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19/02/2004 | LUXEMBOURG | N°17263C

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 février 2004, 17263C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 17263 C Inscrit le 10 décembre 2003

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Audience publique du 19 février 2004 Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié - Appel -

(jugement entrepris du 10 novembre 2003, n° 16792 du rôle)

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GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 17263 C Inscrit le 10 décembre 2003

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Audience publique du 19 février 2004 Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié - Appel -

(jugement entrepris du 10 novembre 2003, n° 16792 du rôle)

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Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 17263C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 10 décembre 2003 par Maître Philippe Stroesser, avocat à la Cour, assisté de Maître Renaud Le Squeren, avocat, au nom de Monsieur …, né le … (Moldavie), de nationalité moldave et de citoyenneté ukrainienne, de son épouse, Madame …, née le … (Ukraine), de nationalité ukrainienne, accompagnés de leur fils majeur …, né le … (Ukraine), de nationalité moldave et de citoyenneté ukrainienne et de leur fils mineur …, né le …, de nationalité moldave et de citoyenneté ukrainienne, demeurant actuellement ensemble à L-…, dirigée contre un jugement rendu par le tribunal administratif le 10 novembre 2003, par lequel il a déclaré non fondé le recours en réformation dirigé contre une décision du ministre de la Justice du 14 mai 2003 portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ainsi que contre une décision confirmative, rendue sur recours gracieux, du même ministre du 30 juin 2003 et a déclaré irrecevable le recours en annulation introduit à titre subsidiaire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 9 janvier 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Ouï le conseiller en son rapport, Maître Renaud Le Squeren, ainsi que Madame le délégué du Gouvernement Claudine Konsbruck en leurs plaidoiries respectives.

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Par requête, inscrite sous le numéro 16792 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 juillet 2003, Monsieur … et son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leur fils mineur … et de leur fils majeur …, ont fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 14 mai 2003, portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée et de celle confirmative, intervenue sur recours gracieux, du même ministre du 30 juin 2003.

Par jugement rendu le 10 novembre 2003, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, après avoir reçu le recours en réformation en la forme, l’a déclaré non justifié et en a débouté les époux … et a déclaré irrecevable le recours en annulation. Le tribunal a en effet retenu que la famille … restait en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit une crainte personnelle de persécutions dans les chefs des différents membres de la famille, en constatant que Monsieur … se trouvait respectivement en Allemagne et en Belgique au moment des faits relatés par lui, et non pas dans son pays d’origine, à savoir la Moldavie, de sorte que les faits en question ne sauraient constituer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève, qu’en ce qui concerne le fils …, qui aurait été « roué de coups », il s’agit d’un événement isolé ne revêtant pas un caractère de gravité suffisante de nature à établir un état de persécution personnelle vécu ou une crainte de persécutions qui lui rendrait la vie intolérable dans son pays d’origine et qu’enfin, en ce qui concerne la situation personnelle de Madame … qui avait déclaré qu’en sa qualité d’infirmière en chef à l’hôpital clinique de Kherson, elle aurait été victime d’agressions graves en automne 2001, qu’elle aurait été « rackettée » afin de remettre des médicaments à ses agresseurs, contexte dans lequel, pour faire pression sur elle, ses agresseurs auraient roué de coups son fils … et qu’elle aurait aidé vers la mi-avril 2002 son beau-frère à échapper à la milice pendant son séjour à l’hôpital, entraînant sa rétention pendant trois jours dans un bureau de la milice, le tribunal a retenu que dans la mesure où elle faisait état de persécutions de la part de tiers et non pas de la part des autorités étatiques, elle n’a pas établi que les autorités étatiques aient été incapables de lui offrir une protection appropriée ou tolèrent lesdits actes.

En date du 10 décembre 2003, Maître Philippe Stroesser, avocat à la Cour, assisté de Maître Renaud Le Squeren, avocat, a déposé une requête d’appel en nom et pour compte des époux …, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs fils …, inscrite sous le numéro 17263C du rôle, par laquelle la partie appelante sollicite la réformation du premier jugement.

