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27/06/2002 | LUXEMBOURG | N°15047

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 juin 2002, 15047


Tribunal administratif N° 15047 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 juin 2002 Audience publique du 27 juin 2002

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Requête en institution d'une mesure de sauvegarde introduite par Madame …, en matière d'exercice de la profession de médecin

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ORDONNANCE

Vu la requête déposée le 19 juin 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Christian-Charles LAUER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de …, médecin généralis

te, demeurant à L-…, tendant à l'institution d'une mesure de sauvegarde dans le cadre d'un recours ...

Tribunal administratif N° 15047 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 juin 2002 Audience publique du 27 juin 2002

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Requête en institution d'une mesure de sauvegarde introduite par Madame …, en matière d'exercice de la profession de médecin

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ORDONNANCE

Vu la requête déposée le 19 juin 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Christian-Charles LAUER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de …, médecin généraliste, demeurant à L-…, tendant à l'institution d'une mesure de sauvegarde dans le cadre d'un recours en réformation, sinon en annulation introduit le même jour, inscrit sous le numéro 15046 du rôle, dirigé contre une décision du ministre de la Santé du 14 juin 2002 portant suspension, pour une durée de six mois avec effet au 17 juin 2002, de l'autorisation dont elle bénéficie d'exercer la profession de médecin en qualité de médecin généraliste;

Vu l'article 12 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives;

Vu les pièces versées et notamment la décision critiquée;

Ouï Maître Christian-Charles LAUER et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Par décision du 14 juin 2002, le ministre de la Santé a pris l'arrêté suivant:

"Vu la requête du 16 janvier 2002 du Collège médical tendant au retrait temporaire de l'autorisation d'exercer la profession de médecin de Madame le docteur …, demeurant à…;

Vu la loi modifiée du 29 avril 1983 concernant l'exercice des professions de médecin, de médecin-dentiste et de médecin-vétérinaire, et notamment les alinéas 2 et suivants de son article 15;

Vu le rapport déposé en date du 30 mai 2002 par les trois experts désignés conformément à l'article 15 de la loi modifiée du 29 avril 1983 précité;

Vu les prises de position écrites de Mme le Dr. … à l'égard du prédit rapport d'expertise;

2 Considérant que le rapport d'expertise du 30 mai 2002 conclut à un état de santé mental qui rend mme le Dr … provisoirement inapte à l'exercice de la profession de médecin;

Arrête:

Art. 1er: L'autorisation d'exercer la profession de médecin en qualité de médecin-

généraliste, accordée en date du 2 mai 1990 à Mme le Dr …, demeurant à …, est suspendue pour la durée de six mois avec effet au 17 juin 2002.

Art. 2: La reprise de l'activité professionnelle de Mme le Dr … est subordonnée à la constatation de l'aptitude de l'intéressée par une nouvelle expertise. Cette expertise sera effectuée à la diligence du directeur de la Santé dans le mois qui précède l'expiration de la période de suspension, dans les conditions de l'article 15 de la loi modifiée du 29 avril 1983 concernant l'exercice des professions de médecin, de médecin-dentiste et de médecin-

vétérinaire.

Art. 3: Le présent arrêté est communiqué à Mme le Dr … pour exécution.

Une copie en est adressée pour information et gouverne à Monsieur le Président du Collège médical, à Madame le Directeur de la Santé et à Monsieur le Président de l'Union des Caisses de maladie." Par requête déposée le 19 juin 2002, inscrite sous le numéro 15046 du rôle, Madame … a introduit un recours en réformation, sinon en annulation contre la décision ministérielle du 14 juin 2002, et par requête du même jour, inscrite sous le numéro 15047 du rôle, elle a introduit une demande en institution d'une mesure de sauvegarde consistant dans l'autorisation de continuer provisoirement l'exercice de la profession de médecin jusqu'à ce que le tribunal ait statué sur le mérite de son recours introduit au fond.

A l'appui de son recours, Madame … soulève l'illégalité pour vice de forme de l'arrêté ministériel attaqué, celui-ci n'ayant pas indiqué les moyens et délais de recours et ayant omis de prendre en considération une prise de position notifiée le 10 juin 2002 au ministre compétent par son mandataire. Elle ajoute qu'il y aurait une absence totale d'éléments qui prouveraient des erreurs de diagnostics ou des erreurs de soins dans son chef et que, bien au contraire, de nombreux patients se seraient spontanément déclarés d'accord à certifier son professionnalisme. Elle concède que si le style de ses lettres peut paraître quelque peu inhabituel, ce fait ne saurait justifier la mesure prise à son encontre, étant donné qu'aucun élément du dossier ne serait de nature à mettre en cause sa qualité de médecin.

