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22/09/2004 | LUXEMBOURG | N°18648

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 septembre 2004, 18648


Tribunal administratif N° 18648 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 septembre 2004 Audience publique du 22 septembre 2004

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Requête en sursis à exécution introduite par Madame … …, … … …, contre une décision du directeur du service national de la jeunesse et une décision de la ministre de la Famille et de l'Intégration en matière d'employé de l'Etat

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ORDONNANCE

Vu la requête déposée le 15 septembre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maî

tre Monique WATGEN, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de ...

Tribunal administratif N° 18648 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 septembre 2004 Audience publique du 22 septembre 2004

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Requête en sursis à exécution introduite par Madame … …, … … …, contre une décision du directeur du service national de la jeunesse et une décision de la ministre de la Famille et de l'Intégration en matière d'employé de l'Etat

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ORDONNANCE

Vu la requête déposée le 15 septembre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Monique WATGEN, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … …, éducatrice graduée, demeurant à L-… … … …, …, rue de …, tendant à ordonner le sursis à exécution d'une décision du directeur du service national de la jeunesse du 13 juillet 2004, lui notifiant que son contrat d'engagement à durée indéterminée, conclu le 3 juin 2004 avec la ministre de la Famille, de la Solidarité sociale et de la Jeunesse comme employée de l'Etat, en qualité d'éducatrice graduée auprès du service national de la jeunesse, ne saurait produire ses effets à compter du 16 juillet 2004, ainsi que d'une décision confirmative, prise sur recours gracieux, le 18 août 2004, par la ministre de la Famille et de l'Intégration, ces deux décisions ayant été entreprises au fond par une requête en réformation, subsidiairement en annulation introduite le même jour, portant le numéro 18649 du rôle;

Vu l'article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives;

Vu les pièces versées et notamment les décisions critiquées;

Maître Monique WATGEN ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER entendus en leurs plaidoiries respectives.

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Par contrat d'engagement signé le 20 avril 2004 entre la ministre de la Famille, de la Solidarité sociale et de la Jeunesse, d'une part, et Madame … …, d'autre part, cette dernière fut engagée, pour la période du 1er mai au 15 juillet 2004, comme éducatrice graduée au service national de la jeunesse. – Le 3 juin 2004, les mêmes personnes signèrent un contrat d'engagement à durée indéterminée, devant prendre effet à l'expiration du premier contrat, à savoir le 16 juillet 2004. Les deux contrats reconnurent à Madame … la qualité d'employée de l'Etat au sens de la loi modifiée du 27 janvier 1972 fixant le régime des employés de l'Etat.

Le 8 juillet 2004, Madame … se soumit à un examen médical effectué par le médecin du travail dans la fonction publique chargé, conformément à l'article 2, 9. du règlement grand-

ducal du 5 mars 2004 concernant la santé et la sécurité du travail et le contrôle médical dans la fonction publique, d'effectuer les examens médicaux des candidats à un emploi dans la fonction publique. Le même jour, le médecin en question certifia à Madame … une inaptitude temporaire à exercer ses fonctions.

Par courrier du 13 juillet 2004, le directeur du service national de la jeunesse informa Madame … de ce qu'en raison du résultat de l'examen médical, elle ne remplissait pas "selon l'article 3-point d) de la loi modifiée du 27 janvier 1972 fixant le régime des employés de l'Etat, les conditions requises pour être admis au service de l'Etat" et que, "de ce fait, le contrat de travail à durée indéterminée à partir du 16 juillet 2004 ne [pourrait] prendre effet." Suite à un recours gracieux, la ministre de la Famille et de l'Intégration confirma la décision du directeur du service national de la jeunesse par lettre du 18 août 2004.

Par requête déposée le 15 septembre 2004, inscrite sous le numéro 18649 du rôle, Madame … a introduit un recours en réformation, sinon en annulation contre les prédites décisions du directeur du service national de la jeunesse et de la ministre de la Famille et de l'Intégration, et par requête du même jour, inscrite sous le numéro 18648 du rôle, elle a introduit une demande tendant à ordonner le sursis à exécution des décisions en question.

Elle soutient que l'exécution de ces décisions lui causera un préjudice grave et définitif en ce qu'elle ne touche plus de rémunération depuis le 1er août 2004 et qu'elle a été désaffiliée dès le 15 juillet 2004 auprès du centre commun de la sécurité sociale. Elle estime par ailleurs que les moyens invoqués à l'appui de son recours au fond sont sérieux. En particulier, le directeur du service national de la jeunesse aurait été sans compétence pour prendre la décision litigieuse de ne pas honorer le contrat d'engagement. La décision confirmative de la ministre de la Famille et de l'Intégration serait affectée du même vice. La décision serait également contraire à l'article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes en ce que la mesure aurait été prise d'office sans information préalable de la demanderesse. L'article 3, sub d) de la loi modifiée du 27 janvier 1972, précitée, serait inopérant en ce que s'il est bien vrai qu'en vertu de ce texte, nul ne peut être admis au service de l'Etat en qualité d'employé s'il ne satisfait pas aux conditions d'aptitude requises pour l'exercice de son emploi, elle aurait déjà été définitivement admise au service de l'Etat par la signature du contrat d'engagement du 3 juin 2004, la signature du contrat par la ministre du ressort valant par ailleurs reconnaissance de son aptitude physique à l'exercice de son emploi. La disposition légale en question n'envisagerait pour le surplus que l'aptitude ou l'inaptitude à l'exercice de l'emploi, mais non pas, comme retenu dans le certificat médical, l'inaptitude temporaire. Pour autant que l'information du 13 juillet 2004 serait à considérer comme résiliation du contrat d'engagement, celle-ci serait irrégulière comme prononcée par un organe incompétent et sans l'avis préalable du ministre de la Fonction publique. Les dispositions de la loi modifiée du 24 mai 1989 sur le contrat de travail, applicables en l'espèce, s'opposeraient encore au non-respect, par l'Etat, des obligations découlant à sa charge de la signature du contrat d'engagement.

