi que le font remarquer à juste titre celles-ci, elles ont, conformément à l'appel des candidatures pour le marché négocié, fait parvenir leurs candidatures au pouvoir adjudicateur avant la date limite, chacune séparément, aucune ne contenant une offre de prix, celle-ci n'ayant été faite qu'ultérieurement, de manière conjointe, par l'association momentanée … – … – … constituée entre-temps, après un échange de correspondance nourri avec … qui s'est poursuivi dans la suite, sans que celle-ci n'ait reproché aux demanderesses, à ce stade préalable, le défaut de remplir la condition découlant d'un chiffre d'affaires supérieur à 30 % de la valeur du marché. Il ne se dégage partant pas des éléments du dossier, au stade 8 actuel de l'instruction du litige, en quoi les sociétés demanderesses, réunies en association momentanée dès avant la remise de leur offre ayant été prise en considération par le pouvoir adjudicateur au moment de l'attribution du marché, auraient failli à la condition afférente.

Il s'ensuit que les membres de l'association … – … – … paraissent avoir un intérêt à contester l'attribution du marché et à agir en annulation de celui-ci ainsi que, par voie de conséquence, de solliciter une mesure provisoire destinée à sauvegarder leurs intérêts légitimes.

Il découle de ce qui précède qu'il y a lieu d'examiner le sérieux des moyens invoqués par les demanderesses à l'appui de leur recours au fond.

Concernant le moyen tiré de l'illégalité de l'éviction de l'offre des sociétés demanderesses au motif qu'elles n'étaient pas les moins-disantes, alors que le critère d'attribution n'était pas celui du prix le plus bas, mais celui de l'offre économiquement la plus avantageuse, l'argument de … qu'il s'agirait d'une erreur matérielle en ce qu'il y aurait eu lieu de lire que l'offre de l'association momentanée … – … – … n'était la mieux-disante, n'est pas à elle seule convaincante. Il se dégage cependant d'une note de … versée au dossier que du point de vue des différents critères autres que le prix, à savoir le planning, la rentabilité et la qualité, les offres retenues en vue de la sélection étaient équivalentes. Il est vrai que la note émane du directeur de … et qu'elle a été confectionnée postérieurement à l'introduction de la requête introductive d'instance. Elle est cependant motivée et les affirmations y contenues sont suffisamment plausibles pour qu'elles ne doivent pas être écartées sans que des contestations plus ciblées et circonstanciées ne soient développées à son encontre.

Au stade actuel de l'instruction du litige, eu égard à l'affirmation non contestée que l'offre de l'association momentanée … – … … – … a été la moins chère, ensemble les explications se dégageant de la note versée par …, il paraît que cette offre était également la mieux-disante.

Le moyen tiré de ce que la valeur du marché excéderait les 30 % des chiffres d'affaires réunis des trois dernières années des membres de l'association momentanée … – … … – … table sur deux chiffres contestés de part et d'autre. Concernant la moyenne des chiffres d'affaires des trois sociétés en question, qui est indiqué avec 95.922.066 €, dont 30 % donnent 28.776.620 €, … a, sur base de ces chiffres, réévalué la moyenne des chiffres d'affaires de tous les soumissionnaires en fonction d'un indice, probablement celui du coût de la construction, pour arriver à un chiffre d'affaires pondéré de 99.963.556 € pour l'association momentanée … – … … – …. Ce procédé semble admissible étant donné qu'il s'agit d'évaluer la capacité des entreprises en concurrence à une date proche de l'adjudication. – L'autre chiffre litigieux est celui de la valeur du marché. En effet, les sociétés demanderesses l'évaluent à 35.000.000 €, tandis que … l'indique avec 29.950.000 €. Or, là encore, le pouvoir adjudicateur a expliqué, de manière convaincante, que ce chiffre se dégage de l'avant-projet sommaire. Il ne saurait être fait grief, à ce stade provisoire de la procédure contentieuse, au pouvoir adjudicateur, de s'être basé sur ce chiffre pour évaluer si les différents soumissionnaires remplissaient la condition des 30 % du chiffre d'affaires. En prenant ce chiffre comme base de calcul, l'association momentanée … – … … – … reste en deçà du seuil prévu pour pouvoir participer à la soumission. Il y a lieu d'ajouter qu'en tablant sur une valeur des travaux de 35.000.000 €, le marché représenterait quelque 35 % du chiffre d'affaires de l'association momentanée … – … … – …, ce chiffre ne dépassant pas notablement le seuil de 30 % fixé, non pas par la loi, mais par le pouvoir adjudicateur. Les dispositions légales afférentes, en particulier les articles 226 9 et suivants du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003, prévoient d'ailleurs différents modes alternatifs destinés à justifier de la capacité financière et économique d'une entreprise ou d'un groupement d'entreprises à exécuter un marché donné. Le seuil exigé par … est d'ailleurs d'un seuil destiné essentiellement à protéger le pouvoir adjudicateur lui-même et son dépassement ne porte pas préjudice à d'autres adjudicateurs qui ne se sont pas vus écarter par son application.

