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15/04/2004 | LUXEMBOURG | N°17879

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 avril 2004, 17879


Tribunal administratif Nos 17879 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 avril 2004 Audience publique du 15 avril 2004

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Requête en institution d'une mesure de sauvegarde introduite par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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ORDONNANCE

Vu la requête déposée le 9 avril 2004 au greffe du tribunal administratif, inscrite sous le numéro 17879 du rôle, par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de

l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Freetown (Sierra-

Léone), de...

Tribunal administratif Nos 17879 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 avril 2004 Audience publique du 15 avril 2004

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Requête en institution d'une mesure de sauvegarde introduite par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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ORDONNANCE

Vu la requête déposée le 9 avril 2004 au greffe du tribunal administratif, inscrite sous le numéro 17879 du rôle, par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Freetown (Sierra-

Léone), de nationalité sierra-léonaise, actuellement placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, tendant à voir ordonner une mesure de sauvegarde par rapport à une décision du ministre de la Justice, prise le 22 mars 2004, portant exclusion de la procédure d’asile conformément à l’article 1 F) de la Convention de Genève au motif qu’il aurait commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil ;

Vu l’article 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;

Vu les pièces versées et notamment la décision critiquée ;

Maître Olivier LANG, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER entendus en leurs plaidoiries respectives le 14 avril 2004 à 14.30 heures.

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Le 3 septembre 2002, Monsieur …, de nationalité sierra-léonaise, introduisit oralement une demande en obtention du statut de réfugié auprès du service compétent du ministère de la Justice.

Il fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l'itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut encore entendu les 19 février et 7 mars 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d'asile.

Par décision du 22 mars 2004, le ministre de la Justice, se basant sur l'article 1 F) de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 2 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, ci-après désignée par « la Convention de Genève », exclut le demandeur de la procédure d’asile. Ladite décision est de la teneur suivante :

« Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 4 septembre 2002 que vous auriez pris un bateau de Freetown pour vous rendre au Canada, cependant vous seriez arrivé dans un port de Belgique sans pouvoir dire lequel.

Vous ajoutez avoir payé 7 millions de léones c’est-à-dire environ 30.000 dollars, vous auriez dû donner votre passeport ainsi que l’argent sans préciser à qui.

Ensuite, vous vous seriez rendu à Bruxelles et de là vous auriez pris un train en direction de Luxembourg. Vous expliquez avoir désiré vous rendre au Canada afin d’y retrouver votre oncle et votre jeune soeur.

Vous déclarez avoir été contraint de suivre les rebelles qui vous auraient drogué, vous auriez ainsi attaqué les villages avec eux tout en tuant, amputant les villageois de leurs membres, éventrant une femme enceinte afin de répondre à un pari quant au sexe de l’enfant, toutes ces barbaries afin de montrer à la population de quoi les rebelles du RUF (Revolutionary United Front) étaient capables. Vous avouez encore avoir tué les personnes qui auraient tué vos parents.

Vous ignorez combien de personnes exactement vous avez torturé ou tué, vous précisez notamment plus loin avoir tiré sur des gens sans savoir s’ils sont décédés par la suite.

Vous exprimez le désir de ne pas retourner dans votre pays afin d’éviter de renouveler ces actes, accompagné d’une peur de devoir vous entraîner avec les rebelles en Libye. De plus, vous ajoutez n’avoir personne là-bas.

L’article 1 F) de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 exclut de son application les personnes dont on aura des raisons de penser Le fait d’avoir tué et mutilé plusieurs personnes, sans préjudice quant au nombre exact, doit être qualifié de crime grave de droit commun commis en dehors du pays d’accueil.

Par conséquent vous êtes exclu de la procédure d’asile conformément à l’article 1 F) de la prédite convention(…)».

Le même jour, le ministre de la Justice prit un arrêté de refus d’entrée et de séjour à l’égard de Monsieur … et, estimant qu'un éloignement immédiat de ce dernier n'était pas possible, ordonna son placement, dans l'attente de cet éloignement, au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximum d'un mois.

3 Par requête déposée le 9 avril 2004, inscrite sous le numéro 17878 du rôle, Monsieur … a introduit un recours tendant à l'annulation de la décision du ministre de la Justice du 22 mars 2004 l’excluant de la procédure d’asile.

