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28/02/2005 | LUXEMBOURG | N°18521

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 février 2005, 18521


Tribunal administratif N° 18521 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 août 2004 Audience publique du 28 février 2005 Recours formé par la société civile immobilière … SCI, Luxembourg contre deux décisions du ministre de l’Intérieur en présence de l’administration communale de la Ville de Luxembourg et de la société anonyme …, … en matière de droit d’ester en justice au nom d’une commune

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18521 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 9 août 2004 par Maître Roland

ASSA, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la s...

Tribunal administratif N° 18521 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 août 2004 Audience publique du 28 février 2005 Recours formé par la société civile immobilière … SCI, Luxembourg contre deux décisions du ministre de l’Intérieur en présence de l’administration communale de la Ville de Luxembourg et de la société anonyme …, … en matière de droit d’ester en justice au nom d’une commune

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18521 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 9 août 2004 par Maître Roland ASSA, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société civile immobilière … SCI, ayant eu son siège social à L-…, actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre de l’Intérieur du 15 décembre 2003 portant refus de lui accorder l’autorisation d’ester en justice au nom de la Ville de Luxembourg sur base des dispositions de l’article 85 de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988, ainsi que de la décision implicite de refus du ministre de l’Intérieur dégagée du silence par lui gardé pendant plus de trois mois suite au recours gracieux du 11 février 2004 ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Marc GRASER, demeurant à Luxembourg, du 23 août 2004 portant signification de ce recours à l’administration communale de la Ville de Luxembourg, ainsi qu’à la société anonyme … S.A., établie et ayant son siège social à L-…;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif en date du 19 novembre 2004 par Maître André MARC, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme … S.A. ;

Vu l’acte d’avocat à avocat du 16 novembre 2004 portant notification de ce mémoire en réponse à Maître Roland ASSA, ainsi qu’à Maître Jean MEDERNACH, avocat à la Cour, constitué pour compte de l’administration communale de la Ville de Luxembourg ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif en date du 14 décembre 2004 par Maître Jean MEDERNACH au nom de la Ville de Luxembourg ;

Vu l’acte d’avocat à avocat du même jour portant notification de ce mémoire en réponse à Maîtres Roland ASSA et André MARC ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 14 janvier 2005 par Maître Roland ASSA au nom de la société civile immobilière … SCI ;

Vu l’acte d’avocat à avocat du même jour portant notification de ce mémoire en réplique à Maîtres Jean MEDERNACH et André MARC ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 11 février 2005 par Maître Jean MEDERNACH au nom de la Ville de Luxembourg ;

Vu l’acte d’avocat à avocat du même jour portant notification de ce mémoire en duplique à Maîtres Roland ASSA et André MARC ;

Vu les pièces versées au dossier et notamment la décision ministérielle expresse déférée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maîtres Nathalie PRUM-

CARRE, en remplacement de Maître Roland ASSA, Christian POINT, en remplacement de Maître Jean MEDERNACH et Steve KOENIG, en remplacement de Maître André MARC, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 16 février 2005.

Considérant qu’en date du 28 octobre 2003 la société civile immobilière … SCI s’est adressée au ministre de l’Intérieur pour lui demander l’autorisation sur base de l’article 85 de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988 d’intenter une action en justice au nom et pour le compte de la Ville de Luxembourg en vue d’obtenir, toujours en nom et pour compte de cette dernière, la suppression de la construction d’antenne avec tous ses équipements et accessoires, et le rétablissement dans son pristin état de la surface sur laquelle cette construction est établie concernant les éléments émanant de la station GSM installée par la société … S.A. sur un terrain appartenant à la Ville de Luxembourg et inscrit au cadastre de la commune de Luxembourg, ancienne commune de … ;

Que par courriers respectifs du 7 novembre 2003, le ministre de l’Intérieur a accusé réception de la demande en question qu’il a continuée au bourgmestre de la Ville de Luxembourg pour prise de position ;

Que par courrier de son mandataire du 25 novembre 2003, la société … a fait préciser sa demande ;

Que par décision du 15 décembre 2003, le ministre de l’Intérieur a retenu que la demande d’autorisation ministérielle sollicitée par la société … ne pouvait être accordée pour cause d’irrecevabilité étant donné que cette société n’était point domiciliée sur le territoire de la Ville de Luxembourg, vu qu’elle avait son siège social à …, nonobstant le fait qu’il ne s’agissait point dans son chef d’un habitant, personne physique, mais d’une personne morale ne pouvant être assimilée à un habitant au sens du prédit article 85 ;

Que par courrier de son mandataire du 11 février 2004, la société … a fait introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 15 décembre 2003 ;

