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25/08/2004 | LUXEMBOURG | N°18582

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 août 2004, 18582


Tribunal administratif N° 18582 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 août 2004 Audience publique du 25 août 2004 Recours formé par Monsieur … …, Schrassig contre un arrêté du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18582 du rôle et déposée le 20 août 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, né le 10 février 1976 à

… (Monténégro/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-

monténégrine, actuellement ...

Tribunal administratif N° 18582 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 août 2004 Audience publique du 25 août 2004 Recours formé par Monsieur … …, Schrassig contre un arrêté du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18582 du rôle et déposée le 20 août 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, né le 10 février 1976 à … (Monténégro/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-

monténégrine, actuellement placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 12 août 2004, lui notifiée le même jour, ordonnant son placement audit Centre de séjour provisoire pour la durée maximum d’un mois à partir de la notification ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 août 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 24 août 2004 par Maître Frank WIES en nom et pour compte du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté entrepris ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Frank WIES et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 août 2004.

Le 12 août 2004, Monsieur … … fut intercepté au Grand-Duché de Luxembourg en séjour irrégulier par la police grand-ducale.

Par arrêté du 12 août 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration refusa l’entrée et le séjour à Monsieur ….

Suivant arrêté du même jour, le ministre ordonna à l’encontre de Monsieur … une mesure de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, ci-après dénommé le « Centre de séjour provisoire », pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification de la décision en question dans l’attente de son éloignement du territoire luxembourgeois.

La décision de placement est fondée sur les considérations et motifs suivants :

« Vu l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers ;

Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;

Vu mon arrêté de refus d’entrée et de séjour du 12 août 2004 ;

Considérant que l’intéressé ne dispose pas de moyens d’existence personnels légalement acquis ;

Considérant qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement. » Par requête déposée le 20 août 2004, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision ministérielle de placement précitée du 12 août 2004.

Etant donné que l’article 15, paragraphe 9 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une mesure de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision litigieuse. Le recours est également recevable pour avoir été déposé dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur soulève en premier lieu l’incompétence de l’autorité ayant pris la décision litigieuse, au motif que d’après l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972 le ministre de la Justice aurait seul compétence pour prendre une décision de placement à l’exclusion du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration et que cette constatation ne serait pas énervée par la publication de l’arrêté grand-ducal du 7 août 2004 portant constitution des Ministères, lequel attribue en son article 1er, 2.,5. compétence au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière d’entrée et de séjour des étrangers. Dans ce contexte, le demandeur estime que le Grand-Duc ne saurait déroger par voie d’arrêté à une loi qui a conféré compétence exclusive au ministre de la Justice pour prendre des décisions de placement en matière d’entrée et de séjour des étrangers, de sorte que la décision de placement entreprise serait à annuler pour cause d’incompétence de l’autorité ayant pris la décision litigieuse.

Le demandeur conclut ensuite à l’absence de décision d’expulsion sinon de refoulement légalement prise à la base de la décision de placement entreprise. En effet, il ressortirait de la décision de placement du 12 août 2004 que celle-ci se réfère à un arrêté de refus d’entrée et de séjour du même jour qui aurait été pris par une autorité incompétente, à savoir le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration au lieu du ministre de la Justice, tel qu’exigé par la loi modifiée du 28 mars 1972.

Le demandeur estime encore que la régularité de la décision de placement serait contraire aux critères fixés par la loi et la jurisprudence, au motif que le placement au sein du Centre pénitentiaire de Luxembourg devrait rester une mesure d’exception et le simple fait d’être prétendument susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement du territoire luxembourgeois ne saurait constituer à lui seul un danger pour la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics, de sorte à justifier le placement au Centre de séjour provisoire, d’autant plus que la décision entreprise resterait silencieuse quant à l’existence d’un danger réel de soustraction à la décision d’expulsion du 12 août 2004.

Finalement, le demandeur relève que la décision entreprise se trouverait motivée par une considération totalement étrangère aux critères pouvant justifier un placement, à savoir le défaut de moyens d’existence personnels légalement acquis dans son chef.

Comme ladite décision ne mentionnerait aucunement les circonstances de fait qui rendraient impossible l’exécution de la décision d’expulsion, la constatation de l’insuffisance de moyens personnels ne saurait constituer un motif suffisant pour fonder une mesure de placement.

Le délégué du gouvernement rétorque que l’arrêté grand-ducal du 7 août 2004 portant constitution des Ministères aurait été pris en exécution de l’article 76 de la Constitution qui abandonne au Grand-Duc le soin d’organiser son gouvernement et que les arrêtés basés sur ledit article 76 sont des actes équipollents aux lois. Pour le surplus, le délégué souligne qu’une décision de refoulement est nécessairement sous-jacente à la décision de mise à la disposition du gouvernement, que le risque de soustraction à la mesure de refoulement litigieuse serait bien réel, eu égard au fait que le demandeur n’aurait pas profité d’une offre d’un retour assisté dans son pays d’origine et que ce dernier se trouverait placé dans un établissement approprié, à savoir le Centre de séjour provisoire et non le Centre Pénitentiaire de Luxembourg.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur, en relation avec le moyen d’incompétence soulevé, soutient que s’il serait vrai que le Grand-Duc a une autonomie pour attribuer aux différentes personnes composant le gouvernement les attributions lui conférées par la loi, il ne pourrait cependant pas par voie d’arrêté grand-ducal, changer les termes même de la loi. En effet, en l’espèce, on ne serait pas en présence d’une simple mesure d’organisation interne du gouvernement, mais de la création d’un nouveau poste – le ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration – et l’attribution à ce poste de compétences expressément attribués par la loi au ministre de la Justice.