Le délégué du gouvernement explique que Madame … a remis des certificats médicaux de maladie pour les périodes des 11 au 18 juin 2004, 24 juin au 19 juillet 2004 et 1er juillet au 12 septembre 2004, étant depuis lors absente de son poste de travail sans couvert d'un certificat médical. Il estime que s'il est vrai que le contrat d'engagement a été signé, à tort, avant l'examen médical de Madame …, les décisions entreprises ne seraient pourtant pas à considérer comme résiliation du contrat, mais plutôt comme confirmation de l'absence de prise d'effet de celui-ci en raison de l'inaptitude physique de la candidate à occuper son emploi, la loi conditionnant l'engagement d'un agent au service de l'Etat au constat médical de son aptitude. Par ailleurs, étant donné qu'en cas de gain de cause au fond, Madame … rentrerait pleinement dans ses droits, l'exécution des décisions critiquées ne serait pas de nature à lui causer un préjudice grave et définitif.

En vertu de l'article 11, (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le sursis à exécution ne peut être décrété qu'à la double condition que, d'une part, l'exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d'autre part, les moyens invoqués à l'appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l'affaire est en état d'être plaidée et décidée à brève échéance.

En l'espèce, l'exécution de la décision avant le jugement de l'affaire au fond risque de causer à la demanderesse un préjudice grave et définitif. S'il est vrai, en effet, qu'en cas de réformation ou d'annulation des décisions litigieuses, elle sera rétablie dans ses droits et aura, en principe, droit à sa rémunération pour l'intégralité de la période couverte par son contrat d'engagement, tel n'est pas le cas de la sécurité sociale dont elle se trouve désaffiliée depuis le 16 juillet 2004, situation qui n'est pas susceptible d'être régularisée rétroactivement. Cette absence d'affiliation, en attente de la solution du litige au fond, risque de lui causer un préjudice grave et définitif.

Concernant le sérieux des moyens invoqués au fond, il semble que ce soit à bon droit que l'Etat se prévaut de l'article 3, sub d) de la loi modifiée du 27 janvier 1972 fixant le régime des employés de l'Etat qui dispose que nul n'est admis au service de l'Etat en qualité d'employé s'il ne satisfait pas aux conditions d'aptitude requises pour l'exercice de son emploi.

Parmi ces aptitudes figurent, outre les aptitudes intellectuelles, les aptitudes physiques.

Il paraît que ladite condition légale à l'obtention du statut d'employé de l'Etat ne constitue pas une condition suspensive au sens de l'article 1168 du code civil (v. Juris-

Classeur civil, sub art. 1168 à 1174, n° 68; Ph. Malaurie et L. Aynès, Cours de droit civil, tome VI, Les obligations, éd. Cujas 1998, n° 1107), mais plutôt un élément que la loi pose pour respectivement la formation ou la validité de l'acte et dont l'absence entraîne la nullité de l'acte. Cette nullité, qu'elle soit relative ou absolue – la nullité dont paraît entaché le contrat d'engagement litigieux semble être une nullité absolue, étant donné que la loi a imposé la condition d'aptitude à occuper un emploi public dans un but d'intérêt général – peut être invoquée par voie d'exception à une demande en exécution d'un acte entaché de nullité (v. Ph.

Malaurie et L. Aynès, op. cit., n° 559). Le contrat litigieux paraissant entaché d'un vice originaire entachant sa formation même, et non d'un élément survenu postérieurement qui justifierait sa résolution ou sa résiliation, le moyen tiré de la validité initiale du contrat d'engagement laquelle ne saurait être mise en échec que moyennant une résiliation conformément aux dispositions des lois des 27 janvier 1972 et 24 mai 1989, précitées, n'emporte pas la conviction. Par ailleurs, s'il est bien vrai que l'article 5, sub d) de la loi du 27 janvier 1972 ne prévoit que l'aptitude ou l'inaptitude à occuper un emploi au service de l'Etat, l'inaptitude temporaire renseignée dans le certificat médical du 8 juillet 2004 paraît devoir s'analyser en inaptitude, au sens de la disposition précitée, au moment où l'engagement devait avoir lieu. – Il est vrai qu'en signant un contrat d'engagement avant d'avoir vérifié que les conditions légales pour la formation d'un tel contrat ne soient vérifiées, l'Etat a commis, le cas échéant, une faute et causé un dommage à la partie cocontractante, ne serait-ce qu'en faisant croire à celle-ci qu'elle était dispensée de se mettre à la recherche d'un autre emploi qu'elle pouvait légalement occuper. Une telle faute n'est cependant pas susceptible d'être sanctionnée par le juge administratif, mais par le juge judiciaire dans le cadre d'une action en responsabilité civile.

