La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

01/09/2004 | LUXEMBOURG | N°18617

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 01 septembre 2004, 18617


Tribunal administratif N° 18617 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 août 2004 Audience publique du 1er septembre 2004

===========================

Requête en institution d’une mesure de sauvegarde introduite par Monsieur … … …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de police des étrangers

--------------------------------------


ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 18617 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 27 août 2004 par Maître Claude DERBAL, avocat à

la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … … …, né le … … … à …...

Tribunal administratif N° 18617 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 août 2004 Audience publique du 1er septembre 2004

===========================

Requête en institution d’une mesure de sauvegarde introduite par Monsieur … … …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de police des étrangers

--------------------------------------

ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 18617 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 27 août 2004 par Maître Claude DERBAL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … … …, né le … … … à … … , de nationalité …, demeurant à … … … … , … … ., …. … … , … … (…), établi à L-… … , …, rue …, tendant à voir ordonner une mesure de sauvegarde consistant dans l’interdiction de l’éloigner du territoire dans l’attente d’un jugement dans l’affaire au fond introduite le même jour et inscrite sous le numéro 18618, dirigée contre un arrêté du ministre de la Justice du 20 février 2004 lui refusant l’entrée et le séjour, ainsi que de la décision implicite de refus résultant du silence du ministre de la Justice gardé pendant plus de trois mois suite au recours gracieux introduit par le demandeur en date du 19 mai 2004 à l’encontre dudit arrêté ministériel, sinon dans l’octroi d’une autorisation de séjour provisoire à son profit ;

Vu l’article 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;

Vu les pièces versées et notamment la décision attaquée ;

Ouï Maître Claude DERBAL, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-

Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 31 août 2004 à 14.00 heures.

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Par arrêté du 20 février 2004, le ministre de la Justice, refusa l’entrée et le séjour à Monsieur … … …, préqualifié, aux motifs qu’il ne disposerait pas de moyens d'existence personnels légalement acquis et qu'il se trouverait en séjour irrégulier au pays, et l’invita à quitter le territoire dans un délai de 15 jours à partir de la notification dudit arrêté. Un recours gracieux fut introduit le 19 mai 2004 à l’encontre dudit arrêté ministériel.

2 Par requête déposée le 27 août 2004, inscrite sous le numéro 18618 du rôle, Monsieur … … a fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation de l’arrêté du ministre de la Justice du 20 février 2004 lui refusant l’entrée et le séjour, ainsi que de la décision implicite de refus résultant du silence du ministre de la Justice gardé pendant plus de trois mois suite au recours gracieux introduit par le demandeur en date du 19 mai 2004 à l’encontre dudit arrêté ministériel.

Par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 18617 du rôle, Monsieur … … sollicite l’institution d’une mesure de sauvegarde consistant dans l’interdiction de l’éloigner du territoire dans l’attente de la solution du recours au fond sinon dans l’octroi d’une autorisation de séjour provisoire à son profit.

A l’appui de sa demande, le demandeur fait exposer qu'il disposerait d’une carte d’identité d’étranger délivrée par le … valable jusqu’au 6 mai 2006, qu’il aurait été engagé par la société luxembourgeoise …. … …. pour venir travailler au Luxembourg et qu’il aurait sollicité par l’intermédiaire de l’ambassade du Luxembourg à … la délivrance d’une autorisation de séjour au Luxembourg. Il précise que le ministère de la Justice, par courrier du 3 septembre 2003, l’aurait informé qu’une autorisation de séjour pourrait lui être accordée, à condition de disposer d’un emploi et d’un permis de travail. Il expose qu’il se serait ensuite rendu avec sa famille au Luxembourg, étant donné que les dispositions de la Convention d’application de l’Accord de Schengen du 14 juin 1985 relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, ci-après dénommée « la Convention de Schengen », tel qu’approuvée par la loi du 3 juillet 1992, portant notamment approbation de la Convention, l’autoriseraient à circuler librement dans l’espace Schengen et à séjourner pour une période maximale de trois mois au Grand-Duché de Luxembourg, qu’il ne serait jamais resté plus de trois mois au Luxembourg en faisant des aller-retours au … dans l’attente de la délivrance d’un titre de séjour de longue durée. Il ajoute que son employeur aurait négligé de demander le permis de travail dans son chef, de sorte que le contrat de travail aurait été résilié le 5 mars 2003 et qu’il travaillerait depuis comme pasteur évangéliste protestant auprès de l’Eglise des Dieux à Luxembourg.

