La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/07/2003 | LUXEMBOURG | N°16695

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 juillet 2003, 16695


Tribunal administratif N° 16695 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 juillet 2003 Audience publique du 10 juillet 2003

===============================

Requête en institution d'une mesure de sauvegarde introduite par Monsieur et Madame … et …, … contre deux décisions des ministres de la Justice et du Travail et de l'Emploi en matière d'autorisation de séjour

--------------------------------------


ORDONNANCE

Vu la requête déposée le 7 juillet janvier 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Olivier LANG, avocat à

la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … et de son ép...

Tribunal administratif N° 16695 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 juillet 2003 Audience publique du 10 juillet 2003

===============================

Requête en institution d'une mesure de sauvegarde introduite par Monsieur et Madame … et …, … contre deux décisions des ministres de la Justice et du Travail et de l'Emploi en matière d'autorisation de séjour

--------------------------------------

ORDONNANCE

Vu la requête déposée le 7 juillet janvier 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … et de son épouse, Madame …, ainsi que de leurs quatre enfants mineurs … , …, … et …, tous de nationalité yougoslave, originaires du Monténégro, demeurant à L-…, tendant à l'institution d'une mesure de sauvegarde consistant dans l'octroi d'une autorisation de séjour provisoire à leur profit, sinon dans l'interdiction de les éloigner du territoire dans l'attente d'un jugement dans l'affaire au fond introduite le même jour et inscrite sous le numéro 16694 du rôle, dirigée contre une décision du ministre de la Justice du 30 décembre 2002, confirmée sur recours gracieux le 21 mai 2003, leur refusant l'entrée et le séjour dans le cadre d'une demande afférente déposée dans le cadre de la procédure dite de régularisation initiée par le gouvernement;

Vu l'article 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives;

Vu les pièces versées et notamment les décisions attaquées;

Ouï Maître Olivier LANG, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Par décision conjointe des ministres de la Justice d'une part et du Travail et de l'Emploi d'autre part, du 30 décembre 2002, confirmée le 21 mai 2003 par le ministre de la Justice sur recours gracieux, Monsieur et Madame …-… ainsi que leurs quatre enfants mineurs…, …, … et …, ci-après dénommés "les consorts …" se sont vu refuser l'autorisation de séjourner au pays, la même décision les ayant encore invités à quitter le territoire dans le délai d'un mois.

2 Par requête déposée le 7 juillet mai 2003, inscrite sous le numéro 16694 du rôle, ils ont introduit un recours en annulation contre les prédites décisions ministérielles et par requête déposée le même jour, inscrite sous le numéro 16695 du rôle, ils demandent au président du tribunal administratif l'institution d'une mesure de sauvegarde consistant dans l'octroi d'une autorisation de séjour provisoire à leur profit, sinon dans l'interdiction de les éloigner du territoire dans l'attente d'un jugement dans l'affaire au fond.

Ils font exposer qu'ils sont arrivés au Grand-Duché de Luxembourg le 30 septembre 1998 et y ont déposé une demande d'asile qui a été rejetée définitivement par arrêt de la Cour administrative du 15 octobre 2002. – Parallèlement à la procédure d'asile, ils ont présenté, le 13 juillet 2002, une demande dite de régularisation leur donnant droit à une autorisation de séjour. Ils se sont notamment basés sur la disposition de la brochure, éditée conjointement par les ministères du Travail et de l'Emploi, de la Justice et de la Famille selon laquelle peut être régularisée "la personne qui est atteinte d'une maladie d'une gravité exceptionnelle ne lui permettant pas de retourner, endéans un an, dans son pays d'origine ou dans un autre pays dans lequel elle est autorisée à séjourner." Cette demande fut rejetée à son tour par les décisions précitées des 30 décembre 2002 et 21 mai 2003. – Les consorts … ont encore déposé, le 19 novembre 2002, une demande en obtention du statut de tolérance au sens de l'article 13, paragraphe 3 de la loi du 3 avril 2000 portant création 1. d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile; 2. d'un régime de protection temporaire. Cette demande est toujours pendante.

Les consorts … font encore exposer que l'état de santé de Madame …, qui a subi, le 26 mars 2000, une lourde opération neurochirurgicale, ne lui permet pas de regagner son pays d'origine, étant donné que cette opération demanderait un suivi régulier ne pouvant se faire dans son pays d'origine. Ils versent différents certificats médicaux, s'étalant sur les années 2000 à 2003, qui déconseillent un retour dans son pays et préconisent un suivi médical sur place.