Concernant le moyen tiré de ce que les clauses contractuelles particulières stipulent que "les prix unitaires sont fixes, non révisables et non indexables pendant toute la durée de l'exécution des travaux, même si elle dépasse la date de fin des travaux indiquée dans le dossier de soumission", ceci en violation des articles 11, 15, 99 et 103 du règlement grand-

ducal du 7 juillet 2003, en vertu desquels le prix de soumission ne peut être stipulé non révisable que lorsque le mode d'offre de prix retenu par le pouvoir adjudicataire est celui de l'offre à prix global non révisable, toutes les autres hypothèses – donc également celle du marché litigieux, prévoyant une offre à prix unitaire – entraînant une possibilité de révision du prix, … rétorque que les dispositions en question ne sont pas d'ordre public, de sorte que le pouvoir adjudicateur pourrait y déroger.

Sans que l'argument tiré de ce que les dispositions violées seraient supplétives soit convaincant – en effet, l'article 11 du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003 ne prévoit un prix non révisable que pour les offres à prix global et l'article 103 du même règlement prévoit les modalités de la révision, de sorte qu'il y a lieu de conclure que sauf dérogation réglementaire, les prix sont révisables – la violation en question ne doit pas forcément entraîner l'annulation du marché, mais peut entraîner, en cours d'exécution du marché, une demande de révision des prix qui pourra être accueillie par le pouvoir adjudicateur, sinon, en cas de contestation, par le juge, au cas où l'un ou l'autre estimera que la clause contractuelle particulière litigieuse est illégale et que par ailleurs, les conditions légales pour une adaptation des prix unitaires sont remplies.

L'illégalité alléguée ne devant pas forcément entraîner l'annulation de la procédure d'adjudication, les différents soumissionnaires ayant tous remis une offre à prix unitaires non révisables et l'association momentanée … – … – … n'ayant ni établi, ni même allégué que son offre aurait été différente si les prix unitaires avaient été stipulés révisables, il s'ensuit que le respect, en l'état, de la clause en question n'a pas entraîné une inégalité entre les différents participants à la procédure, et aucun des soumissionnaires n'ayant profité de la possibilité de faire modifier la clause moyennant un recours basé sur la loi du 13 mars 1993 relative à l'exécution en droit luxembourgeois de la Directive n° 89/665 du Conseil du 21 décembre 1989 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des procédures de recours en matière de marchés publics, le moyen afférent ne saurait, dans le cadre du présent litige, conduire au sursis à exécution de la procédure d'adjudication.

Il y a finalement lieu de rejeter comme dépourvu du caractère sérieux nécessaire le moyen tiré de ce que le cahier des charges ne précise pas les exigences minimales requises pour la possibilité soumission de variantes, ainsi que le prévoit l'article 313, par. 1er et 3 du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003, étant donné que l'échange de courrier avec les différentes parties, dont l'association momentanée … – … – …, préalable à la remise de leurs offres définitives dans le cadre du marché négocié, mettait celles-ci suffisamment au courant des exigences du pouvoir adjudicateur concernant d'éventuelles variantes d'exécution.

10 Il découle de l'ensemble des considérations qui précèdent qu'au stade actuel de l'instruction du litige, les moyens invoqués par les membres de l'association momentanée … – … – … ne présentent pas le caractère suffisamment sérieux pour justifier un sursis à exécution ou l'institution d'une mesure de sauvegarde.

Par ces motifs, le soussigné président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique, déclare la demande en sursis à exécution sinon en institution d'une mesure de sauvegarde non justifiée et en déboute, condamne les parties demanderesses aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 12 mai 2005 par M. Ravarani, président du tribunal administratif, en présence de M. Rassel, greffier.

s. Rassel s. Ravarani


Synthèse
Numéro d'arrêt : 19738
Date de la décision : 12/05/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-05-12;19738 ?

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