A l’appui de leur requête d’appel, les appelants ne contestent pas que Monsieur … et son fils … soient connus des autorités allemandes et belges sous une autre identité, mais ils contestent toutefois que Madame … ainsi que son fils … aient résidé en Allemagne ou en Belgique au moment des faits dont ils ont fait état à l’appui de leur demande d’asile. Ils reprochent au ministre de la Justice, ainsi qu’aux premiers juges d’avoir examiné les quatre demandes d’asile ensemble, ce qui constituerait une violation des dispositions de l’article 3, point 1 de la loi du 20 mai 1993, portant approbation de la Convention relative à la détermination de l’Etat responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres des Communautés européennes, signée à Dublin le 15 juin 1990, suivant lequel tout étranger qui présente une demande d’asile devrait voir sa demande examinée par l’Etat membre d’accueil. Un tel examen séparé des différentes demandes d’asile aurait pour but d’éviter que les omissions ou mensonges de l’un des demandeurs ne se répercutent sur tous les autres, afin de sauvegarder les droits individuels des différents demandeurs. Ils estiment qu’une telle pratique contreviendrait encore à l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en ce qu’elle les empêcherait d’avoir droit à un procès équitable. Ils reprochent encore au ministre de la Justice que nonobstant le fait que la demande d’asile reposait sur une fraude délibérée et qu’elle tombait partant sous le champ d’application de l’article 6 f) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte qu’elle serait de nature à être considérée comme manifestement infondée, il pouvait néanmoins être fait application de l’article 11 de la loi précitée du 3 avril 1996, en rejetant leur demande d’asile comme n’étant pas fondée. Ils estiment partant que le ministre de la Justice aurait fait une mauvaise application de la loi, de sorte que les décisions déférées devraient encourir la réformation.

Enfin, ils soutiennent que ce serait à tort que les premiers juges n’auraient pas retenu les faits dont a fait état Madame … en tant que persécutions au sens de la Convention de Genève et qu’ils ne lui ont pas reconnu le statut de réfugié, qui aurait nécessairement dû profiter aux autres membres de sa famille en vertu de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, sur base du principe du regroupement familial.

Dans son mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour le 9 janvier 2004, le délégué du Gouvernement conclut à la confirmation du jugement entrepris. Il conteste qu’alors même qu’une seule décision a été prise à l’encontre de tous les membres de la famille …, cela n’a pas empêché le ministre d’analyser individuellement la situation des différents membres de la famille …. En effet, une simple lecture de la décision permettrait de se rendre compte que la situation particulière de chacune des parties aurait été prise en compte par le ministre de la Justice. En ce qui concerne le fait que le ministre s’est basé sur l’article 11 de la loi précitée du 3 avril 1996 pour refuser la demande d’asile des membres de la famille Mikol n’étant pas fondée, il fait état de ce que le ministre de la Justice n’aurait pas été en mesure de prendre une décision dans les deux mois du dépôt de la demande d’asile, tel qu’exigé par l’article 9 de la loi précitée de 1996 de sorte qu’il aurait dû prendre recours à l’article 11 de la même loi, ce qui n’aurait toutefois entraîné aucun préjudice dans le chef des appelants.

La requête d’appel est recevable pour avoir été introduite dans les formes et délai prévus par la loi.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En ce qui concerne tout d’abord le reproche suivant lequel les premiers juges n’auraient pas été en droit d’examiner les quatre demandes d’asile ensemble, en raison du fait qu’une telle pratique porterait atteinte non seulement à l’article 3, point 1 de la loi précitée du 20 mai 1993, mais également à leurs droits de la défense, il échet de constater qu’abstraction faite de ce que la disposition légale précitée n’interdit nullement que les demandes d’asile présentées par différents membres d’une même famille soient examinées dans le cadre d’une seule et même décision administrative, il ressort tant de la décision ministérielle critiquée du 14 mai 2003 que du jugement entrepris du 10 novembre 2003 que les situations des différents membres de la famille … ont été analysées séparément, au vu des différents moyens et arguments présentés par eux, de sorte qu’aucun reproche ne saurait être retenu à cet égard à l’encontre du jugement de première instance.