Les consorts … entendent tirer de cette circonstance à la fois le risque d'un préjudice grave et définitif en cas de retour vers le Monténégro, étant donné que Madame … n'y pourrait pas être traitée de manière adéquate, ce qui engendrerait un risque pour son intégrité physique, et un moyen sérieux concernant la justification au fond du recours dirigé contre la décision de refus d'entrée et de séjour, étant donné qu'ils estiment remplir une des conditions posées par le gouvernement pour pouvoir bénéficier de la procédure dite de régularisation.

Le délégué du gouvernement estime qu'il s'agit en l'occurrence d'une affaire de principe, étant donné que l'institution d'une mesure de sauvegarde violerait l'autorité de chose jugée découlant de l'arrêt de la Cour administrative du 15 octobre 2002 rejetant l'octroi du statut de réfugié et retenant notamment que l'état de santé de Madame … n'empêcherait pas celle-ci de regagner son pays d'origine. – Il est par ailleurs d'avis qu'au vu d'un certificat délivré par l'administration du contrôle médical de la sécurité sociale qui a conclu, le 18 avril 2003, que Madame … ne présenterait pas de pathologie médicale empêchant son rapatriement, les conditions du cas d'ouverture invoqué par les demandeurs en vue d'une régularisation ne seraient pas remplies.

Il s'oppose finalement, en tout état de cause, à la mesure de sauvegarde sollicitée en ordre principal, à savoir l'octroi d'une autorisation de séjour, le tribunal statuant au fond ne disposant pas d'un tel pouvoir et le président du tribunal ne pouvant disposer de plus de pouvoirs que le tribunal siégeant en formation collégiale.

3 En vertu de l'article 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999, le président du tribunal administratif peut au provisoire ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution d'une affaire dont est saisi le tribunal administratif, à l'exclusion des mesures ayant pour objet des droits civils.

Sous peine de vider de sa substance l'article 11 de la même loi, qui prévoit que le sursis à exécution ne peut être décrété qu'à la double condition que, d'une part, l'exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d'autre part, les moyens invoqués à l'appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, il y a lieu d'admettre que l'institution d'une mesure de sauvegarde est soumise aux mêmes conditions concernant les caractères du préjudice et des moyens invoqués à l'appui du recours. Admettre le contraire reviendrait en effet à autoriser le sursis à exécution d'une décision administrative alors même que les conditions posées par l'article 11 ne seraient pas remplies, le libellé de l'article 12 n'excluant pas, a priori, un tel sursis qui peut à son tour être compris comme mesure de sauvegarde.

En l'espèce, tant la condition de l'existence de moyens sérieux que le risque d'un préjudice grave et définitif se résument à l'existence, chez Madame …, d'une maladie d'une gravité exceptionnelle ne lui permettant pas de retourner dans son pays d'origine.

Le moyen tiré de l'autorité de la chose jugée de l'arrêt de la Cour administrative du 15 octobre 2002 rejetant la demande d'octroi du statut de réfugié est à écarter. La Cour a estimé que "les problèmes de santé invoqués par … pour la première fois en instance d'appel, alors qu'ils semblent remonter à l'année 2000, ne constituent pas des motifs susceptibles de justifier le bénéfice du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève et il résulte d'un avis du contrôle médical du 9 septembre 2002 qu'elle ne présente pas de pathologie médicale empêchant son rapatriement dans son pays d'origine." Ce faisant, elle n'a, d'une part, fait application que du principe que l'existence d'une maladie ne constitue pas un motif d'octroi du statut de réfugié, et elle a, d'autre part, fait une constatation qui n'était pas indispensable pour justifier le dispositif de son arrêt, de sorte que, sous ce seul aspect déjà, la déclaration afférente est dépourvue d'autorité de la chose jugée. De plus, l'autorité de chose jugée se définissant par l'identité de parties, de cause et d'objet, l'arrêt est encore dépourvu d'autorité de la chose jugée dès lors que l'objet de l'instance dans laquelle la constatation de la Cour administrative a été faite était l'octroi du statut de réfugié, alors que dans l'instance dans le cadre de laquelle la mesure de sauvegarde actuellement litigieuse est faite, l'objet de la demande est l'annulation du refus d'autorisation de séjour.

