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07/10/2002 | LUXEMBOURG | N°14549

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 octobre 2002, 14549


Tribunal administratif N° 14549 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 février 2002 Audience publique du 7 octobre 2002

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Recours formé par Me …, Luxembourg, et consorts, contre un règlement du conseil de l'ordre des avocats de Luxembourg du 19 décembre 2001 en matière de formation permanente des avocats

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JUGEMENT

Vu la requête déposée le 8 février 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Gaston VOGEL avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre

des avocats à Luxembourg, demeurant à L-…, au nom de … tendant à l’annulation d’un règlement ad...

Tribunal administratif N° 14549 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 février 2002 Audience publique du 7 octobre 2002

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Recours formé par Me …, Luxembourg, et consorts, contre un règlement du conseil de l'ordre des avocats de Luxembourg du 19 décembre 2001 en matière de formation permanente des avocats

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JUGEMENT

Vu la requête déposée le 8 février 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Gaston VOGEL avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, demeurant à L-…, au nom de … tendant à l’annulation d’un règlement adopté le 19 décembre 2001 par le conseil de l'ordre des avocats de Luxembourg;

Vu l'exploit de l'huissier de justice Guy ENGEL, demeurant à Luxembourg, du quatorze février 2002, portant signification dudit recours à l'ordre des avocats à Luxembourg, représenté par son bâtonnier ;

Vu le mémoire en réponse déposé le 10 mai 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Dean SPIELMANN, avocat à la Cour, pour le compte de l'ordre des avocats à Luxembourg ;

Vu l'exploit de l'huissier de justice Michelle THILL, demeurant à Luxembourg, du 6 mai 2002, portant signification dudit mémoire en réponse aux parties demanderesses ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal le 17 mai 2002 par Maître Gaston VOGEL au nom des parties demanderesses ;

Vu l'exploit de l'huissier de justice Guy ENGEL, demeurant à Luxembourg, du même jour, portant signification dudit mémoire en réplique à l'ordre des avocats à Luxembourg ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal le 13 juin 2002 par Maître Dean SPIELMANN au nom de l'ordre des avocats à Luxembourg ;

Vu l'exploit de l'huissier de justice Michelle THILL, demeurant à Luxembourg, du 11 juin 2002, portant signification dudit mémoire en duplique aux parties demanderesses ;

2 Vu le mémoire "complémentaire" déposé au greffe du tribunal le 14 juin 2002 par Maître Gaston VOGEL au nom des parties demanderesses ;

Vu l'exploit de l'huissier de justice Guy ENGEL, demeurant à Luxembourg, du même jour, portant signification dudit mémoire "complémentaire" à l'ordre des avocats à Luxembourg ;

Vu les pièces versées et notamment le règlement attaqué;

Ouï le juge rapporteur en son rapport, ainsi que Maîtres Gaston VOGEL et Dean SPIELMANN en leurs plaidoiries respectives.

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Le 19 décembre 2001, le conseil de l'ordre des avocats à Luxembourg, ci-après dénommé "le conseil de l'ordre", adopta un règlement intitulé "Règlement sur la formation permanente", imposant aux membres du barreau de Luxembourg de justifier d'une formation permanente sous le contrôle du conseil de l'ordre, moyennant l'obtention d'un minimum annuel de points attribués à chaque avocat en fonction des activités de formation – assistance à des séances de formation ou à des colloques, rédaction d'articles et d'ouvrages, charges d'enseignement – ou d'autres activités à agréer par une commission d'agrément créée par ledit règlement, sous peine de se voir convoquer devant le conseil de l'ordre.

Par requête du 8 février 2002, Maîtres …, tous avocats à la Cour inscrits au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, ont introduit un recours an annulation contre le règlement en question.

Ils estiment qu'en tant que le règlement attaqué est basé sur l'article 19 de la loi modifiée du 10 août 1991 sur la profession d'avocat qui confère au conseil de l'ordre compétence pour arrêter par règlements d'ordre intérieur les droits et devoirs essentiels d'un avocat, et que la disposition légale en question est contraire à l'article 36 de la Constitution qui réserve au Grand-Duc le pouvoir de faire les règlements et arrêtés nécessaires pour l'exécution des lois, le règlement du conseil de l'ordre des avocats à Luxembourg du 19 décembre 2001 est à son tour anticonstitutionnel et doit encourir l'annulation. Ils demandent au tribunal de saisir la Cour Constitutionnelle d'une question préjudicielle concernant la conformité de l'article 19 de la loi modifiée du 10 août 1991 à l'article 36 de la Constitution.

En ordre subsidiaire, ils soulèvent l'illégalité du règlement pour défaut d'indication de la disposition légale dont il tire son existence et pour ne pas être signé, sinon pour ne pas être motivé, sinon encore pour ajouter à la loi sur la profession d'avocat qui ne conférerait pas au conseil de l'ordre le pouvoir de réglementer la formation continue des avocats, et, en ordre de dernière subsidiarité, pour avoir été adopté sans avoir recueilli la majorité légalement requise pour que le conseil de l'ordre puisse adopter un règlement.

