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14/11/2003 | LUXEMBOURG | N°17138

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 novembre 2003, 17138


Tribunal administratif N° 17138 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 novembre 2003 Audience publique du 14 novembre 2003

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Requête en institution d'une mesure de sauvegarde introduite par MM. …, …, et consorts, en matière de police des étrangers

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ORDONNANCE

Vu la requête déposée le 6 novembre 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de MM. …, de na

tionalité ivoirienne, demeurant à L-… …, de nationalité libérienne, demeurant à L-…, …, de national...

Tribunal administratif N° 17138 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 novembre 2003 Audience publique du 14 novembre 2003

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Requête en institution d'une mesure de sauvegarde introduite par MM. …, …, et consorts, en matière de police des étrangers

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ORDONNANCE

Vu la requête déposée le 6 novembre 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de MM. …, de nationalité ivoirienne, demeurant à L-… …, de nationalité libérienne, demeurant à L-…, …, de nationalité nigérienne, demeurant à L-…, et …, de nationalité albanaise, demeurant à L-…, tendant à l'institution d'une mesure de sauvegarde dans le cadre d'un recours en réformation, sinon en annulation introduit le même jour, inscrit sous le numéro 17137 du rôle, dirigé contre une décision de refus de l'administration communale d'Esch-sur-Sûre, sinon du bourgmestre de cette commune, d'apposer un visa sur l'attestation leur délivrée par le ministère de la Justice relative à la demande de chacun en obtention de l'asile politique, ainsi que contre la décision consécutive du ministre de la Justice de ne pas renouveler les attestations par lui délivrées;

Vu l'exploit de l'huissier de justice Gilbert RUKAVINA, demeurant à Diekirch, du 7 novembre 2003, portant signification de la prédite requête en institution d'une mesure de sauvegarde à l'administration communale d'Esch-sur-Sûre;

Vu l'article 12 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives;

Vu les pièces versées;

Ouï Maîtres François MOYSE et Jean-Luc GONNER, représentant l'administration communale d'Esch-sur-Sûre, ainsi que et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Messieurs …, …, tous demandeurs d'asile, et possédant chacun une attestation d'enregistrement de leur demande d'asile afférente tenant lieu de pièce d'identité leur délivrée en dates respectivement des 8 août 2003, 11 août 2003, 14 octobre 2003 et 5 février 2003 par le ministre de la Justice conformément à la disposition de l'article 4, alinéa 3 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile; 2. d'un régime de protection temporaire, ont sollicité, ainsi que l'exige la disposition en question, de la part de l'administration communale d'Esch-sur-Sûre, commune qui leur avait été assignée comme lieu de séjour, le visa de leur attestation en vue de la prorogation de la durée de validité de celle-ci, ce à quoi que cette administration s'est refusée.

Depuis lors, le ministère de la Justice refuse de proroger leurs attestations, ce qui les met dans l'impossibilité de bénéficier de l'aide sociale prévue par le règlement grand-ducal du 4 juillet 2002 concernant l'aide sociale aux demandeurs d'asile.

Par requête déposée le 6 novembre 2003, inscrite sous le numéro 17137 du rôle, Messieurs … et consorts ont introduit un recours en réformation, sinon en annulation contre la décision de refus de visa de l'administration communale d'Esch-sur-Sûre, ainsi que contre la décision subséquente du ministère de la Justice de refuser de proroger la validité l'attestation de l'enregistrement de leur demande d'asile, et par requête du même jour, inscrite sous le numéro 17138 du rôle, ils ont introduit une demande en institution d'une mesure de sauvegarde consistant principalement dans l'injonction à faire à l'administration communale d'Esch-sur-Sûre d'apposer son visa sur leurs attestations constatant l'enregistrement de leurs demandes d'asile respectives, et subsidiairement, dans la condamnation de l'Etat à proroger la validité de ces attestations nonobstant le refus de l'administration communale d'y apposer son visa.

Ils estiment que les refus respectifs leur opposés par l'administration communale d'Esch-sur-Sûre et le ministère de la Justice risquent de leur causer un préjudice grave et définitif en ce qu'ils se voient privés de toute aide sociale, pourtant essentielle, et qu'ils sont en même temps dépourvus de pièce d'identité, entraînant qu'ils se trouvent en situation irrégulière sans en être responsables. – Ils sont par ailleurs d'avis que les moyens invoqués à l'appui de leur recours au fond sont sérieux, dans la mesure où ils estiment tirer les conséquences logiques des textes en vigueur, qui prévoient que chaque demandeur d'asile puisse bénéficier de l'aide sociale, de sorte qu'aucune administration ne pourrait, par son refus d'agir, bloquer le processus d'octroi de cette aide sociale.