Le demandeur estime que les moyens invoqués à l'appui de sa demande au fond seraient sérieux. Dans ce contexte, il affirme que ce serait à tort que le ministre de la Justice aurait basé la décision de refus d’entrée et de séjour litigieuse sur l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1° l’entrée et le séjour des étrangers ; 2° le contrôle médical des étrangers ; 3° l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, en soutenant que ce serait plutôt l’article 23 de la Convention de Schengen qui s’appliquerait. Il conteste ensuite l’absence de moyens d’existence personnels légalement acquis dans son chef en faisant valoir que le ministère de pasteur évangéliste qu’il exercerait auprès de l’Eglise des Dieux à Luxembourg lui procurerait les revenus nécessaires pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille et que le métier de pasteur pourrait être exercé sans permis de travail. Par ailleurs, il estime que l’entrée au Grand-Duché de Luxembourg ne saurait lui être refusée, au motif qu’étant titulaire d’une carte d’identité d’étranger délivrée par le …, la Convention de Schengen lui permettrait d’entrer au Luxembourg et d’y résider pendant une durée n’excédant pas trois mois. Il conclut qu’il ne serait pas en séjour irrégulier au Luxembourg alors que ses séjours au Luxembourg n’auraient jamais excédé la durée maximale de trois mois.

Enfin, il estime qu’un éloignement vers le … risquerait de lui causer un préjudice grave et définitif consistant dans l’impossibilité d’emmener tous ses effets et d’abandonner sa 3 paroisse du jour au lendemain. Par ailleurs, il estime que le préjudice serait d’autant plus grave que l’autorité administrative refuserait de le laisser entrer à nouveau au pays.

Le délégué du gouvernement expose d’abord qu’en date du 3 juin 2004, le ministre de la Justice, contrairement à l’affirmation du demandeur, a pris une décision explicite suite à l’introduction du recours gracieux par le demandeur en date du 19 mai 2004 par laquelle il a confirmé son arrêté de refus d’entrée et de séjour initial du 20 février 2004.

Il soutient ensuite que le demandeur ne ferait pas état d’un danger de préjudice grave et définitif et que les moyens invoqués par le demandeur dans le cadre de son recours au fond ne seraient pas sérieux.

Concernant le caractère sérieux des moyens, il estime que l’arrêté ministériel litigieux du 20 février 2004 serait pleinement justifié par deux motifs énoncés par l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, à savoir le séjour irrégulier du demandeur et le défaut de moyens d’existence légalement acquis dans son chef. Concernant le motif du séjour irrégulier, il précise que non seulement le demandeur resterait en défaut de prouver qu’il aurait quitté le Luxembourg après trois mois, mais qu’il résulterait en plus des rapports de la police judiciaire versés en cause que le demandeur aurait travaillé pendant un an et demi comme maçon au Luxembourg et qu’il continuerait à travailler au Luxembourg, de sorte qu’il se trouverait en séjour irrégulier au Luxembourg. Concernant le défaut de moyens d’existence légalement acquis, le représentant étatique conteste l’existence de revenus personnels légalement acquis, le demandeur n’ayant pas de permis de travail. En ce qui concerne le reproche que l’arrêté ministériel manquerait de base légale pertinente, il soutient que l’article 2 de la loi du 28 mars 1972 précitée s’appliquerait à tous les étrangers et que même si la décision ne se justifierait pas sur cette base, elle serait justifiée sur base de la Convention de Schengen, au motif que le séjour du demandeur au Luxembourg ne devrait pas dépasser les trois mois. Or, tel serait justement le cas en l’espèce. Concernant l’incidence des dispositions de la Convention de Schengen, le délégué du gouvernement souligne que ces dispositions prévoient une liberté de circulation pendant 3 mois par semestre dans l’espace Schengen, mais il estime que le demandeur ferait fausse route en soutenant que ce texte consacrerait un droit d’établissement au Luxembourg.