Après avoir souligné que la formation continue des avocats est désirée sur le plan international et que dans une recommandation du 25 octobre 2000, le conseil des ministres du Conseil de l'Europe a appelé de ses vœux l'organisation de programmes de formation continue des avocats, le conseil de l'ordre estime en ordre principal que le règlement attaqué est conforme aux exigences légales en la matière, la loi modifiée du 10 août 1991 investissant l'ordre du pouvoir de se doter de règles d'ordre intérieur destinées à assurer le fonctionnement intérieur du groupe. Il expose que c'est le souci d'indépendance de la profession d'avocat qui a 3 motivé le législateur à laisser au conseil de l'ordre le soin de régler seul les matières qui le concernent, une ingérence des autorités publiques dans les affaires internes du barreau constituant une menace intolérable pour l'indépendance de la profession d'avocat et étant dès lors inconcevable. – Le conseil de l'ordre estime par ailleurs qu'il dispose de ce pouvoir même en l'absence d'une autorisation légale, pourvu qu'il soit circonscrit aux tâches qui lui sont dévolues par la loi.

En ordre subsidiaire, pour autant que la constitutionnalité de l'article 19 de la loi modifiée du 10 août 1991 serait concernée, le conseil de l'ordre conclut à son tour à la saisine de la Cour Constitutionnelle.

Le conseil de l'ordre rejette les reproches tirés du défaut d'indication de la base légale du règlement attaqué et de l'absence de motivation comme n'étant justifiés ni en fait – le règlement étant fondé sur l'article 19 de la loi modifiée du 10 août 1991 et par ailleurs amplement motivé – ni en droit – un règlement n'encourant pas l'annulation du fait du défaut de l'indication de sa base légale ou de l'absence d'indication des motifs à sa base. Il conteste par ailleurs ne pas être investi du pouvoir de réglementer la formation continue des avocats, la matière en question relevant de la protection des intérêts des clients et des tiers de laquelle les articles 17 et 19 de la loi modifiée du 10 août 1991 l'investissent expressément. Il précise encore que le règlement attaqué a été adopté à l'unanimité.

La requête en annulation dirigée contre le règlement du conseil de l'ordre du 19 décembre 2001 ayant été déposée dans les formes et délai de la loi, elle est recevable. Comme la loi ne permet à chacune des parties en litige que de déposer deux mémoires, le mémoire "complémentaire" déposé le 14 juin 2002 au nom des parties demanderesses, constituant un troisième mémoire déposé suite à la requête introductive d'instance et le mémoire en réplique déposé le 17 mai 2002, est à écarter des débats.

Au fond, il y a lieu d'examiner en premier lieu le moyen tiré de l'incompétence du conseil de l'ordre pour réglementer la formation continue des avocats.

En vertu de l'article 11, (6) de la Constitution, la loi garantit l'exercice de la profession libérale, sauf les restrictions à établir par le pouvoir législatif.

L'avocat exerce une profession libérale et indépendante (article 1er, alinéa 1er de la loi modifiée du 10 août 1991; v. encore Encyclopédie Dalloz, Procédure civile, V° Avocat, n° 7).

La loi modifiée du 10 août 1991 restreint la liberté d'exercice de la profession d'avocat en imposant par son article 5 aux avocats l'inscription au tableau d'un ordre établi au Grand-

Duché de Luxembourg, cette inscription étant soumise à certaines conditions posées par l'article 6 de la même loi et impliquant un certain nombre d'obligations énumérées par les articles 31 et suivants de la loi. L'omission ou la radiation du tableau des avocats composant l'ordre entraîne l'interdiction de l'exercice de la profession d'avocat.

Les organes des ordres des avocats ont été investis par la loi de veiller au respect, par leurs membres, de leurs obligations professionnelles, et du pouvoir d'omettre ou de rayer des membres des tableaux dressés par eux.

4 Comme l'inscription obligatoire sur le tableau d'un ordre constitue une restriction à la liberté d'exercice de la profession d'avocat, les organes de l'ordre des avocats n'ont de pouvoirs que ceux qui leur sont attribués expressément par la loi.

Il y a partant lieu d'écarter le moyen du conseil de l'ordre consistant à affirmer son pouvoir de réglementer la profession en l'absence d'une habilitation légale expresse.

L'article 19 de la loi modifiée du 10 août 1991 dispose que le conseil de l'ordre peut arrêter des règlements d'ordre intérieur qui déterminent les règles professionnelles, relatives notamment:

1. à la déontologie entre avocats et à l'égard des clients et des tiers;

2. au secret professionnel;

3. aux honoraires et frais;

4. à l'information du public concernant les avocats et leur activité professionnelle;

5. à la protection des intérêts des clients et des tiers; les règlements y relatifs peuvent prévoir des mesures d'assurance individuelle ou collective facultatives ou obligatoires ainsi que les prescriptions concernant la conservation des fonds de tiers.

