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14/04/2005 | LUXEMBOURG | N°19175C

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 avril 2005, 19175C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 19175 C Inscrit le 17 janvier 2005

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Audience publique du 14 avril 2005 Recours formé par Monsieur XXX XXX contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié - Appel -

(jugement entrepris du 13 décembre 2004, n° 18151 du rôle)

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Vu la requête d’appel, inscri

te sous le numéro 19175C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 17 janv...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 19175 C Inscrit le 17 janvier 2005

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Audience publique du 14 avril 2005 Recours formé par Monsieur XXX XXX contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié - Appel -

(jugement entrepris du 13 décembre 2004, n° 18151 du rôle)

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Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 19175C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 17 janvier 2005 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, au nom de Monsieur XXX XXX, né le 21 août 1963 à XXX (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-XXX, dirigée contre un jugement rendu par le tribunal administratif le 13 décembre 2004, par lequel il a déclaré non fondé le recours en réformation introduit contre une décision du ministre de la Justice du 25 février 2004, déclarant non fondée sa demande d’admission au statut de réfugié, ainsi que contre une décision confirmative du même ministre datant du 26 avril 2004 intervenue sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 8 février 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Ouï le conseiller en son rapport et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul Reiter en ses plaidoiries.

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Par requête, inscrite sous le numéro 18151 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er juin 2004, Monsieur XXX XXX a fait introduire un recours tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 25 février 2004, déclarant non fondée sa demande d’admission au statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 26 avril 2004 intervenue sur recours gracieux.

Par jugement rendu le 13 décembre 2004, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, a reçu le recours en réformation en la forme et, au fond, l’a déclaré non justifié et en a débouté Monsieur XXX.

Les premiers juges ont justifié leur décision en retenant que l’actuel appelant, en sa qualité de personne originaire du Kosovo, déclarant y craindre des persécutions de la part des Albanais y résidant en raison de son appartenance religieuse et ethnique et de son activité journalistique, a invoqué des faits de nature à dénoter qu’il a vécu dans son pays d’origine dans un état généralisé de crainte, sans qu’il n’ait toutefois apporté des éléments suffisants pour conclure à l’existence, à l’heure actuelle, d’un risque de persécution spécifique laissant supposer un danger sérieux pour sa personne. Ils ont ainsi souligné que l’actuel appelant a fait état d’une manière générale d’un malaise caractérisant les relations inter-ethniques au Kosovo, sans toutefois établir que sa situation individuelle se distingue de celle de ses concitoyens globalement considérés qui, comme lui, doivent tous faire face aux difficultés d’une situation d’après-guerre.

En date du 17 janvier 2005, Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, a déposé une requête d’appel en nom et pour compte de Monsieur XXX XXX, inscrite sous le numéro 19175C du rôle, par laquelle la partie appelante sollicite la réformation du premier jugement.

A l’appui de sa requête d’appel, l’appelant reproche aux premiers juges d’avoir commis une erreur d’appréciation des faits qui leur ont été soumis, qui auraient dû les amener à lui reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève.

Il fait ainsi état de ce que son retour dans son pays d’origine entraînerait dans son chef un « profond traumatisme », en ce qu’il ne saurait supporter les conséquences psychiques d’un tel retour, étant donné qu’en tant que membre d’une minorité ethnique vivant au Kosovo, à savoir celle des Serbes, il risquerait d’y faire l’objet de persécutions quotidiennes par des éléments de la population albanaise. Pour établir la situation politique régnant actuellement au Kosovo, l’appelant se base sur un rapport élaboré par l’UNHCR au mois d’août 2004 sur la situation des membres des minorités vivant au Kosovo. Il insiste plus particulièrement sur le fait que les autorités actuellement en place au Kosovo ne seraient pas en mesure d’y faire assurer la sécurité des personnes, de sorte que les habitants, surtout ceux appartenant à des minorités ethniques, risqueraient d’y perdre leur vie « à n’importe quel moment de la journée ».

Dans son mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 8 février 2005, le délégué du Gouvernement conclut à la confirmation du jugement entrepris.

La requête d’appel est recevable pour avoir été introduite dans les formes et délai prévus par la loi.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, force est de constater que si la situation au Kosovo telle que décrite par l’appelant se caractérise de manière générale par un certain malaise au niveau des relations interethniques susceptibles de générer des tensions et des difficultés de cohabitation globalement imputables à la persévérance d’une situation d’après guerre engendrant, certes à des degrés variables, des problèmes dans le chef d’une grande partie de la population concernée, il n’en demeure cependant pas moins que l’appelant a fait état en sa qualité de Serbe de toute une série d’éléments liés à sa situation individuelle et concrète pour établir la crainte de persécution par lui invoquée à l’appui de sa demande d’asile.

