Tribunal administratif N° 14958 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 mai 2002 Audience publique du 30 mai 2002
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Requête en sursis à exécution et en institution d'une mesure de sauvegarde introduite par Monsieur …, contre une décision des ministres du Travail et de la Justice en matière de police des étrangers
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ORDONNANCE
Vu la requête déposée en date du 28 mai 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le 10 janvier 1965, de nationalité marocaine, déclarant demeurer à L-…, actuellement placé au Centre Pénitentiaire de Schrassig, tendant à ordonner le sursis à exécution par rapport à une décision du 6 mars 2002 signée conjointement par les ministres de la Justice d'une part et du Travail et de l'Emploi d'autre part, lui ayant refusé la délivrance d'une autorisation de séjour et l’ayant invité à quitter le territoire luxembourgeois, la demande s'inscrivant dans le cadre d'un recours en annulation sinon en réformation introduit le même jour, inscrit sous le numéro 14759 du rôle, contre ladite décision ministérielle;
Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives;
Vu les pièces versées et notamment la décision critiquée;
Ouï Maître Michel KARP, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.
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Par décision du 6 mars 2002, signée par les représentants des ministres de la Justice d'une part et du Travail et de l'Emploi d'autre part, Monsieur …, de nationalité marocaine, s’est vu refuser l'autorisation de séjour sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg sollicitée le 20 juillet 2001. La même décision l’invita à quitter le territoire du Grand-Duché, tout en précisant qu’à défaut de départ volontaire, la police serait chargée de l’éloigner du territoire luxembourgeois. Par requête déposée le 2 avril 2002, inscrite sous le numéro 14759 du rôle, Monsieur … a introduit un recours contentieux contre la prédite décision ministérielle.
2 Par requête déposée le 28 mai 2002, inscrite sous le numéro 14958 du rôle, il a introduit un recours tendant à ordonner le sursis à exécution par rapport à la décision lui refusant l'entrée et le séjour au pays.
A l'appui de sa demande, il soutient que les moyens invoqués à l'appui de son recours au fond seraient sérieux, au motif qu’il résiderait au Luxembourg depuis le 1er septembre 1998 et que depuis lors, il travaillerait – sans avoir été déclaré par l’employeur - de façon interrompue auprès d’une entreprise de construction de toitures, de sorte que contrairement au motif de refus de la décision litigieuse, il disposerait de moyens d’existence personnels. Il ajoute encore que d’autres membres de sa famille, à savoir sa mère et sa sœur, habiteraient au Luxembourg et pourraient le secourir.
Il fait encore exposer que la mesure de rapatriement, qui serait imminente, étant relevé qu’il ferait actuellement l’objet d’une mesure de mise à disposition du gouvernement prise par le ministre de la Justice le 27 mai 2002, en vue de sa reconduite au Maroc, lui causerait un préjudice grave et définitif, étant donné qu'il risquerait de perdre son emploi au Luxembourg et qu’il serait contraint de retourner dans son pays d’origine, où il n’aurait plus aucune attache.
Le délégué du gouvernement estime que les moyens invoqués par le demandeur dans le cadre de son recours au fond ne sont pas sérieux. Il estime que la décision litigieuse est légalement motivée en ce que le demandeur ne remplirait pas la condition de l'existence de moyens d'existence personnels suffisants légalement acquis. - Il conteste par ailleurs tout risque de préjudice grave et définitif dans le chef du demandeur, en soulignant que le fait de ne pas disposer d’attaches ou de moyens d'existence dans son pays d'origine ne serait pas à considérer comme un préjudice grave et définitif, seul pouvant être pris en considération un danger manifeste pour la vie, danger inexistant dans le cas d'espèce.
En vertu de l'article 11, (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le sursis à exécution ne peut être décrété qu'à la double condition que, d'une part, l'exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d'autre part, les moyens invoqués à l'appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l'affaire est en état d'être plaidée et décidée à brève échéance.
La décision ministérielle du 6 mars 2002 constitue essentiellement une décision négative en ce qu'elle refuse au demandeur l'autorisation de séjour. Accessoirement et par voie de conséquence, celui-ci est invité, dans la même décision, de quitter le territoire luxembourgeois.
Or, le sursis à exécution ne saurait être ordonné par rapport à une décision administrative négative qui ne modifie pas une situation de fait ou de droit antérieure. Une telle décision est en revanche susceptible de faire l'objet d'une mesure de sauvegarde. Il est indifférent, à cet effet, que la partie demanderesse sollicite uniquement qu’un effet suspensif soit ordonné, dès lors qu'il se dégage par ailleurs – implicitement, mais nécessairement - du libellé de sa requête qu'il sollicite une mesure provisoire nécessaire à la sauvegarde de ses intérêts, prévue par l'article 12 de la loi précitée du 21 juin 1999, consistant en l’autorisation provisoire à continuer à résider sur le territoire luxembourgeois en attendant que le tribunal administratif ait statué sur le mérite de son recours au fond.