Le délégué du gouvernement, sans nier le risque d'un préjudice grave dans le chef de la demanderesse en cas d'exécution de la mesure attaquée, en conteste par contre le caractère définitif, estimant que la mesure n'est que provisoire et qu'en cas d'amélioration de son état à l'issue de la période de suspension, Madame … pourra de nouveau exercer sa profession. Il conteste avant tout le caractère sérieux des moyens invoqués à l'appui de son recours au fond.

Il souligne que la procédure ayant abouti à la mesure de suspension n'est pas illégale, et qu'on ne saurait sérieusement mettre en doute les conclusions des trois experts psychiatres ayant conclu à l'inaptitude provisoire de Madame … d'exercer sa profession. Il ajoute que l'affaire est en état d'être plaidée à brève échéance.

3 En vertu de l'article 12 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le président du tribunal administratif peut au provisoire ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution de l'affaire, à l'exclusion des mesures ayant pour objet des droits civils.

Sous peine de vider de sa substance l'article 11 de la même loi, qui prévoit que le sursis à exécution ne peut être décrété qu'à la double condition que, d'une part, l'exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d'autre part, les moyens invoqués à l'appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, il y a lieu d'admettre que l'institution d'une mesure de sauvegarde est soumise aux mêmes conditions concernant les caractères du préjudice et des moyens invoqués à l'appui du recours. Admettre le contraire reviendrait en effet à autoriser le sursis à exécution d'une décision administrative alors même que les conditions posées par l'article 11 ne seraient pas remplies, le libellé de l'article 12 n'excluant pas, a priori, un tel sursis qui peut à son tour être compris comme mesure de sauvegarde.

L'interdiction, même temporaire, d'exercer une profession entraîne dans le chef de celui qui subit la mesure le risque d'un préjudice à la fois grave, étant donné qu'il ne peut plus gagner normalement sa vie par le travail pour lequel il a été formé, et définitif, étant donné qu'il subit inéluctablement une perte de clientèle et doit ultérieurement, se réadapter voire se recycler.

En l'espèce, le risque d'un préjudice grave et définitif consécutivement à l'interdiction faite à Madame … d'exercer la profession de médecin généraliste est donné.

Les moyens invoqués à l'encontre de la régularité formelle de l'arrêté ministériel critiqué ne semblent pas assez sérieux pour entraîner la conviction du juge appelé à statuer au provisoire. En effet, la circonstance que les moyens et délai pour exercer une voie de recours ne sont pas énoncés dans l'arrêté ministériel lui-même ne semble pas, au vu d'une jurisprudence constante des juridictions administratives, affecter la légalité de celui-ci, mais seulement influer sur le point de départ du délai du recours contentieux, outre le fait qu'en l'espèce, les indications concernant les voies de recours sont contenues dans la lettre de transmission de l'arrêté ministériel. De même, il ne semble pas que le ministre ait été obligé de répondre formellement, dans l'arrêté de suspension, aux arguments invoqués par le mandataire de Madame … dans un courrier du 10 juin 2002.

Concernant le fond de la décision ministérielle, celle-ci est basée sur un rapport psychiatrique établi par trois experts désignés conformément à l'article 15, alinéa 2 de la loi du 29 avril 1983, précitée, en vertu duquel en cas d'inaptitude du médecin, le ministre de la Santé peut décider la suspension temporaire du droit d'exercer. Celle-ci est prononcée pour une période déterminée et peut, s'il y a lieu, être renouvelée. Elle ne peut être ordonnée que sur base d'un rapport motivé adressé au ministre, établi par trois experts, désignés l'un par l'intéressé ou sa famille, le deuxième par le directeur de la santé et le troisième par les deux premiers. En cas de carence de l'intéressé ou de sa famille, la désignation du premier expert est faite sur demande du ministre de la Santé par le président du tribunal d'arrondissement.