En effet, à partir des faits non contestés en cause en rapport avec la qualité de Serbe et la religion orthodoxe de l’appelant, ainsi qu’avec les problèmes qui en découlent dans son propre chef notamment en raison de ce qu’il a été obligé de vivre dans une enclave serbe dans la commune de Gnjilane, à savoir le village de Pasjane, protégé par les troupes de la KFOR et qu’il ne lui était pas possible de quitter cette enclave en l’absence d’une protection rapprochée par des militaires de la KFOR, en restreignant ainsi considérablement sa liberté de mouvement dans son pays d’origine, il échet de constater qu’il y a lieu de reconnaître le statut de réfugié dans le chef de l’appelant, au vu également du caractère précis et cohérent de ses déclarations dont l’élément isolé dont il a fait état, et qui se serait passé au cours du mois de juillet 2003, lors duquel des personnes inconnues venant du côté d’un village albanais voisin tiraient sur lui ainsi que sur d’autres ouvriers des champs au cours de travaux agricoles, n’est qu’une illustration des risques que l’appelant peut raisonnablement craindre pour sa vie en raison de sa qualité de Serbe résidant dans une enclave serbe au Kosovo.

La description de la situation des Serbes au Kosovo est par ailleurs confortée par un rapport de l’UNHCR dénommé « position on the continued international protection needs of individuals from Kosovo », daté du mois d’août 2004, suivant lequel depuis 2003, une augmentation des crimes sérieux commis contre des membres de la minorité serbe a pu être constatée, en comparaison avec ceux commis au cours de l’année 2002. Il y est encore affirmé que les crimes interethniques ne sont pas poursuivis de manière systématique et qu’ils sont rarement résolus, et qu’en outre, la plupart des crimes interethniques de moindre importance ne sont pas dénoncés aux autorités par peur des victimes de subir des actes de vengeance de la part des auteurs desdits crimes ou des membres de la communauté albanaise.

L’UNHCR a encore constaté dans ledit rapport que beaucoup d’incidents quant à la sécurité des minorités ont eu pour conséquence des départs des membres desdites minorités ainsi visées en dehors du Kosovo.

Le rapport rappelle également les incidents ayant eu lieu au cours du mois de mars 2004 au cours desquels les Serbes ont été les cibles principales des violences interethniques. Par ailleurs, l’UNHCR a constaté que lors des incidents du mois de mars 2004, les autorités chargées de l’application de la loi, ainsi que les autorités politiques en place au Kosovo n’étaient pas en mesure d’arrêter les actes de violences à la suite desquels plus de 4100 membres de minorités ethniques dont la minorité des Serbes, ont dû être déplacés.

L’UNHCR ajoute que les Serbes du Kosovo constituent l’une des deux minorités les plus vulnérables en termes de sécurité et qu’ils doivent faire face à des risques sérieux quant à des atteintes à leur vie et à leurs droits fondamentaux. Ainsi, notamment les Serbes du Kosovo devraient d’après l’UNHCR bénéficier d’une protection internationale dans les pays dans lesquels ils recherchent l’asile. Par ailleurs, ils ne devraient en aucun cas être obligés de retourner au Kosovo. Les auteurs du rapport de l’UNHCR ont constaté qu’au moment de la rédaction de leur rapport, des actes d’une grande violence visent des Serbes, de sorte que ceux-ci vivent dans un état constant de peur.

Il est encore fait état dans ledit rapport que les enclaves serbes sont surveillées 24 heures sur 24 par des troupes de la KFOR et que des escortes sont prévues afin d’accompagner des déplacements de Serbes à l’extérieur de leur enclave pour circuler au Kosovo. Toutefois, au vu du nombre élevé de demandes d’escortes et des possibilités réduites des agents de sécurité d’y faire face, de nombreuses demandes restent infructueuses.

Les auteurs du rapport ont encore constaté une réduction progressive des troupes internationales stationnées au Kosovo et que la limitation de la liberté de circulation a eu d’importantes conséquences dans le chef des Serbes qui ne peuvent ainsi avoir librement accès à des services publics et jouir de leurs prérogatives économiques, sociales et culturelles. Par ailleurs, il a été constaté de nombreuses violations des droits de propriété relatifs à des biens appartenant à des Serbes.

Il suit de tout ce qui précède qu’en refusant de reconnaître à l’appelant le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, les premiers juges ont commis une erreur d’appréciation des éléments de fait leur soumis et qu’il y a lieu de réformer le jugement entrepris, en reconnaissant à Monsieur XXX XXX le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève.

L’arrêt à intervenir statue à l’égard de toutes les parties à l’instance, nonobstant l’absence du mandataire de l’appelant à l’audience des plaidoiries, étant donné que la procédure devant les juridictions administratives est essentiellement écrite et que l’appelant a fait déposer une requête d’appel.

Par ces motifs, La Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties à l’instance ;

reçoit la requête d’appel du 17 janvier 2005 en la forme ;

au fond, la déclare justifiée, partant, par réformation du jugement entrepris du 13 décembre 2004, reconnaît à Monsieur XXX XXX le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève ;

renvoie le dossier en prosécution de cause au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration ;

condamne l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg aux frais et dépens des deux instances.

Ainsi jugé par :

Marion Lanners, présidente, Christiane Diederich-Tournay, premier conseiller, Carlo Schockweiler, conseiller, rapporteur, et lu par la présidente en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en-tête, en présence du greffier en chef de la Cour Erny May.

le greffier en chef la présidente 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19175C
Date de la décision : 14/04/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-04-14;19175c ?

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