L'analyse du contrat d'engagement selon le droit civil doit cependant être complétée par les règles spécifiques du droit administratif applicables en l'espèce.

En vertu de l'article 8 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, précité, en dehors des cas où la loi en dispose autrement, l'auteur d'une décision administrative peut procéder au retrait rétroactif d'une décision ayant créé ou reconnu des droits en faveur d'un administré, pendant le délai imparti pour exercer contre cette décision un recours contentieux, ainsi que pendant le cours de la procédure contentieuse engagée contre cette décision. Il se dégage de cette disposition qu'une fois que le délai contentieux est expiré, une situation même illégale créée ou reconnue en faveur d'un administré ne peut plus être révoquée par l'auteur de la décision qui doit la respecter.

L'Etat fait plaider qu'il a justement, par les deux décisions entreprises, procédé à la révocation des effets créés par la signature du contrat d'engagement du 3 juin 2004.

Il paraît que ce soit cependant à juste titre que Madame … se prévaut de l'article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 qui dispose que sauf s'il y a péril en la demeure, l'autorité qui se propose de révoquer ou de modifier d'office pour l'avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits à une partie, ou qui se propose de prendre une décision en dehors d'une initiative de la partie concernée, doit informer de son intention la partie concernée en lui communiquant les éléments de fait et droit qui l'amènent à agir.

Il n'est en effet pas litigieux entre parties que la formalité prévue par la prédite disposition n'a pas été accomplie par l'Etat.

Le délégué du gouvernement soutient, dans ce contexte, que l'article 12, alinéa 3 du règlement grand-ducal du 5 mars 2004, précité, prévoit, comme mesure se substituant aux formalités de l'article 9, la faculté pour l'agent déclaré inapte à un emploi du secteur public, de solliciter un examen médical complémentaire par le médecin du travail ayant procédé à l'examen médical requis au recrutement.

Outre le fait que la demanderesse a effectivement requis cet examen complémentaire, il ne semble cependant pas que cette faculté soit de nature à tenir en échec l'applicabilité de l'article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979. Au contraire, il semble que l'Etat ait dû attendre le résultat de cet examen complémentaire avant d'entamer la procédure de rétractation – à défaut d'avoir assorti le contrat d'engagement d'une condition suspensive tenant au résultat de l'examen médical ou d'avoir procédé à la signature dudit contrat seulement après le résultat de l'examen en question – surtout que la disposition précitée du règlement grand-ducal du 5 mars 2004 énonce que l'avis du médecin décide de l'aptitude ou de l'inaptitude définitive du candidat.

Au stade actuel de l'instruction du litige, aucun élément ne paraît de nature à douter du caractère de décision administrative de la signature du contrat d'engagement par la ministre compétente, de sorte qu'il paraît qu'une fois le délai du recours contentieux expiré, l'Etat, auteur de l'acte, ne saurait remettre en question, ni par voie d'action, ni par voie d'exception, la situation – même illégale – ainsi créée au profit de son agent.

Avant l'expiration de ce délai, et sans retrait de l'acte litigieux, il semble que l'Etat soit lié par son engagement, de sorte qu'au stade actuel, les moyens invoqués par la demanderesse, tendant à faire admettre qu'elle doit être considérée comme employée de l'Etat au sens de la loi modifiée du 27 janvier 1972, apparaissent comme suffisamment sérieux pour justifier un sursis à exécution des décisions administratives remettant en question indirectement, c'est-à-

dire sans observer la procédure du retrait, cette qualité.

Il suit des considérations qui précèdent qu'au stade actuel de la procédure, la demande de sursis à exécution est justifiée.

Par ces motifs, le soussigné président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique, reçoit le recours en sursis à exécution en la forme, au fond le déclare justifié, partant dit qu'en attendant que le tribunal se soit prononcé au fond sur le mérite du recours introduit sous le numéro 18649 du rôle, il sera sursis à exécution de la décision du directeur du service national de la jeunesse du 13 juillet 2004, notifiant à Madame … … que son contrat d'engagement à durée indéterminée, conclu le 3 juin 2004 avec la ministre de la Famille, de la Solidarité sociale et de la Jeunesse comme employée de l'Etat, en qualité d'éducatrice graduée auprès du service national de la jeunesse, ne saurait produire ses effets à compter du 16 juillet 2004, ainsi que de la décision confirmative, prise sur recours gracieux, le 18 août 2004, par la ministre de la Famille et de l'Intégration, réserve les frais.

Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 22 septembre 2004 par M. Ravarani, président du tribunal administratif, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Ravarani 5


Synthèse
Numéro d'arrêt : 18648
Date de la décision : 22/09/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-09-22;18648 ?

Source

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