Par requête déposée le même jour, inscrite sous le numéro 17879 du rôle, Monsieur … sollicite du président du tribunal administratif une mesure de sauvegarde jusqu’à l’intervention d’une décision au fond en réponse à son recours en annulation, consistant principalement dans sa réadmission au bénéfice de la procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, sinon subsidiairement dans l'octroi d’une autorisation de séjour provisoire pour le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, sinon plus subsidiairement dans son non-

éloignement du territoire luxembourgeois.

La requête, régulière en la forme, est recevable.

Le demandeur estime que l'exécution de la décision incriminée lui causerait un préjudice grave et définitif, exécution qui serait déjà en cours, étant donné que le ministre de la Justice aurait pris en date du 22 mars 2004 une décision de refus d’entrée et de séjour et une décision de placement à son encontre, ce qui serait d’ailleurs confirmé par le fait que déjà en dates des 6 août 2003 et 9 mars 2004 ledit ministre aurait sollicité un laissez-passer auprès de la Chancellerie diplomatique du Sierra-Léone à Bruxelles. D’autre part, la décision incriminée, par le biais de la mesure de placement prise en exécution, le priverait « injustement et illégalement » de sa liberté individuelle. Pour le surplus, l’exécution de la décision litigieuse le priverait encore du bénéfice des règles protectrices de la loi sur la procédure d’examen de sa demande d’asile, ainsi que du statut protecteur de la Convention de Genève, d’autant plus qu’il risquerait d’être éloigné à tout moment du territoire luxembourgeois pour être refoulé vers son pays d’origine, où il aurait toutes les raisons de devoir craindre pour son intégrité morale et physique.

Il soutient par ailleurs que les moyens invoqués dans le cadre du recours au fond sont sérieux. Il estime que l’article 1 F), plus particulièrement sub. b), de la Convention de Genève serait uniquement applicable à une personne dont la qualité de réfugié est reconnue et non au demandeur d’asile dont la demande d’asile est encore en cours d’examen. – Pour le surplus, le ministre de la Justice aurait omis de l’informer, respectivement son mandataire, de la décision qu’il comptait prendre, et aurait partant violé l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes.

– Finalement le demandeur estime que le ministre de la Justice se serait livré à une mauvaise interprétation des faits lui présentés à la base de la demande d’asile et aurait ainsi violé la loi et excédé, voire détourné ses pouvoirs en vidant les faits de « leur signification et en les sortant volontairement de leur contexte général ».

Le délégué du gouvernement conteste tant le risque de préjudice grave et définitif que l'existence de moyens sérieux au fond. Il soutient plus particulièrement que ce serait à juste titre que le ministre de la Justice aurait fait application de l’article 1 F b) de la Convention de Genève, étant donné que le demandeur aurait reconnu avoir tué de sang-froid, et non sous la contrainte, les deux meurtriers de ses parents, agissement qui serait à l’évidence à qualifier de « crime grave de droit commun commis en dehors du pays d’accueil ». Pour le surplus, le représentant étatique estime que l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, précité, ne trouverait pas application, étant donné que la décision incriminée constituerait l’aboutissement de la procédure d’asile déclenchée par le demandeur lui-même et ladite décision n’aurait partant pas révoqué ou modifié d’office pour l’avenir une décision antérieure 4 ayant créé ou reconnu des droits au profit de Monsieur …. Finalement, le représentant étatique fait encore valoir que dans le cadre d’un recours en annulation la mission du juge de la légalité exclurait le contrôle des considérations d’opportunité à la base de l’acte administratif attaqué.

En vertu de l'article 12 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le président du tribunal administratif peut au provisoire ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution de l'affaire, à l'exclusion des mesures ayant pour objet des droits civils.

Sous peine de vider de sa substance l'article 11 de la même loi, qui prévoit que le sursis à exécution ne peut être décrété qu'à la double condition que, d'une part, l'exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d'autre part, les moyens invoqués à l'appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, il y a lieu d'admettre que l'institution d'une mesure de sauvegarde est soumise aux mêmes conditions concernant les caractères du préjudice et des moyens invoqués à l'appui du recours. Admettre le contraire reviendrait en effet à autoriser le sursis à exécution d'une décision administrative alors même que les conditions posées par l'article 11 ne seraient pas remplies, le libellé de l'article 12 n'excluant pas, a priori, un tel sursis qui peut à son tour être compris comme mesure de sauvegarde.

