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12/03/2003 | LUXEMBOURG | N°16039

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 mars 2003, 16039


Tribunal administratif N° 16039 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 février 2003 Audience publique du 12 mars 2003

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Requête en institution d'une mesure de sauvegarde, subsidiairement en sursis à exécution introduite par Madame …, épouse …, … (F) contre une décision du ministre de l'Intérieur et l'administration communale de Luxembourg en matière d'emploi

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ORDONNANCE

Vu la requête déposée le 27 février 2003 au greffe du tribunal administratif par Maîtr

e Anja REISDOERFER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom d...

Tribunal administratif N° 16039 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 février 2003 Audience publique du 12 mars 2003

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Requête en institution d'une mesure de sauvegarde, subsidiairement en sursis à exécution introduite par Madame …, épouse …, … (F) contre une décision du ministre de l'Intérieur et l'administration communale de Luxembourg en matière d'emploi

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ORDONNANCE

Vu la requête déposée le 27 février 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Anja REISDOERFER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, épouse …, employée communale chargée du cours de danse de jazz au conservatoire de la ville de Luxembourg, demeurant à F-…, tendant à ordonner une mesure de sauvegarde consistant à la réintégrer avec effet immédiat à son poste d'enseignante de danse de jazz, sinon à ordonner le sursis à exécution par rapport à la décision du collège échevinal du 15 janvier 2003 portant changement de son affectation au service de la bibliothèque du conservatoire de musique de la ville de Luxembourg, en attendant la solution du recours en réformation, subsidiairement en annulation introduit le 19 février 2003 contre la prédite décision de changement d'affectation, actuellement pendant devant le tribunal administratif sous le numéro 16017 du rôle;

Vu l'exploit de l'huissier de justice Jean-Lou THILL, demeurant à Luxembourg, du 28 février 2003, portant signification de la prédite requête en institution d'une mesure de sauvegarde, sinon en sursis à exécution à l'administration communale de Luxembourg;

Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives;

Vu les pièces versées et notamment la décision critiquée;

Ouï Maître Anja REISDOERFER et Maître Louis BERNS, avocat constitué pour l'administration communale de Luxembourg, en leurs plaidoiries respectives.

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Par décision du collège échevinal de la ville de Luxembourg du 15 janvier 2003, notifiée le 27 janvier suivant, Madame …, épouse …, employée communale enseignant le cours de danse de jazz au conservatoire de musique de la ville de Luxembourg, a été affectée au service de la bibliothèque dudit conservatoire. La décision est motivée par le fait que Madame … n'a pas été à même de fournir les pièces documentant qu'elle remplit des conditions légales pour exercer sa profession telles que ces conditions se dégagent du règlement grand-ducal du 25 septembre 1998 fixant les conditions de formation, d'admission aux emplois et de rémunération des chargés de cours des établissements d'enseignement musical du secteur communal, en ce qu'elle est restée en défaut de produire un certificat attestant sa réussite aux épreuves des trois langues administratives du pays.

La décision en question contient le passage suivant:

"La conséquence de cette activité [l'enseignement de la danse de jazz], devenue illégale depuis l'entrée en vigueur du règlement grand-ducal précité [du 25 septembre 1998], compte tenu également de la période transitoire de 3 ans actuellement expirée, est double:

D'une part, il y a lieu d'obtempérer aux injonctions du Ministre de la Culture, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche ainsi que du Ministre de l'Intérieur qui ont, dans une circulaire commune du 10 mai 2001 rendu attentif au fait que les chargés de cours bénéficiant d'un contrat de louage de service à durée indéterminée, mais ne remplissant pas toutes les conditions d'engagement telles que énoncées à l'article 2 du règlement grand-ducal du 25 septembre 1998 précité, ne pourront plus être occupés dans le cadre défini par la loi du 28 avril 1998 portant harmonisation de l'enseignement musical dans le secteur communal ainsi que par les règlements grand-ducaux y relatifs. Par conséquent ces chargés de cours ne feront plus partie du corps enseignant et ne seront plus pris en compte lors de l'établissement des aides financières à accorder par l'Etat et l'ensemble des communes en relation avec la rémunération des chargés de cours.

D'autre part, les diplômes et certificats à décerner aux élèves fréquentant les cours dispensés irrégulièrement par [Madame …] risquent de ne pouvoir obtenir la reconnaissance nationale, tel qu'il résulte d'une lettre du commissaire à l'enseignement musical du 15 octobre 2002." Par requête déposée le 19 février 2003, inscrite sous le numéro 16017 du rôle, Madame … a introduit un recours tendant principalement à la réformation, et subsidiairement à l'annulation de la prédite décision du collège échevinal de la ville de Luxembourg du 15 janvier 2003.

Par requête du 27 février 2003, inscrite sous le numéro 16039 du rôle, elle a introduit une requête tendant principalement à l'institution d'une mesure de sauvegarde consistant dans sa réintégration avec effet immédiat à son poste d'enseignante de danse de jazz, sinon à ordonner le sursis à exécution par rapport à la prédite décision du collège échevinal du 15 janvier 2003, en attendant la solution du recours en réformation, subsidiairement en annulation introduit le 19 février 2003.