Concernant la réalité de la maladie de Madame …, il est vrai que le gouvernement verse un formulaire émis par l'administration du contrôle médical de la sécurité sociale sur lequel est cochée, parmi trois possibilités, celle indiquent que la personne examinée "ne présente pas de pathologie médicale empêchant le rapatriement dans son pays d'origine." Il découle cependant, d'autre part, d'un certificat établi par le docteur Georges SANDT que Madame … a été hospitalisée au Centre hospitalier de Luxembourg, du 25 mars au 5 avril 2000, pour exérèse d'un méningiome suprasellaire. Selon un certificat établi le 12 août 2002 par le docteur Paul FELTEN, neurologue, des contrôles neurologiques réguliers semblent indispensables vu les antécédents tumoraux de la patiente, et selon un certificat délivré le 24 septembre 2002 par le docteur Marc THEISCHEN, ophtalmologue, des examens ophtalmologiques sont nécessaires tous les six mois. Par ailleurs, des certificats établis les 14 novembre 2002 et 4 février 2003 par le docteur Paul FELTEN affirment qu'un suivi 4 radiologique et clinique neurologique régulier est indispensable à moyen terme dans un service spécialisé, de sorte que, pour des raisons médicales, le retour de la patiente en Yougoslavie serait fortement à déconseiller. – Le délégué du gouvernement se déclare d'accord, en ordre subsidiaire, avec l'institution d'une expertise aux fins de voir déterminer si Madame … peut bénéficier d'un suivi médical approprié dans son pays d'origine.

Lorsqu'il constate un risque de préjudice grave et définitif et que les moyens invoqués, sans devoir forcément faire conclure au succès de la demande au fond, présentent un caractère sérieux, le président du tribunal doit, aux vœux de la loi, prendre une mesure de sauvegarde en attendant que le litige soit résolu au fond.

En l'espèce, sans qu'il y ait lieu de passer par une mesure d'instruction que le juge du fond ordonnera le cas échéant, il y a lieu de constater que Madame … a dû se soumettre à une intervention chirurgicale sérieuse et qu'un suivi médical régulier à moyen terme est indispensable. Cette seule constatation justifie l'institution d'une mesure de sauvegarde aussi longtemps qu'il ne découle pas des éléments acquis en cause qu'un tel suivi puisse se faire, de manière appropriée, dans son pays d'origine.

Concernant la mesure de sauvegarde elle-même, c'est à tort que le délégué du gouvernement estime que le président du tribunal ne saurait disposer de pouvoirs plus larges que le tribunal statuant au fond et que, par voie de conséquence, il ne saurait délivrer à un étranger une autorisation de séjour provisoire. En effet, s'il est évident que les pouvoirs du président du tribunal sont plus restreints que ceux du tribunal, statuant en formation collégiale, en ce que les mesures qu'il prend ne sont que provisoires, il dispose, en revanche, dans le cadre du pouvoir que lui confère l'article 12 de la loi du 21 juin 1999, des pouvoirs plus étendus que ceux découlent d'un seul pouvoir d'annulation dont dispose en la matière le tribunal statuant au fond, sous peine de lui dénier tout pouvoir allant au-delà de la suspension d'une mesure attaquée, ce pouvoir lui étant cependant déjà conféré par l'article 11 de la loi du 21 juin 1999. – Par ailleurs, s'il est vrai que le président du tribunal ne saurait accorder à un étranger une autorisation de séjour telle que définie par l'article 4 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l'entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3. l'emploi de la main d'œuvre étrangère, il peut prendre une mesure de sauvegarde consistant dans l'autorisation d'un étranger à séjourner provisoirement sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg en attendant la solution au fond du litige dans le cadre duquel l'octroi de la mesure de sauvegarde a été demandé.

Il suit des considérations qui précèdent qu'il y a lieu d'autoriser les consorts … à séjourner provisoirement sur le territoire du Luxembourg en attendant la solution du litige au fond.

Par ces motifs, le soussigné président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique, reçoit la demande en la forme, la déclare justifiée, 5 partant dit que les consorts … sont autorisés à séjourner sur le territoire du Grand-

Duché de Luxembourg en attendant que le tribunal ait statué au fond sur le recours introduit le 7 juillet 2003, inscrit sous le numéro 16994 du rôle, réserve les frais.

Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 10 juillet 2003 par M. Ravarani, président du tribunal administratif, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Ravarani


Synthèse
Numéro d'arrêt : 16695
Date de la décision : 10/07/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-07-10;16695 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award