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17/11/2004 | LUXEMBOURG | N°18824

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 novembre 2004, 18824


Tribunal administratif N° 18824 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 novembre 2004 Audience publique du 17 novembre 2004

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Requête en sursis à exécution introduite par Monsieur … … … , … , contre deux décisions du ministre des Transports en matière de permis à points

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ORDONNANCE

Vu la requête déposée le 8 novembre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Daniel BAULISCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembou

rg, au nom de Monsieur … … … , marchand de voitures, demeurant à L-… … , …, … … … , tendant à conférer ...

Tribunal administratif N° 18824 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 novembre 2004 Audience publique du 17 novembre 2004

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Requête en sursis à exécution introduite par Monsieur … … … , … , contre deux décisions du ministre des Transports en matière de permis à points

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ORDONNANCE

Vu la requête déposée le 8 novembre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Daniel BAULISCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … … … , marchand de voitures, demeurant à L-… … , …, … … … , tendant à conférer un effet suspensif au recours en annulation introduit le même jour, portant le numéro 18825 du rôle, dirigé contre une décision du ministre des Transports du 8 septembre 2004 portant information du décompte des points de son permis de conduire lequel s'établit à zéro point et contre une décision du même ministre du 7 octobre 2004 ayant suspendu son droit de conduire un véhicule automoteur ou un cyclomoteur;

Vu l'article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives;

Vu les pièces versées et notamment les décisions critiquées;

Maître Daniel BAULISCH et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER entendus en leurs plaidoiries respectives.

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Par courrier du 8 septembre 2004, le ministre des Transports informa Monsieur … … … de ce qu'en vertu d'un jugement du tribunal correctionnel de Diekirch du 15 juillet 2004, devenu irrévocable le 26 août 2004, l'ayant condamné à une peine correctionnelle pour avoir circulé en présentant des signes manifestes d'ivresse ainsi que pour avoir refusé, le 30 juin 2003 à 0.17 heures à … , de se prêter à une prise de sang, et par application de l'article 2bis de la loi modifiée du 14 février 1955 concernant la réglementation de la circulation sur toutes les voies publiques, qui dispose qu'en cas de concours idéal d'infractions, seule la réduction de points la plus élevée est appliquée et qu'en cas de concours réel, la réduction de points se cumule dans la limite de 6 points, lorsqu'il s'agit exclusivement de contraventions, et dans la limite de 8 points, lorsqu'il y a au moins un délit parmi les infractions retenues, 8 points avaient été retirés du capital dont était doté son permis de conduire. Lui rappelant par ailleurs que pour s'être rendu coupable, le 30 juin 2003 à 21.30 heures, à … , de l'infraction de coups et blessures involontaires, cette infraction ayant fait l'objet d'une condamnation à une peine de 2 police par le tribunal de police de Diekirch du 30 mars 2004, quatre points lui avaient déjà été précédemment retirés, le ministre l'informa que son capital de points était désormais de zéro point.

Le 7 octobre 2004, le ministre des Transports prit un arrêté de suspension du droit de Monsieur … de conduire un véhicule automoteur et un cyclomoteur pendant douze mois.

Par requête déposée le 8 novembre 2004, inscrite sous le numéro 18825 du rôle, Monsieur … a introduit un recours en annulation, sinon en réformation contre les décisions ministérielles des 8 septembre et 7 octobre 2004, et par requête du même jour, inscrite sous le numéro 18824 du rôle, il a introduit une demande tendant à ordonner le sursis à exécution des décisions en question.

Il estime que l'exécution de la décision de retrait de son permis de conduire lui causerait un préjudice grave et définitif. Il fait expliquer qu'il est marchand de voitures et qu'il a besoin de son permis de conduire pour travailler, ne fût-ce que pour contrôler l'état des voitures qui lui sont proposées à l'achat ou pour aller remorquer un véhicule.

Il est par ailleurs d'avis que les moyens invoqués à l'appui de son recours au fond sont sérieux.

Dans ce contexte, il fait valoir en premier lieu que le ministre aurait fait une fausse application des dispositions relatives au concours réel d'infractions. Il fait expliquer que dans le cas d'espèce, les faits lui reprochés se sont déroulés dans l'espace de quelques heures. En effet, le 30 juin 2003, vers 21.30 il a causé des blessures par imprudence à une personne.

S'étant ensuite rendu dans un débit de boissons où il consommait un certain nombre de boissons alcooliques, il aurait été appréhendé vers 0.15 heures le 1er juillet 2003 – et non le 30 juin 2003 comme indiqué erronément dans les décisions ministérielles critiquées – au volant de sa voiture en présentant des signes manifestes d'ivresse et aurait alors refusé de se prêter à une prise de sang. Les trois infractions se trouveraient manifestement en concours réel et ce ne serait que par le stratagème utilisé par le ministère public près le tribunal d'arrondissement de Diekirch, à savoir de poursuivre de manière séparée, devant le tribunal de police, l'infraction de coups et blessures par imprudence, au lieu de la poursuivre ensemble avec les autres, devant le tribunal correctionnel, qu'il aurait été privé du bénéfice des dispositions légales qui prescrivent, en pareille circonstance, le prononcé d'une peine unique.