Dans leur rapport daté du 30 mai 2002, les trois médecins psychiatres nommés respectivement par le directeur de la Santé et par le président du tribunal d'arrondissement de 4 Luxembourg, Madame … n'ayant pas usé de son droit de désigner un expert de son choix, le troisième ayant été désigné par les deux premiers, arrivent aux conclusions suivantes:

 "Bei der Untersuchten, Frau Dr. …, liegt eine ernsthafte psychiatrische Krankheit vor (…). Man muss leider, mit sehr hoher Wahrscheinlichkeit, eine psychiatrische Erkrankung aus dem Formenkreis der Paranoia diagnostizieren. Als Unterform wäre das Krankheitsbild einer Paranoia querulans zu diagnostizieren (…).

 Fest steht, dass Frau Dr. … einer professionellen Hilfe bedarf und, dass ein (vorübergehendes) Berufsverbot sicher auch zu einer Stabilisierung und Entspannung der Situation beitragen kann.

 Die Gesamtprognose bleibt offen. Paranoide Störungen sind meist nicht heilbar. Sie sind therapeutisch schwer zu beeinflussen, weil der Zugang zum Patienten, bei fehlender Krankheitseinsicht, erschwert ist.

Eine Stabilisierung und Besserung des Krankheitsverlaufes mitsamt seiner sozialen Implikationen, ist aber denkbar und möglich.

 Zum jetzigen Zeitpunkt ist Frau …, nach Auffassung des Expertengremiums, infolge der Erkrankung an einer Psychose, nicht in der Lage ihren Beruf korrekt auszuüben.

Es wird die vorläufige Suspendierung empfohlen, ein Zeitraum von 6 Monaten erscheint vorerst angemessen.

 Eine Nachuntersuchung vor Ablauf dieses Zeitraumes mit Überprüfung des Verlaufes und der Berufsfähigkeit ist zu empfehlen.

Diese Zeit sollte Frau Dr. … nutzen und sich einer psychiatrischen Behandlung unterziehen." Pour aboutir au fond, le recours déposé par Madame … doit nécessairement aboutir à ébranler les conclusions des experts, et pour apprécier le sérieux des moyens invoqués par la demanderesse dans ce recours, le juge statuant au provisoire ne saurait à son tour se dispenser de se livrer à un examen des conclusions des experts. Il ne saurait cependant analyser et discuter à fond les moyens présentés, sous peine de porter préjudice au principal et de se retrouver, à tort, dans le rôle du juge du fond. Il doit se borner à se livrer à un examen sommaire du mérite des moyens présentés et accorder le sursis lorsqu'ils paraissent, en l'état de l'instruction, de nature à entraîner l'annulation ou la réformation de la décision critiquée.

L'article 1er, d) de la loi modifiée du 29 avril 1983, précitée, exige que pour bénéficier de l'autorisation ministérielle d'exercer l'activité de médecin, un candidat doit remplir les conditions de moralité et d'honorabilité ainsi que de santé physique et psychique nécessaires à l'exercice de la profession de médecin.

En l'espèce, Madame … insiste sur le fait que les experts eux-mêmes ne lui dénient pas, dans son état actuel, la faculté d'établir des diagnostics corrects et de prescrire un traitement adéquat de ses patients. Elle verse une série de déclarations écrites établies par des patients qui se prononcent d'une manière élogieuse sur sa manière de se comporter à leur égard, et cela tant sur le plan professionnel que sur le plan humain.

5 Eu égard aux pièces versées et aux renseignements fournis, le juge statuant au provisoire constate, après un examen sommaire des moyens présentés, que Madame …, qui a traversé une période difficile de sa vie privée suite à un divorce mal vécu se trouve, de plus, depuis un certain temps, en litige avec le collège médical au sujet de la reconnaissance de ses capacités professionnelles sur le plan de la médecine du travail. Elle s'est engagée avec ce corps dans un échange de correspondance très virulent.

Pris à partie par Madame …, les membres du collège médical, estimant que les missives de Madame … témoignaient d'une "déviance psychiatrique nette", ont demandé au ministre de la Santé d'engager une procédure de suspension à son égard.

Une large partie du rapport d'expertise est consacrée à la citation d'extraits de lettres adressées par Madame … au collège médical. Ces lettres sortent de la normalité tant par leur ton agressif que par la structure logique du raisonnement.

