Tribunal administratif N° 14867 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 mai 2002 Audience publique du 8 mai 2002
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Requête en sursis à exécution introduite par ETAT DU GRAND-DUCHÉ DE LUXEMBOURG contre une décision du bourgmestre de la commune de … en matière de fermeture de chantier
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ORDONNANCE
Vu la requête déposée le 3 mai 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de ETAT DU GRAND-DUCHÉ DE LUXEMBOURG, représenté par son ministre des Travaux publics, ayant ses bureaux en l'hôtel du ministère des Travaux publics, 4, boulevard Roosevelt à Luxembourg, tendant principalement à voir ordonner le sursis à l'exécution d'une mesure de fermeture de chantier prise le 30 avril 2002 par le bourgmestre de la commune de …, en attendant la solution du recours en annulation au fond dirigé contre ladite mesure de fermeture, introduit le même jour, inscrit sous le numéro 14866 du rôle, et subsidiairement à voir ordonner une abréviation des délais pour répondre, répliquer et dupliquer dans le prédit recours au fond;
Vu l'exploit de l'huissier de justice Michelle THILL, demeurant à Luxembourg, du 6 mai 2002, portant signification de la prédite requête en sursis à exécution à l'administration communale de …;
Vu l'article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives;
Vu les pièces versées et notamment la décision critiquée;
Ouï Maître Patrick KINSCH, pour l'Etat, ainsi que Maître Marc ELVINGER pour l'administration communale de …, en leurs plaidoiries respectives.
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Le 30 avril 2002, le bourgmestre de la commune de … a pris une décision de la teneur suivante:
"Considérant que le Gouvernement a été autorisé à faire procéder à la construction d'une autoroute vers la Sarre par la loi du 16 novembre 2001 relative à la construction d'une liaison routière avec la Sarre;
2 Considérant que ces travaux doivent se faire conformément aux annexes II et III de cette même loi;
Considérant que les plans faisant partie intégrante de cette loi prévoient de rétablir les communications sur le CR 150 à trois endroits de passage et sur les chemins vicinaux entrecoupés à deux endroits de passage par des ouvrages d'art courants et que ces ouvrages sont exactement situés sur ces plans;
Considérant que l'Administration Communale de … vient de constater qu'un ouvrage d'art supplémentaire est en train d'être construit entre l'ouvrage d'art no V et l'ouvrage no IV;
Considérant que cet ouvrage d'art ne fait pas partie des ouvrages autorisés par la loi précitée;
Considérant que l'ouvrage en question se trouve sur le territoire de la Commune de …;
Considérant qu'aucune autorisation de bâtir n'a été délivrée par l'Administration Communale de … pour l'ouvrage en question;
Il est décidé:
Les travaux concernant la construction d'un ouvrage d'art situé sur le tracé de l'autoroute vers la Sarre entre les ouvrages d'art V et IV sont arrêtés avec effet immédiat." Par requête déposée le 3 mai 2002, inscrite sous le numéro 14866 du rôle, ETAT DU GRAND-DUCHÉ DE LUXEMBOURG a introduit un recours en annulation contre la prédite décision, et par requête du même jour, inscrite sous le numéro 14867 du rôle, il a introduit une demande tendant principalement à ordonner le sursis à exécution de la décision en question, et subsidiairement à voir ordonner une abréviation des délais pour répondre, répliquer et dupliquer dans le prédit recours au fond.
A l'encontre de la décision du bourgmestre de la commune de …, l'Etat fait valoir les moyens suivants:
- la loi du 16 novembre 2001, précitée, à laquelle se réfère la première partie de la motivation de la décision du bourgmestre de …, ne constitue pas une loi de police qui réserverait un quelconque pouvoir aux bourgmestres des communes sur le territoire desquelles passe l'autoroute de la Sarre, de sorte que dans la mesure où la décision de fermeture est basée sur les dispositions de la loi en question, elle manque de base légale;
- la loi modifiée du 16 août 1967 ayant pour objet la création d'une grande voirie de communication et d'un fonds des routes permet au gouvernement d'ajouter des adaptations mineures, comme celle qui est actuellement litigieuse, aux projets en cours;
- le règlement sur les bâtisses de la commune de … ne soumet pas à autorisation du bourgmestre la construction de routes appartenant à l'Etat. Pour preuve, le règlement sur les bâtisses en question ne soumet à autorisation que "l'aménagement des rues ou trottoirs privés";
3 - de toute manière, un règlement sur les bâtisses qui soumettrait la construction d'une route étatique du type de celle qui est actuellement litigieuse à l'autorisation du bourgmestre serait illégal comme ne relevant pas de l'intérêt communal au sens de l'article 28 de la loi communale du 13 décembre 1988 qui délimite dans ce sens la compétence du pouvoir réglementaire des autorités communales, la liaison routière avec la Sarre dépassant l'intérêt d'une seule commune pour couvrir le territoire de plusieurs communes et ainsi relever de l'intérêt national.