Il n’est pas douteux que l’exécution de la décision incriminée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif, alors qu’il risque d’être rapatrié vers son pays d’origine avec toutes les conséquences qu’un tel rapatriement est susceptible de comporter et sans avoir la certitude de pouvoir financer le voyage de retour une fois que le juge du fond ne se soit prononcé sur les mérites de son recours en annulation.

Lorsqu’il constate un risque de préjudice grave et définitif et que les moyens invoqués, sans devoir forcément faire conclure au succès de la demande au fond, présentent un caractère sérieux, le président du tribunal doit, aux vœux de la loi, prendre une mesure de sauvegarde en attendant que le litige soit résolu au fond.

En l'espèce, le premier moyen, tiré de l’inapplicabilité de l’article 1 F b) de la Convention de Genève, ne paraît pas suffisamment sérieux pour justifier une mesure de sauvegarde en faveur de Monsieur …. En effet, admettre la thèse du demandeur, consistant à soutenir que l’article 1 F), plus particulièrement sub. b), de la Convention de Genève serait uniquement applicable à une personne dont la qualité de réfugié est reconnue et non au demandeur d’asile dont la demande d’asile est encore en cours d’examen, conduit au résultat paradoxal que le ministre de la Justice devrait d’abord accorder à un demandeur d’asile le statut de réfugié pour l’exclure ensuite du bénéfice de la Convention de Genève sur base dudit article 1 F b).

Pour le surplus, le deuxième moyen tiré de la violation de l’article 9 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979 est clairement résolu en jurisprudence administrative dans le sens que la décision incriminée constitue l’aboutissement d’une procédure initiée par le demandeur lui-même, dans la mesure où il a introduit une demande en reconnaissance du statut de réfugié, et qu’elle ne tombe partant pas sous le champ d’application dudit article 9 (v. trib. adm . 25 mai 2000, no. 11717 du rôle, confirmé par Cour adm. 9 novembre 2000, n° 12088C du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 103). Or, pour l'appréciation du sérieux des 5 moyens invoqués à l'appui d'un recours au fond, le président du tribunal doit se livrer à une évaluation des chances de succès de la demande au fond. Il doit pour cela prendre en considération les solutions jurisprudentielles bien établies, étant donné que lorsque de telles solutions existent, l'issue du litige – que ce soit dans le sens du succès du recours ou de son échec – n'est plus affectée d'un aléa.

Le troisième moyen, tiré d’une erreur d’appréciation des faits commise par le ministre de la Justice en relation avec les faits présentés à la base de la demande d’asile par Monsieur … pour aboutir à la décision d’exclusion incriminée, manque à son tour du sérieux nécessaire, étant donné que le tribunal administratif et moins encore son président statuant au provisoire, n’ont pas compétence, dans des matières relevant du pouvoir d’annulation, d’apprécier l’opportunité des mesures prises, leur examen devant se limiter aux seules considérations de légalité (cf. ord. prés. 21 avril 2000, n° 11946 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Procédure contentieuse, n° 226), et qu’en l’espèce l’examen nécessairement sommaire du mérite du moyen présenté ne paraît pas de nature à entraîner l’annulation de la décision incriminée, étant donné que le ministre de la Justice ne semble pas avoir commis une erreur manifeste d’appréciation des faits, voire un détournement ou excès de pouvoir, en estimant que les faits relatés par le demandeur, admettant entre autres avoir tué par esprit de vengeance les deux meurtriers de ses parents, sont constitutifs d’un crime grave de droit commun commis en dehors du pays d’accueil justifiant l’exclusion de la procédure d’asile.

Il suit des considérations qui précèdent que les moyens invoqués ne paraissent pas assez sérieux pour justifier une mesure de sauvegarde.

Par ces motifs, le soussigné, juge au tribunal administratif, siégeant en remplacement du président et des magistrats plus anciens en rang, tous légitimement empêchés, statuant contradictoirement et en audience publique, reçoit la demande en la forme, la déclare non justifiée et en déboute, laisse les frais à charge du demandeur.

Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 15 avril 2004 par M. Spielmann, juge du tribunal administratif, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Spielmann


Synthèse
Numéro d'arrêt : 17879
Date de la décision : 15/04/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-04-15;17879 ?

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