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03/08/2004 | LUXEMBOURG | N°18487

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 août 2004, 18487


Numéro 18487 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 juillet 2004 Audience publique du 3 août 2004 Requête en institution d’une mesure de sauvegarde introduite par Monsieur …, Luxembourg contre un arrêté du ministre de la Justice en matière de police des étrangers

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ORDONNANCE

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18487 du rôle, déposée le 30 juillet 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc

MODERT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au n...

Numéro 18487 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 juillet 2004 Audience publique du 3 août 2004 Requête en institution d’une mesure de sauvegarde introduite par Monsieur …, Luxembourg contre un arrêté du ministre de la Justice en matière de police des étrangers

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ORDONNANCE

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18487 du rôle, déposée le 30 juillet 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc MODERT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité brésilienne, demeurant à L-2355 Luxembourg, 3, rue du Puits, tendant à voir ordonner une mesure de sauvegarde consistant dans l’octroi d’une autorisation de séjour provisoire à son profit, sinon dans l’interdiction de l’éloigner du territoire dans l’attente d’un jugement dans l’affaire au fond introduite le même jour et inscrite sous le numéro 18486, dirigée contre un arrêté du ministre de la Justice du 7 juin 2004 lui refusant l’entrée et le séjour;

Vu l’article 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives;

Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté attaqué;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Yasmina MAADI, en remplacement de Maître Marc MODERT, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 2 août 2004 à 14:15 heures.

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Par arrêté du 7 juin 2004, le ministre de la Justice, ci-après désigné par le « ministre », refusa l’entrée et le séjour à Monsieur …, préqualifié, aux motifs suivants :

« Attendu que l’intéressé a fait usage d’une carte d’identité portugaise falsifiée ;

Attendu que l’intéressé ne dispose pas de moyens d’existence personnels ;

Attendu que l’intéressé se trouve en séjour irrégulier au pays ;

Attendu que l’intéressé est susceptible de compromettre la sécurité et l’ordre publics ».

Suivant arrêté ministériel du 16 juillet 2004, Monsieur … fut placé, dans l’attente de son éloignement, au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximum d’un mois à partir de sa notification.

Par requête déposée le 30 juillet 2004, inscrite sous le numéro 18486 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation, sinon à la réformation de l’arrêté ministériel susvisé du 7 juin 2004.

Par requête déposée le même jour, inscrite sous le numéro 18487 du rôle, Monsieur … a fait introduire une requête tendant à voir ordonner une mesure de sauvegarde consistant dans l’octroi d’une autorisation de séjour provisoire à son profit, sinon dans l’interdiction de l’éloigner du territoire dans l’attente d’un jugement dans l’affaire au fond.

A l’appui de sa requête, le demandeur fait exposer qu’il serait venu au Grand-Duché au cours de l’année 2000 pour assurer, à travers son travail, la subsistance de sa famille restée au Brésil, dont sa mère malade et ses trois enfants, qu’il aurait été engagé à partir du 15 mars 2001 par la société APPI LUX en qualité de laveur de vitres, qu’il aurait régulièrement payé les cotisations et impôts redus du chef de cette activité salariée et qu’il transférerait mensuellement 500 € à sa famille au Brésil. Il admet qu’en l’an 2000 il aurait fait l’objet d’un procès-verbal de la police pour usage d’une carte d’identité portugaise falsifiée qu’il s’était procurée, mais précise qu’aucune autre poursuite n’aurait été intentée à son encontre de ce chef, tout comme il n’aurait plus fait l’objet d’un autre procès-verbal pour d’autres faits.

Le demandeur estime que l’inaction prolongée des autorités durant quatre années et le défaut d’une condamnation par une juridiction pénale auraient fait naître dans son chef « la conviction d’une régularisation de facto » et un droit acquis au séjour au Luxembourg, découlant du principe général du droit des droits acquis, et que le seul élément concret tiré du procès-verbal unilatéral de la police ne saurait justifier un refus d’entrée et de séjour. Il fait valoir qu’en fondant son arrêté sur l’usage d’un faux document d’identité, le ministre se serait substitué au juge pénal et aurait contrevenu au principe de séparation des pouvoirs, à l’article 6 (1) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par la « Convention », et à la présomption d’innocence consacrée par l’article 6 (2) de la même Convention.

Le demandeur estime encore que les moyens à l’appui de son recours au fond seraient sérieux. Dans ce contexte, il invoque essentiellement « une situation de tolérance ou de régularisation de facto », ainsi que le non-respect de l’article 8 de la Convention en ce que le ministre ne pourrait se prévaloir d’aucune nécessité impérative pour justifier le refus d’entrée et de séjour en cause.