Considérant que par requête déposée en date du 9 août 2004, la société … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle de refus du 15 décembre 2003 précitée, ainsi que de la décision implicite de rejet dégagée dans le chef du ministre de l’Intérieur en l’absence de prise de position de sa part pendant un délai de plus de trois mois suite au recours gracieux du 11 février 2004 ;

Considérant que bien que la requête introductive d’instance ait été régulièrement signifiée par la voie du greffe à l’Etat, ce dernier n’a point comparu, aucun mémoire n’ayant été déposé en son nom, de sorte que conformément aux dispositions de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le tribunal est néanmoins amené à statuer à l’égard de toutes les parties suivant un jugement ayant les effets d’une décision juridictionnelle contradictoire ;

Considérant que la Ville de Luxembourg se rapporte à prudence de justice concernant la recevabilité de la demande, tandis que la société … conclut à l’irrecevabilité de la demande, sinon à son caractère non fondé faute de qualité dans le chef de la société …, laquelle ne saurait se prévaloir des dispositions de l’article 85 de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988, étant donné qu’elle ne ferait pas partie des habitants de la commune y visée ;

Considérant que ledit article 85 in fine prévoit qu’en cas de refus ministériel d’autorisation d’ester en justice, recours est ouvert auprès du tribunal administratif, statuant comme juge du fond ;

Que dès lors le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit en ordre principal ;

Considérant que la société … étant la destinataire des décisions ministérielles déférées, elle a qualité pour agir à leur encontre suivant le recours au fond prévu par l’article 85 de la loi communale modifiée en question ;

Considérant que le recours en réformation ayant pour le surplus été intenté suivant les formes et délai prévus par la loi, il est recevable ;

Que par voie de conséquence le recours en annulation introduit en ordre subsidiaire est irrecevable ;

Considérant qu’au fond, la société … invoque en premier lieu que du fait du silence observé par le ministre suite à son recours gracieux, la décision implicite de rejet en résultant confirmerait purement et simplement la décision explicite déférée du 15 décembre 2003 dont elle adopterait l’entier contenu ;

Que cependant entre-temps elle aurait établi son siège social sur le territoire de la Ville de Luxembourg, de sorte que le motif invoqué dans son chef de ne point être habitant de la ville tomberait à faux, entraînant l’illégalité, partant l’annulation des décisions ministérielles entreprises du fait d’une motivation erronée valant absence de motivation ;

Considérant qu’il est constant qu’au moment où le ministre de l’Intérieur a statué suivant sa décision expresse du 15 décembre 2003, la société … a eu son siège social à …, en dehors du territoire de la Ville de Luxembourg, sans qu’il ne résulte des pièces du dossier, ni d’autres éléments dûment vérifiés en cause qu’elle fut établie sur le territoire de la capitale ;

Que le ministre a dès lors pu à l’époque valablement refuser l’autorisation d’ester en justice pour non-vérification à sa base d’une des conditions prévues par l’article 85 de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988, celle d’être habitant de la Ville de Luxembourg, au nom de laquelle elle entendait ester en justice ;

Considérant qu’il est encore un fait non contesté que depuis la décision ministérielle du 15 décembre 2003 la société … a changé de siège social pour l’établir sur le territoire de la Ville de Luxembourg, ainsi qu’elle l’a porté à la connaissance du ministre de l’Intérieur à travers son recours gracieux du 11 février 2004 ;

Considérant que le refus ministériel sur recours gracieux, en ce qu’il est implicite, épouse nécessairement les motifs à la base du refus explicite premier en date par rapport auquel il émane ;

Considérant que s’il est vrai qu’en raison du fait nouveau consistant dans le changement du siège social de la société … venue s’inscrire sur le territoire de la Ville de Luxembourg, le motif ministériel de refus invoqué sous cet aspect est tombé à faux, y compris plus particulièrement pour la décision implicite de refus, il n’en reste pas moins que, d’une part, le tribunal, dans le cadre du recours en réformation lui soumis, est tenu d’apprécier la situation de fait et de droit au jour où il statue, partant de considérer de façon non-contestée la société … comme ayant son siège social sur le territoire de la Ville de Luxembourg et que, d’autre part, il doit tenir compte, outre toute question de substitution de motifs légaux, de l’ensemble des motifs invoqués au niveau de la décision ministérielle expresse, première en date, également déférée, encore que l’Etat, au nom duquel elle a été prise, ne soit pas représenté à l’instance ;