L'Etat estime par ailleurs que l'arrêt du chantier lui cause un préjudice grave et définitif, en ce qu'un arrêt prolongé du chantier remettrait en question la mise en service de la liaison avec la Sarre prévue pour avril 2003. Un achèvement de la construction de l'ouvrage d'art qui fait l'objet du présent litige, désigné "ouvrage d'art Va" par les services étatiques compétents, ne serait pas envisageable sans grandes perturbations du trafic et sans coûts supplémentaires importants. L'Etat relève encore qu'un arrêt de chantier provoque indéniablement des indemnisations pour préjudices subis par les entreprises de construction suite à l'interruption du chantier.
La commune de … soulève l'irrecevabilité de la demande pour défaut d'intérêt. En effet, seul pourrait être pris en considération un intérêt légitimement consacré. Or, en entamant une construction illégale et en sollicitant en justice une mesure tendant à pouvoir continuer cette construction illégale, l'Etat ne poursuivrait pas un intérêt juridiquement protégé.
Ce moyen est à rejeter. En effet, l'intérêt d'une partie se mesure à ses prétentions et non à l'existence du droit qui fonde ces prétentions, la question afférente relevant du fond du litige. Or, l'Etat prétend être en droit de réaliser la construction de l'ouvrage litigieux, et il a un intérêt à faire arbitrer par un juge la justification de sa prétention.
La demande en sursis à exécution étant par ailleurs régulière quant aux exigences de forme et de délai, elle est recevable.
Au fond, concernant le premier moyen invoqué par l'Etat, la commune insiste sur ce que le bourgmestre ne tire pas son pouvoir de fermer le chantier litigieux de la loi du 16 novembre 2001 qui n'est pas une loi de police, mais du règlement sur les bâtisses qui l'autorise à fermer les chantiers qui ne sont couverts par aucune autorisation. Or, la commune estime que l'Etat ne dispose pas, actuellement, du droit de réaliser la construction de l'ouvrage Va, la loi du 16 novembre 2001 disposant clairement dans son article 1er que le gouvernement est autorisé à faire procéder à la construction d'une autoroute vers la Sarre conformément aux annexes II et III de ladite loi, les annexes en question ne renseignant pas l'ouvrage en question, et que, par ailleurs, à défaut d'autorisation législative, l'Etat n'est pas en possession d'une autorisation de construire délivrée par le bourgmestre de la commune de ….
La commune estime que la loi du 16 août 1967 ne constitue pas une base légale pour la construction de l'ouvrage Va, dans la mesure où c'est la loi du 16 novembre 2001 qui énumère et définit avec précision les différents ouvrages à réaliser dans la cadre de la construction de cette autoroute, le recours à la loi du 16 août 1967, opéré par l'article 4 de la loi du 16 novembre 2001 se limitant à prévoir que l'autoroute de la Sarre sera réalisée selon les modalités de la loi du 16 août 1967. La commune souligne qu'à son avis, l'article 6, alinéa 4 de la loi du 16 août 1967, qui inclut, parmi les travaux autorisés dans le cadre des liaisons routières visées à l'alinéa 1er dudit article, les "installations annexes", ne saurait viser des 4 ouvrages autonomes, sans rapport avec des ouvrages existants ou projetés par ailleurs, et que dans le cas d'espèce, l'ouvrage Va n'a aucun rapport avec la structure actuellement en voie de réalisation, étant donné qu'il est érigé en pleine nature, n'étant même pas destiné à permettre le passage d'une route ou chemin sous l'autoroute, et que même dans le cadre de la loi du 16 août 1967, l'article 1er prévoit qu'une route, et partant un ouvrage annexe, ne peuvent être réalisée avant que les plans afférents n'aient été arrêtés par règlement grand-ducal.
La commune rétorque au moyen selon lequel seul l'aménagement de rues et trottoirs privés serait soumis à autorisation, que l'ouvrage litigieux constitue respectivement un pont ou passage souterrain, et que l'article 63.4.3 du règlement sur les bâtisses exige une autorisation de bâtir pour toute construction nouvelle, l'article 63.4.2. en exigeant par ailleurs, plus particulièrement, pour les travaux de déblai et de remblai, de tels travaux devant nécessairement être effectués en cas de réalisation de l'ouvrage en question.
Elle n'accepte finalement pas le soutènement de l'Etat que de toute manière, un règlement sur les bâtisses qui soumettrait la construction d'une route étatique du type de celle qui est actuellement litigieuse à l'autorisation du bourgmestre serait illégal comme ne relevant pas de l'intérêt communal, en soulignant que le pouvoir de police communal du bourgmestre l'autorise à faire arrêter les constructions qui ne sont couvertes par aucune autorisation, même si elles sont entreprises par l'Etat.
La commune estime par ailleurs que l'exécution de la mesure de fermeture de chantier ne risque pas de causer à l'Etat un préjudice grave et définitif, car rien n'empêcherait celui-ci de construire l'autoroute telle qu'elle a été législativement autorisée. Le préjudice – simplement éventuel – résiderait non pas dans la décision du bourgmestre, mais dans le comportement fautif de l'Etat.