Pour son appréciation provisoire de la situation, le soussigné doit confronter les conclusions des experts recommandant une suspension de l'activité médicale de la demanderesse avec deux éléments contenus dans leur rapport, à savoir, d'une part, leur constat que des fautes médicales ne sont pas reprochées à Madame … ("Gesicherte Angaben über eigentliche Behandlungsfehler und Fehleinschätzungen auf medizinischer Ebene liegen den Experten nicht vor"), et d'autre part les conclusions de la psychologue diplômée consultée par les experts, qui constate, ainsi que le relatent les experts dans leur propre rapport, que "les affects, la rationalité du discours et le comportement social du sujet sont préservés. Les tests projectifs n'ont pas mis en évidence des signes d'une schizophrénie paranoïde ni d'un délire paranoïaque. En particulier, la projection haineuse de l'agressivité ainsi que les traits sthéniques et expansifs faisant classiquement partie du tableau de la paranoïa sont absents." Si ces éléments ne sont pas de nature à mettre en doute que Madame … est malade et que son état ne peut être amélioré que moyennant une thérapie adéquate, ils sont en revanche de nature à relativiser sérieusement la recommandation d'une suspension de l'autorisation d'exercer la profession de médecin en attendant une amélioration de son état, le rapport d'expertise en lui-même ne faisant pas ressortir en quoi l'état actuel de Madame … la mettrait dans l'impossibilité d'exercer convenablement, à l'égard de ses patients, l'art de guérir. Si le rapport fait encore état d’un incident avec une patiente de Madame … qui a dû attendre trois quarts d’heure avant d’être admise à la consultation, celle-ci n’ayant pas, suite aux remontrances de sa patiente, admis son tort et présenté des excuses, cet incident paraît isolé en l’état actuel de l’instruction du dossier, et en tout cas insuffisant pour conclure à un comportement en général non professionnel de Madame … à l’égard de ses patients.

Les moyens invoqués au fond à l'encontre de la mesure de suspension apparaissent partant, en l'état actuel de l'instruction du dossier, comme suffisamment sérieux pour justifier une mesure de sauvegarde.

L'affirmation du délégué du gouvernement selon laquelle l'affaire serait en état d'être jugée à brève échéance, de sorte qu'une mesure provisoire ne saurait être ordonnée, est à écarter, étant donné que même s'il est vrai que le mémoire en réponse a déjà été déposé et que les délais pour le dépôt des mémoires subséquents peuvent être abrégés, un préjudice grave et définitif entre le moment actuel et le jour du prononcé d'un jugement au fond risque de se produire.

6 Si la mesure de sauvegarde à ordonner doit permettre de préserver, dans la mesure du possible et dans la mesure de sa compatibilité avec l’intérêt général, l’exercice de ses droits à la demanderesse, cette mesure ne doit cependant pas aller au-delà de ce but et remettre en question d'autres éléments acquis du dossier.

Il importera donc d'agencer la mesure à prendre de manière à ce que Madame … puisse provisoirement continuer à exercer sa profession, dans l'attente d'une solution du litige au fond, mais que la mesure ne remette pas en question, ne serait-ce que provisoirement, l'objectif d'une amélioration de l'état de la demanderesse qui, aux yeux des experts, passe nécessairement par un traitement psychiatrique adéquat.

Par ces motifs, le soussigné président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique, déclare la requête en institution d'une mesure de sauvegarde recevable, au fond la déclare justifiée, partant dit qu'en attendant que le tribunal ait statué au fond sur le mérite du recours et qu'à condition que la présente mesure ne soit pas rapportée dans l'intervalle par le soussigné ou son remplaçant, Madame … est autorisée à continuer l'exercice de sa profession de médecin généraliste, dit que cette autorisation est liée à la soumission de Madame … à une thérapie adéquate à laquelle elle devra se soumettre dans les quinze jours à partir de la date du prononcé de la présente ordonnance, dit qu'en cas de refus de Madame … à se soumettre à une telle thérapie, la mesure de sauvegarde ordonnée en sa faveur pourra être rapportée, refixe l'affaire à l'audience du 17 juillet 2002, à 11.00 heures, dans la salle d'audience du tribunal administratif, aux fins de contrôler les démarches entreprises en vue d'une thérapie adéquate, réserve les frais.

Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 27 juin 2002 par M. Ravarani, président du tribunal administratif, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Ravarani


Synthèse
Numéro d'arrêt : 15047
Date de la décision : 27/06/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-06-27;15047 ?

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