L'administration communale d'Esch-sur-Sûre fait expliquer que son bourgmestre a refusé d'apposer le visa prévu par l'article 4 de la loi modifiée du 3 avril 1996, précitée, parce qu'il lui a été impossible de contrôler si les quatre demandeurs habitent réellement l'endroit qui leur a été assigné par les autorités étatiques. Elle fait exposer que s'il est bien vrai qu'ils sont tous inscrits au registre tenu par l'exploitant de l'Hôtel du Moulin à Esch-sur-Sûre, le bourgmestre ne les y a jamais vus et lors de deux contrôles effectués par la police en dates des 11 et 12 novembre 2003, ils n'étaient pas présents sur les lieux. Elle estime qu'en visant la pièce attestant l'enregistrement de la demande d'asile sans avoir préalablement contrôlé la présence effective, sur le territoire de la commune, des demandeurs d'asile en question, elle émettrait de faux certificats.

Le délégué du gouvernement a déclaré à l'audience que Monsieur … a été entre-temps relogé à Rédange-sur-Attert, de sorte qu'un visa de l'administration communale d'Esch-sur-

Sûre n'est plus nécessaire et que la demande est devenue sans objet en ce qui le concerne. – Il fait par ailleurs remarquer qu'en général, un grand nombre de demandeurs d'asile se voient assigner un logement qu'ils n'occupent pas dans la suite.

Les demandeurs rétorquent qu'à leur avis, il n'y a pas lieu d'étaler, dans la présente espèce, le problème politique du contrôle effectif du lieu de résidence des demandeurs d'asile, mais qu'il s'agit d'appliquer un texte légal, à savoir l'article 4 de la loi précitée du 3 avril 1996 obligeant l'administration communale de viser la pièce attestant l'enregistrement de la demande de tout demandeur d'asile qui se voit assigner comme lieu de résidence le territoire de la commune en question, sans conférer à cet égard à la commune un pouvoir d'appréciation.

En vertu de l'article 12 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le président du tribunal administratif peut au provisoire ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution de l'affaire, à l'exclusion des mesures ayant pour objet des droits civils.

Sous peine de vider de sa substance l'article 11 de la même loi, qui prévoit que le sursis à exécution ne peut être décrété qu'à la double condition que, d'une part, l'exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d'autre part, les moyens invoqués à l'appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, il y a lieu d'admettre que l'institution d'une mesure de sauvegarde est soumise aux mêmes conditions concernant les caractères du préjudice et des moyens invoqués à l'appui du recours. Admettre le contraire reviendrait en effet à autoriser le sursis à exécution d'une décision administrative alors même que les conditions posées par l'article 11 ne seraient pas remplies, le libellé de l'article 12 n'excluant pas, a priori, un tel sursis qui peut à son tour être compris comme mesure de sauvegarde.

Il n'est pas douteux qu'en cas de refus, par l'autorité communale, d'aviser la pièce attestant l'enregistrement de la demande d'asile, le demandeur d'asile subit un préjudice grave et définitif en ce que tant qu'un tel visa fait défaut, il ne saurait bénéficier de l'aide sociale à laquelle il a légalement droit et qu'il ne saurait bénéficier d'une prorogation de la durée de validité de la pièce en question.

Concernant le caractère sérieux des moyens invoqués à l'appui du recours au fond, il y a lieu d'examiner, bien que sommairement seulement, dans le cadre de la présente instance, le régime juridique du visa que l'administration communale du lieu de séjour d'un demandeur d'asile doit apposer sur l'attestation tenant lieu de pièce d'identité du demandeur d'asile.

Lors de l'élaboration de la loi du 18 mars 2000 portant création d'un régime de protection temporaire et modification de la loi du 3 avril 1996, le projet initial du texte devenu finalement l'article 4, alinéa 3 nouveau de la loi modifiée du 3 avril 1996, prévoyait que le visa communal devait comprendre l'indication de l'adresse autorisée du demandeur d'asile (v.

doc. parl. n° 45722, amendements gouvernementaux, p. 10). Dans le commentaire des articles, les auteurs du projet soulignent que l'institution du visa communal ne fait qu'entériner une procédure administrative établie, tout en précisant que "toutefois, certaines communes délivrent toujours un récépissé de déclaration d'arrivée conformément au règlement grand-

ducal modifié du 28 mars 1972 (…). Or, les demandeurs d'asile ne sont pas des étrangers séjournant au Luxembourg au sens de la loi du 28 mars 1972 concernant l'entrée et le séjour des étrangers. Alors que les demandeurs d'asile ne bénéficient pas d'une autorisation de séjour au sens de la loi du 28 mars 1972 précitée, ils ne sauraient pas non plus se voir délivrer un certificat de résidence." - Dans son rapport, la commission juridique de la Chambre des députés décida par ailleurs de supprimer le terme "autorisée" "pour tenir compte de la décision prise par la commission (…) de ne point vouloir attacher une quelconque signification juridique au terme "adresse autorisée", l'adresse d'une personne n'étant qu'un constat d'une situation objective" (doc. parl. n° 45727, rapport de la commission juridique, p.