Considérant qu’il résulte de la décision ministérielle déférée du 15 décembre 2003 que le motif de refus y exprimé s’agence sous le qualificatif de défaut d’habitant sous un double aspect en ce que, d’un côté, la société …, ayant eu à l’époque son siège social en la commune de … ne faisait point partie des habitants de la Ville de Luxembourg et que d’un autre côté, en tant que personne civile elle ne saurait y être comptée, seules des personnes physiques pouvant répondre aux critères légaux posés ;

Considérant qu’à travers son recours, la société … conteste cette argumentation en ce que, au-delà du fait nouveau intervenu, elle avance que le terme « habitant » employé par l’article 85 de la loi communale modifiée viserait tous habitants du Grand-Duché de Luxembourg et ne saurait être limité aux seuls administrés contribuables de la commune dont il s’agit, sous peine de créer une inégalité des administrés devant le service public de la justice ;

Que la limitation opérée par le ministre aux seules personnes physiques constituerait une restriction non prévue expressément par la loi en ce qu’il exigerait que l’habitant visé par l’article 85 en question devrait être une personne physique inscrite au registre de la population de la commune et qu’une personne morale telle qu’une société civile immobilière ne saurait prétendre à cette qualité d’habitant ;

Qu’admettre l’interprétation ministérielle en question reviendrait à une inégalité d’accès au service public de la justice entre les personnes physiques, d’une part, et les personnes morales, d’autre part, alors qu’aucune différence objective de situation devant le service public de la justice ne justifierait entre ces deux catégories de personnes une telle différence de traitement eu égard plus précisément à l’objectif de la loi qui serait de permettre aux justiciables de remédier à l’inaction des autorités communales ;

Que la société … d’insister encore qu’elle serait constituée sous forme d’une société civile immobilière et constituerait par essence une société de personnes ;

Considérant que l’article 85 de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988 dispose que : « Un ou plusieurs habitants peuvent, à défaut du collège échevinal, ester en justice au nom de la commune, moyennant l’autorisation du ministre de l’Intérieur, en offrant, sous caution, de se charger personnellement des frais du procès et de répondre des condamnations qui seraient prononcées. Le ministre de l’Intérieur est juge de la suffisance de la caution.

La commune ne peut transiger sur le procès sans l’intervention de celui-ci ou de ceux qui ont poursuivi l’action en son nom.

En cas de refus, un recours est ouvert auprès du tribunal administratif, statuant comme juge du fond » ;

Considérant que l’article 85 de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988 sous revue a été repris quasiment à l’identique de l’article 107 de l’ancienne loi communale du 24 février 1843, laquelle s’est inspirée étroitement à son tour de la loi communale belge du 30 mars 1836 prise en l’article 150 ;

Considérant qu’il se dégage à la fois de la contexture de la première phrase de l’article 85 sous revue ainsi que de l’économie même du texte légal en question que l’habitant, désireux d’ester en justice au nom de la commune, est à entendre comme habitant de la commune au nom de laquelle il entend agir ;

Considérant que la notion d’habitant d’une commune comprend implicitement mais nécessairement la fonction d’habitation en un lieu de la commune à vérifier dans le chef d’une personne, laquelle fonction ne saurait être valablement vérifiée dans le chef d’une personne morale, fiction de la loi, non capable de demeurer concrètement en un lieu déterminé ;

Que cette non-vérification est encore donnée dans le chef d’une société de personnes, telle la société civile immobilière, au-delà des situations particulières des personnes la composant, lesquelles situations étant à vérifier au cas par cas dans le chef de chacune de ces personnes physiques par rapport à la commune concernée, en vue de dégager le cas échéant dans leur chef la qualité d’habitant de cette commune ;

Considérant que les fictions étant d’interprétation stricte et respectivement les personnes physiques et morales se distinguant par nature concernant notamment leur capacité d’habiter en un endroit d’une commune, aucune différence de traitement inadmissible ne saurait être dégagée à ce niveau comme équivalant soit à une discrimination, soit à une illégalité devant la loi, concernant l’application de l’article 85 de la loi communale modifiée en question ;

Considérant qu’il suit des développements qui précèdent que les refus ministériels déférés sont justifiés par le motif tiré de l’absence de vérification de la qualité d’habitant dans le chef de la société demanderesse, les sous-tendant utilement ;

Qu’il s’ensuit que le recours laisse d’être fondé au regard des développements qui précèdent, l’analyse des autres moyens proposés devenant de ce chef surabondante ;

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare compétent pour connaître du recours en réformation ;

le déclare recevable ;

au fond le dit non justifié ;

partant en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

laisse les frais à charge de la demanderesse.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 28 février 2005 par :

M. Delaporte, premier vice-président, Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Delaporte 7


Synthèse
Numéro d'arrêt : 18521
Date de la décision : 28/02/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-02-28;18521 ?

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