Quant au reproche suivant lequel le ministre de la Justice aurait à tort déclaré leur demande d’asile comme étant non fondée au sens de l’article 11 de la loi précitée du 3 avril 1996, alors qu’elle aurait dû être déclarée manifestement infondée en application de l’article 6 f) du règlement grand-ducal précité du 22 avril 1996 en ce qu’il avait été retenu par ledit ministre que la demande d’asile reposait sur une fraude délibérée, il échet de retenir que toute demande d’asile remplissant les conditions fixées par l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996, de sorte à pouvoir être rejetée comme étant manifestement infondée, peut également, et a fortiori, être considérée comme simplement non fondée au sens de l’article 11 de la même loi, la seule différence entre les deux dispositions légales consistant dans le fait que les procédures administrative et contentieuse à respecter en application de l’article 9 en question sont réglementées de manière plus stricte par rapport à celle applicables en application de l’article 11 précité, dans la mesure où non seulement seuls des recours en annulation sont susceptibles d’être introduits à l’encontre des décisions déclarant une demande d’asile manifestement infondée mais qu’en outre les délais d’instruction sont beaucoup plus courts par rapport à ceux applicables pour les décisions prises au sujet des demandes d’asile déclarées simplement non fondées.

Or, le fait de faire application des dispositions des articles 11 et 12 de la loi précitée du 3 avril 1996 au lieu de celles contenues aux articles 9 et 10 de la même loi ne saurait en aucune manière préjudicier au demandeur d’asile qui, au contraire, bénéficie ainsi de garanties de procédure plus étendues, dans la mesure où il pourra introduire un recours en réformation devant les juridictions administratives et où les délais d’instruction au niveau administratif et au niveau juridictionnel ne comportent pas la même limitation dans le temps que ceux prévus au sujet des demandes d’asile déclarées manifestement infondées.

Il suit de tout ce qui précède qu’aucun reproche ne saurait être fait ni au ministre de la Justice ni aux juges de première instance à ce titre.

En ce qui concerne les faits mis en avant par les demandeurs, il échet de prendre acte de ce que dans le cadre de leur requête d’appel, les appelants admettent que Monsieur …, ainsi que leur fils … résidaient respectivement en Allemagne et en Belgique au moment des faits dont ils font état pour justifier leur demande d’asile, de sorte que les premiers juges ont valablement pu décider qu’une telle situation de fait ne saurait constituer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné qu’au contraire elle rend incrédible le récit présenté par ces deux personnes.

Enfin, c’est à bon droit que les premiers juges ont décidé qu’en ce qui concerne les faits relatifs à la situation individuelle de Madame …, portant sur des agressions qu’elle aurait subies de la part d’inconnus, elle n’a pas établi que les autorités étatiques tolèrent ces actes ou qu’elles soient incapables de lui offrir une protection appropriée contre de tels actes. Pour le surplus, le récit de Madame … est incrédible, comme l’ont retenu à juste titre les juges de première instance, étant donné qu’au moment où elle déclare avoir aidé son beau-frère à échapper à la milice pendant son séjour à l’hôpital, à savoir vers la mi-avril 2002, elle ne travaillait plus dans ledit hôpital en tant qu’infirmière en chef, puisqu’elle a elle-

même déclaré n’avoir travaillé dans ledit hôpital que jusqu’à la date du 14 mars 2002.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il y a lieu de déclarer la requête d’appel non fondée et de confirmer le jugement entrepris du 10 novembre 2003.

Par ces motifs, La Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties à l’instance ;

reçoit la requête d’appel du 10 décembre 2003 en la forme ;

la dit cependant non fondée et en déboute ;

partant confirme le jugement entrepris du 10 novembre 2003 dans toute sa teneur;

condamne les appelants aux frais et dépens de l’instance d’appel.

Ainsi jugé par :

Marion Lanners, présidente, Christiane Diederich-Tournay, premier conseiller, Carlo Schockweiler, conseiller, rapporteur, et lu par la présidente en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en-tête, en présence du greffier en chef de la Cour Erny May.

le greffier en chef la présidente 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17263C
Date de la décision : 19/02/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-02-19;17263c ?

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