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02/04/2003 | LUXEMBOURG | N°15461

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 avril 2003, 15461


Tribunal administratif N° 15461 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 octobre 2002 Audience publique du 2 avril 2003

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Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision de la ministre de la Culture, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, en matière de résiliation d'un contrat d'engagement d'un employé de l'Etat

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JUGEMENT

Vu la requête déposée le 16 octobre 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Monique WATGEN, avocat à la Cour, inscri

t au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, employé de l'Etat dans la ...

Tribunal administratif N° 15461 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 octobre 2002 Audience publique du 2 avril 2003

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Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision de la ministre de la Culture, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, en matière de résiliation d'un contrat d'engagement d'un employé de l'Etat

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JUGEMENT

Vu la requête déposée le 16 octobre 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Monique WATGEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, employé de l'Etat dans la carrière C auprès du service des sites et monuments près le ministère de la Culture, demeurant à L-…, tendant à la réformation, subsidiairement à l’annulation d’une décision prise le 8 août 2002 par la ministre de la Culture, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, portant résiliation avec effet au 15 décembre 2002, de son contrat d'engagement du 25 janvier 1995 au service des sites et monuments;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 décembre 2002;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 13 janvier 2003 au nom du demandeur …;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé le 10 février 2003;

Vu les pièces versées et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Monique WATGEN et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Suivant contrat d'engagement signé le 25 janvier 1995 par le ministre délégué aux affaires culturelles d'une part et Monsieur … d'autre part, ce dernier fut engagé comme employé de bureau au service des sites et monuments nationaux et affecté en qualité de responsable pour la publicité. La qualité d'employé de l'Etat lui fut reconnue en septembre 1996.

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 19 juillet 2002, Monsieur … fut convoqué à un entretien préalable en vue de son licenciement éventuel. Il y fut porté à sa 2 connaissance que dans un dossier en matière de publicité (Lidl de Differdange), il aurait autorisé l'installation d'une enseigne publicitaire tout en étant dépourvu d'un quelconque pouvoir d'autorisation et d'engagement de l'Etat et sans même la saisine de la commission des sites et monuments nationaux (COSIMO), alors même que l'article 9 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le régime général des fonctionnaires de l'Etat prévoit que les agents de l'Etat sont tenus de se conformer consciencieusement aux lois et règlements qui déterminent les devoirs que l'exercice de leur fonction leur impose. Confronté à ce fait lors de deux entrevues avec le directeur ff. du service des sites et monuments nationaux, il aurait affirmé que cette autorisation contraire aux règles essentielles de sa fonction constituerait un fait isolé et unique. Des recherches ultérieures auraient pourtant mis en lumière vingt-six cas supplémentaires et identiques à celui de Lidl de Differdange. L'apposition abusive de sa signature, accomplie de manière systématique, sur des documents officiels engageant l'Etat, serait constitutive d'une conduite que l'autorité ne saurait ni tolérer, ni excuser.

L'entretien en question eut lieu le 1er août 2002 et le 5 août suivant, son mandataire prit position par rapport aux griefs formulés à son encontre. Le même jour, il se trouva en congé de maladie jusqu'au 15 septembre 2002.

Par lettre recommandée du 8 août 2002, la ministre de la Culture, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche lui notifia la résiliation de son contrat d'engagement. Elle réitéra les reproches formulés dans la lettre l'ayant invité à se présenter à l'entretien préalable.

Par lettre du 12 août 2002, sa mandataire contesta la régularité tant formelle que de fond du licenciement intervenu, en se prévalant notamment de la circonstance que Monsieur … s'était trouvé en congé de maladie lors de la notification de la résiliation de son contrat de travail.

La ministre maintint cependant sa décision de licenciement, tout en apportant, dans un courrier du 3 septembre 2002, une motivation plus ample de sa décision.

Par requête du 16 octobre 2002, Monsieur … a introduit un recours tendant principalement à la réformation, et subsidiairement à l'annulation de la décision de licenciement avec demande de réintégration immédiate dans ses fonctions.

Le tribunal administratif statuant au fond est compétent pour connaître des contestations résultant du contrat d'emploi des employés de l'Etat et de celles relatives à leur rémunération, parmi lesquelles sont comprises celles relatives au licenciement. En revanche, il est incompétent pour connaître d'une demande en allocation de dommages-intérêts réclamés pour licenciement abusif (trib. adm. 12 mai 1998, Pas. adm. 2002, V° Fonction publique, n° 186, et autres références y citées).

La qualité d'employé de l'Etat de Monsieur … n'étant pas litigieuse entre parties, il s'ensuit que le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation. Le recours en annulation, présenté en ordre subsidiaire, est partant irrecevable.

Le recours en réformation étant par ailleurs régulier en la forme, il est recevable.