Le prononcé de deux peines distinctes, l'une correctionnelle, l'autre de police, aurait eu, indépendamment du fait qu'au niveau pénal, la confusion des peines neutraliserait l'effet de la double condamnation et que les deux jugements des 30 mars 2004 et 15 juillet 2004 ont l'un et l'autre assorti l'interdiction de conduire prononcée à son encontre du sursis intégral, l'effet pervers de ce que pour des infractions se trouvant en concours réel, il a perdu, en une fois, l'intégralité de son capital de points de son permis de conduire.

Or, l'article 2bis de la loi modifiée du 14 février 1955, précitée, prévoirait que le titulaire d'un permis de conduire ne peut perdre plus de 8 points en une seule fois en cas de concours réel d'infractions.

Monsieur … est encore d'avis que les décisions ministérielles critiquées violent les articles 6 et 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 et approuvée par une loi du 29 août 1953.

3 Elles seraient contraires à l'article 6 en ce qu'en l'espèce, l'application de la législation sur le permis à points aurait donné lieu à une mesure disproportionnée par rapport au comportement qu'il y avait lieu de sanctionner. La perte de l'intégralité des points en une fois serait contraire aux intentions du législateur qui aurait avant tout voulu exclure toute hypothèse de perte du capital de points en une fois, un tel effet enlevant toute portée au but essentiellement pédagogique plutôt que répressif de la législation afférente.

L'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme consacrant d'une manière générale le principe de la légalité des peines et celui de ne pas appliquer la loi pénale de manière extensive au désavantage de l'accusé, aurait à son tour été violé.

Le délégué du gouvernement s'oppose à la demande. Sans contester le risque d'un préjudice grave et définitif, il estime en revanche que les moyens invoqués à l'appui du recours au fond manquent du sérieux nécessaire pour justifier un sursis à exécution. Il expose que le ministre des Transports répercute mécaniquement, sans aucun pouvoir d'appréciation propre, le résultat de condamnations judiciaires. En l'espèce, par une lettre du 3 juin 2004 informant Monsieur … de ce qu'en vertu de la condamnation par le tribunal de police de Diekirch du 30 mars 2004, quatre points avaient été déduits de son capital et que celui-ci s'établissait désormais à huit points, le ministre aurait tiré les conséquences légales de ladite condamnation et sa décision afférente serait coulée en force de chose décidée. Par ailleurs, appliquant encore la loi, le ministre aurait, suite à la condamnation pour deux délits par le tribunal correctionnel de Diekirch du 15 juillet 2004, constaté dans son courrier du 8 septembre 2004 la perte de huit points supplémentaires, ce qui, mathématiquement, aurait réduit le capital de points de Monsieur … à zéro point. Ce ne serait partant qu'en bonne logique que le ministre a, par arrêté du 7 octobre 2004, suspendu le droit de Monsieur … de conduire un véhicule.

En vertu de l'article 11, (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le sursis à exécution ne peut être décrété qu'à la double condition que, d'une part, l'exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d'autre part, les moyens invoqués à l'appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l'affaire est en état d'être plaidée et décidée à brève échéance.

En l'espèce, le risque de préjudice définitif est donné, eu égard à la circonstance que la mesure de suspension est immédiatement exécutoire et non susceptible d'être rattrapée en cas de succès du recours au fond. Par ailleurs, eu égard à la profession du demandeur, et même au-delà, du fait de ne pas pouvoir conduire une voiture automobile, alors même que toute la vie quotidienne est organisée de manière à en rendre l'usage quasiment indispensable, celui-ci risque encore de subir un préjudice grave en cas d'exécution de la mesure critiquée.

Concernant les moyens invoqués, le juge appelé à en apprécier le sérieux ne saurait les analyser et discuter à fond, sous peine de porter préjudice au principal et de se retrouver, à tort, dans le rôle du juge du fond. Pour en apprécier le sérieux, il doit se livrer à une évaluation des chances de succès de la demande au fond.

L'article 2bis de la loi modifiée du 14 février 1955, précité, dispose qu'en cas de concours réel d'infractions la réduction de points se cumule dans la limite de 6 points lorsqu'il s'agit exclusivement de contraventions, et dans la limite de 8 points, lorsqu'il y a au moins un délit parmi les infractions retenues.

4 Il y a concours d'infractions quand un individu s'est rendu coupable de deux ou plusieurs infractions sans qu'il ait été condamné pour l'une d'elles au moment où il a commis l'autre (R.P.D.B., V° Infractions et répression en général, n° 418).