L'Etat réplique que la construction litigieuse trouve sa base légale dans la loi du 16 août 1967 qui autorise l'Etat de tenir compte de l'évolution d'un projet et de réaliser, sans nouvelle autorisation, des ouvrages accessoires en cas de besoins nouveaux. L'ouvrage Va serait réalisé pour permettre à l'Etat d'envisager ultérieurement l'installation, à l'endroit en question, d'une aire de repos ou d'une station-service.
Il estime que, d'une manière plus générale, par application du principe de liberté, l'Etat n'a besoin d'aucune autorisation de la part des autorités communales lorsqu'il entend réaliser un ouvrage d'intérêt national.
Il répond à l'argument de la commune que l'ouvrage Va constitue une construction soumise à autorisation en vertu du règlement sur les bâtisses qu'on ne saurait parler de construction, mais plutôt de travaux routiers, et que les travaux de déblai et de remblai s'ensuivraient de manière naturelle.
Il insiste sur ce que la décision d'arrêt du chantier du bourgmestre manquerait de base légale, son pouvoir de police communal ne lui permettant pas de prendre une telle décision.
En vertu de l'article 11, (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le sursis à exécution ne peut être décrété qu'à la double condition que, d'une part, l'exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d'autre part, les moyens invoqués à l'appui du 5 recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l'affaire est en état d'être plaidée et décidée à brève échéance.
Il n'est pas possible de suivre le raisonnement de la commune consistant dans l'affirmation que le préjudice subi par l'Etat en raison de l'arrêt du chantier ne serait pas grave et définitif étant donné que l'Etat pourrait se borner à réaliser les travaux tels que prévus par la loi du 16 novembre 2001. Une telle affirmation fait en effet un amalgame entre le préjudice et le droit de manière que la renonciation au droit invoqué éviterait tout préjudice et que, partant, le préjudice trouverait son origine dans l'invocation du droit invoqué à tort. Or, le préjudice doit être considéré de manière autonome dans ce sens qu'il y a lieu d'examiner si l'exécution de la décision administrative critiquée, qui met en échec un droit prétendu, cause à celui qui sollicite le sursis de cette décision administrative un préjudice grave et définitif.
En revanche, en l'état actuel de l'instruction de l'affaire, les moyens invoqués par l'Etat à l'appui de son recours au fond, tels qu'ils ont été présentés par écrit et explicités oralement à l'audience, n'apparaissent pas comme suffisamment sérieux pour pouvoir justifier une mesure de sursis à exécution. L'examen nécessairement sommaire des moyens auquel le juge peut et doit se livrer à ce stade de la procédure, sous peine d'épuiser le litige et d'empiéter sur les compétences du juge du fond, ne fait notamment pas apparaître pourquoi, à défaut d'autorisation découlant de la loi du 16 novembre 2001 de réaliser l'ouvrage Va, l'Etat serait dispensé de toute autre autorisation, notamment communale, en présence d'un règlement sur les bâtisses qui exige une autorisation de bâtir pour toute construction, l'ouvrage pouvant difficilement ne pas répondre à la définition de "construction." Il n'apparaît pas, pour le surplus, d'une manière suffisamment pertinente, au stade actuel de l'instruction du litige, en quoi la loi du 16 août 1967 constituerait une base suffisante pour réaliser l'ouvrage litigieux, ceci en présence de la loi du 16 novembre 2001 qui a défini avec précision les ouvrages à réaliser, cette loi paraissant tenir en échec celle du 16 août 1967 en ce qui concerne la description des ouvrages dont la construction est législativement autorisée, et, par ailleurs, même en cas d'applicabilité de la loi du 16 août 1967, l'ouvrage Va paraît difficilement pouvoir être qualifié d'accessoire ou d'annexe au sens de cette loi, vu son caractère autonome, sans relation avec une autre infrastructure existante ou autorisée, exception faite, bien entendu, de l'autoroute en elle-même, mais à considérer que tout ce qui est matériellement relié à cette autoroute en constituerait un accessoire dispenserait de préciser a priori – comme l'a pourtant fait avec précision la loi du 16 novembre 2001 et comme l'y oblige la loi du 16 août 1967 à travers ses articles 1er et 9 – un quelconque ouvrage d'art.
Il s'ensuit que la demande de sursis à exécution est à rejeter.
La demande en abréviation des délais d'instruction du litige au fond est en revanche justifiée, les parties s'étant d'ailleurs mises d'accord, à l'audience, sur un calendrier qu'il y a lieu d'entériner.
Par ces motifs, le soussigné président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique, reçoit le recours en sursis à exécution en la forme, 6 au fond le déclare non justifié et en déboute, déclare la demande en abréviation des délais d'instruction du litige au fond, inscrit sous le numéro 14866 justifiée, dit que l'administration communale de … dispose jusqu'au 17 mai 2002 pour déposer son mémoire en réponse, dit que l'Etat dispose jusqu'au 24 mai 2002 pour déposer son mémoire en réplique, dit que l'administration communale de … dispose jusqu'au 31 mai 2002 pour déposer son mémoire en duplique, réserve les frais, Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 8 mai 2002 par M. Ravarani, président du tribunal administratif, en présence de Mme Wealer, greffière.
s. Wealer s. Ravarani