Concernant les deux premiers moyens d’annulation ayant trait à l’incompétence de l’autorité à la base de la décision de placement et de l’arrêté d’entrée et de séjour, qu’il convient d’examiner ensemble, c’est à juste titre que le représentant étatique se prévaut de l’arrêté grand-ducal du 7 août 2004 portant constitution des Ministères, publié au Mémorial A n° 147 en date du 11 août 2004, pris en exécution de l’article 76 de la Constitution et de l’arrêté royal grand-ducal modifié du 9 juillet 1857 portant organisation du gouvernement grand-ducal, attribuant compétence au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière d’entrée et de séjour des étrangers.

En effet, l’article 76 de la Constitution autorise le Grand-Duc à régler l’organisation de son Gouvernement (…). Il résulte de ce texte que le Grand-Duc peut librement créer les ministères et faire la répartition des départements ou des affaires ministérielles entre les ministres (voir Pierre MAJERUS, L’Etat luxembourgeois, éd.

1983, page 162). En matière d’organisation du gouvernement cette disposition constitutionnelle confère au Grand-Duc un pouvoir réglementaire direct et autonome en disposant que le Grand-Duc règle l’organisation de son gouvernement. Ce pouvoir est donc indépendant de la cause d’ouverture fondamentale des règlements qui est l’exécution des lois. L’octroi de ce pouvoir autonome par la Constitution procède de l’idée de la séparation des pouvoirs : l’organe gouvernemental doit être indépendant à l’égard du Parlement; pour cette raison, il doit pouvoir déterminer en pleine indépendance son organisation intérieure. Dans le domaine circonscrit par la notion de l’ « organisation du Gouvernement », le Grand-Duc exerce un pouvoir discrétionnaire et originaire; les règlements fondés sur l’article 76 de la Constitution sont donc, dans leurs domaines, des actes équipollents aux lois (voir Pierre PESCATORE, Introduction à la science du droit, éd. 1978, n° 95, page 152).

Il s’ensuit que le prédit arrêté du 7 août 2004, ayant force de loi, a modifié la législation en matière d’« entrée et de séjour des étrangers » en ce sens que la compétence ministérielle revient au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, de sorte que le moyen tiré de l’incompétence de l’autorité à la base de la décision de placement et de l’arrêté de refus d’entrée et de séjour est à rejeter. Partant, c’est également à tort que le demandeur conclut à l’absence d’une décision d’expulsion, sinon de refoulement légalement prise à la base de la décision de placement.

Pour le surplus, il est constant, d’après les affirmations non-contestées en cause, que par application de la décision litigieuse, le demandeur est placé, non pas dans un établissement pénitentiaire, mais au Centre de séjour provisoire créé par le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière. Or, force est de constater que le Centre de séjour provisoire est à considérer comme un établissement approprié au sens de la loi précitée de 1972, étant donné que le demandeur est en séjour irrégulier au pays, qu’il n’existe aucun élément qui permette de garantir au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration sa présence au moment où il pourra être procédé à son éloignement et qu’il n’a fait état à suffisance de droit d’aucun autre élément ou circonstance particuliers justifiant à son égard un caractère inapproprié du Centre de séjour provisoire.

Si c’est encore à bon droit que le demandeur fait relever qu’une mesure de placement ne se justifie qu’au cas où il existerait dans le chef de la personne qui se trouve sous le coup d’une décision de refoulement un danger réel qu’elle essaie de se soustraire à la mesure de rapatriement ultérieure, c’est cependant à tort que le demandeur conteste l’existence d’un tel danger dans son chef.

En effet, il échet de relever qu’il ressort du dossier administratif versé en cause que le demandeur s’était vu proposer en 2001 la possibilité d’un retour assisté dans son pays d’origine, englobant une aide financière du gouvernement, ainsi qu’une assistance en ce qui concerne l’envoi de ses affaires personnelles, mais qu’il a continué à séjourner au Luxembourg en situation irrégulière à ce jour, malgré le fait qu’entretemps la situation politique s’est sensiblement améliorée dans son pays d’origine. Pour le surplus, la procédure en vue de son retour accompagné vers Podgorica se trouve entamée, de sorte qu’il existe dans son chef un risque qu’il essaie de se soustraire à la mesure d’éloignement. Dans la mesure où c’est dès lors précisément dans l’attente de la mise en œuvre des formalités préalables à son éloignement que le demandeur est maintenu en placement, la décision déférée ne saurait encourir le reproche de ne pas s’inscrire dans le cadre des prévisions légales en la matière.

Il s’ensuit que la décision de placement entreprise est motivée à suffisance de fait et de droit indépendamment de la considération que le ministre a encore relevé dans ladite décision l’insuffisance de moyens personnels propres dans le chef du demandeur.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours laisse d’être fondé et que le demandeur est à en débouter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 25 août 2004 à 17.00 heures par :

M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. May, greffier en chef de la Cour administrative, greffier assumé.

s. May s. Spielmann 6


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 18582
Date de la décision : 25/08/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-08-25;18582 ?

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