Un tel concours d'infractions existe non seulement quand les infractions concurrentes sont déférées simultanément aux juges, mais aussi quand elles sont déférées successivement soit au même tribunal, soit à des tribunaux différents. Il est même indifférent que les infractions concurrentes soient liées entre elles par des circonstances de lieu, de temps ou de cause ou qu'elles soient indépendantes l'une de l'autre. On ne peut pas, en effet, faire dépendre le sort du prévenu des hasards ou des préférences du ministère public, qui pourrait à son gré, en divisant ou en réunissant les poursuites, aggraver ou adoucir les pénalités applicables aux dites infractions (R.P.D.B., loc. cit., n° 420).

En l'espèce, il se dégage des pièces versées que Monsieur … avait été, initialement, par citation à prévenu du 6 janvier 2004, convoqué à l'audience du tribunal correctionnel de Diekirch du 5 février 2004 pour répondre des trois préventions mises à sa charge et que par un courrier du parquet de Diekirch du 12 janvier 2004, la prévention "relative à l'incident du 3 juin 2003 vers 21.30 heures à … " fut décommandée pour, plus tard, être poursuivie séparément.

Au vu du contenu du jugement du tribunal correctionnel de Diekirch du 15 juillet 2004, il n'appartient pas au soussigné de décider si le fait d'avoir circulé en présentant des signes manifestes d'ivresse et celui d'avoir refusé de se prêter à la prise de sang correspondent à deux infractions distinctes, le tribunal ayant, dans son jugement coulé en force de chose jugée, estimé qu'il y avait concours réel entre deux infractions.

Il paraît par ailleurs se dégager des principes sus-énoncés qu'étant donné que l'infraction de coups et blessures par imprudence, commise le 30 juin 2003 vers 21.30 heures, d'une part, et celles de conduire en présentant des signes manifestes d'ivresse et de s'être refusé à une prise de sang, le 30 juin 2003, d'autre part, se trouvent à leur tour en concours réel, étant donné que chacune de ces infractions a été commise par Monsieur … à un moment où il n'avait pas encore été condamné pour l'autre. Il est d'ailleurs indifférent, dans ce contexte, de savoir si les infractions visées par la condamnation du 15 juillet 2004 ont en réalité été commises le 1er juillet 2003 à 00.17 heures, donc après celle des coups et blessures par imprudence, comme le prétend le demandeur, ou avant, étant donné que, de toute manière, les unes et l'autre ont été commises à un moment où les autres n'avaient pas encore fait l'objet d'une décision de justice.

Or, puisque, conformément à la disposition précitée de l'article 2bis de la loi modifiée du 14 février 1955, la perte de points ne saurait excéder 8 points en cas de concours réel, le moyen tiré de l'illégalité des décisions ministérielles des 8 septembre 2004 et 7 octobre 2004 qui ont respectivement constaté une perte de 12 points pour ces infractions se trouvant en concours réel et en tiré la conclusion que le droit de Monsieur … de conduire un véhicule était suspendu, apparaît comme sérieux.

Il semble d'ailleurs indifférent, à cet égard, que l'article 59 du code pénal dispose qu'en cas de concours d'un ou de plusieurs délits avec une ou plusieurs contraventions, les peines de police seront cumulativement prononcées et que la peine correctionnelle la plus forte sera seule prononcée et pourra même être élevée au double du maximum, sans toutefois pouvoir 5 excéder la somme des peines prévues pour les différentes infractions. La disposition en question a certes permis au tribunal correctionnel de Diekirch de cumuler la peine correctionnelle qu'il a prononcée dans son jugement du 15 juillet 2004 sans opérer de confusion avec la peine de police prononcée par le tribunal de police de Diekirch par jugement du 30 mars 2004. Il n'empêche que, légalement, ces infractions se sont trouvées en concours réel, l'article 2bis de la loi modifiée du 14 février 1955 ne distinguant pas entre la nature des différentes infractions pour lesquelles un prévenu est condamné, mais se bornant à prévoir un maximum de perte de 8 points en cas de concours réel d'infractions, de quelque nature qu'elles soient, hypothèse donnée en l'espèce.

Comme par ailleurs, l'affaire au fond n'est pas susceptible d'être plaidée à bref délai, les conditions légales pour l'octroi d'un sursis à exécution sont remplies, de sorte qu'il y a lieu de faire droit à la demande.

Par ces motifs, le soussigné président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique, déclare la demande de sursis à exécution justifiée, partant dit qu'en attendant que le tribunal administratif se soit prononcé au fond sur le mérite du recours introduit sous le numéro 18824 du rôle, il sera sursis à l'exécution des décisions ministérielles des 8 septembre 2004 ayant constaté une perte de 12 points du capital dont était doté le permis de conduire de Monsieur … et 7 octobre 2004 ayant suspendu le droit de celui-ci de conduire un véhicule automoteur ou un cyclomoteur, réserve les frais.

Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 17 novembre 2004 par M. Ravarani, président du tribunal administratif, en présence de M. Rassel, greffier.

s. Rassel s. Ravarani


Synthèse
Numéro d'arrêt : 18824
Date de la décision : 17/11/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-11-17;18824 ?

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