Quant au risque de préjudice grave et définitif invoqué, le représentant étatique affirme que le demandeur pourrait toujours circuler dans l’espace Schengen à l’exclusion du Luxembourg et que l’impossibilité matérielle de regagner le territoire luxembourgeois après un refoulement vers le … laisserait d’être établie.

En vertu de l'article 12 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le président du tribunal administratif peut au provisoire ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution de l'affaire, à l'exclusion des mesures ayant pour objet des droits civils.

Sous peine de vider de sa substance l'article 11 de la même loi, qui prévoit que le sursis à exécution ne peut être décrété qu'à la double condition que, d'une part, l'exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d'autre part, les moyens invoqués à l'appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, il y a lieu d'admettre que l'institution d'une mesure de sauvegarde est soumise aux mêmes conditions concernant les caractères du préjudice et des moyens invoqués à l'appui du 4 recours. Admettre le contraire reviendrait en effet à autoriser le sursis à exécution d'une décision administrative alors même que les conditions posées par l'article 11 ne seraient pas remplies, le libellé de l'article 12 n'excluant pas, a priori, un tel sursis qui peut à son tour être compris comme mesure de sauvegarde.

Concernant le sérieux des moyens présentés à l'appui de la demande au fond, le juge du provisoire appelé à prendre une mesure provisoire doit nécessairement se livrer à un examen sommaire du mérite de ces moyens, sous peine d'empiéter sur les pouvoirs du juge du fond. Il doit pareillement, dans cette même optique, apprécier les problèmes juridiques qui se posent à la lumière de la jurisprudence développée en la matière par les juridictions administratives siégeant au fond.

Au stade actuel de l’instruction du litige, les moyens présentés par le demandeur à l'appui de la demande au fond ne paraissent pas suffisamment sérieux pour pouvoir justifier l’institution d’une mesure de sauvegarde en sa faveur.

En effet, en ce qui concerne l’exigence de moyens d’existence personnels légalement acquis, non seulement le demandeur n’a apporté aucun élément permettant de conclure à l’existence de revenus personnels, son affirmation que l’Eglise des Dieux lui verserait une rémunération mensuelle étant restée à l’état de simple allégation, mais en plus l’article 26 de la loi précitée du 28 mars 1972 soumet l’occupation d’un poste de travail salarié par un étranger à la délivrance d’un permis de travail et qu’une jurisprudence constante des juridictions administratives retient que la seule preuve de la perception de sommes, en principe suffisantes pour permettre à l'intéressé d'assurer ses frais de séjour au pays, est insuffisante, mais qu’il faut encore que les revenus soient légalement perçus et que ne remplissent pas cette condition les revenus perçus par un étranger qui occupe un emploi alors qu'il n'est pas en possession d'un permis de travail et qu'il n'est dès lors pas autorisé à occuper un emploi au Grand-Duché de Luxembourg et toucher des revenus provenant de cet emploi (trib. adm. 30 avril 1998, n° 10508, confirmé par Cour adm. 6 octobre 1998, n° 10755C, Pas.

adm. 2003, v° Etrangers, n° 140, et autres références citées). Dans la mesure où le demandeur n’a pas étayé l’existence même de la perception de revenus ni celle d’un permis de travail, force est de conclure d’après l’état actuel d’instruction du dossier que l’arrêté ministériel paraît être valablement fondé sur le motif tiré du défaut de moyens d’existence personnels légalement perçus.

Quant au moyen tiré du séjour irrégulier, il résulte encore des éléments du dossier que le demandeur a résidé et travaillé comme maçon auprès de l’entreprise … … … … pendant une période ininterrompue allant du 9 avril 2002 au 5 avril 2003, qu’il a fait venir sa famille au Luxembourg et qu’il travaille depuis le 5 mars 2003 en tant que pasteur protestant.