Se prévalant de ce qu'elle enseigne la danse de jazz depuis plus de vingt ans et que l'affectation au service de la bibliothèque, tâche pour laquelle elle n'a aucune qualification particulière, la prive de l'exercice régulier de la danse avec les élèves, ce qui lui fait perdre ses compétences en la matière, elle fait exposer que l'exécution immédiate de la décision risque de lui causer un préjudice grave et définitif. Elle fait ajouter, dans ce contexte, qu'elle devait préparer des examens avec des élèves qui ont entre-temps été confiés à une enseignante moins qualifiée, ce qui entraînerait le risque qu'ils passent l'examen dans des conditions moins favorables; elle aurait par ailleurs régulièrement fait partie de jurys d'examen dans d'autres conservatoires du pays. Il lui serait pratiquement impossible de s'acquitter de sa nouvelle tâche, impliquant une présence hebdomadaire de vingt-huit heures alors qu'elle avait une tâche d'enseignement de quinze leçons hebdomadaires, vu ses autres obligations.

Elle estime par ailleurs que les moyens invoqués à l'appui de son recours introduit au fond sont sérieux. Elle fait expliquer qu'invitée à passer les épreuves de connaissance des trois langues administratives du pays, conformément aux exigences du règlement grand-ducal du 25 septembre 1998, précité, elle a passé avec succès l'épreuve de français. Sa demande de pouvoir passer les épreuves des langues allemande et luxembourgeoise à une autre date aurait été rejetée. Le 29 novembre 2002 elle aurait été invitée à se présenter à une entrevue préalable à un changement d'affectation conformément à l'article 8.2. du statut général des fonctionnaires communaux. Malgré son opposition à tout changement d'affectation, le collège des bourgmestre et échevins lui aurait signifié, le 27 janvier 2003, sa décision prise le 15 janvier précédent, de l'affecter désormais au service de la bibliothèque.

Cette décision serait irrégulière en la forme en ce que les dispositions des articles 10, 11 et 12 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes n'auraient pas été respectées par l'administration communale, Madame … n'ayant été informée que tardivement des intentions de la commune, et toutes les pièces du dossier administratif ne lui ayant pas été communiquées, de sorte que ses droits de la défense auraient été violés.

Madame … soutient ensuite qu'un changement d'affectation ne saurait émaner que de l'autorité investie du pouvoir d'engagement. Comme en matière d'employés communaux l'engagement se fait sous l'approbation de l'autorité de tutelle, à savoir le ministre de l'Intérieur, le changement d'affectation n'aurait à son tour pu être opéré valablement qu'après l'approbation par la même autorité de tutelle.

Elle souligne encore que le règlement grand-ducal du 25 septembre 1998, précité, qui impose une épreuve de connaissances des trois langues administratives du pays, ne prévoit aucune sanction pour les chargés de cours en exercice qui, tout en ayant obtempéré à l'obligation de se présenter au contrôle des trois langues, n'y ont pas réussi.

Elle estime par ailleurs qu'alors que le statut général des fonctionnaires communaux, applicable aux employés communaux, dispose que le changement d'affectation se fait dans l'intérêt du service, la commune ne justifierait pas, en l'espèce, avoir agi dans un tel intérêt.

Elle conteste, dans ce contexte, l'existence du risque allégué par la commune, que les élèves pourraient ne pas se voir reconnaître leurs diplômes au niveau national si elle continuait à leur enseigner la danse.

L'administration communale de la ville de Luxembourg soulève l'irrecevabilité de la demande en se prévalant d'une ordonnance, rendue le 27 juin 2001 entre les mêmes parties, ayant retenu l'absence de préjudice grave et définitif dans le chef de Madame ….

S'il est vrai que les ordonnances du président du tribunal administratif bénéficient de l'autorité de la chose jugée au provisoire dans ce sens qu'il n'est pas possible de remettre en question, devant ce magistrat, ce qui a été précédemment jugé par celui-ci, sauf en cas de changement des circonstances ayant constitué la base de sa décision, cette autorité ne saurait s'étendre au-delà de la date de la décision rendue au fond par le tribunal, le jugement au fond mettant définitivement fin aux effets de la mesure provisoire ordonnée par le président du tribunal.

En l'espèce, un jugement au fond étant entre-temps intervenu, l'ordonnance du 27 juin 2001 ne saurait plus produire un quelconque effet et par voie de conséquence, bénéficier de l'autorité de la chose jugée, fût-elle provisoire.

En vertu de l'article 11, (2) de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le sursis à exécution ne peut être décrété qu'à la double condition que, d'une part, l'exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d'autre part, les moyens invoqués à l'appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux.

En vertu de l'article 12 de la loi précitée du 21 juin 1999, le président du tribunal administratif peut au provisoire ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution d'une affaire dont est saisi le tribunal administratif, à l'exclusion des mesures ayant pour objet des droits civils.