Le délégué du gouvernement rétorque, concernant le caractère sérieux des moyens, que l’arrêté ministériel litigieux du 7 juin 2004 serait pleinement justifié par trois motifs énoncés par l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1° l’entrée et le séjour des étrangers ; 2° le contrôle médical des étrangers ; 3° l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, à savoir le séjour illégal du demandeur, le défaut de moyens d’existence légalement acquis dans son chef et sa susceptibilité de troubler l’ordre public pour avoir fait usage d’un faux document d’identité et subi une détention préventive de quatre mois de ce chef. Il estime que l’article 6 de la Convention ne serait pas applicable en la présente matière qui ne relèverait pas du domaine pénal et il soutient que le demandeur, étant resté au pays en séjour illégal depuis sa mise en liberté provisoire, ne saurait point se prévaloir d’une confiance légitime ou d’un droit acquis au séjour à défaut de texte afférent. Quant au risque de préjudice grave et définitif invoqué, le représentant étatique affirme que le demandeur ne ferait pas état d’un risque pour sa vie au Brésil et que l’impossibilité matérielle de regagner le territoire luxembourgeois après un rapatriement laisserait d’être établie.

En vertu de l'article 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le président du tribunal administratif peut au provisoire ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution d'une affaire dont est saisi le tribunal administratif, à l'exclusion des mesures ayant pour objet des droits civils.

Sous peine de vider de sa substance l'article 11 de la même loi, qui prévoit que le sursis à exécution ne peut être décrété qu'à la double condition que, d'une part, l'exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d'autre part, les moyens invoqués à l'appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, il y a lieu d'admettre que l'institution d'une mesure de sauvegarde est soumise aux mêmes conditions concernant les caractères du préjudice et des moyens invoqués à l'appui du recours. Admettre le contraire reviendrait en effet à autoriser le sursis à exécution d'une décision administrative alors même que les conditions posées par l'article 11 ne seraient pas remplies, le libellé de l'article 12 n'excluant pas, a priori, un tel sursis qui peut à son tour être compris comme mesure de sauvegarde.

En l'espèce, les moyens invoqués à l'appui du recours au fond ne paraissent pas assez sérieux pour justifier l'institution d'une mesure de sauvegarde en faveur du demandeur.

En effet, s’il résulte des éléments du dossier à disposition du soussigné et des débats à l’audience que le demandeur occupe certes depuis le 15 mars 2001 un poste de travail auprès de la société APPI LUX, qu’il perçoit de ce chef un salaire mensuel dont les cotisations et impôts légalement dus sont prélevés et qu’il est déclaré auprès des organismes de sécurité sociale, il n’en reste pas moins que l’article 26 de la loi prévisée du 28 mars 1972 soumet l’occupation d’un poste de travail salarié par un étranger à la délivrance d’un permis de travail et qu’une jurisprudence constante des juridictions administratives retient que la seule preuve de la perception de sommes, en principe suffisantes pour permettre à l'intéressé d'assurer ses frais de séjour au pays, est insuffisante, mais qu’il faut encore que les revenus soient légalement perçus et que ne remplissent pas cette condition les revenus perçus par un étranger qui occupe un emploi alors qu'il n'est pas en possession d'un permis de travail et qu'il n'est dès lors pas autorisé à occuper un emploi au Grand-Duché de Luxembourg et toucher des revenus provenant de cet emploi (trib. adm. 30 avril 1998, n° 10508, confirmé par Cour adm. 6 octobre 1998, n° 10755C, Pas. adm. 2003, v° Etrangers, n° 140, et autres références citées).

Dans la mesure où le demandeur n’a pas étayé l’existence d’un permis de travail l’autorisant à occuper légalement le poste de travail de laveur de vitres auprès de la société APPI LUX, force est de conclure d’après l’état actuel d’instruction du dossier que l’arrêté ministériel paraît être valablement fondé sur le motif tiré du défaut de moyens d’existence légalement perçus. Cette conclusion n’est pas énervée par les développements oraux du mandataire du demandeur à l’audience et tendant à contester le caractère illégal du travail du demandeur au vu de son affiliation auprès des organismes de sécurité sociale et du prélèvement des impôts redus du chef de ses salaires, étant donné qu’aucune disposition légale ne dispense un étranger de la formalité du permis de travail, requise par une loi d’ordre public, en cas de satisfaction aux obligations de l’affiliation imposée par la législation sociale et de paiement des impôts.

Par ailleurs, le président du tribunal administratif statuant au provisoire est incompétent pour statuer sur la demande en restitution de l’indu, ayant un objet civil, formulée par le mandataire du demandeur afin d’obtenir le remboursement des cotisations et impôts prélevés sur les rémunérations perçues par le demandeur.