L’affirmation du demandeur que son séjour sur le territoire luxembourgeois aurait été interrompu par des aller-retours au …, de manière à ce que ses séjours au Luxembourg ne dépassent pas la durée maximale de trois mois, étant restée à l’état de simple allégation, le ministre de la Justice pouvait a priori valablement conclure qu’il se trouvait en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois.

En ce qui concerne le moyen tiré du défaut de base légale pertinente de l’arrêté du ministre de la Justice, lequel s’est référé à l’article 2 de la loi du 28 mars 1972 précitée, alors que le demandeur estime que les dispositions de la Convention de Schengen devraient trouver application, ce moyen ne paraît pas de nature à ébranler le bien-fondé dudit arrêté ministériel.

En effet, même si les juges du fond devaient retenir que ce serait à tort que le ministre de la 5 Justice a basé son arrêté sur l’article 2 de la loi du 28 mars 1972, et qu’il aurait dû faire application de la Convention de Schengen, il convient de souligner qu’en vertu de la jurisprudence des juridictions administratives, les décisions administratives fondées sur des motifs erronés en droit ne sont pas sujettes à annulation si elles se justifient par d'autres motifs même non invoqués par l'administration. Il appartient dans ce cas à la juridiction administrative de substituer, le cas échéant, des motifs exacts aux motifs erronés ou incomplets (cf. trib. adm. 31 mai 2000, n° 11745 du rôle, Pas. adm. 2003, v° Procédure administrative non contentieuse, n° 42). Or, force est de constater que le premier motif invoqué par le ministre de la Justice relatif à l’absence de moyens de subsistance suffisants se retrouve également à l’article 5 de la Convention de Schengen invoquée par le demandeur. Au stade actuel de l’instruction de l’affaire, le demandeur n’ayant pas établi l’existence de tels moyens dans son chef, la décision de refus d’entrée et de séjour apparaît a priori comme légalement justifiée, ce tant en application de l’article 2 de la loi du 28 mars 1972 que de l’article 5 de la Convention de Schengen.

Par ailleurs, à suivre le raisonnement du demandeur, et à faire application de la Convention de Schengen, en vertu de la jurisprudence citée ci-dessus, la décision de refus d’entrée et de séjour apparaîtrait comme valablement justifiée par application des articles 5, alinéa 1er et 23 de la Convention de Schengen, en vertu desquels l’étranger qui ne remplit pas ou ne remplit plus les conditions de court séjour de trois mois applicable sur le territoire de l’une des parties contractantes doit en principe quitter sans délai le territoire, et l’étranger qui dispose d’un titre de séjour en cours de validité délivré par une autre partie contractante doit se rendre sans délai sur le territoire de cette partie contractante. Or, il résulte du stade actuel de l’instruction de l’affaire que le demandeur est resté pendant plus de trois mois au pays, étant précisé que le demandeur n’a pas rapporté la preuve qu’il a interrompu son séjour par des aller-retours, de sorte qu’il se trouverait en séjour irrégulier sur le territoire Schengen.

Il découle de l’ensemble des développements qui précèdent que les moyens avancés par le demandeur à l’encontre de l’arrêté ministériel litigieux du 20 février 2004 tel que confirmé par la décision du 3 juin 2004 n’apparaissent, en l’état d’instruction actuel du dossier, pas suffisamment sérieux pour justifier l’institution d’une mesure de sauvegarde en sa faveur.

Etant donné que les conditions tenant à l’existence de moyens sérieux et d’un préjudice grave et définitif doivent être cumulativement remplies, la seule absence de moyens sérieux entraîne l’échec de la demande sans qu'il y ait lieu d'examiner, par ailleurs, le risque d'un préjudice grave et définitif.

Par ces motifs, la soussignée, juge du tribunal administratif, siégeant en remplacement du président et des autres magistrats plus anciens en rang, tous légitiment empêchés, statuant à l’égard de toutes les parties et en audience publique, reçoit la demande en la forme, au fond, la déclare non justifiée et en déboute, 6 condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 1er septembre 2004 par Mme Gillardin, juge du tribunal administratif, en présence de M. Rassel, greffier.

Rassel Gillardin


Synthèse
Numéro d'arrêt : 18617
Date de la décision : 01/09/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-09-01;18617 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award