Sous peine de vider de sa substance l'article 11 de la même loi, qui prévoit que le sursis à exécution ne peut être décrété qu'à la double condition que, d'une part, l'exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d'autre part, les moyens invoqués à l'appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, il y a lieu d'admettre que l'institution d'une mesure de sauvegarde est soumise aux mêmes conditions concernant les caractères du préjudice et des moyens invoqués à l'appui du recours. Admettre le contraire reviendrait en effet à autoriser le sursis à exécution d'une décision administrative alors même que les conditions posées par l'article 11 ne seraient pas remplies, le libellé de l'article 12 n'excluant pas, a priori, un tel sursis qui peut à son tour être compris comme mesure de sauvegarde.

Il s'ensuit que tant dans le cadre de la mesure de sauvegarde, sollicitée à titre principal, que dans celui du sursis à exécution, demandé à titre subsidiaire, les conditions tenant au risque d'un préjudice grave et définitif, d'une part, et au sérieux des moyens invoqués à l'appui de la demande au fond, d'autre part, doivent être cumulativement remplies.

Un préjudice est grave au sens de l'article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999, précitée, lorsqu'il dépasse par sa nature ou son importance les gênes et les sacrifices courants qu'impose la vie en société et doit dès lors être considéré comme une violation intolérable de l'égalité des citoyens devant les charges publiques.

En l'espèce, le préjudice invoqué par Madame … peut être qualifié de grave dans ce sens que dans l'hypothèse où la décision qui fait l'objet du litige au fond serait illégale, il serait intolérable qu'elle doive effectuer sa tâche au service de la bibliothèque du conservatoire de musique de la ville de Luxembourg, alors qu'elle avait été engagée comme professeur de danse de jazz.

Un préjudice est définitif au sens de la disposition légale précitée lorsque le succès de la demande présentée au fond ne permet pas ou ne permet que difficilement un rétablissement de la situation antérieure à la prise de l'acte illégal, la seule réparation par équivalent du dommage qui se manifeste postérieurement à son annulation ou sa réformation ne pouvant être considérée à cet égard comme empêchant la réalisation d'un préjudice définitif. – Pour l'appréciation du caractère définitif du dommage, il n'y a pas lieu de prendre en considération le dommage subi pendant l'application de l'acte illégal et avant son annulation ou sa réformation. Admettre le contraire reviendrait à remettre en question le principe du caractère immédiatement exécutoire des actes administratifs, car avant l'intervention du juge administratif, tout acte administratif illégal cause en principe un préjudice qui, en règle, peut être réparé ex post par l'allocation de dommages-intérêts. Ce n'est que si l'illégalité présumée cause un dommage irréversible dans le sens qu'une réparation en nature, pour l'avenir, un rétablissement de la situation antérieure, ne sera pas possible, que le préjudice revêt le caractère définitif tel que légalement prévu.

En l'espèce, la mesure d'affectation de Madame … au service de la bibliothèque qui, selon les informations fournies, n'a aucune incidence financière, n'est pas définitive dans ce sens qu'elle peut être rapportée au cas où son illégalité serait constatée. S'il est vrai que dans l'intervalle, Madame … sera privée de l'exercice régulier de la danse avec les élèves, une telle privation pendant le délai de l'instruction du litige au fond ne devrait en principe pas altérer ses capacités physiques et pédagogiques dans l'attente de la reprise de ses cours en cas de succès de son recours au fond. Il est à souligner, dans ce contexte, que le seul préjudice potentiel à prendre en considération, dans le cadre de l'appréciation à laquelle doit se livrer le soussigné, est le préjudice personnel que risque de subir la demanderesse, à l'exclusion des effets éventuellement préjudiciables sur les élèves.

La circonstance que les cours jusqu'à présent assurés par Madame … le soient désormais par deux professeurs titulaires, bénéficiant du statut de fonctionnaires communaux, n'est à son tour pas de nature à prouver le caractère définitif de la mesure, étant donné qu'en cas de succès de sa demande au fond, l'administration communale devra tenir compte de ce que la nouvelle affectation de Madame … est intervenue à tort.

Il suit des considérations qui précèdent que la condition du risque d'un préjudice grave et définitif n'est pas remplie dans le chef de la demanderesse. Cette condition devant être remplie cumulativement avec celle du sérieux des moyens invoqués au fond, tant dans le cadre d'une demande d'institution d'une mesure de sauvegarde que dans celui d'un sursis à exécution, il y a lieu de débouter Madame … de ses demandes tant principale que subsidiaire, sans qu'il y ait lieu d'examiner, par ailleurs, le sérieux des moyens invoqués au fond.

Par ces motifs, le soussigné président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique, déclare les demandes en institution d'une mesure de sauvegarde sinon de sursis à exécution non fondées et en déboute, condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 12 mars 2003 par M. Ravarani, président du tribunal administratif, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Ravarani 5


Synthèse
Numéro d'arrêt : 16039
Date de la décision : 12/03/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-03-12;16039 ?

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