Au fond, le demandeur conteste la légalité des motifs invoqués à l'appui de la décision de licenciement. Il estime, en particulier, ne pas avoir contrevenu à la législation applicable dans la matière de la publicité dont il était plus particulièrement chargé. En effet, selon la 3 législation applicable en la matière, la publicité sous forme d'enseignes publicitaires ne serait pas soumise à une autorisation ministérielle. Cette manière de voir serait corroborée par des décisions des juridictions administratives. A la rigueur, les firmes intéressées pourraient se faire conseiller par les services du ministère de la Culture en vue de s'assurer qu'une enseigne répond aux dimensions et autres exigences réglementaires. Les prétendues autorisations accordées dans les vingt-sept cas ne constitueraient pas d'autorisations au sens de la loi, aucune autorisation n'étant légalement requise en la matière. – De toute manière, les autorisations litigieuses n'auraient pas soulevé de problèmes, dès lors qu'elles se rapportaient à des demandes introduites respectivement par une banque et une compagnie d'assurances qui utilisent des enseignes standardisées, de sorte que si la première enseigne ne posait pas problème, les autres n'en auraient pas dû poser non plus. – De la même façon, on ne saurait reprocher à Monsieur … d'avoir abusivement engagé l'Etat, étant donné que celui-ci n'avait pas à s'engager en matière de panneaux publicitaires. – Il conteste finalement, dans ce cadre, n'avoir eu aucune compétence pour traiter les dossiers relatifs aux enseignes publicitaires, étant donné qu'il figurait dans l'organigramme du service des sites et monuments, comme responsable du service "publicité", de sorte qu'il était logique qu'il fût considéré comme habilité à traiter du moins les affaires courantes en rapport avec son service, dont les vingt-

sept autorisations litigieuses, ceci d'autant plus qu'aucun fonctionnaire n'était pourvu d'un pouvoir spécial en la matière.

Il est vrai qu'un certain nombre de jugements du tribunal administratif ont, sur base de l'inconstitutionnalité de certaines dispositions du règlement grand-ducal du 4 juin 1984 relatif à la publicité visée aux articles 37 et ss. de la loi du 18 juillet 1983 concernant la conservation et la protection des sites et monuments nationaux, annulé des décisions ministérielles prises en matière d'autorisation d'enseignes publicitaires. L'absence de réglementation légalement efficace ainsi que le défaut de base légale de certaines décisions prises antérieurement en la matière n'autorisaient cependant pas un agent du ministère de la Culture, pour le surplus dépourvu de toute délégation ou sub-délégation de signature lui permettant d'engager la ministre compétente, de prendre des décisions – nécessairement illégales – en la matière. En réalité, Monsieur … n'avait d'autre choix que de s'abstenir de prendre les décisions qui furent apparemment sollicitées de lui, et de se tourner vers son supérieur hiérarchique habilité à prendre des mesures en la matière. L'illégalité de la réglementation dont il se prévaut actuellement, loin de lui conférer des pouvoirs, ne devait au contraire logiquement que le conforter dans la détermination de ne pas prendre des décisions, affectées non seulement du vice d'absence d'habilitation de son auteur, mais encore d'illégalité au fond.

C'est partant à tort que le demandeur entend se prévaloir à son profit de l'illégalité d'une partie de la réglementation concernant la conservation et la protection des sites et monuments nationaux.

Il s'en dégage encore, par voie de conséquence, que c'est à tort que Monsieur … reproche à la ministre d'avoir violé l'article 9 de la loi modifiée du 16 avril 1979, précitée, qui exige que l'agent étatique se conforme aux lois et règlements qui déterminent les devoirs que l'exercice de ses fonctions lui impose. En effet, s'il avait respecté la loi, il se serait abstenu de délivrer les autorisations requises.

Monsieur … reproche encore à la décision entreprise la violation de l'article 35, paragraphe 3 de la loi modifiée du 24 mai 1989 sur le contrat de travail, qui interdit à l'employeur en possession d'un certificat médical lui remis par son salarié, de notifier à celui-

ci la résiliation de son contrat de travail tant que dure l'état de maladie. Or, s'étant fait remettre 4 par le demandeur, le 5 août 2002, un certificat médical constatant l'incapacité de travail de celui-ci pour la période allant du 5 août 2002 au 15 septembre 2002, la ministre n'aurait pu le licencier valablement par lettre envoyée le 8 août 2002.

L'article 35 de la loi modifiée du 24 mai 1989 sur le contrat de travail protège contre le licenciement le salarié incapable de travailler pour cause de maladie, à condition qu'il en avertisse l'employeur le jour même de l'empêchement et que, dans les trois jours, il lui soumette un certificat médical afférent. – Le paragraphe 4 du même article exclut de la protection contre le licenciement les salariés qui respectivement avertissent l'employeur de la survenance de la maladie ou présentent le certificat d'incapacité de travail après réception de la lettre de résiliation du contrat ou, le cas échéant, après réception de la lettre de convocation à l'entretien préalable en vue du licenciement, sauf hospitalisation urgente du salarié.