Il résulte encore des éléments à disposition du soussigné que le demandeur a résidé au pays depuis sa mise en liberté provisoire sans disposer d’une autorisation de séjour et sans invoquer un droit de séjourner sur un autre fondement, de manière que le ministre pouvait a priori valablement conclure qu’il se trouve en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois.

Il découle de ces éléments que l’arrêté ministériel paraît être valablement fondé sur les motifs tirés du séjour illégal du demandeur et du défaut de moyens d’existence légalement perçus dans son chef, abstraction même faite du motif fondé sur sa susceptibilité de compromettre l’ordre public.

Le moyen du demandeur relatif à l’existence d’une « régularisation de facto » et d’un droit acquis ne paraît pas être de nature à ébranler cette conclusion, étant donné que, si la jurisprudence administrative reconnaît certes l’existence d’un droit acquis, elle a confiné cette reconnaissance à l’hypothèse où, au-delà des expectatives, justifiées ou non, de l’administré l’autorité administrative a réellement reconnu ou créé un droit subjectif dans son chef (trib.

adm. 15 décembre 1997, n° 10282, Pas. adm. 2003, v° Actes administratifs, n° 57). Or, à défaut par le demandeur d’avoir soumis, en l’état actuel du dossier, un quelconque élément de nature à étayer l’existence d’une reconnaissance effective d’un droit de séjour en sa faveur antérieurement à la prise de l’arrêté déféré du 7 juin 2004, ce moyen ne paraît pas suffisamment sérieux.

Concernant l’article 8 de la Convention encore invoqué par le demandeur, il y a lieu de relever que la jurisprudence administrative retient que l’application de cette disposition présente deux aspects différents selon qu’il a pour objet une demande d’admission sous le couvert d’un projet de regroupement familial ou la rupture de liens qui se sont formés ou consolidés sur le territoire de l’Etat (trib. adm. 1er avril 2004, n° 17026, non encore publié).

Or, concernant ce premier aspect, force est de constater que l’arrêté ministériel déféré ne porte pas refus d’entrée et de séjour à des membres de la famille du demandeur qui, résidant à l’étranger, entendraient bénéficier du regroupement familial sur le territoire luxembourgeois, mais au demandeur lui-même. En outre, concernant le second aspect, le demandeur ne se prévaut d’aucun lien familial avec des personnes demeurant au Grand-Duché, mais exclusivement de liens familiaux avec des personnes résidant au Brésil dont il entend assurer la subsistance à travers son travail au Luxembourg. Il en découle qu’en l’état présent du dossier, le demandeur n’a pas étayé l’existence d’une vie familiale qui pourrait bénéficier de la protection de l’article 8 de la Convention, entraînant que son moyen afférent ne présente pas le caractère sérieux requis.

Finalement, le moyen du demandeur tiré du non-respect par le ministre du principe de séparation des pouvoirs, de l’article 6 (1) de la Convention et de la présomption d’innocence consacrée par l’article 6 (2) de la Convention en ce qu’il s’est basé, dans son arrêté litigieux du 7 juin 2004, sur l’usage d’un faux document d’identité, ne paraît pas non plus de nature à énerver le bien-fondé dudit arrêté. En effet, ce moyen a été soulevé dans la seule requête en institution d’une mesure de sauvegarde. Or, le magistrat appelé à prendre une mesure provisoire ne peut avoir égard à ces moyens et n'est appelé qu’à apprécier le sérieux des moyens produits devant le juge du fond, étant donné que sa juridiction s’inscrit étroitement dans le cadre du litige dont est saisi le juge du fond. Il y a lieu d’ajouter que ce moyen porte sur le seul motif de la susceptibilité du demandeur de troubler l’ordre public, alors que l’arrêté déféré paraît déjà être légalement justifié par les deux autres motifs à sa base, à savoir le caractère illégal du séjour du demandeur et le défaut de moyens d’existence légalement perçus dans son chef.

Il découle de l’ensemble des développements qui précèdent que les moyens avancés par le demandeur à l’encontre de l’arrêté ministériel litigieux du 7 juin 2004 n’apparaissent, en l’état d’instruction actuel du dossier, pas suffisamment sérieux pour justifier l’institution d’une mesure de sauvegarde en sa faveur.

PAR CES MOTIFS le soussigné, premier juge du tribunal administratif, siégeant en remplacement du président et des magistrats plus anciens en rang, tous légitimement empêchés, statuant contradictoirement et en audience publique, reçoit la demande en la forme, la déclare non justifiée et en déboute, laisse les frais à charge du demandeur.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 3 août 2004 par M. SCHROEDER, premier juge du tribunal administratif, en présence de M. LEGILLE, greffier.

LEGILLE SCHROEDER 5


Synthèse
Numéro d'arrêt : 18487
Date de la décision : 03/08/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-08-03;18487 ?

Source

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