Le règlement attaqué du 19 décembre 2001, organisant la formation continue des avocats, est relatif à l'ordre intérieur du barreau et trouve partant sa base légale dans l'article 19 de la loi modifiée du 10 août 1991. Ayant comme but d'assurer l'actualisation des connaissances et des aptitudes professionnelles des avocats, il touche plus particulièrement la protection des intérêts des clients et des tiers dont le conseil de l'ordre est chargé par le point 5 de la disposition en question, faisant partie d'une énumération non limitative de ses domaines d'intervention.

Or, en vertu de l'article 36 de la Constitution, c'est le Grand-Duc qui fait les règlements et arrêtés nécessaires pour l'exécution des lois.

Il se pose dès lors la question de savoir si la disposition légale précitée, en ce qu'elle investit d'un pouvoir réglementaire un organe autre que le Grand-Duc, est conforme à l'article 36 de la Constitution.

Par application de l'article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle, lorsqu'il se pose une question relative à la conformité d'une loi à la Constitution devant une juridiction, celle-ci est tenue de saisir la Cour Constitutionnelle, à moins qu'une décision sur la question ne soit pas nécessaire pour la solution du litige, que la question de constitutionnalité soit dénuée de tout fondement, ou que la Cour Constitutionnelle ait déjà statué sur une question ayant le même objet.

Le tribunal administratif estime que la question de la constitutionnalité de l'article 19 de la loi modifiée du 10 août 1991, loin d'être dépourvue de tout fondement, est au contraire nécessaire à la solution du litige dont il est saisi.

5 S'il est par ailleurs vrai que la Cour Constitutionnelle a déjà dit, dans l'exposé des motifs de ses arrêts nos. 04/98 et 05/98 du 18 décembre 1998, qu'une loi qui prévoit son exécution par voie de règlement ministériel est contraire à l'article 36 de la Constitution, et qu'elle a surtout déclaré, dans son arrêt n° 01/98, du 6 mars 1998 que le texte de l'article 36 de la Constitution s'oppose à ce qu'une loi attribue l'exécution de ses propres dispositions à une autorité autre que le Grand-Duc, toujours est-il que l'objet des questions dont elle était saisie, et qu'elle a résolues dans le dispositif de ses arrêts respectifs, était cantonné à la constitutionnalité respectivement de l'article 5, alinéa 1er de la loi modifiée du 13 juillet 1935 portant réglementation des conditions d'obtention du titre et du brevet de maîtrise dans l'exercice des métiers et de l'article 12, § 7, point 1, alinéa 2 de la loi modifiée du 14 février 1955 concernant la réglementation de la circulation sur toutes les voies publiques.

Il s'ensuit que la Cour Constitutionnelle n'a pas déjà statué sur une question ayant le même objet que celui dont dépend la solution du litige dont le tribunal administratif est actuellement saisi.

Aucune exception légalement prévue pour dispenser le tribunal saisir la Cour Constitutionnelle n'étant remplie, il y a lieu de poser à celle-ci une question préjudicielle telle que formulée dans le dispositif du présent jugement.

Encore qu'il importerait au tribunal de savoir non seulement si le conseil de l'ordre dispose, ou non, d'un pouvoir réglementaire en vue d'organiser l'ordre intérieur du barreau, mais également, le cas échéant, dans quelle mesure le conseil de l'ordre disposerait d'un tel pouvoir, le cas échéant limité à certains domaines, le tribunal ne s'estime pas autorisé à poser à la Cour Constitutionnelle une question portant sur l'étendue éventuelle d'un pouvoir réglementaire du conseil de l'ordre à l'intérieur de la profession, mais doit se borner à saisir la Cour de la question de la conformité à l'article 36 de la Constitution de l'article 19 de la loi modifiée du 10 août 1991 qui confère au conseil de l'ordre le pouvoir général d'arrêter des règlements d'ordre intérieur et qui énumère un certain nombre de domaines qu'il est plus particulièrement autorisé à réglementer.

Par ces motifs, le tribunal administratif, statuant contradictoirement, déclare le recours recevable, écarte des débats le mémoire "complémentaire" déposé au nom des demandeurs le 14 juin 2002, au fond, avant tout autre progrès en cause, soumet à la Cour Constitutionnelle la question préjudicielle suivante:

"L'article 19 de la loi modifiée sur la profession d'avocat est-il conforme à l'article 36 de la Constitution ?", réserve les frais et tous autres droits des parties, 6 fixe l'affaire au rôle général.

Ainsi jugé à l'audience publique du 7 octobre 2002 par:

M. Ravarani, président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Ravarani


Synthèse
Numéro d'arrêt : 14549
Date de la décision : 07/10/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-10-07;14549 ?

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