En l'espèce, Monsieur … fut convoqué à l'entretien préalable le 19 juillet 2002 et cet entretien eut lieu le 1er août suivant.

Il s'ensuit que, par application de la disposition précitée, la ministre était en droit, dès l'entretien préalable et indépendamment de l'incapacité de travail pour cause de maladie de Monsieur … survenue ultérieurement, de procéder au licenciement de celui-ci, sans que cette circonstance ne soit de nature à rendre le licenciement abusif.

Monsieur … entend encore se baser sur l'article 22, alinéa 2 de la loi du 24 mai 1989, précitée, qui prohibe les licenciements économiquement et socialement anormaux, en faisant valoir que les motifs invoqués à son égard ne seraient pas à qualifier de faits fautifs d'une gravité telle qu'ils puissent justifier la résiliation du contrat de travail.

Il fait exposer que s'il y a une faute dans son chef, elle est partagée par les autres agents du ministère de la Culture. D'une part, s'il devait se révéler qu'il ne pouvait être considéré comme le responsable du service publicité du ministère, ceci proviendrait de la mauvaise organisation du service en question et il serait incompréhensible qu'il en porte le fardeau tout seul, alors que des fonctionnaires plus élevés en rang échappent à toute sanction.

D'autre part, la circonstance que la ministre a attendu huit mois après avoir eu connaissance des faits lui reprochés pour entamer une procédure de sanction à son égard, pourrait être interprétée dans ce sens qu'elle n'attachait pas une trop grande importance aux faits lui reprochés, de sorte qu'elle n'aurait pas été fondée à mettre un terme à ses fonctions.

D'une part, même si, comme le prétend Monsieur …, les agissements d'autres agents du ministère de la Culture n'étaient pas à l'abri de reproches, ces comportements ne seraient pas de nature à blanchir le sien, excepté le cas où il aurait agi à l'ordre ou à l'instigation de ses supérieurs hiérarchiques. Or, même si, comme il le soutient, la répartition des tâches au service "publicité" du ministère de la Culture n'était pas déterminée de manière non équivoque, il ne pouvait en déduire avoir des pouvoirs lui permettant de délivrer des autorisations qu'il juge lui-même illégales au fond, ainsi que cela résulte de ses mémoires déposés, et cela, de plus, en l'absence d'une quelconque délégation de signature en sa faveur.

D'autre part, il se dégage des pièces versées que le ministère s'est inquiété dès le 4 septembre 2001 des suites données à certains dossiers et que, dans la suite, le dossier connut un suivi régulier ayant conduit, le 8 août 2002, au licenciement de Monsieur …. De plus, aucun élément du dossier ne permet de conclure à une attitude de tolérance, par ses supérieurs hiérarchiques, de ses agissements. Le demandeur ne saurait partant se prévaloir de 5 l'écoulement de temps entre les actes qui lui sont reprochés et la décision de licenciement pour en induire une attitude de consentement de la part de la ministre.

Finalement, le tribunal, dans le cadre du recours en réformation dont il est saisi, est appelé à apprécier à son tour la gravité des reproches adressés à Monsieur … pour justifier son licenciement.

A cet égard, il se dégage des pièces versées que Monsieur … a, à plusieurs reprises, pris des décisions illégales dans une matière où il ne disposait d'aucun pouvoir pour engager la ministre. De plus, cette attitude dépasse de loin la simple nonchalance ou ignorance de la situation légale. En effet, non seulement a-t-il signé des autorisations pour lesquelles il ne disposait d'aucun pouvoir, mais il a encore affirmé, dans un certain nombre de décisions, avoir pris au préalable l'avis de la commission des sites et monuments nationaux (COSIMO) alors même qu'un tel avis n'avait été ni sollicité ni obtenu. Ce faisant, il n'a pas seulement pris, seul, des décisions dans une matière où il n'avait aucun pouvoir, mais il a encore essayé de donner l'impression d'agir de concert avec d'autres personnes légalement investies de la mission de se prononcer sur les demandes présentées en la matière.

Cette manière d'agir témoigne d'une action consciente qui dépasse le stade de la simple ignorance ou nonchalance. L'illégalité délibérée des agissements de Monsieur … était assez grave pour justifier son licenciement.

La demande est partant à rejeter dans toutes ses branches formulées tant en ordre principal que subsidiaire, étant donné que ces différentes branches tendent toutes à la réformation de la décision de licenciement et la réintégration du demandeur dans ses fonctions.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, se déclare compétent pour connaître du recours en réformation, le reçoit en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 2 avril 2003 par:

M. Ravarani, président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Ravarani


Synthèse
Numéro d'arrêt : 15461
Date de la décision : 02/04/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-04-02;15461 ?

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