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21/05/2003 | LUXEMBOURG | N°15876

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 mai 2003, 15876


Tribunal administratif Numéro 15876 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 janvier 2003 Audience publique du 21 mai 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15876 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 janvier 2003 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le ,,, à Lipjan (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de natio

nalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décisio...

Tribunal administratif Numéro 15876 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 janvier 2003 Audience publique du 21 mai 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15876 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 janvier 2003 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le ,,, à Lipjan (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 23 octobre 2002, notifiée le 6 novembre 2002, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative prise par ledit ministre le 12 décembre 2002 suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 mars 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

Le 28 août 2002, Monsieur … introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le rapport établi à la suite de cette audition et les pièces y jointes renseignent que Monsieur … (alias Nesret …, alias Afrim SYLEJMANI, alias Sherif MISINI) a fait l’objet d’une inscription au SIS (Système d’Information Schengen) comme étranger indésirable par les autorités allemandes.

Le 12 septembre 2002, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 23 octobre 2002, notifiée le 6 novembre 2002, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté le Kosovo pour le Monténégro.

Vous avez été d’abord à Bar où vous avez séjourné trois semaines. Le 24 août 2002, vous avez quitté Bar pour aller en bateau à Bari. Vous avez pris ensuite place dans une camionnette qui vous a emmené jusqu’au Luxembourg.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 28 août 2002.

Vous exposez que vous avez fait votre service militaire en 1989/1990 dans l’ancienne armée yougoslave comme simple soldat. Vous auriez été convoqué à la réserve à plusieurs reprises, mais vous n’y seriez pas allé. Cette insoumission ne vous aurait causé aucun problème.

Vous auriez été membre du Parti Démocratique des Ashkalis du Kosovo qui dispose d’un siège au Parlement.

Vous expliquez que les Ashkalis seraient mal vus partout et que le 20 juillet dernier, vous auriez été battu et menacé par des Albanais. Vous n’auriez pas porté plainte de peur des représailles. Vous dites que les Albanais confondraient les Ashkalis avec les Roms et que ces deux groupes ethniques seraient maltraités. Vous auriez vécu dans un quartier Ashkali, mais vous ajoutez que la plupart des Ashkalis sont regroupés dans un camp de la KFOR. Vous n’auriez cependant pas voulu vivre avec les autres dans ce camp car vous dites que la vie y serait difficile et qu’il y aurait des risques d’épidémies.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je constate que votre agression du 20 juillet 2002 n’est étayée par aucune preuve et qu’il est fort probable que cette agression, à la supposer établie, constitue un délit de droit commun sans connotation politique. Ceci d’autant plus qu’il était difficile de vous confondre avec un Rom, puisque vous reconnaissez qu’il n’y a plus de Roms dans cette région.

Il résulte de vos dires que vous éprouvez surtout un sentiment général d’insécurité qui ne saurait fonder une persécution au sens de la Convention de Genève.

Enfin, il ne ressort pas du dossier qu’il vous aurait été impossible de vous installer dans le camp installé par la KFOR pour les Ashkalis sinon au Monténégro où vous êtes resté pendant trois semaines pour ainsi profiter d’une possibilité de fuite interne.

De toutes façons, force est de constater qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée au Kosovo et qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place. Après les élections du 18 novembre 2001, Ibrahim RUGOVA a formé un gouvernement de coalition dans lequel se trouve aussi un représentant de la minorité ashkalienne. Les Ashkalis, même s’ils dépendent encore beaucoup de l’aide humanitaire, jouissent actuellement d’une plus grande liberté de mouvement.

Je dois donc constater qu’aucune de vos assertions ne saurait fonder une crainte de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er, A 2 de la Convention de Genève, c’est-à-

dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 5 décembre 2002 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale le 12 décembre 2002.

Le 16 janvier 2003, Monsieur … a introduit un recours en réformation contre les décisions ministérielles de refus des 23 octobre et 12 décembre 2002.

Le recours en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose être originaire du Kosovo, qu’il serait musulman et qu’il appartiendrait à la minorité des « ashkalis ». Sur ce, il expose avoir quitté son pays d’origine parce qu’en tant que membre de ladite minorité ethnique, il aurait fait l’objet de discriminations et même d’une attaque physique par trois jeunes Albanais du Kosovo et qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il serait – même si la situation générale se serait améliorée – toujours exposé à des discriminations et des persécutions.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient de prime abord de noter que la crédibilité des déclarations du demandeur est affectée par le fait que lors de son audition du 12 septembre 2002, le demandeur a déclaré être venu directement de son pays d’origine et n’avoir jamais séjourné ni au Luxembourg ni dans un autre état de l’UE, alors qu’il se dégage du dossier administratif qu’il a séjourné pendant un certain temps en Allemagne et ceci sous le couvert de différents noms et identités.

Ceci étant, force est encore de constater que les allégations du demandeur relativement à sa crainte en raison de son appartenance à la communauté musulmane et à la minorité des « ashkalis » se révèlent générales et vagues et qu’elles ne sont pas confortées par un quelconque élément de preuve tangible, de sorte qu’elle se révèlent insuffisantes pour établir un état de persécution dans son pays d’origine et spécialement dans la région de Lipjan, une des régions où un certain nombre de familles « ashkalis » se sont concentrés, respectivement sont insuffisantes pour établir que les nouvelles autorités qui sont au pouvoir en République de Serbie et Monténégro ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de ce pays ou tolèrent voire encouragent des discriminations notamment à l’égard des musulmans ou « ashkalis ».

Au contraire, le récit du demandeur traduit essentiellement un sentiment général d’insécurité, sans qu’il n’ait fait état d’une persécution personnelle vécue ou d’une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 21 mai 2003, par le président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Ravarani 5


Synthèse
Numéro d'arrêt : 15876
Date de la décision : 21/05/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-05-21;15876 ?

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