9).

S'il se dégage de toute évidence des travaux préparatoires de la loi que le législateur n'a entendu faire découler de l'apposition du visa communal sur l'attestation tenant lieu de pièce d'identité aucun droit en faveur du demandeur d'asile, il ne s'en dégage pas à l'abri de tout doute si l'objectif du législateur était d'instituer un mécanisme permettant le contrôle du séjour du demandeur d'asile sur le territoire luxembourgeois, auquel cas il faut logiquement admettre que l'administration communale est en droit de se livrer à un contrôle effectif du séjour du demandeur d'asile sur son territoire et de refuser d'apposer son visa sur l'attestation tenant lieu de pièce d'identité lorsque ce refus est motivé par la preuve que le demandeur d'asile ne séjourne pas sur son territoire ou par l'impossibilité dans laquelle elle se trouve, malgré des efforts de sa part, d'affirmer que le bénéficiaire de l'attestation séjourne effectivement sur son territoire, ou si, au contraire, son but se limitait à pourvoir les demandeurs d'asile d'une pièce similaire à un certificat de résidence, quitte à ne pas leur conférer les droits en découlant, mais sans pourtant les obliger de justifier en permanence du séjour sur le territoire de la commune, ceci précisément à l'instar du certificat de résidence qui, à son tour, n'implique pas un tel contrôle permanent, mais essentiellement une déclaration initiale d'arrivée.

Sous peine d'empiéter sur les pouvoirs du juge du fond, le juge statuant au provisoire ne saurait se prononcer péremptoirement sur les questions se posant dans le cadre du recours au fond, mais il doit se borner à apprécier si les moyens invoqués au fond sont suffisamment sérieux pour pouvoir entraîner, le cas échéant, le succès du recours au fond, auquel cas il doit faire droit à la demande en institution d'une mesure provisoire si, par ailleurs, il y a risque d'un préjudice graver et définitif.

En l'espèce, le soussigné ne saurait se prononcer de manière affirmée sur le régime juridique du visa communal à apposer sur l'attestation tenant lieu de pièce d'identité des demandeurs d'asile, alors pourtant que la réponse à cette question conditionne le succès de la demande au fond.

Il s'ensuit que, sans paraître d'ores et déjà devoir emporter la conviction, les moyens présentés par les demandeurs sont suffisamment sérieux pour justifier l'institution d'une mesure de sauvegarde.

Etant donné que le bourgmestre de la commune d'Esch-sur-Sûre a fait déclarer à l'audience qu'il se refuserait à viser les attestations des demandeurs d'asile dont il ne pourrait pas personnellement constater le séjour sur le territoire de la commune, et que cette condition fait justement l'enjeu du litige au fond, il ne semble pas opportun d'ordonner, à titre de mesure de sauvegarde dont il faut s'assurer qu'elle soit immédiatement effective, à ladite administration communale d'apposer les visas requis, ni d'ailleurs de condamner l'Etat à proroger ces attestations, étant donné que la loi ne permet au ministre de la Justice de ce faire qu'au vu du visa communal apposé sur l'attestation, mais, à titre de mesure de sauvegarde, de dire que la validité de l'attestation est prorogée jusqu'à ce que le tribunal ait statué sur le mérite du recours au fond. L'institution de cette mesure ne va pas ultra petita, étant donné qu'elle ne tend qu'à faire droit à l'objet de la demande, constitué par la prorogation de la validité de l'attestation tenant lieu de pièce d'identité.

Par ces motifs, le soussigné président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique, déclare la demande de Monsieur … sans objet, déclare les autres demandes recevables et justifiées, dit que la validité des attestations prévues par l'article 4, alinéa 3 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile; 2.

d'un régime de protection temporaire délivrées à MM. …, … et …, en dates respectivement des 11 août 2003, 14 octobre 2003 et 5 février 2003 par le ministre de la Justice, est prorogée jusqu'à ce que le tribunal administratif ait statué sur le mérite du recours introduit le 6 novembre 2003, inscrit sous le numéro 17137 du rôle, réserve les frais.

Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 14 novembre 2003 par M. Ravarani, président du tribunal administratif, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Ravarani


Synthèse
Numéro d'arrêt : 17138
Date de la décision : 14/11/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-11-14;17138 ?

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