3 L'article 12 de la loi précitée du 21 juin 1999 dispose que le président du tribunal administratif peut au provisoire ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution d'une affaire dont est saisi le tribunal administratif, à l'exclusion des mesures ayant pour objet des droits civils.
Sous peine de vider de sa substance l'article 11 de la même loi, qui prévoit que le sursis à exécution ne peut être décrété qu'à la double condition que, d'une part, l'exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d'autre part, les moyens invoqués à l'appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, il y a lieu d'admettre que l'institution d'une mesure de sauvegarde est soumise aux mêmes conditions concernant les caractères du préjudice et des moyens invoqués à l'appui du recours. Admettre le contraire reviendrait en effet à autoriser le sursis à exécution d'une décision administrative alors même que les conditions posées par l'article 11 ne seraient pas remplies, le libellé de l'article 12 n'excluant pas, a priori, un tel sursis qui peut à son tour être compris comme mesure de sauvegarde.
Il y a encore lieu de souligner que le juge appelé à apprécier le sérieux des moyens invoqués ne saurait les analyser et discuter à fond, sous peine de porter préjudice au principal et de se retrouver, à tort, dans le rôle du juge du fond. Il doit se borner à se livrer à un examen sommaire du mérite des moyens présentés et accorder le sursis lorsqu’ils paraissent, en l’état de l’instruction du dossier, de nature à entraîner l’annulation ou la réformation de la décision critiquée.
En l'espèce, en l’état actuel d’instruction de l’affaire, le seul moyen d’annulation sinon de réformation soulevé par le demandeur à l’appui de son recours au fond n'apparaît pas comme suffisamment sérieux pour pouvoir justifier la mesure sollicitée.
En effet, au vu de la jurisprudence des juridictions administratives selon laquelle, d’une part, l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère permet au ministre de la Justice de refuser l’octroi d’un permis de séjour lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers ( trib. adm. 17 février 1997, n° 9669 du rôle, Pas adm. 2001, V° Etrangers n° 100 et autres références y citées) et, d’autre part, la seule preuve de la perception de sommes, en principe suffisantes pour permettre à l'intéressé d'assurer ses frais de séjour au pays, est insuffisante; il faut encore que les revenus soient légalement perçus (trib. adm. 15 avril 1998, n° 10376 du rôle, Pas. adm. 2001, V° Etrangers, n° 103), cette condition n’étant pas remplie par des revenus perçus par un étranger qui occupe un emploi alors qu'il n'est pas en possession d'un permis de travail – ce qui apparaît être le cas en l’espèce - et qu'il n'est dès lors pas autorisé à occuper un emploi au Grand-Duché de Luxembourg et toucher des revenus provenant de cet emploi (trib. adm. 30 avril 1998, n° 10508 du rôle, Pas. adm. 2001, V° Etrangers, n° 100 et autres références y citées), l’examen nécessairement sommaire du susdit moyen soulevé au fond par le demandeur ne fait pas apparaître que le ministre de la Justice aurait méconnu la disposition légale précitée, laquelle paraissant, eu égard aux éléments dont le soussigné peut avoir égard, légalement justifier la décision ministérielle, à défaut par le demandeur d’avoir rapporté la preuve de moyens d’existence personnels légalement perçus.
Cette conclusion n’est pas ébranlée par le moyen d’annulation additionnel soulevé par le mandataire du demandeur lors des plaidoiries, basé sur la procédure dite de régularisation 4 mise en œuvre par le gouvernement luxembourgeois et consistant à soutenir que son mandataire remplirait les conditions pour bénéficier d'une autorisation de séjour, étant donné que, abstraction faite de ce que ce moyen n’a pas encore été soulevé dans le cadre du recours au fond, même à supposer que le dépliant édité au nom des ministères du Travail et de l'Emploi, d'une part, de la Justice d'autre part, et de la Famille, de la Solidarité sociale et de la Jeunesse de troisième part, intitulé "Informations pratiques aux personnes concernées – Régularisation du 15 mai au 13 juillet 2001 de certaines catégories d'étrangers séjournant sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg", qui énonce que certaines catégories de personnes peuvent être régularisées, c'est-à-dire bénéficier d'une autorisation de séjour alors même qu'elles se trouvent de manière irrégulière sur le territoire national, puisse créer des droits pour ces personnes et des obligations pour le gouvernement, toujours est-il qu’en l’état actuel d’instruction de l’affaire, le demandeur reste en défaut d'établir qu'il tombe dans l'une quelconque des catégories de bénéficiaires y énumérées.
Etant donné que les conditions tenant à l'existence de moyens sérieux et d'un préjudice grave et définitif doivent être cumulativement remplies, la seule absence de moyens sérieux entraîne l'échec de la demande.
Par ces motifs, le soussigné, premier juge au tribunal administratif, siégeant en remplacement du président et des magistrats plus anciens en rang, tous légitimement empêchés, statuant contradictoirement et en audience publique ;
reçoit la demande en la forme ;
au fond, la déclare non justifiée et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 30 mai 2002 par M. Campill, premier juge au tribunal administratif, en présence de Mme Wealer, greffière.
Wealer Campill